30

Je me procurai une carte de téléphone chez un marchand de journaux, la plus chère, puis je trouvai une cabine.

« Antenne de police », répondit une voix féminine aux inflexions métalliques.

J’avais préparé une phrase d’introduction, que je débitai d’une voix autoritaire. « Pourrais-je parler à la personne chargée de l’affaire Adèle Blanchard ?

— Dans quelle brigade ?

— Mon Dieu, je n’en sais rien. La brigade criminelle ? » hésitai-je.

Il y eut un silence à l’autre bout de la ligne. Était-ce de l’agacement ? De la perplexité ? Ensuite j’entendis des voix étouffées. À l’évidence, elle avait placé sa main sur l’écouteur. Puis elle revint à moi. « Voyons si je peux vous passer quelqu’un. »

Une tonalité indiqua qu’elle m’envoyait sur un autre poste.

« Que puis-je faire pour vous ? annonça une voix, masculine cette fois.

— Je suis une amie d’Adèle Blanchard, commençai-je sans me démonter. Je viens de passer quelques années en Afrique, et je voulais juste savoir où en était l’enquête à son sujet.

— Pourriez-vous me donner votre nom, s’il vous plaît ?

— Je m’appelle Pauline. Pauline Wilkes.

— Je crains de ne pas pouvoir vous fournir d’informations au téléphone.

— Avez-vous eu de ses nouvelles ?

— Je suis désolé, madame. Auriez-vous une information à nous communiquer ?

— Je… non, désolée. Au revoir. »

Je reposai le téléphone puis composai le numéro des renseignements. J’obtins les coordonnées de la bibliothèque municipale de Corrick.

 

Peu disposée à y retourner en train, j’avais emprunté la voiture de mon assistante, Claudia. Si je démarrais à neuf heures et que je me rendais d’un trait à Corrick, puis que j’en repartais aussi sec, je serais de retour à temps pour la réunion prévue à deux heures avec Mike, donnant ainsi l’impression d’avoir accompli une journée de travail effectif. Au moment d’entrer dans Corrick pour la deuxième fois, j’éprouvai un léger malaise. Et si je tombais sur Mrs Blanchard ? Mais j’écartai cette idée. Qu’est-ce que cela pouvait bien faire ? Je mentirais, comme d’habitude. Je n’avais pas remis les pieds dans une bibliothèque municipale depuis mon enfance. Je me figurais des bâtiments municipaux vieillots, à l’instar des mairies, des salles sombres, équipées de lourds radiateurs de fonte, fréquentées par des clochards qui s’y réfugiaient par temps de pluie. La bibliothèque de Corrick était neuve et pimpante, voisine d’un supermarché. Elle me parut contenir autant de CD et de cassettes vidéo que de livres, ce qui me fit craindre d’avoir à me débattre avec une souris ou une microfiche. Mais après avoir demandé à la réception où je pouvais consulter d’anciens exemplaires du journal local, on m’envoya vers des rayonnages où se trouvaient consignés huit ans de Corrick and Whitham Advertiser dans de gros volumes reliés. J’extirpai le tome consacré à l’année 1990 que je déposai lourdement sur une table.

Je vérifiai les quatre couvertures pour le mois de janvier. J’y trouvai une polémique au sujet d’une bretelle de contournement, une histoire de carambolage entre camions, le récit d’une fermeture d’usine, ainsi qu’un problème de décharge en relation avec le conseil régional, mais rien sur Adèle Blanchard. J’entrepris alors de feuilleter les pages intérieures sur tout le mois de janvier, depuis le début. Toujours rien. Je ne savais pas comment m’y prendre, d’autant que je n’avais pas beaucoup de temps devant moi.

Je n’avais pas prévu que mes recherches dans les journaux me prendraient aussi longtemps. Que fallait-il faire ? Peut-être Adèle était-elle partie vivre ailleurs. Sauf que, à en croire sa mère, Tara avait été la seule à quitter la région. Je parcourus le premier numéro de février. Toujours rien. Je consultai ma montre. Presque onze heures et demie. Je décidai de lire les journaux de février puis d’y aller, quel que soit le résultat de mes investigations.

En définitive, l’information se trouvait dans l’exemplaire du dernier vendredi du mois, le vingt-deux. Il s’agissait d’un entrefilet au bas de la page quatre :

 

DISPARITION D’UNE JEUNE FEMME

 

L’inquiétude grandit quant au sort d’une jeune habitante de Corrick, Adèle Blanchard, âgée de vingt-trois ans, dont on vient de signaler la disparition. Son mari, Thomas Funston, qui se trouvait en déplacement à l’étranger au moment des faits, a déclaré au journaliste de l’Advertiser qu’Adèle avait décidé de profiter de son absence pour partir quelques jours en randonnée dans un site indéterminé. « J’ai commencé à me faire du souci quand je n’ai plus reçu aucune nouvelle. » Avec son beau-père, Robert Blanchard, également de Corrick, il a exprimé l’espoir que Mrs Funston ait simplement décidé de prolonger son congé. Le commissaire Horner s’est déclaré « relativement confiant ». « Si Mrs Funston est sauve, je lui demande de bien vouloir nous contacter », a-t-il ajouté. Institutrice à l’école primaire de Saint Eadmund’s à Whitham, Mrs Funston est bien connue de la communauté.

 

Disparue. Je me retournai. Il n’y avait personne dans les environs. Aussi discrètement que possible, je déchirai l’article. Dégradation d’un bien public, songeai-je, peu fière.