Vendredi 3 mai 2143

Le général Khurram Shaikh, commandant suprême de l’Alliance pour la défense de l’humanité, entra dans le Centre de crise transstellaire d’Alice Springs accompagné des majors Vermekia et Fendes. Les officiers de la section Sol le saluèrent rapidement comme il prenait place dans le fauteuil situé derrière leurs consoles. Jamais ils ne l’avaient vu si furieux.

— Sommes-nous prêts ? demanda-t-il.

— Oui, mon général, répondit le capitaine Toi. Le Cap est en attente.

— Parfait. Procédez à l’ouverture du portail de guerre, capitaine.

Le capitaine Toi se retourna vers sa console et laissa le fin moniteur s’incurver autour de son visage.

— Mise en service, lança la femme au commandant de la base du Cap.

Le général Shaikh se concentra sur le grand écran mural où s’affichaient les données recueillies par les cinq satellites de l’ADH les plus proches de Jupiter. Des données loin d’être satisfaisantes. Les concepteurs et les trésoriers du réseau de surveillance de l’espace profond avaient négligé les capteurs optiques haute résolution, car ils ne s’intéressaient qu’aux perturbations des champs quantiques, prémices systématiques de l’arrivée du Zanth. Les images rassemblées par l’équipe de la station à l’aide du quintette de satellites montraient la constellation North comme une nébuleuse argentée un peu terne et surtout très floue. En dehors de l’habitat principal, il était difficile de distinguer les éléments qui composaient la colonie, dont les dimensions impressionnèrent cependant le général.

— Combien… d’éléments composent la constellation, désormais ? demanda-t-il.

— Plus de cent, mon général, répondit Toi. Plus quelques astéroïdes – de type métallique, mais aussi des chondrites carbonées, plus un iceberg. Ils leur fournissent sans doute les métaux et les minéraux nécessaires à la création de brut. Ils ont beaucoup travaillé, semble-t-il.

— En effet.

Le général examina la colonne de données qui défilait sur un côté de l’écran, montrant la mise en service du portail de guerre du Cap. La connexion transspatiale s’étirait afin de comprimer les quarante minutes-lumière qui séparaient la Terre de Jupiter, les réduisant à zéro. Demander à la fabuleuse machine d’établir une connexion sur une distance si courte était presque insultant – elle avait été conçue pour atteindre les étoiles, pour aider l’humanité à combattre le plus terrible ennemi de l’univers. Dire qu’il s’apprêtait à l’utiliser dans la seule intention d’avoir une conversation – sans doute animée – avec un reclus entêté…

Plusieurs sections, dans les données affichées, virèrent au rouge. Le dos du capitaine Toi se raidit. Elle demanda aussitôt des explications aux techniciens qui contrôlaient le portail du Cap. Les données recouvrèrent leur couleur ambrée normale avant de redevenir rouges.

— Capitaine ? demanda le général à voix basse.

La femme se tourna vers lui, le front couvert de transpiration.

— Mon général, nous ne pouvons pas ouvrir notre portail à proximité de Jupiter. Quelque chose bloque notre connexion de l’autre côté.

— Savons-nous quoi ?

— Les opérateurs du portail pensent qu’il pourrait s’agir d’un dispositif comparable aux stations de déformation quantique du Bouclier de la Terre, mon général.

Le général Shaikh lança à Fendes un regard impassible.

— Comment, au nom d’Allah, Constantine a-t-il pu mettre la main sur cette technologie ?

— J’opterais pour de l’espionnage industriel, répondit le major.

— Je ne suis pas d’accord, rétorqua Vermekia. Soit Jupiter l’a développée de son côté, comme son propulseur spatial sans réaction, soit Constantine s’est inspiré de la technologie d’une autre espèce intelligente.

— Originaire de St Libra ?

Vermekia haussa les épaules.

— Ce serait la conclusion logique.

— Capitaine, reprit Shaikh, à quelle distance de Jupiter pouvons-nous ouvrir le portail ?

— Dans les sept millions de kilomètres, mon général.

— Très bien, je suppose que nous devrons nous contenter de…

Il s’interrompit, sidéré, car son i-e venait de lui envoyer un message d’alerte de niveau un. Deux des moniteurs muraux de la salle affichèrent soudain des graphiques d’urgence. L’armada de satellites capteurs positionnée en orbite haute au-dessus de la Terre avait enregistré un changement dans l’espace-temps au-dessus de l’océan Pacifique, à environ cinquante mille kilomètres.

— Il ne s’agit pas d’une brèche ! aboya Toi. Je répète : il ne s’agit pas d’une brèche ! Ce n’est pas le Zanth !

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Shaikh.

— Une connexion transspatiale, mon général. Remarquablement stable, d’ailleurs. Tout juste a-t-on noté un très léger vacillement au moment de l’émergence. Et elle mesure approximativement un mètre de diamètre.

— Pardon ?

— Je crois que la montagne vient de venir à Mahomet, dit doucement Vermekia.

— Mon général, reprit Toi, incrédule. Elle émet un signal vers notre escadron de satellites de communication stratégique. L’appel utilise le cryptage diplomatique de Jupiter.

— Utilise ma clé, ordonna Shaikh à son i-e. Et dirige l’appel vers cette station.

Dans la salle, tout le monde vit le visage juvénile de Constantine North apparaître devant le général Shaikh.

— Général.

— Monsieur North.

— Vous désiriez me parler ?

— En effet. Il semblerait que vous ayez développé des technologies extraordinaires ces derniers temps.

— Merci, mais je vous retourne le compliment. Je suis un grand admirateur de votre Bouclier.

— Je faisais allusion au moyen de propulsion de vos vaisseaux.

— Bien sûr.

— Votre agent a emporté quelque chose en quittant Newcastle.

— Mon fils a mis aux arrêts un extraterrestre qui pourrait bien être le meurtrier de mon frère et de mes neveux.

— L’heure n’est pas aux affaires personnelles, Constantine. C’est la première fois que nous rencontrons une espèce extraterrestre intelligente. Nous devons tenter d’établir un dialogue, non pas nous venger de façon aveugle. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous faire un nouvel ennemi interstellaire.

— Je suis désolé que vous me jugiez de la sorte, général. Les morts sont morts, et rien ne pourra les ramener à la vie. Tout ce qui m’intéresse, c’est le sort des vivants, tous les vivants, sans exception, où qu’ils vivent.

— Moi aussi. C’est même la raison d’être de l’Alliance pour la défense de l’humanité.

— Général, comprenez bien que je n’ai aucune raison de me quereller avec vous. J’ai simplement la conviction d’être le mieux placé pour gérer cette incursion. C’est nous, les North, qui avons attiré son attention. Il nous veut, semble-t-il.

— Vous n’avez pas le droit de monopoliser cette découverte. Nous avons besoin de savoir à quoi nous avons affaire.

— Je n’ai pas l’intention de garder pour moi les informations que nous recueillerons.

— Bien. Puis-je envoyer sur Jupiter une équipe pour confirmer la rencontre ?

— Malheureusement non.

— Pourquoi ?

— Je n’ai pas entièrement confiance dans l’ADH.

— Je trouve cela insultant. Mes hommes sont prêts à sacrifier leur vie pour protéger les humains où qu’ils se trouvent, y compris sur Jupiter si cela s’avérait nécessaire.

— Je vous en prie, général. Vous saviez que l’extraterrestre était réel. Vous le saviez déjà il y a vingt ans, et pourtant, vous n’avez rien dit. Délibérément. J’ai vu les enregistrements de l’interrogatoire pour le moins musclé de la pauvre Angela Tramelo. J’ai vu ce que vous avez sorti de sa mémoire. Cette information, vous l’avez reléguée dans la plus profonde de vos caches, et vous avez pris le parti de l’oublier. Vous êtes donc assez mal placé pour me donner des leçons en matière de responsabilité.

— Des images extirpées de l’esprit d’une jeune femme dérangée ne constituent pas des preuves. Il aurait très bien pu s’agir d’une fiction, d’un cauchemar ou d’une psychose. Nous ne pouvions pas savoir. Annoncer officiellement l’existence de ce monstre aurait effrayé la population. Ç’aurait été la panique. Notre protection n’est pas seulement physique. La civilisation a besoin d’ordre pour se perpétuer, et nous avons la responsabilité du maintien de cet ordre.

— Certes. Vous devez rendre des comptes aux politiciens qui vous paient et dont la seule obsession est le maintien… du statu quo. Ce n’est heureusement pas mon cas. Je compte bien découvrir la nature exacte de cette créature et d’où elle vient. Ses intentions, aussi. Alors je rendrai ces informations publiques. Avec ou sans votre approbation. Je pense que nous sommes à la veille d’un grand changement à la fois matériel et philosophique. J’espère que vous saurez vous adapter, général, je l’espère vraiment, car je vois en vous un homme d’honneur et de cœur. Les gens comme vous sont devenus très rares.

— Constantine…

— Je vous contacterai dès que nous en saurons plus. Vous avez ma parole.

La liaison fut coupée. Sur les grands moniteurs, les satellites capteurs confirmèrent la fermeture de la connexion transspatiale.

— Qu’est-ce qu’on fait ? demanda le capitaine Toi.

— On attend, répondit le général. Et on prie.

 

***

 

Constantine prit le pod de transit jusqu’au tore trois. La roue se trouvait à l’extrémité de l’amalgame, près de l’habitat originel. Elle était séparée du reste de la structure par un axe en treillis long de trois cents mètres. Comme il ne voulait faire courir aucun danger aux habitants de la colonie, Constantine avait même fait équiper l’axe de fixations explosives. Au cas où.

Le tore trois avait été construit en huit ans avec un alliage de carbone et de titane développé sur Jupiter. Sa coque était fixe, mais ses systèmes internes étaient en perpétuelle évolution ; depuis le début, il s’agissait de disposer des technologies les plus avancées en prévision de ce moment.

Constantine se dirigea vers le centre de contrôle de la réception, simple pièce circulaire au centre de laquelle trônait un unique fauteuil de bureau en cuir noir. Grâce à son cerveau reséquencé et à sa multitude de connexions et programmes de visualisation, il n’avait pas besoin des écrans, moniteurs et autres consoles de zone nécessaires au reste de l’humanité. Constantine s’assit dans le vieux fauteuil, qu’il avait rapporté de la Terre cinquante-cinq ans plus tôt, et attendit. De l’autre côté de la paroi métamoléculaire, l’aire de réception principale était une chambre hémisphérique de dix mètres de diamètre, dont le sol et les murs avaient été configurés pour avoir la texture et le moelleux de l’éponge. Les seuls objets solides qu’elle contenait étaient un lit de camp, un lavabo et des toilettes. Un anneau situé près du sommet de l’hémisphère émettait une lumière blanc-bleu calquée sur le spectre de Sirius. Avant que l’étoile vire au rouge.

Les satellites qui tournoyaient autour de la constellation transmettaient directement les données qu’ils captaient au cerveau de Constantine, lui montrant l’arrivée du vaisseau à ondes lumineuses. L’appareil accosta près du moyeu du tore trois.

Constantine établit une liaison avec Clayton.

— Alors, comment ça va ?

— Waouh ! J’adore cette façon de voyager, répondit Clayton. Heureusement que je ne suis pas sujet au vertige ; je voyais le soleil rapetisser à vue d’œil dans mon dos.

— Et ton passager ?

Constantine n’avait posé la question que par courtoisie, car plus de la moitié de ses récepteurs augmentés étaient reliés directement aux scanners qui encerclaient l’extraterrestre.

— Il s’est bien comporté. Tu as vu cette structure interne ?

— Oui. C’est très intéressant.

— Je pourrais descendre avec lui ?

— Tu connais déjà la réponse. C’est à mon tour de sortir pour jouer un peu.

— Papa…

— Oui ?

— Sois prudent.

— Je ne crois pas que cette situation se réglera par la violence, mais, oui, je serai prudent.

— Une équipe médicale et des marines se tiendront prêts au cas où.

— Les marines, carrément ! Avec un peu de chance, nous n’aurons bientôt plus besoin de marines. C’est en substance ce que je viens de dire au général Shaikh.

— Comment l’a-t-il pris ?

— Pas très bien, répondit Constantine avec un sourire satisfait.

— Tu m’étonnes ! Tu es prêt ?

— Oui. Envoie-le-moi, s’il te plaît. Ah ! au fait, joli travail.

— Merci.

Une minute plus tard, le centre du plafond de la salle de réception se distendit, et une excroissance bleue translucide se forma, s’étirant lentement jusqu’au sol. L’extraterrestre était à l’intérieur, parfaitement immobile dans sa prison de fluide intelligent. Il toucha bientôt le sol et ne bougea pas tandis que la substance bleue remontait vers le plafond telle une goutte de pluie tombant à l’envers.

Constantine attendit quelques instants, mais la créature resta dans la même position. Vue de là, elle aurait très bien pu n’être qu’une statue de cuir pétrifié. Il zooma pour l’examiner, et ses yeux la trahirent. Des globes oculaires humains tournaient dans tous les sens, scrutant la salle.

La voix de Constantine résonna, amplifiée :

— Je m’appelle Constantine North. Je dois avouer que, d’un point de vue purement quantique, votre composition est remarquable.

Au cas où la créature ne l’entendrait pas, les paroles de Constantine défilèrent en caractères violets de cinquante centimètres de haut sur la paroi incurvée. Généreusement, Constantine montra ce qu’il percevait, projetant un hologramme juste à côté de son visiteur : une silhouette humanoïde avec un semblant de structure interne.

— Vos molécules ont une étrange signature quantique ; elles ne semblent pas tout à fait en phase avec l’espace-temps. Elles imitent notre structure physiologique. Comme si vous étiez à un stade embryonnaire, prêt à devenir l’un d’entre nous, ou bien le contraire.

L’extraterrestre tourna la tête. Constantine étudia la fluctuation de l’état quantique des molécules, qui, apparemment, permettait à la peau solide de devenir fluide. C’était un processus extraordinairement complexe. Grâce auquel des doigts rigides et tranchants pouvaient se plier pour déchiqueter un cœur humain.

— J’ignore quelles sont vos aptitudes, mais nous ferons notre possible pour vous empêcher de nuire. Si vous parveniez à rompre vos liens, nous serions contraints d’utiliser nos armes contre vous. Je ne vous ai pas fait venir jusqu’ici pour vous faire du mal. Je voudrais m’entretenir avec vous. Si vous n’êtes pas capable de sortir de cette chambre, vous y resterez jusqu’à ce que vous vous décidiez à communiquer. Je n’ai rien à ajouter pour le moment.

Il se rassit dans son fauteuil et se balança doucement en attendant.

La signature quantique de la créature s’altéra de nouveau brusquement. Ses molécules devinrent normales et parfaitement adaptées à l’espace-temps. Réelles, en somme. La manifestation visuelle de ce bouleversement fut impressionnante. Son épiderme se colora et changea de texture en moins d’une seconde, se transformant en un costume bleu-gris élégant, en une chemise rayée blanc et gris et en une coquette cravate violette. Son visage se couvrit de peau humaine et son crâne d’une chevelure brune coupée à la mode.

Un North adulte inspira lentement et jeta un coup d’œil circulaire sur la salle d’un air légèrement dédaigneux.

— Ah ! s’exclama Constantine, ravi. Mon neveu Aldred, je présume ?

 

***

 

Des arcs de neige jaillissaient de part et d’autre de la lame de la JMT-1, comme Angela avançait pleins gaz. Les essuie-glaces balayaient le pare-brise avec vigueur, écartant la bouillie cristalline qui ne cessait de pleuvoir sur la vitre. Elle était concentrée sur le ruban de neige plat et dégagé qui se déroulait devant elle, s’assurant qu’aucun rocher ne se dressait sur sa route. L’image radar parcellaire affichée devant elle ne lui était pas d’une grande aide, le dispositif étant recouvert de gros morceaux de glace. Se concentrer de la sorte l’aidait à ne pas faire attention à la puanteur qui régnait dans l’habitacle. Omar était assis à côté d’elle. Les dents serrées, il luttait contre sa nausée en essayant de s’intéresser à la rivière gelée. Cela faisait trois jours qu’ils roulaient sur le cours d’eau, et les membres du convoi commençaient à peine à se remettre de leur maladie. Elston et Garrick étaient assis derrière elle. Enveloppés dans des couvertures, ils s’efforçaient d’oublier leur malaise, de récupérer, chacun à son rythme.

Camm Montoto n’avait pas mis longtemps à isoler et identifier le poison. Des spores de narsberry avaient été injectées dans la gelée. Cette annonce avait fait peur à tout le monde, même à Angela. Les narsberry étaient extrêmement toxiques. Leurs spores étaient microscopiques et dispersées par le vent. Chaque année, des dizaines de personnes étaient hospitalisées pour avoir ingéré des aliments mal lavés. Les quantités avalées par le personnel du convoi étaient très importantes – bien plus que celles qu’on pouvait trouver dans une laitue non lavée –, et même les reins d’Angela risquaient de ne pas s’en remettre totalement. Qui que soit le coupable, il avait bien failli tuer le convoi tout entier.

Aussi Angela accélérait-elle autant que possible, remontant le cours d’eau à toute vitesse, comme si cela pouvait l’éloigner du danger, de l’apprenti tueur en série et du monstre dans les arbres. Leif ne s’était pas trompé : la rivière était une véritable autoroute dans cette jungle, plane et droite, large de deux cents mètres par endroits. Angela avait appris à faire attention dans les sections les plus dégagées, car l’eau y était moins profonde, ce qui signifiait qu’il y avait des rochers sous la glace et la neige. À plusieurs reprises, elle avait frôlé la catastrophe parce qu’elle ne surveillait pas suffisamment son radar, ne découvrant les bosses anormales qu’au dernier moment, presque trop tard. Alors la lame de la JMT taillait dans le rocher avec des couinements effroyables, le véhicule se cabrait et finissait par retomber, poursuivant sa route, car il était conçu pour encaisser ce type de choc. Angela adorait conduire une telle brute à tombeau ouvert. Elle avait l’impression de prendre sa revanche sur la planète et sur toutes les embûches que celle-ci avait jetées en travers de leur route. Elle conduisait ses camarades loin du danger et du passé.

Soudain, des icones rouges apparurent dans sa grille. Elle serra les dents.

— Merde !

Sans cesser de scruter la neige couleur de pêche à l’affût de la moindre bosse suspecte, elle réduisit lentement les gaz.

— On freine ! annonça-t-elle aux autres conducteurs sur le réseau local.

Elston se réveilla en grognant.

— Hein ? Qu’est-ce qui se… ? Oh !…

— Je suis désolée, dit-elle. Nous savions qu’il n’en avait pas pour longtemps.

Les icones rouges concernaient le maillage corporel de Luther. Ses organes déjà mis à rude épreuve par l’accident n’avaient pas résisté à la maladie. Angela se demandait même comment il avait pu tenir jusque-là. Le pauvre avait énormément souffert. Mais c’était terminé. Les icones rouges virèrent au blanc, devinrent neutres. Comme celles de Mohammed dix heures plus tôt.

— De toute façon, on a besoin de refaire le plein, ajouta Elston.

Angela tourna le volant et s’arrêta. Les autres véhicules du convoi l’imitèrent, formant un cercle. Capteurs et mitrailleuses robotisées étaient pointés vers la nature sauvage et glacée de St Libra. Alors qu’il restait deux bonnes heures de jour, ils allumèrent leurs phares pour éclairer les rives vallonnées et couvertes d’arbres au tronc cristallin. Les radars furent également mis à contribution, scrutant du mieux qu’ils pouvaient cet environnement. Rien ne pourrait les approcher par surprise, et Antrinell avait interdit à quiconque de s’aventurer à l’extérieur du cercle.

Angela mit plusieurs minutes à se vêtir pour sortir. Il n’y avait pas de vent, mais la température avait chuté de façon alarmante ces deux derniers jours. Tout le monde était épuisé. Ceux qui avaient échappé à la maladie s’étaient relayés au volant et chargés de la quasi-totalité du remplissage des réservoirs. Il était facile de commettre des erreurs. Lors de leur pause précédente, Leif avait retiré ses gants pour brancher un tuyau récalcitrant. Sa peau était entrée en contact avec le collier métallique de ce dernier, et le froid l’avait immédiatement engourdie, aussi ne s’était-il rendu compte de rien. Toutefois, lorsqu’il avait voulu lâcher le tuyau, il s’était arraché un long ruban de chair.

— Faites attention, dehors, dit faiblement Elston.

— Vous me connaissez.

Le ton léger de Vance ne la trompait pas. Il frissonnait encore énormément sous sa couverture. Comme elle surveillait l’alimentation des malades, elle savait qu’ils étaient loin de s’alimenter suffisamment.

Elle descendit sur la rivière gelée et contourna le véhicule pour entrer dans le cercle. La lumière des feux de position arrière s’additionnait à celle, saumon, de Sirius, tapissant le monde de taches vermillon. Ils étaient neuf, qui se tenaient dans la faible lueur : les chanceux. Quoique, c’était une question de point de vue : ceux qui avaient échappé à l’empoisonnement – Lorelei, Lulu, Leora, Antrinell, Karizma et Leif – et ceux qui s’étaient assez remis pour pouvoir conduire et s’occuper des malades – Madeleine, Josh et elle-même.

— Nous sommes à un tournant en termes de logistique, annonça Antrinell. J’ai vérifié nos réserves de carburant, et je pense qu’il est temps d’abandonner le camion-2. Ce qui reste de son carburant ira dans la citerne et dans les réservoirs souples du camion-1. Avec moins de cellules à alimenter, on pourra aller beaucoup plus loin.

Angela se tourna vers Karizma, dont le visage était dissimulé derrière plusieurs couches de tissu et une paire de lunettes. La jeune femme n’émit aucune protestation.

— Bien, reprit Antrinell, qui s’était manifestement préparé à devoir faire passer son idée de force. Josh, vous et moi allons mettre Luther avec les autres, dans le traîneau.

— Pour quoi faire ? demanda Josh.

— Je vous demande pardon ?

— À quoi bon ? Pourquoi brûle-t-on du carburant précieux pour trimballer des cadavres dans la campagne ? On devrait les laisser ici. On les récupérerait quand les Daedalus viendraient pour nous sauver. Après tout, ce n’est pas comme si la jungle grouillait d’animaux sauvages ; personne ne va les manger.

Angela ne pouvait qu’admirer cette logique implacable, même si elle avait quelque chose de dérangeant.

— À ce propos, intervint Leif, si le monstre me tue, laissez-moi sur place. Je ne veux pas retarder les survivants.

— Ce sont nos camarades, rétorqua Antrinell d’une voix rauque. Ils se sont sacrifiés et méritent notre respect.

— Sacrifiés, mon cul ! lâcha Karizma. Ils ont été assassinés, c’est tout. Et si nous traînons trop, nous serons les prochains sur la liste.

Angela comprenait, à présent. Il s’agissait de mettre une nouvelle fois en cause la pertinence de ce voyage, de ronger davantage l’autorité des officiers de l’expédition. De faire naître le doute dans la tête de ceux qui n’étaient pas pleinement convaincus. Elston aurait facilement maté la fronde. Antrinell était différent ; c’était un excellent officier en second, mais il manquait de charisme.

— Qu’est-ce que le monstre leur a fait ? demanda Angela d’un ton calme. À Mark Chitty et aux autres ? S’il les a embarqués, c’est qu’il avait ses raisons. Lesquelles, à votre avis ? Personne ne se lance ? Pour ma part, je refuse d’être abandonnée à une créature qui pratique peut-être la vivisection ou bien des genres de rituels sataniques. Avec des victimes mortes ou vivantes. Et puis, on a encore largement assez de carburant. Le poids de nos morts sur ce traîneau ne fait aucune espèce de différence.

C’était faux, évidemment. Elle savait bien qu’il leur restait juste assez de biocarburant pour rallier Sarvar. En réalité, elle espérait en secret se rapprocher suffisamment de leur but pour que l’équipe réduite restée sur place puisse venir à leur rencontre avec une citerne pleine ou, mieux encore, avec un hélicoptère Berlin.

— Savoir ce que nous allons faire de ces corps est une question qui ne se pose même pas, intervint Antrinell, profitant de l’occasion. Remplissez les réservoirs. Je veux que tout soit terminé avant la nuit. Les aurores boréales sont intenses. Nous devrions pouvoir avaler quelques kilomètres ce soir.

Le groupe se sépara, chacun marchant à contrecœur et d’un pas lourd vers les tâches qui l’attendaient. Angela ne pouvait s’empêcher de regarder du côté des arbres qui bordaient la rive la plus proche. La glace scintillante qui les emprisonnait en même temps que les plantes grimpantes donnait aux troncs des airs de défenses d’éléphants gelées. Le ciel et la terre étaient les mâchoires qui allaient se refermer sur eux pour les écraser. Malheureusement pour elle, elle avait l’imagination fertile.

— Merci, lui glissa Antrinell.

— Je veux juste me tirer de cet endroit.

Elle regarda Madeleine s’éloigner péniblement vers le camion-citerne, dans lequel elle voyageait en compagnie d’Atyeo. La jeune femme aurait dû se trouver dans la JMT avec elle, où elle aurait été plus en sécurité. Toutefois, Angela n’y pouvait rien pour le moment. Peut-être dans quelques jours, lorsque les malades seraient rétablis et que les tâches seraient de nouveau équitablement réparties.

— J’avais compris, acquiesça Antrinell. Nous devrions atteindre le Dolce dans un jour ou un peu plus. Après cela, Sarvar ne sera plus très loin.

— Bien sûr, répondit-elle avant de partir s’occuper de la distribution des repas.

 

***

 

Aldred avait disparu dans une torsion quantique aussi rapidement qu’il était apparu. Constantine étudia l’entité alchimique qui avait imité son neveu en mettant à profit tous les capteurs dont avait été dotée la salle de réception. De nouveau, sa structure atomique n’était plus en phase avec l’espace-temps. Les senseurs de Jupiter n’avaient pas la capacité de détecter l’origine de cette anomalie. Constantine ne s’attendait pas à connaître un succès rapide, mais il ne pensait pas non plus devoir s’avouer vaincu si vite sur le terrain technologique.

— J’aimerais savoir à quel genre d’avatar je m’adresse. En supposant que vous en soyez un. Ou bien vous contentez-vous de contrôler Aldred à distance ?

La chose, dans la salle de réception, pencha la tête sur le côté et émit vers le réseau de la salle une demande de connexion utilisant le code d’identité d’Aldred.

— Je suis Aldred tel qu’il est apparu dans mon miroir.

— Votre maîtrise de notre langue et de sa syntaxe est excellente. Pourriez-vous m’expliquer votre nature un peu plus en détail ?

— Ceci est une copie d’Aldred. Elle incorpore ses structures biologique et neurale, ainsi que sa mémoire. Toutefois, il ne s’agit pas de lui, seulement d’un pont entre votre espèce et moi.

— Qui est ce « moi », au juste ? Cette question m’intrigue beaucoup…

— Je suis la vie de St Libra.

— C’est-à-dire ?

— J’ai évolué il y a des milliards d’années de cela, sur une autre planète, dans une autre région de la galaxie. Je suis le pinacle de la vie telle qu’elle a évolué sur ma planète, je suis son stade ultime. Je suis devenu un. Je réside désormais sur St Libra. Son étoile est jeune et me dispensera sa chaleur pendant longtemps.

— Puis-je savoir où vous vivez ? Nous n’avons trouvé aucun signe de vie intelligente sur St Libra. Autrement, nous n’aurions pas colonisé cette planète.

L’avatar d’Aldred pencha la tête de quelques degrés comme s’il entendait des bruits étranges.

— Constantine, je crois que nous savons tous les deux que ce n’est pas tout à fait vrai. Depuis le tout début, vous saviez que je n’étais pas originaire de St Libra.

— Vous parlez de la jungle, des plantes ? Oui, nous pensions que St Libra avait été bioformée.

— Vous ne parlez que du physique, de l’individuel. Je suis au-delà de tout cela.

— Comment ?

— Les plantes, mes plantes, sont mes composants biologiques. Je réside en elles.

Constantine se rendit compte que sa bouche était figée en un sourire émerveillé.

— Les plantes ont une conscience de groupe ? Nous n’avons jamais trouvé de cellule équivalente à un neurone.

— Parce qu’il n’y en a pas. Comme je l’ai dit, les plantes sont mes composants biologiques. J’ai de nombreuses facettes, mais il est vrai que je suis issu du biologique. Les plantes sont en quelque sorte mes racines dans cette réalité quantique.

— Si j’ai bien compris, la vie, sur votre planète d’origine, a évolué en une conscience unique ?

— Oui. Votre espèce est obsédée par le progrès technologique. Vos machines pourraient bien devenir vos dieux et vos esclaves, la singularité dont vous rêvez. De leur côté, mes ancêtres ont préféré laisser la vie évoluer seule. Comme vous pouvez l’imaginer, c’est une option beaucoup plus lente, mais aussi plus sûre. Il me semble que, sous leur forme animale, ces ancêtres ne vivaient pas aussi brièvement que vous. Ils n’avaient pas votre impatience compréhensible.

— Une singularité de type Gaïa, dit Constantine avec une crainte mêlée de respect.

— C’est une définition un peu facile quoique assez juste. Oui, je crois que nous sommes parvenus à me définir dans vos termes. Félicitations.

Constantine grimaça, soudain las et découragé, comme les implications de cette révélation se faisaient jour.

— Depuis notre arrivée, nous n’avons cessé d’empoisonner votre environnement. De vous polluer.

L’avatar d’Aldred s’avança jusqu’à la paroi, sur laquelle il fit glisser la pointe d’un doigt dans un geste rappelant une caresse.

— Vous faites cela à tous les mondes que vous colonisez, alors pourquoi ne regretter que ce que vous m’avez fait ?

— Parce que vous êtes différent et que vous le savez. Vous savez comment nous aurions réagi si nous avions été conscients de votre existence. Pourquoi ne nous avez-vous rien dit ? Pourquoi avoir envoyé cet avatar quatre-vingt-dix ans après l’ouverture du portail ?

— Vous êtes tellement rapides, tellement pressés dans ce minuscule corps animal. Ne pouvez-vous concevoir aucun point de vue en dehors du vôtre ? Je ne perçois pas comme vous le faites, je ne pense plus à cette vitesse, je ne réagis plus en un instant. Quand j’ai senti que les plantes étaient polluées, qu’elles mouraient, que de nouvelles cellules qui ne me convenaient pas avaient été importées sur St Libra, je suis intervenu. J’ai cherché le plus fort des esprits étrangers et je vous ai trouvés, vous, les North. Tous ces esprits similaires qui, pour moi, ne faisaient qu’un. J’ai regardé dans le miroir pour vous trouver, pour prendre votre forme. Ce n’est pas quelque chose que j’ai fait très souvent. Le premier avatar généré n’était pas totalement réussi. Il était un peu perturbé par sa propre existence, il ne comprenait pas ce qu’il était. Mes pensées et les siennes, d’origine humaine, sont entrées en conflit. Alors l’avatar s’est révolté d’une manière très humaine, car telle était sa forme.

— Le massacre du manoir de Bartram, murmura Constantine, stupéfait.

— Oui. Le monstre. Changer de forme, d’état, est intuitif, chez moi, une ancienne aptitude dont j’imprègne l’avatar. Celui-ci a choisi ce qu’il souhaitait être. Vous êtes ainsi, vous, les North. Ce que vous voyez devant vous est un monstre issu de votre propre subconscient.

— Zebediah ! L’avatar était Zebediah.

— Oui. Qui d’autre aurait pu dire que les humains étaient des abominations, qu’ils devaient être bannis de St Libra ? Ceci est mon point de vue, articulé de façon parcellaire par votre esprit.

— Qu’est-il arrivé à Barclay ?

— Barclay fut le premier à mourir. Il ne peut y avoir deux Barclay dans un même univers, n’est-ce pas ?

Constantine connaissait la vérité, mais il se devait de poser la question. Ne serait-ce que pour se prouver que, malgré ses nombreuses améliorations et altérations, il était toujours humain.

— Le cadavre repêché dans la Tyne, c’était celui d’Aldred, n’est-ce pas ?

L’avatar d’Aldred s’éloigna de la paroi.

— Bien sûr. Ils ne pouvaient être deux. Cet avatar-ci est beaucoup plus enclin à vivre une existence humaine. J’ai appris de mes erreurs avec le premier. Les pensées de celui-ci sont moins antagonistes et sources de conflits. Une fois les altérations nécessaires conçues, Aldred fut dupliqué à la faveur d’un séjour sur St Libra. Il a beaucoup d’habileté politique et la sécurité de Northumberland Interstellar n’a aucun secret pour lui. Malheureusement, il a retraversé le portail sans me laisser le temps d’émerger complètement. Mais je n’ai eu aucun mal à le suivre sur Terre ni à l’attirer dans l’appartement de son ancienne petite amie. Ses contacts dans le milieu m’ont été précieux lorsqu’il a fallu se débarrasser du corps.

— Pourquoi ? Pourquoi ne pas nous avoir contactés et révélé votre véritable nature ?

— J’en avais l’intention. Les avatars ont été créés pour vous comprendre, pour me permettre d’évaluer la situation. Mon but était de les disséminer dans votre civilisation afin de l’étudier et de m’aider à prendre une décision. Ce travail, je l’avais entamé avec Aldred ; j’avais commencé à bâtir un pont. Et puis, tout a changé.

— Qu’est-ce qui a changé ? demanda sèchement Constantine.

— L’arme. Vous avez apporté une arme sur St Libra. J’ai senti sa présence bien que nos références temporelles soient différentes.

L’avatar joignit ses mains épaisses en une prière humaine. Ses lames se plièrent.

— Je la sens, même d’ici, poursuivit-il. Elle m’est tellement hostile. Si vous vous en serviez, je serais brisé. Oh ! je ne cesserais pas d’exister, mais je ne serais plus entier.

— Quelle arme ? demanda un Constantine choqué.

— Un virus, une pestilence. Elle est sur St Libra, charbon ardent brûlant dans ma conscience. J’ai fait ce que j’ai pu, j’ai réagi comme j’avais réagi lorsque, dans le passé, une autre espèce est venue pour faire de mon monde le sien. J’ai souhaité que le soleil devienne froid et que la jungle gèle, qu’elle hiberne en sécurité. J’ai rendu mon monde inhabitable pour vous, je vous ai chassés en grand nombre. Cet avatar avait pour mission de détruire le portail afin d’empêcher la répétition de cette violation. De cette façon, l’arme elle-même aurait fini par mourir dans le froid.

Constantine se leva. Sur son ordre, les métamolécules de la chambre de réception s’écartèrent, formant une arche.

— Papa, qu’est-ce que tu fais ? demanda Clayton.

Constantine fit comme s’il n’avait rien entendu et s’avança sur le sol doux vers le monstre immobile.

— Nous devons avoir confiance l’un en l’autre, dit-il.

L’avatar d’Aldred baissa la tête pour lui présenter son visage. Constantine vit que la créature n’avait plus d’yeux, simplement des plis de cette chair rocheuse qui le constituait.

— Constantine North. Le visionnaire rêveur, comme disait le père d’Aldred.

— Laissez-moi vous aider. Cette arme, quelle que soit sa nature, a forcément été développée par l’ADH. Je vais leur demander de la récupérer immédiatement.

— Ils ne le peuvent pas.

— Pourquoi ?

— Ils n’en ont plus le pouvoir.

— Je ne comprends pas.

— Mon autre avatar – le premier – est avec l’arme en ce moment même. L’ADH a envoyé l’arme à Wukang avec le colonel Elston. À l’heure qu’il est, le convoi est perdu quelque part entre Wukang et Sarvar. Le premier avatar s’est lentement rapproché de l’abomination. Il a peur ; depuis sa création même, il est effrayé. De nombreux humains la gardent, et ils sont armés. Malgré notre force et nos aptitudes, nos créations miroirs ne sont pas invulnérables. L’avatar a donc entrepris d’éliminer les soldats un à un. Il ne restera bientôt plus personne pour protéger l’abomination. Ne restera plus alors que le portail. Maintenant, je comprends la situation, je sais ce qui doit être fait. Le portail doit être détruit aussi.

— Comment ?

— Je vous dupliquerai une nouvelle fois. Je créerai mille North. Un million, s’il le faut.

— Ne faites pas ça. Je fermerai le portail pour vous prouver que nous regrettons. J’ai ce pouvoir.

— Vous oubliez que je suis Aldred, si l’on peut dire, et que je connais parfaitement Augustine. Je sais qu’il ne sera pas d’accord avec vous.

— Je ne compte pas lui demander sa permission. Je peux fermer ce portail moi-même. Sans bombe D ni armées d’entités miroirs. Je peux fermer ce portail sans tuer qui que ce soit.

— Et pourquoi le feriez-vous ?

— Parce qu’il y a déjà eu assez de morts comme ça. Parce que vos jungles et vos plantes ont assez souffert. Parce que nous sommes en vie tous les deux et que la vie est précieuse. Et nous sommes différents, ce qui est encore plus important. Par ailleurs, j’aimerais vous demander votre aide.

— Dans quelle intention ?

— Vous ne craignez pas le Zanth. Vous avez le pouvoir de diminuer la lumière des étoiles. Vous devez également avoir la capacité de vous défendre contre le Zanth, de l’empêcher de déferler sur Sirius. J’ai besoin de savoir comment vous faites.

— Je le fais, c’est tout. Le Zanth est… étrange, même pour moi. Toutefois, son pouvoir n’est pas infini. Je me contente de souhaiter qu’il s’en aille, et il s’en va.

— Il doit y avoir un mécanisme, une manipulation particulière du champ quantique.

— Je ne pense pas en ces termes.

— Autrefois, si, et cet avatar est un pont. Le transfert de connaissances n’est qu’une question de langage et de mathématiques. C’est une constante universelle. Votre aide serait inestimable. Malgré ses défauts et ses fautes, l’humanité ne mérite pas d’être détruite par le Zanth.

— Non. Vous ne le méritez pas. Aucune forme de vie ne le mérite.

— Dans ce cas, je vais contacter l’ADH. Le général Shaikh m’écoutera.

— Ils ont fabriqué cette arme. Ils l’ont fabriquée dans l’intention de détruire toute vie endogène sur St Libra. Ils l’ont conçue au cas où. Vous imaginez ? Préparer l’oblitération d’une planète et de son évolution comme un simple exercice tactique… Imaginez alors la méfiance qui sera la leur ; car ils verront en moi une version réduite et moins agressive du Zanth, mais néanmoins une créature capable d’éteindre une étoile. Ils auront peur, et à cause de cette peur, les politiciens et les militaires chercheront toujours des moyens de me détruire. Je ne vous étonnerai pas en vous disant que je n’ai pas confiance en eux.

— J’ai dit sensiblement la même chose au général il y a environ deux heures.

— Pour cette raison, je continuerai d’éliminer les membres du convoi et je finirai par détruire cette arme.

— Ne faites pas cela, je vous en conjure. Arrêtez de les tuer et laissez-moi chercher une autre solution. Une fois le portail fermé, vous n’aurez plus rien à craindre de la Terre ni des humains. Vous dites que vous êtes connecté à l’autre avatar, à Zebediah ? Laissez-moi lui parler, laissez-moi m’adresser, à travers lui, à mon agent infiltré dans le convoi de Wukang.

— C’est impossible.

— Pourquoi ? Laissez-moi faire, et je résoudrai notre problème.

— Ce n’est pas possible, car, bien qu’il soit moi, le premier avatar refuse de m’écouter. Il entend vos paroles en même temps que moi.

— Mais pourquoi, alors ?

— Il y avait trop de défauts dans le processus de création originel. Il est devenu indépendant. De façon ironique, il est désormais plus vous que moi.