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Dark Vador émergea du long cylindre de l’ascenseur, directement dans le poste de contrôle de l’Étoile Noire, provisoirement transformée en salle du trône. Deux gardes étaient postés à l’entrée, revêtus de rouge de la tête aux pieds. Rouge également le casque au milieu duquel s’ouvrait une fente qui était, en fait, un écran électronique. Leurs armes étaient chargées en permanence.
Dans la pénombre de la pièce, seuls luisaient faiblement les faisceaux de fibres optiques qui couraient de part et d’autre de la cage d’ascenseur, convoyant énergie et information à travers la station tout entière. Le pas de Vador sonna sur le sol de métal noir, tandis que le Seigneur Noir dépassait les convertisseurs pour escalader les quelques marches menant à la plate-forme sur laquelle on avait dressé le trône impérial. Sous l’estrade s’ouvrait l’un des puits de visite de l’énorme centrale enfouie au plus profond de la ville artificielle. Du gouffre béant s’échappaient en permanence une forte odeur d’ozone et un grondement sourd et profond de bête indomptée qui rebondissait interminablement sur les parois de la salle dépouillée.
La plate-forme suspendue s’appuyait à l’une des parois percée d’un énorme hublot circulaire. C’est devant ce hublot qu’était assis l’Empereur. Son regard perçant fixé sur la moitié non encore terminée de la station englobait les navettes et les véhicules de transport filant en tous sens, les hommes en combinaison pressurisée et propulseur dorsal qui s’activaient dans les superstructures ou à la surface. Presque à portée de cette activité fébrile, la verte Endor reposait, telle une émeraude sur l’écrin de velours noir piqueté de diamants de l’espace.
Vador s’était agenouillé devant son maître, attendant le bon plaisir de celui-ci, et l’Empereur le laissa attendre. La vue de l’imposante station, de la puissance qu’impliquait une réalisation aussi grandiose, l’emplissait d’une exaltation sans bornes. Tout cela était à lui. Plus même : tout cela, il l’avait fait.
Il n’avait pas toujours été l’Empereur tout-puissant. Il y avait eu un temps où il n’était encore que le sénateur Palpatine et la galaxie une république d’étoiles sur laquelle veillait la chevalerie Jedi. Mais inévitablement, la République était devenue trop vaste, sa bureaucratie toujours plus lourde et plus rigide. Et la corruption s’était installée.
Ç’avaient été tout d’abord quelques politiciens véreux, puis des bureaucrates arrogants n’ayant à cœur que leur propre intérêt… Et avant que quiconque ait réalisé ce qui était en train de se produire, la fièvre brûlait parmi les étoiles. Le gouverneur achetait le gouverneur, les paroles n’étaient plus tenues, les valeurs s’érodaient, la peur, la méfiance faisaient tache d’huile, sans cause visible, sans qu’on sache pourquoi ni comment.
Le sénateur Palpatine avait su comment. Il avait su saisir le moment opportun. Il avait employé tous les moyens – la fraude, la flatterie, les promesses mirobolantes et les manœuvres politicardes, et il avait réussi à se faire élire à la tête du Grand Conseil. Par la corruption et la terreur, il s’était ensuite fait nommer Empereur ; ou plutôt, il s’était nommé lui-même Empereur.
Empereur ! Il avait aboli une république chancelante, élevé à la place un empire resplendissant des feux de son maître. Et il en serait toujours de même parce que : l’Empereur savait ce que les autres se refusaient à voir les forces de la nuit sont toujours les plus puissantes.
Il l’avait toujours su mais le réapprenait chaque jour : des lieutenants félons qui trahissaient leurs supérieurs pour de l’argent ou des faveurs ; des fonctionnaires sans principes qui dévoilaient les secrets d’État ; des propriétaires avides, des gangsters sadiques ; des politiciens sans scrupules. Personne n’était immunisé contre ce feu sombre qui brûlait au fond de chacun. L’Empereur n’avait eu qu’à attiser le feu, à le domestiquer… Pour sa plus grande gloire.
Désormais, son âme était le creuset de l’Empire. Il était l’Empire !…
Toujours agenouillé, Dark Vador attendait que son maître eût terminé sa méditation. Depuis combien de temps attendait-il ainsi ? cinq, dix minutes ? Il n’aurait su le dire et, en fait, il n’en avait cure. Son regard tourné vers l’intérieur, il absorbait les ondes de puissance qui émanaient de l’Empereur comme une éponge absorbe l’eau ; il s’en nourrissait. Aujourd’hui, il était plus puissant qu’il ne l’avait jamais été, mais les temps approchaient où, enfin, il tiendrait entre ses mains le pouvoir absolu. Il lui suffisait d’attendre. Que l’Empereur soit prêt ; que son fils soit prêt. Et Vador savait attendre.
Finalement, le siège de l’Empereur pivota lentement et le Maître Suprême fit face à Vador. Ce fut le Seigneur Noir qui parla le premier.
— Quels sont vos ordres, Maître ?
— Je veux qu’on envoie la flotte de l’autre côté d’Endor et qu’elle y demeure jusqu’à nouvel ordre.
— Et qu’en est-il de ces rapports signalant que la flotte rebelle se massait du côté de Sullust ?
— Aucune importance. Bientôt, la Rébellion sera écrasée et le jeune Skywalker à nous. Votre tâche ici est terminée, ami. Rejoignez le vaisseau amiral et attendez mes ordres.
— Bien, Maître.
Vador escomptait bien se voir confier la direction de l’attaque contre les Rebelles. Et il espérait la voir se déclencher vite.
Il se releva et quitta la salle, tandis que l’Empereur retournait à la contemplation de son domaine.
Au-delà des frontières de la galaxie, dans le vide éternellement noir de l’espace, la flotte rebelle attendait : croiseurs, destroyeurs, porteurs, bombardiers, cargos, tankers, canonnières, forceurs de champs, navettes, chasseurs X, Y et monoplaces de classe A… étaient déployés en formation. Militaires et civils, Corelliens, Calamariens, Alderaaniens, Kesseliens et Bestiniens, tous les membres de l’Alliance étaient au rendez-vous. À la tête de cette immense armada, le plus grand des croiseurs intersidéraux des Rebelles : l’Alliance.
Par centaines, les commandants – de toutes espèces – étaient assemblés dans la salle d’état-major, attendant les ordres du Haut Commandement dans une ambiance électrisée de prébataille.
Au centre de la salle était installée une vaste table circulaire au centre de laquelle un dispositif holographique projetait l’image tridimensionnelle de l’Étoile Noire protégée par le scintillant déflecteur émanant de sa lune.
Mon Mothma pénétra dans la salle. Cette belle femme dans la force de l’âge, vêtue d’une longue tunique soutachée d’or, imposait d’emblée le respect. Ce n’était pas pour rien qu’elle avait été élue commandant en chef de l’Alliance Rebelle.
Comme le père adoptif de Leia – et comme l’Empereur Palpatine lui-même – Mon Mothma avait d’abord été sénateur de la République et membre du Grand Conseil. Quand les failles avaient commencé à s’ouvrir dans la belle organisation démocratique, Mon Mothma était restée à son poste, organisant la dissidence tout en faisant l’impossible pour retarder l’écroulement final.
Vers la fin, c’est encore elle qui avait organisé les noyaux de résistance clandestins et autonomes chargés de semer la révolte. Parmi les dirigeants d’alors, beaucoup avaient été tués au cours de l’anéantissement d’Alderaan par la première Étoile Noire. Mon Mothma avait alors choisi la clandestinité et opéré la liaison de ses cellules politiques avec les milliers de guérillas et de rébellions qu’avait fait naître la cruelle dictature imposée par l’Empire. Et Mon Mothma avait fini par devenir le dirigeant reconnu de toutes les créatures dépouillées de leur foyer par l’insatiable Empereur… dépouillées de tout, sauf de leur espoir.
D’une démarche digne, Mon Mothma traversa la salle pour s’entretenir auprès de l’holographe avec deux de ses conseillers : le général Madine et l’amiral Ackbar. Madine était Corellien, et, malgré ses manières un peu rigides de militaire de carrière, plein de ressources. Ackbar, lui, était un pur Calamarien – une créature douce, couleur saumon, aux énormes yeux tristes dans une tête en pain de sucre, aux mains palmées qui lui faisaient préférer d’ordinaire l’air ou l’eau à la terre ferme ou au sol métallique des vaisseaux spatiaux.. Si les humains étaient le bras de la Rébellion, les Calamariens en étaient l’âme – ce qui n’impliquait pas qu’ils ne fussent pas capables de se battre lorsqu’on les poussait à bout. Or l’Empire les avait poussés à bout.
Lando Calrissian venait, à son tour, de pénétrer dans la salle, cherchant manifestement quelqu’un. Il croisa Wedge, qui serait à ses côtés durant la bataille et échangea avec lui le petit signe rituel des frères d’armes — pouce levé – avant de reprendre ses recherches. Il finit par découvrir ses amis groupés près d’une porte latérale et les rejoignit en souriant.
Une cacophonie de vivats, de sifflements, de trilles et de barrissements accueillit l’arrivant dans son uniforme flambant neuf.
— Regardez-moi ça ! s’exclama Solo, mimant l’émerveillement et tripotant les insignes épinglés sur l’épaule. Général !
Lando laissa échapper un grand rire clair.
— Je suis l’homme aux mille visages et aux cent mille déguisements. Quelqu’un a dû me dénoncer au sujet de la petite opération que j’ai menée à la bataille de Taanab.
Taanab était une planète agraire, régulièrement pillée par une bande venue de Norulac. Calrissian (cela se passait avant qu’il ne décide de s’acheter une conduite et de devenir gouverneur de la Cité des Nuages) avait chassé les bandits en utilisant une tactique de surprise qui, à l’époque, avait fait du bruit. Naturellement, il l’avait fait sur un pari.
— Eh ! protesta Yan en ouvrant de grands yeux faussement innocents. Tu n’as pas besoin de me regarder comme ça. Je leur ai seulement dit que tu pouvais faire un pilote « correct ». Comment aurais-je pu imaginer qu’ils étaient à la recherche de quelqu’un qui mène cette attaque de fous ?
— Ça va, ça va, je l’ai cherché. En fait, je veux mener cette attaque de fous.
Primo, il aimait bien sa nouvelle tenue de général. Grâce à elle, les gens lui témoignaient le respect qu’il méritait et il ne risquait plus d’être obligé de faire des ronds de jambes devant quelque pompeux sous-fifre.
Secundo, il allait enfin pouvoir rendre à la flotte impériale ce que la police impériale lui avait fait subir pendant trop longtemps, et ça, c’était une satisfaction qui méritait bien quelques petits efforts.
Solo adressa à son vieux complice en mauvais coups un regard où l’admiration le disputait à l’incrédulité.
— Tu as déjà vu un de ces petits joujoux d’Étoile Noire ? Mon pote, je te conseille de profiter tout de suite de tes galons car tu risques de ne pas les porter très longtemps.
— Je m’étonne que ce ne soit pas à toi qu’on ait proposé ce poste, sourit Lando.
— Ils l’ont peut-être fait, mais je ne suis pas fou, moi. Et puis, de nous deux, c’est toi l’homme respectable, monsieur le Baron-Administrateur de la Cité des Nuages.
Leia se rapprocha de Solo et glissa sous son coude un bras protecteur.
— Yan reste avec moi dans le vaisseau amiral, Lando. Et je veux que vous sachiez que nous vous sommes tous deux très reconnaissants de ce que vous faites. Reconnaissants et fiers.
À ce moment, Mon Mothma réclama d’un geste l’attention générale et le silence des grands moments tomba sur la salle.
— Les renseignements fournis par nos espions bothans ont été confirmés, annonça le commandant suprême. L’Empereur a commis une erreur critique et l’heure est venue pour nous de passer à l’attaque.
Une salve de commentaires fusa de toute l’assistance, comme si une valve de sécurité venait de se soulever, relâchant la pression.
— Nous connaissons les coordonnées exactes de la nouvelle station fortifiée de l’Empire, poursuivit Mon Mothma en désignant l’hologramme. Le système de défense de l’Étoile Noire n’est pas encore opérationnel, en tant que la flotte est dispersée dans l’espace à notre recherche, la station est relativement peu protégée…
Elle marqua une pause pour donner plus de poids à ce qui allait suivre.
— … Plus important encore, nous avons appris que l’Empereur en personne se trouvait sur place pour superviser les travaux.
Une volée d’exclamations enthousiastes explosa dans l’assemblée. Ça y était ! La chance en laquelle personne n’osait même espérer se présentait enfin. Une chance d’éliminer le monstre en personne.
Mon Mothma laissa s’apaiser le brouhaha avant de reprendre :
— Son voyage sur l’Étoile Noire a été organisé dans le plus profond secret mais, malheureusement pour lui, l’Empereur a sous-estimé notre réseau d’espions. Malheureusement pour nous, de nombreux Bothans ont payé cette information de leur vie.
Une fêlure s’était ouverte dans la voix de Mon Mothma à la pensée du tribut déjà payé à l’hypothétique réussite de leur entreprise et de celui qu’il faudrait encore payer.
L’amiral Ackbar fit un pas en avant. Il était spécialisé dans les systèmes de défense impériaux. Il leva une nageoire vers l’hologramme du champ de force qui émanait d’Endor.
— Même incomplète, énonça-t-il dans la langue sifflante de Calamaria, l’Étoile Noire n’est pas totalement dépourvue de systèmes de défense. De fait, elle est sous la protection de ce champ de force généré à partir de la lune verte que vous voyez ici. Aucun vaisseau ne peut le traverser, aucune arme le détruire. Ce champ doit être désactivé avant que nous puissions lancer quelque attaque que ce soit. Cela fait, les croiseurs pourront créer un périmètre de couverture, ce qui permettra aux chasseurs de pénétrer à l’intérieur des superstructures, ici… et d’essayer d’atteindre le réacteur principal… – il désignait la portion en travaux de l’Étoile Noire – quelque part par là.
Ackbar se tut pour laisser le plan s’inscrire clairement dans toutes les têtes, puis :
— Le général Calrissian s’est porté volontaire pour mener cette attaque, conclut-il.
Yan se tourna vers Lando.
— Bonne chance, vieux, déclara-t-il d’un ton sincèrement empreint de respect.
— Merci, dit simplement Lando.
L’amiral Ackbar céda la place au général Madine qui était chargé des opérations de couverture.
— Nous avons réussi à nous procurer une navette impériale, déclara-t-il de son ton raide. Nous l’utiliserons pour permettre à une équipe d’assaut d’atterrir sur la lune et de désactiver le générateur du bouclier. Le bunker est bien gardé, mais un petit commando devrait pouvoir en forcer l’entrée.
Leia se tourna vers Yan.
— Je me demande qui ils ont trouvé pour cette opération, souffla-t-elle.
— Général Solo, appela Madine. Votre groupe est-il prêt ?
Leia adressa à Yan un regard où la surprise inquiète cédait rapidement la place à une joyeuse admiration. Elle l’avait aimé malgré ses vantardises et sa grossièreté. Aujourd’hui, il montrait le cœur qui se cachait sous cette cuirasse de bravache.
D’ailleurs, depuis l’horrible expérience qu’il venait de vivre, Yan Solo avait changé. Il n’était plus ce loup solitaire exclusivement préoccupé de ses affaires et de son argent. Il se préparait à accomplir quelque chose pour quelqu’un d’autre que lui-même et cela bouleversait profondément Leia. Madine lui avait donné le titre ; de général, ce qui supposait que Yan avait fini par décider de se laisser enrôler officiellement, qu’il se sentait membre à part entière de l’entreprise. Désormais, il faisait partie d’un tout.
— Mon groupe est prêt, Général, mais il manque un équipage pour la navette.
Il interrogea Chewbacca du regard.
— Ça ne va pas être une partie de rigolade, vieux, commenta-t-il. Je n’ai pas voulu prendre la décision à ta place.
— Roo roowfl, ronronna Chewie en levant sa grosse patte velue.
— En voilà un, lança Solo.
— Et en voilà deux !
C’était Leia. Elle se pencha vers l’oreille de Yan et ajouta à son seul bénéfice :
— Vous n’imaginiez tout de même pas que j’allais vous laisser filer une deuxième fois, non, Mon Général ?
— J’en suis aussi !
Le petit groupe tourna la tête pour découvrir Luke, debout au sommet des marches.
— Et de trois ! annonça Solo avec un large sourire qui disait assez sa joie.
Leia courut à Luke, qu’elle étreignit avec chaleur. Elle se sentit instantanément particulièrement proche de lui – sensation qu’elle attribua à la gravité du moment et à l’importance de la mission –, mais dans le même temps, elle détecta chez le Jedi un subtil changement. Quelque chose émanait du plus profond de lui ; quelque chose qu’il était seul à voir.
— Qu’y a-t-il, Luke ? souffla Leia d’un ton pressant.
— Ce n’est rien. Je vous en parlerai un jour.
— Très bien. J’attendrai.
Leia ne voulait pas le harceler. D’ailleurs, peut-être se faisait-elle des idées. Peut-être n’était-ce que cette tunique noire qu’il portait maintenant et qui le vieillissait…
Déjà, Yan, Chewie, Lando, Wedge et quelques autres rejoignaient Luke pour l’accueillir et lui communiquer les dernières nouvelles. Autour d’eux, l’assistance se fractionnait en petits groupes. On échangeait des adieux et des vœux de réussite… L’heure de l’action approchait.
D2 modula à l’adresse de son morne compagnon un petit discours entraînant.
— Je ne pense pas qu’« excitant » soit le terme approprié, corrigea le droïd doré.
Il était traducteur avant tout et, conséquemment, préoccupé prioritairement d’exhiber le mot qui décrive le plus exactement possible la situation présente.
Dans la soute principale du croiseur intersidéral rebelle, on s’activait à charger et armer le Faucon Millennium. Rangée à côté du vaisseau, la navette impériale faisait tache au milieu des chasseurs X alignés en ordre parfait.
Chewie supervisait le transfert dans la navette des armes et des munitions et surveillait l’installation du groupe d’assaut. Debout entre les deux appareils, Yan et Lando échangeaient leurs adieux – des adieux qui, à leur connaissance, risquaient bien d’être définitifs.
— Mais si, prends-le ! insista Yan en désignant le Faucon. Il te portera chance. Tu sais bien que, maintenant, c’est le vaisseau le plus rapide de toute la flotte.
Il parlait en connaissance de cause car il avait fait ce qu’il fallait pour cela. Les modifications qu’il avait apportées au vaisseau, avec tout son amour et sa sueur, avaient fait du Faucon une partie de lui-même. Le donner à Lando, c’était pour lui comme entériner sa transformation, c’était le geste purement altruiste qu’il n’avait encore jamais eu. Et Lando le comprit.
— Merci, vieux, répondit-il. J’en prendrai soin comme de moi-même. De toute façon, tu sais bien que je l’ai toujours piloté mieux que toi. Moi au manche, je te garantis qu’il s’en sortira sans une égratignure.
— Sans une égratignure, sourit Yan. J’ai ta parole.
— Dépêche-toi de filer, vieux pirate, sinon tu vas finir par exiger un dépôt de garantie.
— À la revoyure, vieux.
Pudiques comme souvent les hommes d’action, ils se séparèrent sans avoir exprimé plus avant leurs sentiments intimes et chacun marcha vers la rampe de son vaisseau.
Au moment où Yan pénétra dans la navette impériale, Luke était occupé sur le navigateur arrière à des réglages de précision tandis que Chewbacca, installé sur le siège du copilote, tentait avec force grognements de se familiariser avec le tableau de bord. Yan se laissa tomber sur le siège voisin.
— Ouais, commenta-t-il en examinant à son tour la configuration des cadrans. Quelque chose me dit que les ingénieurs de l’Empire n’ont pas pensé aux Wookies quand ils ont dessiné ce truc.
Leia émergea de la cabine et vint prendre place à côté de Luke.
— Tout le monde est installé, là derrière, annonça-t-elle. Je crois qu’on peut y aller.
— Rrrwfr, acquiesça Chewie en balayant de la patte la première série de manettes.
Il releva la tête, prêt à réagir instantanément aux indications de Solo, mais Yan était manifestement ailleurs. Le regard rivé au pare-brise, il fixait quelque chose. Les regards de Chewbacca et de Leia se tournèrent en même temps vers ce qui pouvait motiver une telle fascination… le Faucon Millennium.
— Eh ! On dort là-dedans ? appela Leia d’une voix tendre.
— J’ai la curieuse sensation que je ne le reverrai plus, énonça rêveusement Yan.
Il songeait aux nombreuses occasions où le vaisseau l’avait sauvé grâce à sa vitesse, à celles où lui l’avait sauvé grâce à son habileté et à sa rapidité de décision. Ensemble, le Faucon et lui, ils avaient sillonné l’univers, unis dans une communion étroite qui allait se briser à tout jamais…
Leia répugnait à rompre ce moment d’émotion, mais le temps pressait.
— Commandant, souffla-t-elle en posant une main sur l’épaule de Yan. Il est temps d’y aller.
Yan fut instantanément de retour dans le présent.
— Très juste. En avant, Chewie ! Voyons un peu ce que cette casserole a dans le ventre.
La construction de l’Étoile Noire se poursuivait à une cadence accélérée et le ciel ne désemplissait pas de vaisseaux de transport, de chasseurs Tie et de navettes d’équipement. À intervalles réguliers, le superdestroyer en orbite survolait l’aire des opérations, surveillant sous tous les angles l’avance des travaux.
Le pont du destroyer était une véritable ruche. Les messagers allaient et venaient en tous sens, les contrôleurs de vol s’affairaient sur leurs écrans de poursuite, réglant les entrées et les sorties des véhicules à travers le bouclier déflecteur. Des signaux codés étaient reçus et émis, des ordres transmis ; sur les écrans, des courbes s’élaboraient, se déformaient et disparaissaient pour faire place à d’autres. L’opération portait sur un bon millier d’appareils et tout se déroulait pourtant à la perfection.
Jusqu’à ce que le contrôleur Jhoff établisse le contact avec une certaine navette de classe Lambda qui approchait du bouclier dans le secteur sept.
— Navette à contrôle, répondez, émit une voix dans le casque de Jhoff.
— Nous vous avons sur notre écran, répondit le contrôleur. Identifiez-vous.
— Ici le Tyridium. Demandons désactivation du bouclier déflecteur.
— Bien reçu, Tyridium. Transmettez votre code d’accès.
Dans la navette, des regards inquiets croisèrent d’autres regards inquiets.
— Transmission lancée, annonça Yan dans son transpondeur.
Chewie abaissa une série de manettes, provoquant l’émission d’un sifflement syncopé de signaux à haute fréquence.
— Le moment de vérité, souffla Leia à son voisin. On va savoir si ce code justifie le prix qu’il nous a coûté.
Luke ne répondit pas. Il n’avait d’yeux que pour le superdestroyer qui lui paraissait soudain emplir le ciel. Une poigne sombre serra le cœur du Jedi.
— Vador est à bord de ce vaisseau, annonça-t-il d’une voix blanche.
— Pas si vite, Luke, lança Yan d’un ton qui se voulait rassurant. Ce ne sont pas les destroyers qui manquent… Mieux vaut quand même être prudents. Chewie, tu te tiens à distance sans en avoir l’air, vu ?
— Awroff rrwrgh rrfroufh ?
— Je ne sais pas, moi ! Vole l’air décontracté.
— Il me semble qu’ils mettent bien longtemps à répondre, remarqua Leia, tendue.
Si ça allait ne pas marcher ? Tant que ce damné déflecteur était en fonctionnement, l’Alliance ne pouvait rien tenter… Leia s’ébroua, tenta de chasser les images obsédantes qui affluaient à son cerveau. Ce n’était vraiment pas le moment de se laisser affaiblir par la peur et le doute !
— Je n’aurais pas dû venir, énonça Luke comme en réponse aux sombres pensées de sa sœur. Ma présence met l’expédition en péril. Il sait que je suis là.
Malgré ses propres craintes, Yan se refusait à céder au pessimisme.
— Tu te fais des idées, Luke, tenta-t-il. On va bousiller leur fichu bouclier en moins de deux.
— Aargh gragh, ronchonna Chewie.
Décidément, l’humeur générale n’était pas au beau fixe !
Debout devant un large écran de visualisation, Dark Vador caressait de son regard de glace l’image de l’Étoile Noire et ce monument à la gloire de la force de l’ombre faisait naître en lui un frisson d’excitation. Les minuscules taches de lumière qui couraient à la surface ; de ce globe magique fascinaient le Seigneur Noir comme un jouet merveilleux peut captiver un jeune enfant.
Soudain, une sensation étrangère vint bousculer cet état de transe et Vador ne fut plus que concentration dirigée vers l’éther. Qu’avait-il donc senti ? Un écho, une vibration était passée… non, elle ne s’était pas contentée de passer ; elle avait troublé l’eau sereine de ce moment privilégié et rien n’était plus pareil.
D’un pas vif, Vador rejoignit le poste des contrôleurs pour s’arrêter devant la console de Jhoff sur laquelle était penché l’amiral Piett. Piett se redressa, salua l’arrivée de Vador d’une brève inclinaison du buste.
— La destination de cette navette ! intima Vador, coupant court aux préliminaires.
Piett se retourna vers l’écran et lança dans le transpondeur :
— Navette Tyridium, transmettez votre destination et la nature de votre chargement.
— Pièces détachées et personnel technique pour Endor, répondit le récepteur.
Le commandant de pont guettait anxieusement la réaction de Vador. D’autres, avant lui, avaient payé cher leur erreur…
— Ils ont un code d’accès ? interrogea Vador.
— Un ancien code, mais correct, répondit vivement Piett. Je m’apprêtais à leur donner le feu vert.
Il savait inutile d’essayer de mentir à Vador. Le Seigneur Noir avait un talent tout particulier pour détecter ce qu’on tentait de lui cacher.
— Il y a quelque chose d’anormal… énonça lentement Vador, plus pour lui-même que pour son interlocuteur.
— Dois-je le retenir ? proposa vivement Piett, désireux au plus haut point de satisfaire son maître.
— Non, laissez-le passer. Je vais régler cette affaire moi-même.
— Comme il vous plaira, Monseigneur.
Piett s’inclina profondément, en partie pour masquer sa surprise. Puis, sur un signe de tête de lui, le contrôleur Jhoff se pencha vers le transpondeur.
Dans le Tyridium, la tension grimpait d’un cran à chaque nouvelle question qui augmentait le risque de voir la ruse éventée.
— Chewie, lança Yan à son copilote, si ce coup-ci ils ne nous laissent pas passer, prépare-toi à filer.
C’était en réalité un discours d’adieu, chacun étant bien conscient que, face aux appareils qui patrouillaient dans le secteur, la misérable navette n’avait pas la moindre chance.
Le haut-parleur crachota quelques parasites, bientôt remplacés par la voix claire du contrôleur.
— Appel au Tyridium. Désactivation du bouclier amorcée. Conservez votre trajectoire.
Trois des quatre occupants de la cabine laissèrent échapper un soupir de soulagement, oubliant momentanément que, loin d’être terminées, les difficultés ne faisaient que commencer.
— Qu’est-ce que je vous avais dit, hein ? pavoisa Yan. Les doigts dans le nez !
Leia lui adressa en réponse un sourire affectueux, Chewie un barrissement joyeux… Luke ne dit rien. Il continuait à fixer le vaisseau amiral, comme perdu dans quelque dialogue intérieur.
Solo poussa le manche à balai et, lentement, la navette prit le chemin de la lune verte.
Vador, Piett et Jhoff regardaient sur l’écran de contrôle la configuration du bouclier s’effranger, se fissurer pour laisser le passage au Tyridium en route vers le centre de la toile.
Vador se tourna vers l’officier de pont et, d’une voix où perçait une excitation inaccoutumée :
— Préparez ma navette, ordonna-t-il. Je dois me rendre chez l’Empereur.