9
Les deux armadas flottaient dans l’espace, étroitement imbriquées l’une dans l’autre, leurs bâtiments crachant le feu à bout portant.
Les manœuvres héroïques, le plus souvent suicidaires, ne se comptaient plus. C’était un croiseur : rebelle, qui, sa moitié arrière en flammes, se traînait pour mourir jusqu’au contact d’un destroyer impérial pour l’entraîner dans sa désintégration finale. C’étaient des cargos bourrés d’explosifs lancés sur des trajectoires de collision avec les forteresses spatiales, abandonnés à l’ultime minute par des équipages que guettaient des destins au mieux hasardeux…
Lando, Wedge, Leader Bleu et Aile Verte s’étaient concentrés sur l’un des plus grands destroyers – le central de communications. Face à lui, un croiseur rebelle avait déjà essuyé un semi-échec. Avant d’être désintégré, il avait réussi à placer quelques tirs au but, mais les dommages étaient réparables et les chasseurs s’efforçaient d’abattre le géant pendant qu’il en était encore à lécher ses plaies.
Lando avait amené son escadrille sous le destroyer, ce qui la rendait provisoirement invisible et empêchait l’ennemi d’utiliser ses canons lourds.
— Concentrez la puissance sur les boucliers avant, communiqua-t-il à son groupe. On y va !
— Je te colle au train, répondit Wedge. Serrez la formation, les gars.
Ensemble, les chasseurs montèrent en chandelle, perpendiculairement à l’axe longitudinal du vaisseau de façon à ne pas trop faciliter la tâche des canonniers impériaux. À cinquante pieds de la cible, ils pivotèrent à quatre-vingt-dix degrés, accélérant le long de la coque qui crachait le feu de tous ses sabords.
— Objectif : la transmission du générateur principal, indiqua Lando.
— Bien compris, répondit Aile Verte. Me place en position.
— Ne va pas te frotter aux batteries avant, avertit Leader Bleu.
— Ça pète dur, dans le coin.
— Suis en position.
— Il a été salement touché à gauche de la tour, nota Wedge. Concentrez-vous de ce côté.
— Bien compris.
Aile Verte était touché.
— Je perds de la vitesse !
— Dégage, nom d’un bantha ? Tu vas exploser.
Aile Verte s’écrasa sur les batteries avant du destroyer. Une gigantesque explosion secoua la proue du colosse de part en part.
— Merci, commenta sobrement Leader Bleu.
— Ça nous laisse une ouverture ! appela Wedge. On le prend par le travers, les gars. Les réacteurs sont juste derrière cette soute.
— Suivez-moi !
Lando effectua un virage sur l’aile qui prit totalement au dépourvu le personnel du réacteur. Wedge et Leader Bleu firent de leur mieux pour le suivre.
— Coup direct ! hurla Lando.
— C’est parti !
— Rompez ! Rompez !
Les trois appareils dégagèrent vite et sec, au moment où les premières explosions ébranlaient le vaisseau géant. La réaction en chaîne se poursuivit, jusqu’à ce que le destroyer ne soit plus qu’une étoile ajoutée au firmament d’Endor.
Atteint par l’onde de choc, Leader Bleu perdit le contrôle de son chasseur et se trouva projeté contre le flanc d’un petit vaisseau impérial. Une double explosion salua la collision. Wedge et Lando étaient parvenus à s’échapper.
— Le brouillage a cessé, lança le haut-parleur du Faucon. Nous avons les paramètres du déflecteur sur nos écrans.
— Toujours debout ?
Lando aurait tout aussi bien pu s’épargner la question dont son sixième sens lui soufflait déjà la désastreuse réponse.
— J’ai peur que oui. Il semble que le général Solo ait échoué.
— Jusqu’à ce qu’ils aient détruit notre dernier vaisseau, il reste un espoir, répliqua Lando.
Yan n’échouerait pas ! Il ne pouvait pas lui faire ça ! Pas alors qu’il leur restait encore à se débarrasser de cette insupportable Étoile Noire !
Sous l’assaut continu de l’Empereur, Luke atteignait aux limites de l’inconscience. Torturé au-delà de tout possible, harassé d’une faiblesse qui drainait son essence même, il n’aspirait plus qu’à ce néant vers lequel il dérivait. À quelques pas de lui, Vador était péniblement en train de se relever.
L’Empereur adressa au Jedi épuisé un sourire de triomphe.
— Jeune présomptueux ! Enfin, tu commences à comprendre. Tes talents puérils ne sont rien à côté du pouvoir de la face obscure. Tu as payé le prix de ton aveuglement. Maintenant, tu vas mourir !
Le rire de l’Empereur était celui d’un dément. Aussi impossible que cela pût paraître à Luke, le jaillissement qui émanait des doigts décharnés augmenta d’intensité. Les éclairs hurlaient à travers la salle l’éblouissement de leur éclat meurtrier.
Le corps de Luke se tassa sous la pression du hideux barrage, bascula, se recroquevilla sur le sol. Il cessa de remuer. L’Empereur, les dents découvertes en un ricanement de hyène, baissa les yeux sur ce corps immobile.
À cet instant, Vador se détendit et, empoignant l’Empereur par-derrière, lui maintint les bras collés au torse. En dépit de son extrême faiblesse, le Seigneur Noir avait mis à profit les dernières minutes pour concentrer chacune des fibres de son être sur cette unique action – la seule possible ; et s’il échouait, sa dernière. Ignorant la douleur, ignorant sa honte et sa faiblesse, ignorant le hurlement qui résonnait dans son crâne, il n’était plus qu’une volonté tendue vers un seul but : vaincre le mal incarné en la personne de l’Empereur.
Palpatine se débattait dans l’étreinte de Vador, ses doigts continuant à cracher des éclairs dans toutes les directions. Dans les mouvements désordonnés qu’il fit pour se libérer, l’une des décharges rebondit sur l’une des parois, frappant Vador qui vacilla, son casque, sa cape, son cœur, parcourus de fulgurants crépitements.
Sans lâcher prise, Vador avança en titubant jusqu’au centre de la passerelle qui enjambait le gouffre noir communiquant avec le cœur du réacteur. Dans un ultime effort, il souleva très haut au-dessus de sa tête le despote gigotant et le précipita dans l’abîme.
Le corps de Palpatine, toujours projetant ses décharges aveuglantes, tournoya longuement dans le vide, rebondissant de paroi en paroi. Il disparut enfin. Quelques secondes plus tard, le bruit lointain d’une explosion accompagné d’un vent violent qui souleva la tunique du Seigneur Noir penché au-dessus du gouffre annonça à Vador que l’énergie venait de rejoindre l’énergie.
Luke se souleva faiblement et rampa jusqu’à son père pour l’attirer hors de portée de ce gouffre qui semblait fasciner son regard fixe. Ensemble, ils retombèrent sur le sol, trop faibles pour bouger, trop épuisés pour parler.
Sur leurs écrans, les contrôleurs du bunker observaient de tous leurs yeux la bataille qui se déroulait dans la clairière et, en dépit des interférences, il paraissait manifeste que le combat était sur le point de s’achever. Pas trop tôt quand on pensait que ces petits indigènes avaient été classés comme pacifiques et inoffensifs !
La réception empira encore – probablement une seconde antenne touchée dans la bataille. Soudain, un pilote de bipode emplit l’un des écrans. Il agitait frénétiquement les bras.
— C’est terminé, mon Commandant ! Les Rebelles sont en déroute. Ils ont fui dans les bois avec les indigènes. Nous avons besoin de renforts pour continuer la poursuite.
Le personnel du bunker applaudit à la nouvelle. Le bouclier était sauf.
— Ouvrez la porte principale ! ordonna l’officier. Trois escadrons en renforts.
La porte du bunker s’ouvrit et les troupes sortirent au pas de course, pour se trouver entourés de toutes parts par Rebelles et Ewoks qui ne faisaient pas mine de plaisanter. Les soldats se rendirent sans résistance.
Yan, Chewie et cinq membres du commando se précipitèrent à l’intérieur, portant les charges explosives. En l’espace de quelques minutes, onze charges à retardement étaient placées aux points stratégiques et les artificiers se ruaient à l’extérieur à toutes jambes.
Handicapée par ses blessures, Leia était installée à l’abri des buissons. Elle était en train de hurler des ordres aux Ewoks pour qu’ils rassemblent leurs prisonniers le plus loin possible du bunker lorsque Yan et Chewie débouchèrent au triple galop. Le bunker explosa.
Ce fut un spectaculaire feu d’artifice. Explosion après explosion, des pans entiers de murailles métalliques jaillissaient dans le ciel. Enfin une énorme langue de flammes de plusieurs centaines de mètres monta à l’assaut de l’espace, calcinant la clairière, tandis que, dans un rayon de plusieurs kilomètres, l’onde de choc projetait à terre tout ce qui était capable de bouger.
Le bunker était détruit.
Un officier courut à l’amiral Ackbar.
— Amiral, dit-il la voix frémissante, les paramètres indiquent pour le champ entourant l’Étoile Noire une puissance nulle.
Ackbar se retourna d’un bloc vers l’écran. La toile d’araignée générée électroniquement avait disparu. La lune et l’Étoile Noire flottaient seules dans le vide d’encre.
— Ils ont réussi ! souffla Ackbar.
Il se précipita vers le transpondeur, enclencha la fréquence spéciale.
— Ordre à tous les chasseurs de lancer l’attaque sur le réacteur principal de l’Étoile Noire. Le champ déflecteur est tombé. Je répète : le champ déflecteur est tombé !
Lando ne perdit pas une seconde.
— Je vois ça. On y va ! Groupe Rouge ! Groupe Doré ! Escadrille Bleue ! Tous les chasseurs avec moi !
« Yan, mon pote, t’as fait un beau boulot », ajouta-t-il en silence. « Maintenant, à mon tour. »
Le Faucon plongea vers la surface de l’Étoile Noire, imité par des hordes de chasseurs rebelles suivis par la masse encore désorganisée des chasseurs Tie. Dans la direction opposée, trois croiseurs convergeaient vers le superdestroyer, le vaisseau amiral de Vador, qui paraissait éprouver des difficultés avec son système de guidage.
Lando et la première vague de chasseurs X fonçaient vers la face inachevée de l’Étoile Noire en rasant la courbe de l’autre face.
— Restez à basse altitude jusqu’à ce qu’on atteigne l’autre côté, émit Wedge.
— Escadrille de chasseurs ennemis à quatre heures.
— Aile Bleue, appela Lando. Toi et ton groupe, débarrassez-nous de ces moustiques.
— Je vais faire ce que je peux.
— Je capte des interférences… L’Étoile Noire doit essayer de nous brouiller…
— Chasseurs à dix heures…
— Superstructure en vue, signala Lando. Cherchez le puits du réacteur principal.
Le Faucon atteignit la face inachevée et se mit à zigzaguer follement entre les poutrelles, les tours en construction, les échafaudages et les mâts. La défense antiaérienne était quasi inexistante – la protection de l’Étoile Noire reposant presque exclusivement sur le bouclier déflecteur – et les risques majeurs pour les Rebelles étaient constitués par la structure elle-même et par les chasseurs Tie lancés à leurs trousses.
— Système d’alimentation du réacteur droit devant, annonça Wedge. Je descends.
— Je le vois aussi, répondit Lando. J’y vais.
— Ça ne va pas être facile.
Ils évitèrent une tour, piquèrent sous un pont… et se trouvèrent soudain lancés à pleine vitesse entre les parois à pic d’un puits métallique, à peine assez large pour laisser le passage à trois chasseurs de front, percé de part et d’autre de myriades de conduits secondaires et de tunnels, parcouru sur toute sa longueur d’embranchements et d’impasses, et de plus encombré d’un nombre inquiétant d’obstacles tels que machines-outils, éléments de construction, câbles d’alimentation, escaliers flottants, barrières de sécurité et débris empilés.
Les Rebelles négociaient à peine le premier virage que déjà la formation de chasseurs Tie était sur leurs talons, deux fois plus importante en nombre. Deux chasseurs X s’écrasèrent contre un derrick en voulant éviter le tir des poursuivants. La chasse était lancée.
— Quelle direction, Leader Doré ? appela Wedge.
Une décharge heurta la paroi du boyau juste en
avant, arrosant son pare-brise d’étincelles.
— On se guide sur la source d’alimentation énergétique la plus importante, suggéra Lando. Logiquement, ça doit nous conduire au générateur.
— Aile Rouge, tu restes en alerte. On pourrait bientôt se sentir à l’étroit, là-dedans.
En effet, le boyau se rétrécissait à chaque virage. Les chasseurs passèrent à deux de front, puis un seul. Les Tie touchèrent un troisième appareil qui s’abattit en flammes. Un chasseur ennemi heurta une pièce de machinerie avec un résultat identique.
— Les écrans indiquent un obstacle important à l’avant, annonça Lando.
— J’ai vu ça. Tu vas passer ?
— Ça va être à un cheveu.
C’était un écran antichaleur qui obstruait sur ses trois quarts la partie gauche du tunnel. Un renfoncement en courbe avait été pratiqué sur la partie droite pour ménager un peu d’espace. Lando coucha le Faucon à cent quatre-vingts degrés en même temps qu’il amorçait un virage à droite, acheva son tour complet de l’autre côté de l’obstacle en se déportant en même temps sur la gauche. Ç’avait été effectivement à un cheveu. Par chance, les ailes X et les ailes Y étaient des appareils moins volumineux. Deux d’entre eux ne parvinrent pourtant pas à négocier le virage à gauche après l’écran et s’écrasèrent contre la paroi du puits.
Soudain, les écrans n’offrirent plus qu’un brouillard blanchâtre.
— Mon navigateur électro est mort ! lança Wedge.
— Réduisez l’allure, indiqua Lando. C’est l’énergie qui provoque des interférences.
— Passez sur détection visuelle.
— À cette vitesse, c’est de la folie. On va voler à l’aveugle.
Le puits se rétrécit à nouveau. Deux chasseurs X heurtèrent la paroi. Un troisième explosa sous les coups des impériaux qui gagnaient du terrain.
— Leader Vert ! appela Lando.
— Je vous reçois, Leader Doré.
— Rompez et regagnez la surface. Ackbar a besoin d’un chasseur là-haut et vous pourriez détourner un peu nos petits amis, là derrière.
Leader Vert et sa suite impériale virèrent dans un boyau latéral pour regagner la surface. Un chasseur Tie continua la poursuite, lâchant un feu nourri.
— L’Étoile Noire est en train de pivoter, lança dans le haut-parleur de Lando la voix d’Ackbar. On dirait qu’elle se place en position pour détruire Endor.
— Quel coefficient ? demanda Calrissian.
— Zéro virgule trois.
— Trop court ! On va manquer de temps.
Wedge s’interposa dans la transmission.
— On va manquer le puits aussi.
Au même instant, le Faucon raclait les bords de l’ouverture, endommageant l’un de ses propulseurs auxiliaires.
— Là, il manquait un cheveu, commenta Lando.
— Gdzhng dzn, acquiesça le copilote.
L’œil collé au hublot panoramique, Ackbar scrutait le pont du superdestroyer impérial, distant de quelques milles. Toute la poupe était en feu et le vaisseau donnait nettement de la bande.
— On a annihilé leurs boucliers de proue, émit l’amiral dans le transpondeur. Visez le pont !
À cet instant, le groupe de Leader Vert surgit des structures de l’Étoile Noire.
— Contents de revoir l’espace, Amiral, commenta Leader Vert dans son communicateur.
— Torpilles à protons lâchées, signala Aile Verte.
Les torpilles atteignirent le pont, provoquant une
réaction en chaîne de réacteur en réacteur. Dans un aveuglant arc-en-ciel d’explosions, le vaisseau parut se replier en accordéon et entama sa descente en spirale en direction de l’Étoile Noire.
La première explosion avait emporté Leader Vert, le feu d’artifice incontrôlé qui s’en était suivi, détruit trois autres chasseurs, deux croiseurs et un vaisseau d’ordonnance. Au moment où les restes du superdestroyer heurtèrent l’Étoile Noire, la réaction exothermique se communiqua à la station fortifiée, provoquant des coups de tonnerre répétés à travers tout le réseau de réacteurs, tandis que la puissance de l’impact faisait exploser les réserves de munitions.
Une première fois, l’Étoile Noire frémit sur ses bases. Et la collision avec le destroyer n’était qu’un début. Dans la station, une réaction en chaîne d’un autre type s’installa, allant de la destruction de réacteurs à la panique du personnel, de la panique aux abandons de poste, des abandons de poste au dysfonctionnement de divers systèmes sophistiqués et de là au chaos général.
La fumée était partout ; les grondements suspects émanaient de toutes les directions à la fois ; des hommes couraient, des cris s’élevaient. Ce n’étaient que courts-circuits, explosions de machines à vapeur, dépressurisation de cabines, interruptions de chaînes. À ajouter à cela le bombardement ininterrompu des croiseurs rebelles qui harcelaient l’ennemi effrayé, poussant à son comble une hystérie collective qui ne demandait déjà qu’à se déchaîner.
Car l’Empereur était mort. La puissante force coercitive qui constituait le ciment de l’Empire n’était plus. Livrée à elle-même, la face obscure ne pouvait conduire que là où elle conduisait présentement l’Étoile Noire : à la confusion, au désespoir, à la peur panique.
Au milieu de ce tumulte de fin d’un monde, Luke était parvenu à rejoindre la soute d’arrimage, dans laquelle il était en train d’essayer de transporter son père jusqu’à une navette impériale. Vador s’affaiblissait de minute en minute, ce qui ne facilitait pas la tâche du jeune Jedi déjà épuisé par l’expérience traumatisante qu’il venait de vivre. À mi-chemin, ses forces le trahirent et il s’effondra sur le métal froid.
Il se releva, comme un automate, rechargea sur son épaule le corps évanoui et avança en chancelant vers l’un des appareils. Une nouvelle fois, il déposa son père à terre pour reprendre des forces, l’oreille tendue aux bruits d’explosions qui se rapprochaient ; des étincelles sifflaient dans les structures métalliques ; les parois de la soute se boursouflaient, des fissures apparaissaient dans le sol qui frémissait sous ses pieds.
D’un geste las, Vador fit signe à son fils de s’approcher plus près.
— Luke, souffla-t-il, aide-moi à retirer ce masque.
Le jeune Jedi secoua la tête.
— Tu en mourrais.
— Je suis en train de mourir de toute façon, soupira Vador. Permets-moi de te voir face à face. Permets-moi de te voir avec mes propres yeux.
Luke avait peur. Peur de voir son père tel qu’il était réellement. Peur de découvrir qui avait pu devenir si sombre – ce même qui dont Leia et lui étaient les enfants. Peur de connaître le Anakin Skywalker qui vivait à l’intérieur de Dark Vador.
Vador, lui aussi, avait peur. De permettre à son fils de le voir à nu, de retirer ce masque qui, depuis si longtemps, faisait écran entre lui et le monde extérieur, ce masque noir grâce auquel il existait depuis vingt ans. Il avait été sa voix, sa respiration, son invisibilité, son bouclier. Pourtant, il allait le retirer ; parce qu’il voulait voir son fils avant de mourir.
Les mains du père et du fils soulevèrent le casque pesant de la tête de Vador. Elles durent encore débrancher le masque respiratoire, arracher les fils du modulateur vocal, détacher l’écran de la batterie fixée dans le dos. Mais lorsque le casque eut été finalement déposé sur le sol, Luke se retourna pour affronter calmement le visage de son père.
C’était le visage triste et doux d’un vieil homme. Chauve, imberbe, marqué d’une profonde cicatrice qui courait de son front à l’arrière de son crâne. Les yeux, troublés de larmes, étaient sombres, profondément enfoncés dans les orbites, la peau d’un blanc crayeux, faute d’avoir connu le soleil pendant les deux dernières décennies. Un léger sourire étirait les lèvres pâles, et pendant un instant, il ne fut pas très différent de Ben.
C’était un visage expressif que Luke se rappellerait toujours. Il s’y lisait le regret. Et la honte. Des souvenirs le traversaient… souvenirs d’heures riches. Et d’horreurs. Et d’amour aussi.
C’était un visage qui n’avait pas été en contact avec le monde depuis une vie entière – celle de Luke. Les narines se dilataient avec précaution pour capter une odeur. La tête s’inclinait légèrement pour écouter – écouter pour la première fois sans amplificateur électronique. Et Luke regrettait amèrement que les seuls sons à écouter présentement fussent les bruits d’explosions, les seules odeurs celles des isolants électriques fondus. C’était tout de même un contact direct, palpable.
Les yeux fatigués se fixèrent sur Luke. Deux larmes roulèrent sur les joues du jeune homme, tombèrent sur les lèvres de son père et son père sourit à leur goût de sel.
C’était un visage qui ne s’était pas vu depuis vingt ans.
Vador vit son fils pleurer, interpréta ces larmes comme des manifestations de l’horreur que le garçon ne pouvait qu’éprouver devant le visage qu’il contemplait et, momentanément, cela ne fit qu’ajouter à sa propre détresse : il se sentit coupable de la répugnance qu’il imaginait chez son fils. Puis, rapidement, lui revinrent les images de son apparence d’autrefois. Remarquable, noble, animé d’un haussement de sourcils qui suggérait l’invincibilité et faisait le tour des choses et des gens d’un seul mouvement, oui, voilà ce qu’avait été son visage d’autrefois.
Ce souvenir ouvrait la voie à d’autres réminiscences. Souvenirs de ses amis. De sa femme. De la liberté de l’espace. D’Obi-Wan et de l’amitié qui les avait liés et de la façon dont il avait tourné cette amitié. De certains de ces souvenirs, il ne voulait pas, pas maintenant. Souvenirs de lave en fusion, de reptation… non.
Ce garçon l’avait tiré de ce cratère, ici et maintenant, en acceptant de le contempler à nu. Ce garçon était bon.
Le garçon était bon, et il était issu de lui. C’était donc qu’il devait y avoir du bon en lui aussi. Vador sourit à son fils, et pour la première fois, il l’aima. Et pour la première fois depuis vingt longues années, il s’aima lui-même.
Une odeur oubliée vint soudain effleurer ses narines. Il renifla une seconde fois. Des fleurs sauvages, c’était cela qu’il avait senti. Ce devait être le printemps.
Et voilà que le tonnerre se mettait de la partie. Il pencha la tête, tendit l’oreille… Oui, un orage de printemps, annonçant une pluie de printemps.
Ça y était. Il sentait une goutte de pluie sur ses lèvres. Il lécha délicatement la gouttelette… Mais non, ce n’était pas de l’eau douce, c’était salé, c’était… une larme.
À nouveau, il accommoda sur son fils. C’était bien cela : son fils pleurait ; ce qu’il avait sur les lèvres, c’était le goût du chagrin de son fils. Parce qu’il était horrible. Extérieurement et intérieurement.
Alors, Vador voulut apaiser le chagrin de Luke. Il voulut qu’il sache qu’au fond de lui quelque chose n’était pas, n’était plus horrible. II secoua légèrement la tête et avec un petit sourire qui reléguait à l’arrière-plan la bête immonde dont il imposait la vue à son fils :
— Nous sommes des êtres de lumière, Luke, prononça-t-il. Pas cette matière brute.
Luke aussi secoua la tête, pour rassurer son père, chasser la honte du vieil homme, lui dire que rien de ce qu’il avait fait n’avait plus d’importance, lui dire tous ces mots que ses lèvres n’arrivaient pas à prononcer.
Vador prit à nouveau la parole, d’une voix encore affaiblie, presque inaudible.
— Va, mon fils. Laisse-moi.
Luke retrouva aussitôt sa voix.
— Non. Tu m’accompagnes. Je ne te laisserai pas ici. Je dois te sauver.
— Tu m’as déjà sauvé, Luke.
Vador poussa un soupir. Dommage qu’il n’ait pas eu l’occasion de rencontrer Yoda afin de remercier le vieux Jedi de la formation qu’il avait prodiguée à son fils… Mais, peut-être allait-il bientôt être réuni à Yoda, dans l’unité de la Force, sous d’autres cieux. Ainsi qu’à Obi-Wan.
— Père, je ne te laisserai pas, protesta Luke.
Les explosions menaçaient sérieusement de désintégrer la soute. Les parois s’écroulaient par pans entiers, les fissures s’élargissaient. Un jet de flammes bleues jaillit d’une tuyère à gaz et le sol commença à se dissoudre sous elle.
Vador attira Luke plus près, lui murmura à l’oreille :
— Luke, tu voyais juste… à mon sujet… Dis-le à ta sœur… Tu avais raison.
Les yeux du vieil homme se fermèrent et Dark Vador/Anakin Skywalker mourut.
Une explosion terrifiante emplit de flammes tout le fond de la soute, projetant Luke à plat ventre sur le sol. Lentement, le jeune homme se releva, et avec des gestes mécaniques s’avança vers l’une des navettes restantes.
Le Faucon Millennium poursuivait sa course en zigzag à travers le labyrinthe des conduits d’alimentation énergétiques, se rapprochant de seconde en seconde du cœur même de l’Étoile Noire : le réacteur principal. Les croiseurs rebelles bombardaient sans répit la superstructure exposée de la station qui gémissait et frissonnait tandis que la fièvre de la désintégration brûlait ses entrailles.
Dans le poste de contrôle de l’Étoile Noire, le commandant Jerjerrod ruminait de sombres pensées. La moitié de son personnel était mort, blessé ou en fuite… vers quel refuge ?… Le reste errait en vain, ou se rendait, ou faisait feu dans n’importe quelle direction, ou donnait des ordres pour donner des ordres, ou encore se concentrait désespérément sur une tâche comme si cela devait les sauver. Ou, comme lui, ruminait de sombres pensées.
Jerjerrod ne parvenait pas à imaginer où il avait commis une erreur. Il s’était montré patient, il s’était montré loyal, perspicace, il s’était montré dur. Il était le commandant de la plus grande station fortifiée jamais construite. Ou, du moins, presque construite. Et il haïssait maintenant l’Alliance Rebelle, d’une haine puérile, sans concessions. Il l’avait chérie autrefois, comme le plus petit que l’on peut brutaliser, le bébé animal qui fait ses griffes et que l’on peut torturer. Mais le petit avait grandi ; l’animal avait appris où et comment planter ses griffes.
Jerjerrod haïssait l’Alliance.
Il n’y avait malheureusement pas grand-chose qu’il pût faire pour assouvir sa haine. Sauf, peut-être, détruire Endor. C’était un acte vraiment limité, bien sûr, un acte symbolique, mais délicieusement satisfaisant. Il allait détruire une planète verte, vivante, gratuitement, pour le seul plaisir de la destruction.
Un officier d’ordonnance pénétra dans le poste.
— La flotte rebelle se rapproche, mon Commandant.
— Concentrez toute la puissance de feu sur ce secteur, répondit distraitement Jerjerrod.
Distraitement, il enregistra l’explosion d’une console sur le mur opposé.
— Les chasseurs qui ont pénétré dans la superstructure échappent à notre système de défense, mon Commandant. Ne faudrait-il pas ?…
— Inondez les secteurs 304 et 138. Cela devrait les retarder suffisamment.
Le haussement de sourcils qui accompagnait cet ordre étonnant n’inspira guère l’officier d’ordonnance qui, déjà, abritait quelques doutes quant au fait que Jerjerrod eût la situation bien en main.
— Mais, mon Commandant…
— Quel est le coefficient de rotation à appliquer pour avoir Endor dans notre ligne de tir ?
L’ordonnance consulta le terminal.
— Zéro virgule deux, mon Commandant. Mon Commandant, la flotte…
— Accélérez la rotation. Vous ferez feu dès qu’Endor sera à portée.
— Bien, mon Commandant.
L’officier pressa une série de touches.
— Rotation en accélération à zéro virgule deux, mon Commandant. Objectif en vue dans soixante secondes, mon Commandant. Au revoir, mon Commandant.
Une explosion secoua le poste de contrôle. L’ordonnance déposa la commande du détonateur dans la main de Jerjerrod et se rua sur la porte.
Jerjerrod adressa un sourire tranquille à l’écran de visualisation : Endor commençait à émerger derrière l’Étoile Noire. Le commandant caressa voluptueusement le dispositif de commande à distance qui reposait dans sa main. Des cris s’élevèrent dans la pièce voisine.
Plus que trente secondes.
Dans le puits du réacteur, Lando touchait au but. Derrière lui ne restaient que Wedge et Aile Dorée. Plusieurs chasseurs Tie continuaient la poursuite.
Le pilotage requérait une attention de chaque instant dans cette partie du boyau. Toutes les cinq ou dix secondes, il fallait virer sec entre des parois à peine plus larges que l’appareil. Un avion impérial explosa contre un mur ; un autre abattit Aile Dorée.
Les canonniers de queue du Faucon faisaient des prodiges pour tenir à distance les chasseurs Tie. Enfin le cœur du réacteur principal fut en vue. Jamais Lando n’avait vu pareil colosse.
— Il est trop gros, Leader Doré, appela Wedge. Mes torpilles à protons ne l’ébrécheront même pas.
— Tu t’occupes du régulateur de la tour nord. Je prends le réacteur. J’ai à bord des missiles à percussion ; ils devraient pouvoir rentrer là-dedans. Mais une fois que je les aurai lâchés, on n’aura plus beaucoup de temps pour filer.
— Je suis déjà parti, s’exclama Wedge.
Avec un cri de guerre corellien, il mit à feu ses torpilles et dégagea au ras de la tour nord touchée des deux côtés.
Le Faucon attendit encore trois dangereuses secondes, puis libéra ses missiles à percussion. Pendant une interminable seconde encore, l’éclair de l’impact rendit toute observation impossible, puis le réacteur commença à se désintégrer.
— Coup direct ! hurla Lando. Et maintenant, le plus dur reste à faire.
Le puits commençait déjà à s’écrouler au-dessus de lui, créant un effet de tunnel. Le Faucon filait entre les murs de flammes, des parois qui se déformaient, à la limite de la chaîne continue d’explosions.
Wedge émergea de la structure à une vitesse quasi transluminique, frôla la face visible d’Endor et fila droit dans l’espace. Il ralentit enfin et fit décrire un large arc de cercle à son appareil pour revenir se poser à l’abri sur la lune.
Quelques instants plus tard, c’était Luke qui s’échappait de la soute d’arrimage, au moment où toute cette section de l’Étoile Noire commençait à se désintégrer. Dans sa navette déstabilisée qui donnait de la bande, lui aussi prit le chemin du vert sanctuaire.
Et finalement, comme craché par les flammes mêmes de la conflagration, le Faucon Millennium jaillit de l’enfer, quelques secondes seulement avant que la station ne s’anéantisse dans un oubli aveuglant, telle une fulminante supernova.
Quand l’Étoile Noire explosa, Yan était en train d’installer le bras blessé de Leia dans une gouttière faite d’une tige de fougère géante. Comme tous ceux qui se trouvaient sur Endor, à des endroits et dans des situations divers – Ewoks, prisonniers impériaux ou soldats rebelles –, Yan leva les yeux vers ce fulgurant éclair d’autodestruction qui flamboyait dans le ciel sombre.
La main de Leia toucha sa joue et Yan se pencha pour embrasser la jeune femme. Mais il se redressa en voyant les yeux de Leia rivés sur le ciel étoilé.
— Tu n’as pas à t’en faire, dit-il d’un ton léger qui masquait le choc qu’il venait d’éprouver. Je veux bien parier tout ce que tu veux que Luke s’est sorti de là à temps.
Leia hocha lentement la tête.
— Il s’en est sorti à temps, affirma-t-elle. Je le sens.
La présence vivante de son frère parvenait jusqu’à elle, par l’intermédiaire de la Force. Elle aussi s’étira jusqu’à lui, pour le rassurer sur son sort. Tout était dans l’ordre.
Yan posa sur la jeune femme un regard empli d’un amour profond, d’un amour particulier. Parce que c’était une femme particulière. Une princesse non par le titre mais par le cœur. Sa détermination l’impressionnait, même si ou surtout parce qu’elle n’en faisait pas étalage. Autrefois, ce qu’il avait voulu, Yan l’avait voulu pour lui-même ; aujourd’hui, il voulait tout pour elle. Tout ce qu’elle voulait. Et l’une des choses que, manifestement, elle voulait chèrement, c’était Luke
— Tu tiens beaucoup à lui, n’est-ce pas ?
Elle acquiesça de la tête sans cesser de scruter le ciel. Il était vivant, Luke était vivant. Et l’autre – l’Ombre – était mort.
— Je comprends, poursuivit Yan. Eh bien, écoute.
Quand il reviendra, je ne me mettrai pas en travers de votre route…
Leia cilla à plusieurs reprises, subitement consciente qu’ils n’étaient pas sur la même longueur d’onde.
— Mais de quoi parles-tu ?…
À voir le visage décomposé de Yan, elle comprit de quoi il parlait.
— Oh ! non ! dit-elle en riant. Ça n’a rien à voir. Luke est mon frère.
Yan passa successivement par les stades de la stupéfaction, de l’embarras et de l’exultation. C’était parfait. Parfait.
Il enleva Leia dans ses bras, la pressa contre lui, l’étendit dans les fougères… et en prenant bien soin de ne pas heurter son bras blessé, il s’étendit à côté d’elle sous la lueur déclinante de l’Étoile.
Luke était debout dans une clairière, face à un tas de bois et de branchettes. Devant lui, allongé sur le monticule dans sa longue tunique, reposait le corps sans vie de Dark Vador. Luke approcha une torche du bûcher funéraire.
Au moment où les flammes enveloppèrent le corps, une légère fumée s’éleva des ouvertures du masque, évoquant un noir esprit enfin délivré. Silencieusement, Luke adressa un dernier adieu à la silhouette en train de disparaître. Lui seul avait cru en la petite étincelle d’humanité cachée au plus profond de son père. Maintenant, cette rédemption s’élevait avec les flammes dans la nuit.
Luke suivit des yeux les flammèches qui montaient vers le ciel. Dans sa vision intérieure, elles se mêlaient aux feux d’artifice que donnaient les chasseurs rebelles pour célébrer la victoire ; aux feux de joie qui pointillaient les bois et les villages des Ewoks – des feux d’exultation, de réconfort et de triomphe. Il pouvait même entendre battre les tambours et la musique onduler à la lumière des feux, les vivats saluer les braves. Le salut de Luke fut muet, adressé aux feux de sa victoire sur lui-même et de la perte de son père,
Un énorme feu de joie brûlait au centre du village suspendu. Cette nuit, il ne s’éteindrait pas. Rebelles et Ewoks mêlaient leur joie – dansant, chantant et riant, dans le langage universel des libérations. Même Teebo et D2 s’étaient réconciliés et menaient ensemble une petite gigue, rythmée par des claquements de mains. 6PO, son heure divine reléguée dans le passé, s’estimait satisfait d’être assis à proximité du petit droïd tourbillonnant qui était son meilleur ami. Il rendait grâce au Grand Ingénieur de ce que, aidé il est vrai par la princesse Leia, le capitaine Solo eût pu réparer D2. Pour un homme aussi dépourvu de savoir-vivre, Solo avait ses bons moments. Et il rendait également grâce au Grand Ingénieur de ce que la guerre fût terminée.
Les prisonniers avaient été embarqués dans des navettes et renvoyés à ce qui restait de la flotte impériale. Les croiseurs de l’Alliance se chargeaient de régler les divers problèmes. Quelque part, là-haut, l’Étoile Noire s’était éteinte.
Yan, Leia et Chewie s’étaient retirés à quelque distance du lieu des festivités. Ils s’étaient assis tout près les uns des autres ; ils se taisaient. Périodiquement, ils jetaient un coup d’œil en direction du sentier qui conduisait au village. Ils attendaient ; ils s’efforçaient de ne pas attendre ; ils étaient incapables de quoi que ce soit d’autre.
Et finalement, leur patience obtint sa récompense. Ils virent s’avancer, émergeant de la nuit, Luke et Lando chancelants d’épuisement. Ils se ruèrent en avant pour les accueillir. Ce furent d’abord des étreintes, des cris de joie, des bonds et des chutes, puis, leur trop-plein de joie apaisé, les cinq amis se laissèrent tomber sur un tronc d’arbre et restèrent là, serrés les uns contre les autres à jouir simplement de ce contact.
Ils n’eurent pas longtemps à attendre pour que les deux droïds fassent leur apparition à leur tour et viennent prendre place aux côtés de leurs chers camarades.
À proximité, les Ewoks continuaient leurs gambades et leurs manifestations de jubilation, sous les regards de la petite compagnie. Les yeux plongés dans le feu, Luke crut, le temps d’un évanescent moment, y voir danser des visages : Yoda, Ben… et là, était-ce son père ?… Il s’écarta de ses compagnons pour tenter de saisir ce que lui disaient ces visages ; mais ils étaient éphémères et ne parlaient qu’aux ombres des flammes. Ils disparurent.
Un peu attristé, Luke sentit la main de Leia prendre la sienne pour le ramener vers elle, vers les autres, vers le cercle de la chaleur, de la camaraderie, de l’amour.
L’Empire était mort.
Longue vie à l’Alliance.