20.

Seul un couinement sortit de sa gorge. Elle avait réussi à retenir son hurlement.

— Putain, fais gaffe, regarde où tu vas !

s'exclama Mario en s'asseyant au milieu de la banquette, arc-bouté sur le siège avant.

Kate se retourna. Elle fonçait droit sur un des piliers en béton qui soutenaient le parking. Elle s'écarta juste à temps. La Camry fit une embardée mais ne heurta rien. Kate pila.

— T'arrête pas, ordonna Mario. Avance normalement, et tout ira bien.

Mais la peur la paralysait. Elle n'arrivait plus à respirer.

Vite, il faut que je fasse quelque chose.

Sortir de la voiture et courir. Elle n'avait pas encore attaché sa ceinture de sécurité, trop préoccupée par Braga, donc fuir était possible. Mais le parking était désert, et la porte la plus proche relativement éloignée.

Si Mario la poursuivait, il n'aurait aucun mal à la rattraper. Savoir que Braga était sans doute encore quelque part sur les lieux lui laissait un peu d'espoir, mais elle n'était sûre de rien et ignorait où il se trouvait. Pas au niveau moins trois, en tout cas. Si elle sortait de la voiture en hurlant, il ne l'entendrait peut-être pas. Il était possible qu'absolument personne ne l'entende et ne vienne à son secours. Et si Mario la rattrapait, il serait fou furieux.

Elle préférait éviter d'en arriver là.

Mieux valait tenir bon pour l'instant, et voir comment les choses se passaient.

Mais elle regrettait amèrement d'avoir planté Braga dans l'ascenseur. Lentement, elle redémarra et se dirigea vers la sortie.

— On peut savoir ce que tu fais, caché dans ma voiture ? demanda-t-elle d'un ton sec, outré, qui cherchait à masquer le fait qu'intérieurement elle était terrifiée.

Ne leur montre jamais que tu as peur.

Facile à dire !

— Je t'attendais, ma belle, répondit Mario d'une voix suave qui la fit frissonner.

Il était inutile de lui demander comment il s'était introduit dans un véhicule fermé à clé. Pour des types comme lui, une portière verrouillée n'était jamais un véritable obstacle. D'ailleurs, maintenant qu'elle y pensait, pour elle non plus, à une certaine époque.

Elle s'engagea dans la rampe de sortie. Une fois dans la rue, peut-être aurait-elle plus de chances de se sortir de ce pétrin.

— Qu'est-ce que tu veux ?

—Tu t'es pas mouillée pour moi. Je suis pas content. Bien. Il savait donc qu'elle n'avait rien à voir avec sa libération. Le Mario qu'elle avait connu était rancunier.

Il était peu probable qu'il ait changé.

— Tu es libre, non ?

— Mais pas grâce à toi.

— J'y travaillais. Je t'avais dit que ça n'allait pas être facile.

— Tu sais quoi ? T'es qu'une merde, en fait.

— Alors, qu'est-ce que tu fais ici ?

— J'ai des potes que j'aimerais te présenter.

Les potes en question étaient-ils ceux qui lui avaient rendu visite chez elle ?

S'agissait-il des Dragons Noirs ? Il y avait des chances, oui. Kate se raidit, serra son volant jusqu'à en avoir mal aux mains. Les phares de sa voiture éclairaient les graffitis de la rampe tandis qu'ils remontaient vers la surface.

Que vais-je faire ?

— Désolée. Ça tombe mal. J'ai quelque chose de prévu, ce soir.

— T'as pas le choix.

Mario s'avança entre les deux sièges avant.

Dans le rétroviseur, elle vit qu'il était tout en noir, avec un sweat-shirt à capuche portant le logo Eagles et un diamant à l'oreille gauche. L'uniforme classique du mauvais garçon de Philadelphie. Une légère odeur d'oignon émanait de lui. Elle sentit tout à coup quelque chose lui tapoter l'épaule gauche et jeta un œil de côté.

C'était le canon d'un pistolet. Mario avait glissé son bras entre le haut du siège et la vitre. Kate déglutit. Sortir de la voiture en trombe allait être très difficile.

Sans savoir comment, elle parvint à trouver le courage de dissimuler la terreur qui s'empara d'elle et lâcha un petit rire incrédule.

— Quoi ? Tu vas me tuer, maintenant ?

— Nooooon, répondit Mario en faisant glisser le bout du canon sur sa nuque. Sauf si tu me pousses à le faire. Je t'ai toujours bien aimée, Kitty-Kat, tu sais.

Quelle fille vernie je suis, moi.

— Alors, remballe ton foutu flingue. Il ne me plaît pas.

— Ah, c'est pas possible, ça.

Ça ne coûtait rien de demander, hein.

La voiture émergea à la surface. La guérite du gardien du parking était vide, comme tous les jours à cette heure. Il suffisait de s'avancer jusqu'à la barrière et elle se levait automatiquement.

— Prends la direction de la voie rapide de Vine Street, ordonna Mario.

La sortie du parking débouchait dans une de ces petites allées étroites et sombres qui faisaient la mauvaise réputation de Philadelphie. Les rats et les chats errants les appréciaient beaucoup, les ivrognes et les dealers aussi. Le reste de la population, assez peu.

Lorsque Kate tourna, le faisceau de ses phares balaya un mur aveugle en brique rouge, une énorme benne à ordures industrielle et un alignement de poubelles en piètre état. L'allée débouchait dans Thirteen Street. De là, il fallait parcourir environ deux cents mètres avant de trouver la bretelle d'entrée sur la voie express. Thirteen Street traversait le quartier le plus malfamé du centre-ville.

Prostituées, proxénètes, toxicomanes et dealers se partageaient les trottoirs. Les boutiques consistaient essentiellement en peep-shows, vidéoclubs spécialisés dans le X et bars louches. Kate calcula que si elle «

ratait » l'entrée sur la voie express et s'engageait

dans

ce

quartier

particulièrement animé, elle pourrait peut-

être sauter de la voiture sans prendre trop de risques. Mais si Mario lui courait après, qui lui viendrait en aide ? Dans ce genre de coin, les gens avaient tendance à s'occuper de leurs affaires, point.

Pourtant, c'était sans doute sa seule chance. Une fois sur la voie express, sauter de la voiture ne serait plus envisageable, et elle n'avait aucune envie de se retrouver seule avec Mario dans un endroit désert pour y faire la connaissance de ses « potes

».

— Vu la vie que tu mènes, tu devrais remercier ta bonne étoile d'avoir une amie comme moi au bureau du procureur, reprit-elle.

S'il pensait qu'elle était prête à l'aider la prochaine fois qu'il aurait des ennuis, peut-être

serait-il

plus

complaisant

aujourd'hui.

Mario eut un petit rire.

— Le problème, c'est que t'allais essayer de me baiser. Et que maintenant, je te fais plus confiance.

— C'est faux, je n'allais rien essayer du tout.

— Mais on s'en fout, finalement, non ? Je suis libre.

— Tu as un endroit où aller ? De la famille, peut-être ? La carte de la vieille copine, du

« bon vieux temps »,

était la seule dont elle disposait.

— J'ai des potes qui s'occupent de moi, exactement comme je m'occupe d'eux.

Les Dragons Noirs ? Kate aurait aimé poser la question, mais se retint. Mieux valait taire ce qu'elle savait.

Elle envisagea de lui parler de Ben, de lui dire qu'elle était en retard et qu'il l'attendait, qu'il n'avait que neuf ans et pas d'autre famille qu'elle, mais elle savait que Mario s'en contrefichait. Et même s'il connaissait l'existence de Ben, elle ne tenait pas à attirer son attention sur son fils.

— Tu es toujours en contact avec la bande d'autrefois ? Jason, Leah, tous ceux-là ?

Cette fois, il éclata franchement de rire.

— T'es pas au courant, bébé ? Ils sont tous morts. Accident de voiture, à peu près trois mois après ton départ. J'aurais dû être avec eux, sauf que j'étais en taule, à l'époque. Et pour que les choses soient bien claires, ajouta-t-il en se penchant un peu plus, c'est pas moi qui ai buté le vigile, c'est ton petit ami.

Menteur ! Jason n'aurait jamais fait une chose pareille. C'était toi.

Elle

avait

hurlé

intérieurement,

bouleversée d'apprendre qu'ils étaient tous morts. Tous, même Jason aux yeux si bleus.

— Tu prends Thirteen Street, et tu rates pas la bretelle pour la voie express, OK ?

J'aime pas me faire rouler, dit Mario en tapotant l'épaule de Kate avec le canon de son pistolet.

— Et moi, je n'aime pas ça, répliqua-t-elle en indiquant l'arme. Retire ce foutu truc de là.

Nouveau petit rire.

Elle s'arrêta à la sortie de l'allée et regarda à droite et à gauche, prenant son temps avant de s'engager dans Thirteen Street. La rue était bien éclairée, la circulation dense et,

sur

les

trottoirs,

les

piétons

relativement nombreux. Kate estima qu'elle avait environ cent cinquante mètres devant elle pour tenter quelque chose.

Restait le pistolet posé sur son épaule.

Mario tirerait-il si elle essayait d'ouvrir la portière et de se jeter dehors ? S'il était rapide, il réussirait à l'en empêcher. Il était suffisamment près pour pouvoir l'attraper et la maintenir sur son siège.

— T'as du fric ? demanda Mario. Ça doit se faire un tas de blé, un procureur.

— Je n'ai pas grand-chose.

Elle avait exactement six dollars dans son attaché-case

qui,

lorsqu'elle

avait

brusquement freiné en découvrant Mario à l'arrière de la voiture, avait glissé sur le sol, devant le siège du passager. Six dollars, c'était tout ce qu'il lui restait pour finir la semaine, juste assez pour acheter du lait et du pain, et payer la cantine de Ben.

Juste au moment où elle redémarrait pour s'engager dans Thirteen Street, une lueur dans le rétroviseur attira son attention - les phares

d'un

véhicule

entre

une

camionnette blanche et une petite voiture rouge. Quelques secondes plus tard, un nouveau regard dans le rétroviseur lui permit de voir qu'une Ford Taurus noire émergeait de l'allée, pour tourner à son tour. Son cœur se mit à battre à coups redoublés.

Elle était presque sûre qu'il s'agissait de la voiture de Braga.

— T'as combien ? demanda Mario.

Dans l'esprit de Kate, les choses s'enchaînèrent en un éclair. Si c'était bien Braga, bondir hors de la voiture et courir dans sa direction était sa seule planche de salut. Mais écarter l'arme de Mario augmentait nettement ses chances d'y arriver sans dommages.

Vas-y.

Le cœur battant, fébrile, elle jeta un rapide coup d'œil dans le rétroviseur en direction de Mario. Il regardait devant lui d'un air satisfait. L'arme reposait négligemment sur l'épaule de Kate.

Il pense qu'il me tient.

— Cent dollars, à peu près, mentit-elle. Je ne sais pas exactement.

Devant elle, la circulation ralentit. Le feu qui se trouvait à l'entrée de la bretelle d'accès à la voie express passa au rouge.

Elle

freina

doucement,

s'arrêta.

Maintenant. C'était maintenant ou jamais, elle le savait.

— Mon portefeuille est dans mon attaché-

case. Pourquoi est-ce que tu veux le savoir

? demanda-t-elle.

— Parce que j'en ai besoin, répondit Mario.

Il changea légèrement de position, tendit le bras droit entre les deux sièges, en direction de l'attaché-case. Sur son épaule gauche, Kate sentit l'arme bouger. Puis elle ne la sentit plus.

Cette fois, ça y est.

En un éclair, elle tendit la main vers la poignée de la portière, l'ouvrit et se rua hors de la voiture, avec une telle force qu'elle tomba à quatre pattes sur le bitume. Son cerveau enregistra la douleur, mais elle n'y prêta pas la moindre attention.

— Bon Dieu de merde ! s écria Mario comme la voiture faisait un bond en avant.

Kate ne se retourna même pas. En quelques secondes, elle s était remise sur pied et courait au milieu de la rue, entre les files de voitures à l'arrêt. Quelques têtes se tournèrent dans sa direction, une ou deux portières s'ouvrirent, on lui cria quelque chose depuis une voiture, mais elle s'en rendit à peine compte. Son unique objectif était d'atteindre la Ford Taurus noire qui se trouvait six voitures plus loin.

Elle n'en était plus qu'à quelques mètres lorsque la portière avant s'ouvrit et que Tom en descendit, l'arme au poing.

— Kate !

— Tom ! Tom, aimez-moi !

Il lui hurla quelque chose en retour, mais elle ne comprit pas ce qu'il disait tant son pouls battait fort dans ses oreilles. Enfin, elle l'atteignit et se rua dans ses bras. Il la serra contre lui.

Sauvée.

Elle s'accrocha à lui, enfouit son visage contre son torse, tenta de calmer sa respiration. Elle l'entendit pousser un juron, puis lui demander ce qui s'était passé, mais elle était incapable de répondre.

Ensuite, le feu dut passer au vert, car autour d'eux, tout le monde regagna sa voiture, la circulation reprit, et les véhicules qui se trouvaient derrière la Taurus se mirent à klaxonner et à tenter de la contourner.

D'un rapide coup d'œil derrière elle, Kate constata que la Camry avait disparu.

Mario m'a volé ma voiture. Mais j'ai réussi à m enfuir.

Repensant aux risques qu'elle venait de prendre, elle frissonna de la tête aux pieds.

Sans un mot, Tom replaça son arme dans son holster, puis passa un bras autour de ses épaules et l'accompagna jusqu'à la portière côté passager avant de l'aider à monter. Il revint ensuite se mettre au volant, fourra son badge sous le nez d'un automobiliste particulièrement agressif qui les traitait de tous les noms, et démarra.

Encore à bout de souffle, Kate se laissa glisser sur le siège et le regarda.

— On peut savoir ce qui vous arrive ?

lâcha-t-il. On vient de vous voler votre voiture, c'est ça ?

Une fois de plus, elle allait devoir lui mentir. Tout son être la poussait à dire la vérité, mais en agissant ainsi, elle perdrait tout. Elle devait être forte, pour Ben, et trouver

rapidement

une

explication

plausible à ce qui venait d'arriver. Elle ne pouvait pas parler de Mario.

Mais si tu dois mentir, reste le plus près possible de la vérité.

— Il y avait un homme caché à l'arrière de ma voiture, dans le parking. Il était armé.

Tom lâcha une bordée de jurons. Kate vit ses traits se tendre. Son visage trahissait une réelle anxiété.

— Il vous a fait du mal ? demanda-t-il en s'arrêtant le long d'un trottoir.

Dans la pénombre, il la regarda, cherchant une trace de blessure.

— Non, répondit Kate en secouant la tête.

— Vous le connaissiez ? C'était le même type qu'hier soir ?

Il avait sorti son téléphone et composait un numéro. À la personne qui lui répondit, il déclara le vol de la Camry et exposa les circonstances de l'incident. Kate ne pouvait pas lui demander de ne pas le faire, il l'aurait aussitôt soupçonnée.

Il ne lui restait plus qu'à trouver une solution.

Et mentir, mentir, mentir.

Lorsqu'il le lui demanda, elle donna le numéro de sa plaque d'immatriculation et une description de son agresseur (en la modifiant un peu mais pas trop, pour le cas où ils arrêteraient vraiment Mario), en précisant qu'elle ne l'avait pas si bien vu que cela, car il faisait sombre et qu'elle avait peur, etc. Tout cela sans cesser de prier pour que Mario ne se fasse pas prendre, car si on l'arrêtait, il pourrait parler. Mais s'il parlait et évoquait ce qui s'était passé à Baltimore, elle n'aurait plus à mentir, et il n'aurait plus aucune emprise sur elle...

S'il n'y avait pas eu Ben, pensa-t-elle, elle aurait presque été soulagée que cela arrive.

— Bien. Un avis de recherche a été lancé.

Quelqu'un passera chez vous un peu plus tard pour prendre votre déposition, dit Tom en raccrochant.

Ils étaient garés devant un bar dont l'enseigne lumineuse rose et vert clignotait, projetant d'étranges ombres colorées sur le tableau de bord. A intervalles irréguliers, les phares des véhicules qui arrivaient dans l'autre sens éclairaient le visage de Tom, qui regardait droit devant lui, songeur. Puis il se tourna vers Kate.

— Mettez votre ceinture, dit-il. Elle s'exécuta. Il redémarra.

— Où voulez-vous que je vous emmène ?

— Je dois passer chercher Ben.

Elle lui indiqua l'adresse de Suzy, puis emprunta son téléphone pour prévenir celle-ci de son retard, sans donner trop de précisions. Elle tenait à raconter ellemême à Ben ce qui s'était passé. Elle raccrocha, et le silence se fit.

Progressivement, Kate retrouva son calme et se concentra sur le paysage. Lorsqu'ils eurent passé le pont sur la Delaware, il y eut moins de circulation, moins de feux.

Dans le ciel, elle distingua un croissant de lune et réalisa qu'il se reflétait dans le fleuve que longeait la voie express. C'était beau, pensa-t-elle. Et froid, aussi. Presque aussi froid que ce qu'elle éprouvait intérieurement. Elle serra les bras contre sa poitrine et jeta un regard en direction de Tom.

Grave erreur.

— Alors, vous me faites toujours la tête ?

demanda-t-il sans agressivité.

— Je ne vois pas de quoi vous voulez pa... Il l'interrompit d'un soupir impatient.

— Bon, résumons-nous : une femme droitière se sert de sa main gauche pour abattre une crapule notoire au casier long comme le bras. Ensuite, elle est harcelée chez elle par un autre voyou qui, comme par hasard, connaît son nom et celui de son fils. Un peu plus tard le même jour, un homme - le même ? Un autre ? Allez savoir, on dirait que c'est journée portes ouvertes chez cette femme - tente de pénétrer chez elle. Le lendemain, un individu armé se cache dans sa voiture et elle réussit tout juste à s'en sortir. Alors, j'aimerais

avoir

votre

avis

de

professionnelle sur la chose. Notre amie traverse-t-elle une période de poisse intense, ou est-elle dans le pétrin jusqu'au cou et cherche-t-elle à nous cacher quelque chose ?

Lorsqu'il se tut, Kate le regardait d'un œil méchant.

— Je n'apprécie pas du tout votre attitude, monsieur Braga.

— Ah, bon ? Vous parlez d'une coïncidence

! Figurez-vous que moi, je n'apprécie pas qu'on se fiche de moi.

— Et vous savez ce que je n'apprécie pas non plus ? Cette façon que vous avez de me tendre des pièges. Pourquoi ne m'avez-vous pas directement demandé si j'étais droitière ou pas, au lieu de prétendre que vous aviez un cadeau pour Ben et de me le tendre pour voir comment j'allais le prendre ?

Ce dernier détail l'avait vraiment blessée.

Elle s'en rendait compte, maintenant. Il y eut un silence.

— C'était réellement un cadeau pour Ben.

Le ballon est pour lui.

Kate eut un petit rire.

— Un cadeau que vous avez acheté pour pouvoir me le tendre et voir de quelle main je le prendrais.

— Je l'ai acheté pour qu'il puisse s'entraîner correctement au basket et faire des progrès. En vous le tendant... Bon, d'accord, peut-être que j'avais une idée derrière la tête.

— Peut-être ? répéta-t-elle, ironique.

Pourtant, penser qu'au départ, derrière l'idée du cadeau, il n'y avait peut-être pas celle du piège la rassura. Après tout, Braga aurait pu lui tendre n'importe quel objet.

— Prenez cette sortie, dit-elle en voyant le panneau West Oak.

Braga se rabattit à droite et s'engagea sur la bretelle de sortie.

— Puisqu'on parle d'idées derrière la tête, moi, je pense que vous en aviez une, en changeant de sujet comme vous venez de le faire. De cette manière, vous espériez éviter de trouver une explication plausible à la poisse qui vous poursuit ces derniers temps.

— Bon. Vous voulez une explication ? fit Kate d'un ton acerbe. Je vais vous donner la meilleure que j'aie trouvée : avez-vous pensé une seule seconde que, peut-être, le fait qu'on parle autant de moi depuis cette prise d'otage a pu faire sortir du bois toute une série de malades ? Que s'ils me harcèlent, c'est parce qu'on voit des images de moi à la télé tout le temps ? Et que si une femme droitière - car oui, je suis droitière, je l'avoue - abat un homme de la main

gauche,

c'est

peut-être

tout

simplement parce qu'elle a attrapé l'arme de cette main, en essayant de se relever, et n'a pas eu le temps de la faire passer dans l'autre main avant de tirer pour sauver sa peau ?

Ses mots restèrent un instant en suspens.

Kate eut le sentiment que Braga les pesait, les testait, les repassait dans son esprit. Il s'arrêta au stop, en bas de la bretelle de sortie, puis s'engagea dans West Oak Road.

— C'est votre version ? Elle ravala sa colère.

— Non, ce n'est pas ma version. C'est la vérité. C'est ce qui s'est passé. Vous tournerez à droite, dans Pine Street, un peu plus loin.

Arrivé au niveau de la rue concernée, Braga s'exécuta, et ils pénétrèrent dans la zone résidentielle. Les maisons étaient assez éloignées les unes des autres, et les seules lumières provenaient des fenêtres éclairées et de la lune.

— Donc, vous pensez que le type qui se cachait dans votre voiture était là parce qu'il vous a vue à la télé ?

Le ton était pour le moins sceptique. Il la soupçonnait de mentir, et elle le savait. En réalité, elle n'avait plus envie de mentir, n'en pouvait plus de s'enfoncer ainsi dans le mensonge, et surtout - c'était peut-être le plus dur à accepter - n'en pouvait plus de lui mentir, à lui. Mais comment aurait-elle pu dire la vérité ?

— Je ne sais pas, répondit-elle d'une voix mal assurée qui trahissait son sentiment d'impuissance et, ironie du sort, la rendait plus convaincante. Tout ce que je sais, c'est qu'il était dans ma voiture, qu'il avait une arme, et qu'il s'en serait sans doute servi si je n'avais pas réussi à m'enfuir.

L'émotion visible de Kate, ou l'idée de ce qui aurait pu lui arriver, empêcha Braga de répondre.

Kate poussa un long soupir et regarda par la vitre. Ils étaient presque arrivés chez les Perry. De loin en loin, en bordure des jardins, des tas de feuilles mortes jalonnaient le chemin, attendant le passage des services municipaux. On distinguait à peine la grande maison en bois des Perry, située très en retrait de la rue.

— C'est la prochaine allée, dit-elle.

— En fait, il y a juste un petit problème, reprit Braga en s'engageant dans l'allée gravillonnée. Rien de tout ce que vous venez de me dire n'explique pourquoi vous êtes morte de peur depuis notre première rencontre dans votre bureau. Vous n'étiez plus otage, vous étiez en sécurité. Mais vous aviez peur. Et vous avez encore peur.

— Si je vous dis que vous vous trompez, vous ne me croirez pas, alors je ne vois pas ce que je peux faire.

Braga freina, et la voiture s'immobilisa. La maison était à quelques dizaines de mètres de là, mais un gros pin en cachait presque toute la façade.

— Je ne me trompe pas.

— Vous voyez ? fit Kate avec un petit rire.

Écoutez, je vous remercie pour votre aide, mais maintenant, je préférerais que vous vous en alliez. Je demanderai à mon amie de nous raccompagner, Ben et moi.

Braga mit la voiture au point mort et coupa le contact. Les phares s'éteignirent automatiquement. Dans la pénombre, Kate distingua le contour de son visage et la lueur de son regard lorsqu'il se tourna vers elle.

— Ça m'étonnerait que vous teniez vraiment à ce que je m'en aille, dit-il avec une assurance un peu froide. J'ai l'impression que vous oubliez une chose.

L'homme qui vous a volé votre voiture a aussi vos clés. Je suppose que celles de votre maison sont sur le même anneau que celles de votre voiture ?

Kate frémit. Elle n'avait pas pensé à cela.

Désormais, Mario et ses sbires n'avaient même plus besoin de commettre une effraction pour entrer chez elle.

— Alors, je vais vous ramener tous les deux et je dormirai une nouvelle fois sur le canapé. Demain, vous ferez changer vos serrures et installer une alarme. Ensuite, vous pourrez vous débrouiller toute seule.

Kate aurait voulu refuser, l'envoyer sur les roses, lui dire d'aller au diable, mais elle en était incapable. Savoir que Mario pouvait entrer chez elle n'importe quand la terrifiait.

— Très bien, lâcha-t-elle sèchement en ouvrant sa portière.

Elle contourna la Taurus d'un pas rapide et fut surprise d'entendre que Braga sortait lui aussi de la voiture. Il la rejoignit en quelques pas.

— Vous n'êtes pas obligé de venir avec moi, dit-elle. En fait, je préférerais que vous n'entriez pas. Je n'ai pas envie de devoir expliquer la situation à Suzy

— Je voudrais juste que vous répondiez à une question, et vous remarquerez que je le précise d'entrée.

Il la prit par le bras, mais sans brusquerie, et il ne serra pas. Elle aurait pu se dégager facilement si elle l'avait voulu, mais elle n'en fit rien. Elle se tourna vers lui et leva les yeux pour le regarder en face.

— Quoi ?

— Avez-vous participé de quelque façon que ce soit à la planification ou à la réalisation de la tentative d'évasion ?

— Non ! s'écria-t-elle. Je savais que vous aviez ce genre d'idée derrière la tête. Mais non, absolument pas. Je vous le jure !

— Bien. C'est tout ce que je voulais savoir.

Tom glissa alors sa main libre derrière la nuque de Kate, se pencha vers elle et l'embrassa.