LE COMTE.

Ainsi, ma belle Rosine, laissons là mes dangers, parlons de ceux que vous courez en ce logis.

———

Var. CVIII.

...C'est l'aveu que j'attendais pour te détester.

———

Var. CIX.

Par ma foi, Monseigneur, la chimère que vous poursuivez, la voilà réalisée.

———

Var. CX.

Tous mes gens cachés autour de ce logis vont accourir au moindre signal.

———

Var. CXI.

Voilà bien une autre musique!

———

Var. CXII.

Argument sans réplique!...

———

Var. CXIII.

(Dans le manuscrit, la scène finit ainsi:)

FIGARO, pendant qu'on signe.

L'ami Bazile! à votre manière de raisonner, à vos façons de conclure, si mon père eut fait le voyage d'Italie, je croirais ma foi que nous sommes un peu parents.

DOM BAZILE.

Monsieur Figaro, ce voyage d'Italie, il n'est pas du tout nécessaire pour que cela soit, parce que mon père, il a fait plusieurs fois celui d'Espagne.

FIGARO.

Oui? Dans ce cas nous devons partager comme frères tout ce que vous avez reçu dans cette journée.

DOM BAZILE.

Je ne sais pas bien l'usage ici, mais chez nous, Monsieur Figaro, pour succéder ensemblement, il faut prouver sa filiation maternelle; l'autre il ne suffit pas chez nous; je dis chez nous... (Il met la bourse dans sa poche.)

LE COMTE.

Crains-tu, Figaro, que ma générosité ne reste au-dessous d'un service de cette importance? Laisse là ces misères, je te fais mon secrétaire avec mille piastres d'appointements.

DOM BAZILE.

Alors, mon frère, je suis très-content d'agir avec vous, s'il vous convient, selon la coutume espagnole.

FIGARO l'embrasse en riant.

Ah friandas! il ne faut que vous en montrer!...

———

Var. CXIV.

Rosine avec eux! Nous arrivons fort à propos.

———

Var. CXV.

LE COMTE.

Seigneur Bartholo, tout ce bruit est désormais inutile; le notaire vient de nous faire signer un contrat de mariage en bonne forme, à la signora Rosine et à moi comte Almaviva.

———

Var. CXVI.

ROSINE.

Il dit vrai!

FIGARO.

Il dit vrai!

LE NOTAIRE.

Il dit vrai!...

BARTOLO, furieux.

Il dit vrai!... Jeune insensée!...

———

Var. CXVII.

BARTOLO.

Comment cela s'il vous plaît?

LE COMTE.

En vous appropriant un bien que les lois vous avaient seulement chargé de conserver...

BARTOLO.

Pour votre Excellence, peut-être?

LE COMTE.

Non, mais pour que Mademoiselle pût disposer d'elle librement un jour.

BARTOLO.

C'est bien dit «un jour»; mais il n'est pas arrivé.

———

Var. CXVIII.

BARTOLO.

L'ordonnance est formelle, et nous verrons!

FIGARO.

Voyez l'ordonnance, et nous emmenons la demoiselle!

BARTOLO.

On prouvera quelle est mal mariée!

FIGARO.

Bien épousée!

BARTOLO.

Que le mariage est nul!

FIGARO.

Que l'époux est de qualité.

BARTOLO.

Nul, de toute nullité!... Je vous ferai sabrer tous par M. Braillard, mon avocat.

FIGARO.

Il vous fera perdre encore ce procès-là! Quand ces Messieurs ont passé toute une ville au fil de la langue, ils n'ont blessé que le tympan des juges.

BARTOLO.

Qui te parle, à toi, maître fripon?

LE COMTE.

Docteur, vous voyez que c'est un mal sans remède.

———

Var. CXIX.

Allons seigneur tuteur, faisons-nous justice honnêtement; consentez à tout, et je ne vous demande rien de son bien.

BARTOLO.

Eh, vous vous moquez de moi, Monsieur le Comte, avec vos dénouements de comédie. Ne s'agit il donc que de venir dans les maisons enlever les pupilles et laisser le bien aux tuteurs? Il semble que nous soyons sur les planches!

DOM BAZILE.

Ne pouvant avoir la femme, calculez, docteur, que l'argent vous reste, et vous verrez que ce n'est pas toute perte.

FIGARO.

Au contraire, pour un homme de son âge, c'est tout gain.

———

Var. CXX.

BARTOLO.

Je me rends, parce qu'il est clair qu'elle m'aurait trompé toute sa vie.

ROSINE.

Non, monsieur, mais je vous aurais haï jusqu'à la mort.

BARTOLO, signant.

Qu'elle est neuve! comme si l'un n'était pas une suite de l'autre!

———

Var. CXXI.

LE NOTAIRE.

Et qui me paiera dans le second contrat?

FIGARO.

Le premier dépôt que nous vous mettrons dans les mains.

BARTOLO.

Quel événement! Voilà qui est fini, mais le mal vient toujours de ce qu'on ne peut faire tout soi-même.

FIGARO.

C'est précisément le contraire, docteur; car si vous n'aviez pas été chercher ces Messieurs vous-même, on n'aurait pas marié Mademoiselle pendant ce temps; jusques-là vous vous étiez assez bien conduit.


APPENDICES

I

PAPIERS DIVERS ET MANUSCRITS INÉDITS DE BEAUMARCHAIS
ACHETÉS A LONDRES.
DEUX LETTRES DE M. ÉD. FOURNIER RELATIVES
A CES PAPIERS.

Nous avons dit, dans la notice qui ouvre ce volume, que le manuscrit original du Barbier de Séville, sur lequel nous avons relevé nos variantes, fait partie des manuscrits de Beaumarchais achetés à Londres, en 1863, pour le compte de la Comédie-Française, par M. Édouard Fournier. Nous avons eu communication, aux archives du théâtre, de ces précieux manuscrits, qui s'y trouvent réunis, en sept volumes, reliés, grand in-8º. Comme il a été très-souvent question, dans les journaux et ailleurs, de cette inespérée et précieuse acquisition, faite moyennant un prix si restreint et dans des conditions si heureuses, nous avons cru devoir raconter au lecteur l'histoire de cet achat et lui donner ensuite une idée de son considérable intérêt, par une sorte de catalogue détaillé des sept volumes, faisant ainsi passer sous ses yeux, pièce par pièce, la collection tout entière.

Notre confrère et ami M. Édouard Fournier, à qui nous nous sommes tout naturellement adressé pour avoir d'authentiques renseignements sur cette affaire, nous a communiqué aussitôt deux lettres écrites par lui, à l'époque de l'achat, aux journaux le Temps et le Figaro pour relever certaines erreurs émises dans ces deux feuilles relativement à ladite acquisition. En reproduisant ces deux lettres complétées par quelques notes que M. Ed. Fournier a bien voulu, pour nous, y ajouter, nous croyons donner l'historique entier de la curieuse et importante négociation terminée si heureusement pour les archives de la Comédie-Française.

G. D'H.

I

Au Directeur du Journal LE TEMPS.

Paris, le 25 septembre 1863.

Monsieur,

Permettez-moi de compléter par quelques lignes la nouvelle, très-vraie, que vous avez donnée hier sur la découverte de sept volumes manuscrits de Beaumarchais à Londres.

Il y a quinze jours, me trouvant avec non ami Francisque Michel, chez un des libraires de Soho-Square[162] qui s'occupent le plus spécialement de livres rares, il nous parla de manuscrits de Beaumarchais conservés chez lui depuis quarante ans au moins, et oubliés après une mise en vente infructueuse en 1828[163].

On ne les avait retrouvés que la semaine précédente. Je demandai à les voir; on me les apporta tout couverts encore de leur poussière, et Francisque Michel voulant bien m'en laisser l'examen, je ne tardai pas à voir de quel prix était l'important ensemble de renseignements, de pièces, de mémoires, de poésies, qui m'était soumis, et ma résolution fut aussitôt prise. Je priai le libraire de me dire ce qu'il comptait demander de ces sept volumes. Sur sa réponse, plus modeste qu'exagérée, je m'empressai d'écrire à M. Édouard Thierry, administrateur de la Comédie-Française, pour lui apprendre quelle admirable occasion lui était offerte de compléter, sans une trop forte dépense, la collection de manuscrits de Beaumarchais conservée à la bibliothèque du théâtre. «Vous pourrez vous flatter, lui disais-je après lui avoir énuméré les précieuses pièces contenues dans ces volumes, de posséder le lot le plus riche et le plus imprévu de l'héritage manuscrit de Beaumarchais.»

M. Édouard Thierry mit à accepter plus de hâte encore, si c'est possible, que j'en avais mis à offrir. Il répondit courrier par courrier; l'argent demandé était dans sa réponse[164].

Je n'étais plus à Londres. Obligé d'aller à La Haye pour compléter une découverte faite sur Corneille au British-Museum, j'étais parti le lendemain sans manquer de prévenir M. Thierry, et sans oublier surtout de l'avertir que Francisque Michel se chargeait de terminer la négociation. C'est ce qu'il a fait de la façon la plus intelligente et la plus heureuse. A mon retour de Hollande, il y a huit jours, j'ai appris que les sept volumes manuscrits appartenaient à la Comédie-Française[165].

Voilà, monsieur, toute l'affaire. Quoique ce ne soit qu'une histoire et non une fable, je tirerai cette morale: «Il est heureux qu'une fois au moins Londres, qui nous a pris tant de richesses de ce genre, nous en rende une, et que ce trésor reconquis trouve une si digne place.»

Recevez, etc.

ÉDOUARD FOURNIER.

II

A M. le Rédacteur en chef du Journal LE FIGARO.

Paris, 12 septembre 1866.

Monsieur,

On a parlé à plusieurs reprises, dans votre journal, des manuscrits de Beaumarchais qui appartiennent aujourd'hui à la Comédie-Française. Chaque fois on s'est plus ou moins trompé. Soyez donc assez bon pour me permettre de rétablir les faits.

Le seul point vrai dans tout ce qu'on a dit dernièrement, chez vous ou ailleurs, est celui-ci: les sept volumes manuscrits, et la plupart autographes, ont été acquis pour le compte du Théâtre-Français, à Londres, par mon entremise, pour le prix de 500 francs, à l'amiable et non aux enchères. C'est à la librairie de Soho-Square, fondée pendant la révolution par l'abbé Dulau, qui se faisait libraire au moment où le comte de Caumont, émigré comme lui, se faisait relieur[166], que l'affaire engagée par hasard, un soir, s'est conclue en moins de deux heures.

Je ne vous rappellerai pas la circonstance, déjà racontée par moi dans une lettre que je dus écrire peu de temps après, afin de rétablir la vérité, comme dans celle-ci, et qui fut reproduite par un grand nombre de journaux, même de l'étranger. Ceux de Londres s'en émurent surtout, et après un article du Times où l'on mettait pourtant en doute la valeur de la découverte, un amateur anglais se présenta, qui offrit au libraire, entre les mains duquel le dépôt se trouvait encore, une somme de mille livres sterling (25,000 francs)[167].

On dira c'est trop; je répondrai que ce n'est pas assez. Le précieux recueil, si on le dépeçait pour le vendre au détail, suivant l'usage du jour, produirait davantage. J'y connais telles lettres autographes, comme celle par exemple que Beaumarchais écrivit à M. Lenoir, lieutenant de police, pour obtenir la représentation du Mariage de Figaro, qui, mise aux enchères, ne monterait pas à moins de 1,000 francs. Elle a vingt pages in-folio; on n'y trouve pas seulement la pensée de l'homme, mais le lutteur même par l'ardeur fiévreuse de l'écriture hâtée, brûlante, et où l'idée flambe, pour ainsi dire, dans son premier, dans son vrai foyer.

J'aurais pu fort bien, quoique homme de lettres, acquérir pour mon compte ce précieux ensemble de documents. Je fus arrêté non par le prix si minime, mais par l'importance de la chose même. Je me dis que de tels dépôts ne doivent être remis qu'à des établissements immuables, et non rester aux mains de particuliers, après lesquels, quoi qu'ils fassent, le morcellement, le dépècement dont je vous parlais, sont toujours possibles. Je pensai un instant à la Bibliothèque impériale, mais le temps pressait, et il en faut beaucoup à ses défiances pour qu'elle se décide, ainsi que j'en jugeai à ce moment même pour une admirable lettre de Rabelais, en grec et en latin, que je lui fis proposer par l'entremise du ministre, et qu'elle mit trois mois... à refuser. La seule bibliothèque à laquelle je devais songer, même avant celle-là, car les manuscrits de Beaumarchais devaient s'y retrouver en famille, était la bibliothèque du Théâtre-Français. Quand l'idée m'en fut venue, je n'en voulus pas d'autres[168].

J'écrivis à Édouard Thierry, dont je connaissais l'obligeante confiance en mes recherches, même en mes trouvailles; je lui dis en quelques lignes le menu du trésor, mes craintes d'être devancé, etc... Courrier par courrier la somme fut envoyée et l'affaire faite. J'étais moi-même déjà parti pour la Hollande; quand je revins à Paris, j'appris l'heureuse conclusion: les manuscrits de Beaumarchais étaient rentrés dans sa maison, sans crainte d'être jamais dispersés et de retourner en détail à Londres, où je sais qu'on les regrette fort du côté du British-Museum. C'est tout ce que je voulais; j'ajouterai qu'Édouard Thierry me combla quand il me dit qu'on n'avait jamais fait un si beau présent à la Comédie-Française[169].

J'aurais maintenant tout un chapitre à écrire sur l'ensemble même de l'acquisition. Deux mots vous suffiront. Lorsque j'en essayai le dépouillement, je pensai qu'une semaine, c'est-à-dire un jour par volume, serait tout au plus nécessaire; il m'a fallu tout ce temps-là pour le premier volume seul, qui contient les chansons, les pièces fugitives, les lettres, etc. Dans les autres se trouvent, à l'état de premier jet, le Barbier de Séville, dont j'avais déjà saisi le plan fait sur une feuille volante, à un moment où ce ne devait être qu'une sorte d'opérette folle pour une fête du château d'Étiolles; puis la Mère coupable, revue, annotée, presque refaite; sept ou huit parades comme on les aimait alors, c'est-à-dire au très-gros sel, pour ne pas dire au gros poivre; des correspondances sans fin, politiques surtout: ce Beaumarchais avait pour manie de faire croire qu'il était un homme d'État s'amusant à être auteur; des mémoires de toutes sortes, entre autres un très-curieux sur l'Espagne, fait pour M. de Maurepas[170]; le détail complet d'une négociation entreprise avec la chevalière d'Éon[171], des pétitions, des réclamations, des pièces innombrables, comme les affaires mêmes dont s'occupait Beaumarchais, et qui sont là toutes plus ou moins représentées.

L'homme politique s'y trouve plus que l'homme littéraire, et vous le comprendrez aisément. Il fut inquiété sous la Terreur; on envahit même sa maison, qui faillit être pillée. Il craignit une seconde visite populaire et partit pour Londres, emportant ses papiers, qui établissaient ses rapports avec l'ancien régime, ministres ou grands seigneurs, et qui pouvaient être contre lui autant d'actes d'accusation. Quand tout fut en sûreté chez Dulau, le libraire de confiance des émigrés, il revint à Paris, avec l'espoir d'aller reprendre plus tard, en un temps plus calme, ce qu'il laissait à Londres. Il mourut trop tôt; ses papiers ne sont revenus que lorsque j'eus le bonheur de les retrouver chez le successeur du libraire où il les avait mis en dépôt.

Dans le nombre est un drame, l'Ami de la maison, dont on a beaucoup parlé et qui serait tout à fait d'à-propos pour faire concurrence à ceux qui courent. On le jouerait donc s'il était jouable. C'est une œuvre de jeunesse, pleine de feu sous un amas de cendres! Jamais Beaumarchais, qui avait le don de faire et de refaire sans pourtant se refroidir, ne s'est moins nettement dégagé de lui-même. La pièce n'est qu'un fourré inextricable, avec des feux follets et des vers luisants. Au premier acte, le mari raconte d'une haleine, en quatorze pages, ce qu'il appelle admirablement du reste, «le roman de sa bonhomie.» Près de ce monologue, celui de Figaro n'est qu'un monosyllabe.

Recevez, etc.

ÉDOUARD FOURNIER.

II

NOMENCLATURE DES PIÈCES COMPRISES DANS LES SEPT VOLUMES
DE MANUSCRITS ACHETÉS A LONDRES.

TOME Ier.—Œuvres diverses.

1º Plusieurs chansons; apologues, poésies, vers au chevalier de Conti et à d'autres personnages, etc...

2º Chanson de table.

En voici le premier couplet:

Versons, versons à grands flots
Le doux jus de la treille:
L'on ne trouve les bons mots
Qu'au fond d'une bouteille
Dans tout festin
C'est le bon vin,
Chers amis, qui fait dire
Le petit mot (bis) pour rire!

3º Stances à diverses personnes.

4º Vers à Mme du Deffant, à la duchesse de Choiseul, à Mme Necker, au roi de Prusse, etc....

5º Fragments d'une épître.

6º Bouquet à Mme X....., femme charmante qui porte le nom d'Antoinette et vient d'accoucher de deux enfants.

Les Délices de Plaisance, vers.

La Naissance de Vénus, strophes:

L'onde roule et s'enfuit;
C'est Vénus qui paraît, l'univers se colore!
L'éclat qui la suit
Plus brillant que l'aurore,
Dissipe la nuit.

9º Poésies diverses.

10º Cantique, avec musique.

11º Un recueil de pièces de tous genres, relatives à Beaumarchais, sous ce titre général: Poésies qui lui sont adressées.

12º Partie théâtrale, comprenant:

A. Colin et Colette, scène en un acte, en prose, à quatre personnages: Thibaut, Colin, Mathurine et Colette;

B. Les Bottes de sept lieues, parade en un acte, en prose, avec les cinq personnages traditionnels de la farce italienne: Gilles, Cassandre, Léandre, Arlequin et Isabelle (avec couplets et musique);

C. Les Députés de la Halle et du Gros-Caillou, scène en prose de poissardes et de maîtres pêcheurs, avec quatre personnages: la mère Fanchette, la mère Chaplu, Cadet Heustache et Jérôme. Cette petite pièce, en langue vulgaire de la halle, a été composée avec musique et couplets.

Ces diverses parades ne sont pas toutes de Beaumarchais, non plus que celles indiquées plus loin au tome V. Quelques-unes sont bien de lui en effet, et même parfois écrites de sa main; d'autres au contraire sont attribuées à sa sœur Julie, qui était, après l'auteur du Barbier, la plus lettrée de sa famille[172].

13º Une lettre en prose, relative à son théâtre, adressée «aux auteurs du Journal».

14º Une lettre relative au Mariage de Figaro, adressée «aux auteur du Journal de Paris» et datée du 2 mars 1785.

15º Une autre longue lettre, surchargée et raturée et des plus détaillées sur son théâtre, jusques et y compris le Mariage de Figaro. Cette lettre, retouchée et refondue, deviendra la préface de la Folle journée.

16º Une petite note très-curieuse contenant des observations critiques relatives à diverses scènes du Barbier, opéra-comique[173].

17º Une lettre «aux auteurs du Journal» relative à la Mère coupable, datée du 16 juin 1795, et signée simplement Beaumarchais, sans particule;

Elle se termine ainsi: «Si vous n'aimez pas à pleurer, ah! cherchez un autre spectacle; nous n'avons rien à celui-ci que des larmes à vous offrir!»

18º Lettre aux rédacteurs de la Chronique, relativement au Mariage de Figaro.

TOME II.—Œuvres diverses.

1º Mémoire justificatif «au roy» relatif au Mariage de Figaro, avec signature.

2º Pièces relatives à ses travaux dramatiques.

3º Trois pièces imprimées:

A. Avis sur les éditions des œuvres de Voltaire, avec les caractères de Baskerville;

B. Dialogue entre un père de famille et un vicaire de Paris, le jour qu'on lui a demandé sa fille en mariage;

C. Pétition de Pierre-Augustin-Caron Beaumarchais, à la Convention nationale, relative au décret d'accusation rendu contre lui dans la séance du 28 novembre 1792.

4º Une page sur la Folle Journée.

5º Une page relative à diverses affaires.

6º Pièce au sujet du procès avec Kornman.

7º Pièce relative à l'opéra de Tarare.

8º Plusieurs pièces, badinages, vers: «Mes réflexions sur l'amour propre, Mon rêve, etc...»

9º Une note fort curieuse, de la main même de Beaumarchais et relative à l'un de ses duels, avec lettres diverses sur cette affaire.

Beaumarchais s'était chargé d'un achat de diamants pour un M. de Meslé. Le règlement de cette affaire donna lieu à un échange de lettres dont quelques-unes se trouvent dans les papiers achetés à Londres. Cette affaire faillit même avoir une issue assez tragique, qui tourna subitement au grotesque, ainsi que le fait voir la note suivante de Beaumarchais:


Octobre 1762.

M. de Meslé m'ayant rencontré à la Comédie, me parla légèrement des lettres ci-jointes (suivent des lettres de M. de Meslé, de Beaumarchais et d'un prince de Belocelsky mêlé à l'affaire) et me dit que quelque jour il en aurait raison. Je l'entraînai sur-le-champ contre la fontaine, rue d'Enfer[174], et après bien des difficultés, je le forçai de dégaîner. Il m'objectait son épée de deuil, et moi je n'avais que ma petite épée d'or. Après lui avoir fait une éraflure à la poitrine, il me cria que j'abusais de mes avantages, et que s'il avait sa bonne épée, il ne reculerait pas ainsi. Il me donna parole pour onze du soir, à recommencer. J'y consentis, je fus souper chez la demoiselle aux diamants, où La Briche, introducteur des ambassadeurs, m'offrit de prendre mon épée et de me prêter pour ce soir-là, sa fameuse flamberge. Je fus à l'hôtel de Meslé, où le cher marquis, tapi dans ses draps, me fit dire qu'il avait la colique et qu'il me verrait le lendemain. Il vint en effet, me fit des excuses que je le forçai sur-le-champ de venir réitérer chez le prince de Belocelsky, notre ami commun, ce qu'il fit. En renvoyant l'épée de M. de La Briche, je lui écrivis la plaisanterie[175] suivante:

Je vous renvoie la Gondrille,
Et personne n'a gondrillé,
Parce que j'ai trouvé mon drille
Dans son lit tout recoquillé.
.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .
La Gondrille n'ayant ce soir
Rien fait que d'enfiler des perles,
Je vous la rends; jusqu'au revoir,
Adieu le plus gentil des merles.

10º Les deux fameuses lettres[176] écrites les 15 et 16 août 1774, «en bateau sur le Danube» et «à Vienne», relatives à la fameuse histoire des brigands.

11º Lettre au prince de Ligne, sur l'invention d'un instrument, l'aérocorde, par un nommé Fschirszcki (26 fevrier 1791).

12º Lettre à M. Legrand-Delaleu, avocat (11 mars 1786), relative à son mémoire justificatif.

13º Curieuse lettre de M. Bossu, curé de Saint-Paul, à Beaumarchais (11 mars 1788). Il se plaint de ce que les ouvriers travaillent le dimanche, «jour dont l'observation est prescrite par la loi divine et par celle de l'Etat», à sa maison du boulevard. Beaumarchais lui répond une lettre non moins curieuse qui est jointe, ici, à la précédente[177].

14º A M. Pérignon, prêtre (3 septembre 1789) relative à une demande d'argent[178].

15º Lettre d'envoi, au roi de Suède, d'un exemplaire, sur grand papier, du Mariage de Figaro.

16º Lettre relative à une vente d'exemplaires de l'édition de Voltaire.

17º Épîtres diverses, en vers et en prose, soit de Beaumarchais, soit d'autres personnages lui écrivant ou lui répondant.

TOME III.—Relatif à la Diplomatie.

Le Sens commun, longue pièce de cinquante grandes pages, adressée aux habitants de l'Amérique.

2º Mémoire sur la situation de l'Espagne.

3º Pièce relative au commerce avec l'Angleterre: «Projets pour commercer dans la nouvelle Angleterre.»

4º Essai sur les manufactures d'Espagne.

5º Mémoire relatif aux établissements de Madagascar.

6º Note sur la monnaie courante des États-Unis d'Amérique.

7º Note sur le commerce des Français avec les Américains.

8º «Avis aux Américains, ou Mémoire pour les convaincre de la nécessité de se réduire à la guerre de poste et de se pourvoir de plusieurs bons ingénieurs.»

9º Mémoire relatif à l'état actuel de l'Inde.

10º Plusieurs petits mémoires relatifs à des «instructions secrètes sur le ministère d'Espagne, au sujet de l'affaire de la concession de la Louisiane.»

11º «Essai sur le projet de population, défrichement et agriculture de la Sierra Morena, demandé par M. de Grimaldy.» (Deux copies.)

TOME IV.—Pièces de théâtre.

1º Un très-curieux manuscrit de: «Le Barbier de Séville, ou la Précaution inutile», daté de 1773, avec ratures, surcharges et annotations diverses relatives à sa mise en scène, et la plupart de la main même de Beaumarchais.

L'Ami de la maison, drame en trois actes, dédié «à Bazilide».—Sans date.

TOME V.—Pièces de théâtre.

Léandre, marchand d'agnus, médecin et bouquetière, parade en six scènes, avec chants et symphonie. (De la main même de Beaumarchais.)

Jean Bête à la foire, parade en dix scènes avec chant[179].

Personnages: Jean Bête; Jean Broche le père; Jean Broche la mère; Mme Oignon, gargotière; Mme Tiremonde, sagefemme; Mlle Tripette, maîtresse de Jean Bête; Troufignon, apothicaire.

Les Députés de village, opéra-comique en trois actes, avec ariettes. (Il n'est pas possible de dire si cette pièce est de Beaumarchais.)

Laurette, comédie en trois actes, en prose, tirée des Contes nouveaux de M. de Marmontel, par M. P. de B., ancien officier, ex-aide de camp.

On lit la note suivante sur la première page:

«Reçue au Théâtre Italien le 20 mai 1778, jouée le 15 juillet et retirée le 16 du même mois.»

La Nouvelle Direction, comédie en vers en un acte, mêlée de chants et de danses, par l'auteur de Laurette.

La Fête militaire, divertissement suisse en quatre scènes, et les apprêts de la fête; ambigu-comique en seize scènes, avec chant. (Sans indication de nom d'auteur.)

Zoraïr, tragédie en cinq actes, par Mercurin fils, de Saint-Remy, en Provence.

«Envoyée à M. de Beaumarchais, le 14 avril 1786, pour donner son avis.»

On lit en Post-Scriptum, dans la lettre d'envoi:

«Ne me jugez pas sans me lire; c'est là notre malheur, à nous provinciaux. Je ne suis pas encore dans ma vingt-quatrième année, mais j'ai beaucoup de sensibilité, et j'ai beaucoup voyagé.»

TOME VI.—Affaires d'Éon.

1º Plusieurs pièces manuscrites et imprimées de «la chevalière d'Éon».

2º Une pièce satirique adressée: «au très-haut, très-puissant seigneur, monseigneur CARON OU CARILLON, dit Beaumarchais... Seigneur utile des forêts d'agiot, d'escompte, de change, rechange et autres rotures... par Charlotte-Geneviève-Louise-Auguste-Andrée-Timothée d'ÉON de BEAUMONT, connue jusqu'à ce jour sous le nom de chevalier d'Éon, ci-devant docteur consulté, censeur écouté, auteur cité, dragon redouté, capitaine célébré, négociateur éprouvé, plénipotentiaire accrédité, ministre respecté, aujourd'hui pauvre fille majeure, n'ayant pour toute fortune que les louis qu'elle porte sur elle et dans son cœur. (Suit la pièce.—Elle a été imprimée à Londres.)

3º Deux pièces en latin, français et anglais relatives à la même affaire. La première commence ainsi:

«Le sexe du célèbre chevalier d'Éon est enfin révélé. C'est au genre féminin qu'il a l'honneur d'appartenir...»

4º Vers de Beaumarchais sur la chevalière d'Éon:

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .
Elle agit en bravache et parle en harengère,
La vérité jamais n'eut un semblable ton.
.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .

5º Un petit poëme en vers:

La belle Circassienne, ou Salomon et Saphyra, poëme dramatique en huit chants, imité de l'anglais du grave docteur Cronall.

Interlocuteurs: Lui, Elle, Chœur de Vierges.

On lit au bas de ce manuscrit, et d'une autre écriture que celle du manuscrit même: «par M. de Saint-Maur.»

6º Copie de ma lettre à Mlle d'Éon, en date du: «3 août 1776.»

Immense lettre, qui est plutôt un mémoire, plusieurs fois longuement annotée dans la marge des pages. On lit sur le premier feuillet:

«J'ai écrit deux lettres avant celle-ci à Mlle d'Éon, que je n'ai pas jugé à propos de lui envoyer, réprimant autant qu'il a été en moi ma sensibilité aux outrages que j'avais reçus parce qu'elle était Elle et non pas Lui[180].

7º Une autre lettre du même à la même, en date du 7 août suivant.

8º Une réponse de la «chevalière d'Éon».

9º Lettre de Beaumarchais répondant à la précédente. Il y est longuement question du fameux chevalier de Morande.

TOME VII.—Œuvres théâtrales.

Un manuscrit de la Mère coupable, drame en cinq actes.

III

L'AMI DE LA MAISON

DRAME INÉDIT EN TROIS ACTES

——

NOTICE

I

UN DRAME INÉDIT DE BEAUMARCHAIS.

Nous ne donnons pas le drame l'Ami de la maison comme un bon drame, tant s'en faut! En le trouvant dans les papiers inédits de Beaumarchais, nous avions, au premier abord, estimé notre découverte à l'égal d'une bonne fortune, et nous nous disposions à offrir au public une primeur littéraire de haut goût et de véritable valeur; mais, hélas! la lecture de l'Ami de la maison nous a bien vite désabusé, et à un tel point que nous nous sommes demandé tout d'abord si ce drame, si lourdement larmoyant, était bien authentiquement de Beaumarchais lui-même.

Au Théâtre-Français les avis sont partagés sur ce point: le savant administrateur de la Comédie, M. Édouard Thierry, nous a semblé douter, sans se prononcer cependant plutôt dans un sens que dans l'autre; les volumes manuscrits achetés à Londres contiennent, comme on l'a vu ci-dessus, beaucoup de papiers de toutes provenances, et surtout quelques œuvres théâtrales qui ne sont pas de Beaumarchais. L'Ami de la maison fait-il partie de ces dernières? C'est là une question délicate et assez difficile à résoudre. L'excellent archiviste, M. Léon Guillard, pencherait plutôt pour l'affirmative pure et simple; il a même fait, pour l'Ami de la maison, un travail préparatoire d'appropriation à la scène, que la Comédie jouera peut-être quelque jour, comme curiosité dramatique et en se bornant, sur son affiche, à «attribuer» le drame à Beaumarchais.

Quant à nous, nous voulons admettre, sinon croire et affirmer absolument, que l'Ami de la maison est bien de Beaumarchais lui-même. Le manuscrit n'est pas de sa main, cela est vrai; mais les deux notes qu'il contient, et dont l'une est assez longue, ont été évidemment écrites par lui. Nous avons rapproché de ces deux notes un autographe de Beaumarchais, et sur ce point il ne saurait y avoir doute pour nous. Or, ces notes ne sont pas indifférentes, la première surtout, où l'auteur s'adresse directement au public pour lui parler de lui-même et de sa situation présente. L'auteur s'y montre modeste, qualité qui lui était peu habituelle, mais qui doit ici servir à mieux préciser l'époque où son drame aurait été composé. Nous l'appellerons volontiers une œuvre de jeunesse, et nous supposerons qu'elle remonte au temps des Deux Amis. C'est du Beaumarchais lourd et diffus, encore en quête de sa voie, et qui fait du théâtre comme il fait de tout, et parce qu'il était dans sa nature de se mêler de tout et de vouloir faire de tout. Si l'Ami de la maison est bien de Beaumarchais, c'est un drame tout à fait à l'état d'ébauche, et des plus mal présentés comme des plus mal venus.

Cependant le sujet en est essentiellement dramatique, mais l'auteur a faibli dans ses détails et dans ses développements. Le personnage principal de la pièce, qui sait, dès le lever du rideau, qu'il est trompé à la fois par sa femme et par son ami, ne se rencontre avec eux que tout à fait à la fin du drame, dans une scène trop courte et sans conclusion satisfaisante. Le dénoûment de l'œuvre est nul; le châtiment de la femme—s'il lui en est réservé un—n'est pas indiqué; celui de l'amant ne consiste que dans son éloignement; et comme il semble déjà fatigué de sa maîtresse, il est peu probable que son absence ne sera pas précisément le contraire d'un châtiment. Sur les cinq personnages de la pièce, un, M. de Montmécourt, est parfaitement inutile, je dirai plus, il est complétement nuisible à la marche rapide de l'action. Un semblable sujet demande à être exposé avec autant de dextérité que de précision; il ne faut ici ni conversations oiseuses, ni incidents sans valeur et éloignés du fond même du drame. L'action ne saurait être impunément embarrassée; elle ne doit pas languir un seul instant pour être supportable. Or dans l'Ami de la maison on trouve plusieurs tirades d'une longueur tellement démesurée que l'auteur lui-même a cru devoir, dans la note dont j'ai parlé plus haut, s'en excuser publiquement. A la rigueur, cela peut se comprendre dans le drame écrit; mais, au théâtre, personne n'admettra l'excuse, et je ne suppose pas qu'il était entré dans l'esprit de Beaumarchais,—si le drame est bien de lui—de faire réciter par l'acteur son excuse, avant ou après sa tirade. Donc, drame diffus, encombré de scènes parasites, augmenté d'un personnage inutile et malhabilement charpenté; erreur de l'auteur, qui fait passer sous nos yeux une action terrible, où un mari outragé, et qui doit désirer ardemment et avant toutes choses une explication qui satisfasse à la fois son honneur et son repos, passe son temps en conversations insipides et en déclamations déraisonnables, au lieu d'aller tout de suite droit à ceux qui lui ont ravi son bonheur, pour obtenir d'eux et à tout prix cette indispensable explication.

Toutefois, il nous a semblé curieux de donner au public, sinon la reproduction textuelle de ce drame malhabile, au moins son analyse détaillée. La pièce, telle qu'elle existe aux archives de la Comédie, serait d'une lecture tellement fastidieuse que je doute qu'elle eût chance d'être poursuivie jusqu'au bout. Le lecteur en aura une idée très-suffisante avec le résumé, scène par scène, que nous plaçons ci-après sous ses yeux. D'ailleurs, le Théâtre-Français se réservant de mettre peut-être un jour à la scène, après de nombreux remaniements, ce drame inconnu et inédit, il vaut mieux, dans l'intérêt d'une représentation douteuse mais possible, que ses développements ne soient pas déflorés à l'avance par sa publication complète.

II

L'AMI DE LA MAISON ET LE SUPPLICE D'UNE FEMME.

Mais, outre l'intérêt qui doit s'attacher à une œuvre inédite de Beaumarchais ou pouvant lui être attribuée, le drame l'Ami de la maison nous offre encore un autre genre d'attrait et de curiosité qui a en même temps le vif et piquant mérite de l'actualité. On retrouve dans une pièce jouée tout récemment et avec éclat au Théâtre-Français, le Supplice d'une femme[181], non-seulement le sujet même de l'Ami de la maison, mais encore certaines scènes absolument analogues à d'autres scènes du premier drame, et surtout—à un près dont l'inutilité est flagrante—le même nombre de personnages, du même sexe du même âge et du même caractère, remplissant identiquement les mêmes rôles.

Nous devons dire tout d'abord—et c'est ce qui augmente encore la singulière étrangeté de la rencontre—qu'on ne saurait en cette circonstance crier au plagiat, ni accuser, soit M. de Girardin, l'auteur du drame moderne, soit M. Dumas, fils, son intelligent élagueur et arrangeur, puisque le Supplice d'une femme à été représenté au Théâtre-Français fort peu de temps après l'achat des manuscrits trouvés en Angleterre, et qu'à Londres, les papiers de Beaumarchais étaient, ainsi qu'on l'a vu plus haut, aussi complétement ignorés que possible. Donc, en composant son drame, M. de Girardin ne connaissait pas l'Ami de la maison, et l'étonnante ressemblance que je signale entre les deux pièces est absolument l'effet du hasard[182].

Ceci bien posé et admis, il est d'autant plus curieux et intéressant d'établir entre l'Ami de la maison et le Supplice d'une femme les points principaux de leur bizarre analogie.

L'AMI DE LA MAISON, drame en trois actes.

Six personnages: M. de Saint-Pré (Dumont, du Supplice d'une femme); Madame de Saint-Pré (Madame Dumont); M. de Valchaumé (Alvarez); Mademoiselle de Saint-Pré (Jeanne); Madame de Mainville (Madame Larcey); M. de Montmécourt, personnage épisodique et inutile, et le seul qui ne se retrouve pas dans le drame de MM. de Girardin et Dumas fils.

Dans l'Ami de la maison, un homme, M. de Saint-Pré, a recueilli, logé et hébergé chez lui, par charité, sympathie et affection, un autre homme, M. de Valchaumé, qui, abusant de la confiance de son hôte, parvient à séduire sa propre femme. Le mari sait bientôt la fatale vérité; la femme apprend par une amie, Madame de Mainville, que cette vérité est connue et presque publique. Cette amie lui conseille d'éloigner au plus vite son amant. Discussion entre la maîtresse et l'amant; celui-ci veut fuir seul, mais celle-là veut fuir avec lui; tous deux sont indécis sur le parti à prendre; survient le mari, il provoque l'amant, qui refuse de se battre et qui, tout à coup, tombant aux pieds de l'homme qu'il a outragé, obtient à la fois—du moins tout donne lieu de le penser—l'oubli pour lui et le pardon pour sa maîtresse; la brusque fin de la pièce, sans conclusion aucune, laissant le champ libre à toutes les suppositions.

LE SUPPLICE D'UNE FEMME, drame en trois actes.

Un homme, Dumont, a pour associé un autre homme, Alvarez, devenu son ami et son commensal, et qui, abusant de la confiance de son hôte, parvient à séduire sa propre femme. Cet homme ignore la fatale vérité; sa femme apprend par une amie, Madame Larcey, que cette vérité est connue et presque publique. Cette amie lui conseille ou de marier son amant ou de l'éloigner au plus vite. Discussion entre la maîtresse et l'amant; ce dernier veut enlever sa maîtresse, qui, dans l'horreur de sa faute et aussi de son amant, livre elle-même le secret terrible à son mari. Celui-ci ne veut ni duel ni scandale; il chasse son déloyal associé en se ruinant par une liquidation précipitée, et il éloigne sa femme pour un temps indéterminé.


Donc le fond des deux pièces est tout à fait le même; la différence existe seulement dans les développements et les détails.

J'ai sous les yeux deux éditions du Supplice d'une femme, l'une conforme à la représentation[183] et qui est la pièce retouchée, travaillée à nouveau, en un mot refaite et rendue possible par M. Dumas fils; l'autre qui est la pièce elle-même dans son état primitif[184] et avant le travail opéré à son endroit par l'habile auteur du Demi-Monde. Eh bien! je ne crains pas de le déclarer, la première version[185] de la pièce de M. de Girardin, telle qu'elle a été publiée, est pour le moins aussi mauvaise et aussi impossible à la scène que le drame touffu l'Ami de la maison, qui deviendrait peut-être une bonne pièce à son tour s'il était livré également, en vue de la représentation, à la dextérité d'un aussi habile arrangeur. Donc les deux pièces ont encore une ressemblance de plus, puisqu'on y trouve à égale dose la même inexpérience et les mêmes abus de discours parasites, de déclamations oiseuses et de scènes inutiles.

Rapprochons maintenant les personnages:

Dans l'Ami de la maison, M. de Saint-Pré est certes un homme de bien, mais d'une confiance peut-être un peu aveugle, et qui abuse du droit qu'un honnête homme a de se plaindre, au lieu de chercher tout d'abord sinon le remède de son mal, au moins son explication et au besoin sa vengeance.

Dans le Supplice d'une femme (édition Girardin)[186], Dumont est, au fond, un homme d'un caractère absolument semblable et qui n'eût pas été plus possible à la scène que ne le serait M. de Saint-Pré, si M. Dumas fils n'était heureusement intervenu.

Madame de Saint-Pré hésite entre son devoir et son amant; elle paraît cependant plus portée à se garder à son séducteur, puisqu'elle veut, à un certain moment, se faire enlever par lui; ses remords, fort déclamatoires, n'ont l'air que médiocrement solides.

Le rôle et le caractère de Madame Dumont sont tout différents, mais ils diffèrent précisément sur les mêmes points et les mêmes incidents. Elle aussi elle hésite entre son devoir et son amant, mais c'est par haine pour celui qui l'a séduite; c'est lui qui propose la fuite qu'elle repousse avec horreur; mais cependant ce sont bien les deux mêmes femmes, coupables toutes deux, toutes deux prises de remords et revenant à leurs maris, non pas d'elles-mêmes mais par le même motif et la même conclusion, la découverte de leur faute et l'expulsion de leur amant.

Valchaumé de l'Ami de la Maison n'est pas plus intéressant ni sympathique qu'Alvarez du Supplice d'une femme; ils n'ont ni l'un ni l'autre le mérite du repentir; ils cèdent à la force, ils ne rendent point de leur plein mouvement et de leur volonté au mari qu'ils ont trompé la femme qu'ils ont séduite: ils sont violents tous deux, et ils deviennent même parfois ridicules[187].

Madame Larcey, la coquette du Supplice d'une femme, et Madame de Mainville, sont toutes deux femmes du monde, brillantes et légères. Seulement la coquette du drame de Beaumarchais est à peine indiquée, tandis que Madame Larcey est plus vivement et plus nettement caractérisée, surtout dans la pièce primitive, où son rôle a même des développements inutiles. Remarquons aussi que ces deux femmes jouent absolument le même rôle révélateur, qu'elles servent à tendre, dès le commencement du drame, la suite et l'intérêt de l'intrigue, et ce dans une scène qui, à part les détails, est absolument identique.

Nous retrouvons aussi dans les deux drames une petite fille innocente, sautillante et gracieuse; seulement, dans la pièce moderne, elle a un rôle intéressant, touchant, indispensable même à la marche de la pièce, dont elle est le personnage le plus attendrissant et le plus sympathique.

Dans l'Ami de la maison la petite fille n'est qu'un personnage incidemment amené, à peine ébauché pour ainsi dire, mais suffisamment cependant pour que nous trouvions, ici encore, un nouveau point de rapprochement: les deux enfants ont une prédilection marquée pour l'amant de leur mère, qui a pour eux la même affectueuse familiarité.

Nous allons encore trouver de nouvelles et curieuses comparaisons a établir entre quelques scènes des deux drames.

Dans l'Ami de la Maison M. de Saint-Pré sait, dès le commencement de la pièce, que sa femme et son ami le trompent; il le sait même depuis longtemps, et il garde le silence sur son injure, circonstance qui fait de lui un héros assez pusillanime et moins intéressant, certes, que Dumont du Supplice d'une Femme, qui, en apprenant le coup porté à son honneur, cherche aussitôt et sans désemparer—je parle cette fois de la pièce remaniée—le moyen le plus convenable pour le rétablir et le sauvegarder, au moins publiquement.

Toute la scène où Madame Larcey vient raconter à Madame Dumont les soupçons auxquels sa conduite donne lieu est absolument en même situation dans l'Ami de la maison. Lisez dans la pièce même de M. de Girardin (Édition avant Dumas fils) la scène Ve du IIe acte entre les deux femmes, et rapprochez-la de la scène IIe du Ier acte du drame de Beaumarchais. Comparez aussi, dans les deux pièces, les deux scènes d'explication entre les amants, vous y retrouverez la même aigreur, la même vivacité d'expression et surtout la situation parfaitement identique de cette femme séduite et de son séducteur se débattant comme ils peuvent contre la force des choses qui fatalement les accable, se mettant en fureur, maudissant le sort, se révoltant l'un contre l'autre, non pas tout à fait poussés par le même genre de sentiment et d'émotion, mais agissant de concert sous la pression de la même nécessité et arrivant à un égal résultat.

Enfin, rapprochez encore la scène d'explication entre le mari et l'amant, toutes deux au IIIe acte, dont les deux pièces, toutes deux si parfaitement en situation semblable[188]. La même provocation de l'amant par le mari se retrouve dans cette même scène, différemment présentée, il est vrai, mais produisant le même effet et aboutissant de la même façon.

Et maintenant, admettons pour un instant—si l'Ami de la maison est destiné à être joué,—admettons, dis-je, qu'un homme habile et expérimenté, comme l'auteur du Fils naturel, consente à exécuter sur le drame de Beaumarchais un travail aussi sérieux et aussi heureux surtout[189] que celui dont il a bien voulu se charger pour l'élucubration impossible de M. de Girardin, n'aurons-nous pas aussi un drame parfait, logique, solide et poignant, au moins autant que les trois actes émouvants du drame remanié le Supplice d'une femme? Mais, en attendant la soirée possible qui verrait la mise à la scène de cette pièce singulière si étrangement exhumée, les points de ressemblance que j'ai signalés, les rapprochements si complétement identiques que j'ai indiqués, l'ensemble, en un mot, de ces trois actes anciens retrouvés, renouvelés, imaginés une fois encore aujourd'hui par un écrivain qui ne les connaissait pas, qui ne pouvait pas les connaître, serviront au moins—en dehors de la curiosité légitime qui doit s'attacher à une œuvre inédite de Beaumarchais—à prouver une fois de plus au lecteur qu'en fait d'œuvres théâtrales ou autres, il n'y a vraiment plus, quoi qu'on puisse dire, beaucoup de nouveau sous le soleil.

GEORGES D'HEYLLI.

Octobre 1869.