7
— Ainsi, gronda la voix du Seigneur Noir, tu es venu à moi.
— Et vous à moi.
— L’Empereur t’attend. Il compte que tu embrasses la face obscure.
— Je sais… père.
Luke avait dû lutter pour prononcer le dernier mot. Maintenant, il se sentait plus fort d’y être parvenu.
— Je vois que tu as fini par accepter la vérité, exulta Vador.
— J’ai accepté l’idée que vous avez été autrefois Anakin Skywalker, mon père.
— Ce nom ne signifie plus rien pour moi.
C’était le nom d’une autre vie, d’un autre univers. Se pouvait-il qu’il ait été cet autre ?
— C’est le nom de votre être véritable, répondit calmement Luke en soutenant le regard du masque noir. Vous l’avez seulement oublié. Je sais qu’il y a du bon en vous. Que l’Empereur n’a pas tout arraché.
Il modula sa voix pour formuler la réalité potentielle aux dimensions de sa foi.
— C’est pourquoi vous ne pourrez pas me détruire. C’est pourquoi vous ne me livrerez pas à votre Empereur.
Vador regardait le glaive de lumière que lui avait remis l’officier : l’épée de Luke. Ainsi, le gamin était devenu un Jedi à part entière, un adulte.
— Tu en as fabriqué un autre, constata Vador.
— Celui-ci est le mien, répondit Luke. Je n’utilise plus le vôtre.
Vador activa la lame, tendit l’oreille à son bourdonnement, apprécia son éclat.
— Tes talents se sont épanouis. En vérité, tu es devenu aussi puissant que l’avait prévu l’Empereur.
Ils demeurèrent quelques instants face à face, à regarder les étincelles crépiter le long du tranchant de l’épée, comme surchargées par l’énergie qui palpitait entre les deux guerriers.
— Rejoins-moi, père.
Vador secoua la tête.
— Ben pensait comme toi…
— Ne reporte pas sur Ben la responsabilité de ta chute.
Luke fit un pas en avant, s’arrêta. Vador n’avait pas bougé.
— Tu ne connais pas la puissance de la face obscure. Je dois obéir à mon maître.
— Je ne me laisserai pas pervertir. Tu seras forcé de m’anéantir.
— Si tel est ton destin…
Vador ne souhaitait pas avoir à le faire, mais s’il le fallait, il anéantirait son fils. Il n’avait plus les moyens de tergiverser comme il l’avait fait une première fois.
— Rentre en toi-même, père, et vois ce qui est au plus profond de toi. Tu es incapable de faire ce que tu prétends. Je sens le conflit qui t’agite. Libère-toi de ta haine.
Mais Vador ne haïssait personne. Il était au-delà de la haine.
— Quelqu’un t’a mis de folles idées en tête, jeune
Jedi. L’Empereur saura te faire découvrir la véritable nature de la Force. Il est ton maître, désormais.
Vador désactiva l’épée de Luke et adressa un signe à l’escouade de soldats postés à quelque distance. Puis il se retourna vers Luke et, avant que les gardes les aient rejoints :
— Il est trop tard pour moi, fils, déclara-t-il.
— En ce cas, mon père est définitivement mort, répondit Luke.
Désormais, plus rien ne devait l’empêcher de tuer l’étranger qu’il avait devant lui.
Peut-être…
La vaste flotte rebelle était stationnée dans l’espace, prête à lancer son attaque. Des centaines d’années-lumière la séparaient de l’Étoile Noire, mais l’hyperespace abolit les notions de temps et de distance et l’efficacité d’un assaut ne s’y mesure qu’en termes de précision.
Les vaisseaux étaient en train de se placer en formation, reproduisant les facettes d’un diamant. Le Haut Commandement rebelle avait choisi comme point stationnaire – du moins stationnaire par rapport au point de rentrée dans l’espace normal – une petite planète bleue du système de Sullust, et c’est autour de son ciel céruléen que l’armada était en train de se former.
Le Faucon Millennium acheva son tour d’inspection et vint prendre sa place sous le vaisseau amiral. Le moment était venu.
Lando était aux commandes du Faucon. À ses côtés, son copilote, Nien Nunb – une créature joufflue aux petits yeux de souris, originaire de Sullust –, abaissa une série de manettes, enclencha l’ordinateur de vol et effectua les derniers préparatifs en vue du saut dans l’hyperespace.
Lando achevait de régler le transpondeur sur la fréquence réservée. Une partie de titans s’apprêtait : gros enjeux, adversaires coriaces… Une partie comme il les aimait. La bouche sèche, il émit son dernier rapport à l’intention d’Ackbar.
— Sommes en position. Amiral. Tous les chasseurs à l’appel.
— Commencez le compte à rebours, crachota dans son casque la voix d’Ackbar. À tous les groupes : coordonnées d’attaque.
Lando se tourna en souriant vers son copilote.
— T’as pas à t’en faire, vieux. Mes copains sont là-bas et vont nous faire sauter ce bouclier comme il faut…
« … ou ça va être la plus courte offensive de tous les temps », ajouta-t-il à voix basse.
— Gzhung Zhgodio, commenta le copilote.
— D’accord, grogna Lando. Tiens-toi prêt, on va y aller.
Il tapota le tableau de bord pour se porter chance. Un bon joueur fait sa chance lui-même, évidemment, mais pour cette fois, sa chance à lui, Lando, c’était le boulot qu’avait fait Yan sur le vaisseau pour en faire ce petit bijou. Et Yan ne l’avait jamais laissé tomber. Enfin, juste une fois, il y avait bien longtemps de ça, dans un autre système solaire, loin, très loin…
Cette fois, c’était différent. Cette fois, ils allaient rebaptiser la chance et l’appeler Lando.
Lando sourit, et donna une seconde tape au tableau de bord pour faire bon poids.
Sur le pont du vaisseau amiral, Ackbar regarda ses généraux les uns après les autres : tout était prêt.
— Tous les groupes sont en coordonnées d’attaque ? demanda-t-il tout en sachant la question inutile.
— Affirmatif, Amiral.
Ackbar s’accorda un ultime moment de méditation, face au champ d’étoiles qui envahissait le hublot panoramique, puis sa tête s’abaissa vers le transpondeur.
— À tous les appareils : saut dans l’hyperespace à mon signal. Que la Force soit avec nous.
Il tendit la main vers le bouton commandant le signal.
Dans le Faucon, Lando contemplait lui aussi l’océan galactique, l’esprit agité d’un sombre pressentiment. Ils s’apprêtaient à tenter ce qu’aucune guérilla ne devait jamais tenter : battre une armée traditionnelle sur son propre terrain. Tant qu’elle n’avait en face d’elle que des foyers de harcèlement fluides et insaisissables, l’armée impériale était démunie. Aujourd’hui, l’Alliance se risquait à découvert ; elle allait devoir se battre selon les règles de l’ennemi. Si elle perdait cette bataille, elle perdait la guerre.
Soudain, le signal lumineux rougeoya sur le tableau de bord. Le signal de l’attaque. Lando ramena en arrière le levier de conversion et mit les gaz. De l’autre côté du pare-brise, les points lumineux se changèrent en pointillés, puis en lignes continues, tandis que la flotte luttait de vitesse avec les photons…
La flotte disparut dans l’hyperespace, rendant la planète de cristal bleu à sa paix et à son oubli.
Le groupe d’assaut était allongé à l’abri d’une crête boisée, Leia occupée à évaluer les défenses de l’avant-poste impérial sur un petit sondeur électronique. Plusieurs Ewoks – dont Wicket, Paploo, Teebo et Warwick – s’étaient mêlés aux membres du commando, le gros des troupes restant en arrière, derrière le tertre.
Sur l’aire d’atterrissage impérial, on était en train de décharger deux navettes. Plusieurs quadripodes TB-TT étaient parqués à proximité. Des hommes de troupe montaient la garde aux points stratégiques, d’autres surveillaient le transbordement du matériel. En fond sonore, le bourdonnement entêtant de l’énorme bouclier déflecteur.
Leia rangea le sondeur et rejoignit les autres à reculons.
— L’entrée est située de l’autre côté de cette plate-forme. Ça ne va pas être facile.
— Ahrck grah rahr hrowrowhr, acquiesça Chewbacca.
Yan adressa à son compère un coup d’œil peiné.
— Dis donc, espèce de dégonflé ! On s’est fait des machins autrement mieux gardés que ça.
— Frowh rahrahrahff wraugh ?
Yan s’accorda une seconde de réflexion.
— Les coffres de Gargon, pour commencer.
Râle dubitatif de Chewie.
— Parfaitement, insista Yan. Si seulement j’arrivais à me rappeler comment j’ai fait…
Il se gratta la tête, fouillant dans sa mémoire.
Les piaulements de Paploo mirent fin à ses recherches. L’éclaireur désignait quelque chose de la main.
— Qu’est-ce qu’il dit, 6PO ? interrogea Leia.
Le droïd doré échangea avec Paploo quelques courtes phrases.
— Apparemment, traduisit-il ensuite, d’après les souvenirs de Paploo, il semble que l’installation comporte une entrée de service.
Yan sursauta.
— Une entrée de service, c’est ça ! C’est comme ça qu’on les a eus, les coffres !
Quatre éclaireurs impériaux montaient la garde à l’entrée du bunker à demi enterré qui interdisait l’accès du générateur. Leurs moto-speeders étaient garés à proximité.
À la limite du couvert, le commando se tenait prêt.
— Grrr, rowf rrhl brhnnnh, observa Chewbacca.
— Tu as raison, Chewie, acquiesça Solo. S’il n’y a que ces quatre-là, ça devrait poser encore moins de problèmes que de tordre le cou à un bantha.
— Il suffit d’un pour donner l’alerte, fit remarquer Leia.
Yan produisit son agaçant sourire de pirate.
— On va y aller en douceur. Si Luke se débrouille pour qu’on n’ait pas Vador sur les reins, comme tu as dit qu’il avait dit qu’il le ferait, on devrait réussir les doigts dans le nez. Il suffit de descendre ces quatre-là, vite et sans bruit.
À voix basse, 6PO expliqua à Teebo et Paploo la situation et l’objectif. Les Ewoks conférèrent entre eux quelques instants, après quoi Paploo se redressa et fila vers l’arrière.
Leia jeta un coup d’œil à l’instrument fixé à son poignet.
— On va être à court de temps. À l’heure qu’il est, la flotte est déjà dans l’hyperespace.
6PO murmura une question à Teebo et reçut une courte réponse.
— Oh, misère !… geignit-il en commençant à se redresser.
— À terre ! jappa Solo.
— Qu’est-ce qui se passe, 6PO ? interrogea Leia.
— J’ai peur que notre petit compagnon à poils ne soit allé commettre une folie.
— Mais de quoi parles-tu ? s’énerva Leia, brusquement inquiète.
— Oh, non ! Regardez.
Paploo s’était faufilé à travers les buissons jusqu’à l’endroit où étaient parqués les moto-speeders. Les yeux agrandis par l’horreur de l’inéluctable, les Rebelles virent la petite boule de poils s’élancer sur les véhicules et entreprendre d’actionner au hasard les commutateurs. Avant que quiconque ait rien pu tenter, les moteurs des engins s’éveillèrent dans un rugissement assourdissant, faisant pivoter ensemble les quatre têtes des gardes. Paploo continuait à tripoter des boutons.
Atterrée, Leia se prit la tête entre les mains.
— Oh, non, non non !
— Autant pour notre attaque-surprise, soupira Yan.
Les éclaireurs impériaux se précipitèrent pour voir Paploo enclencher la marche avant et filer à travers bois. Les petites pattes du Ewok avaient bien du mal à se cramponner au guidon du véhicule qui tanguait dangereusement. Trois des gardes enfourchèrent les engins restants et se lancèrent à la poursuite de l’ourson, ne laissant que le dernier pour assurer la garde du bunker.
Quand Leia releva la tête, une incrédulité ravie se peignit sur son visage.
— Pas mal pour un ours en peluche, apprécia Yan.
Il adressa un signe de tête à Chewie et tous deux
entreprirent de se glisser vers le bunker.
Pendant ce temps, Paploo slalomait comme il le pouvait entre les arbres, à une vitesse relativement faible eu égard aux possibilités de l’engin, mais qui, pour un Ewok, tenait du rêve éveillé. Paploo était littéralement ivre de vitesse. Il était en train de vivre une aventure terrifiante mais combien excitante ! De quoi raconter jusqu’au restant de ses jours ! Et ses enfants la raconteraient à leurs enfants et aux enfants de leurs enfants… jusqu’à la septième génération.
En attendant, les éclaireurs impériaux arrivaient déjà en vue. Quand ils commencèrent à décharger leurs lasers sur lui, Paploo décida que la fête avait, en fin de compte, assez duré. À l’arbre suivant et profitant de ce qu’il était hors de vue de ses poursuivants, il attrapa au vol une liane et disparut dans l’épaisseur du feuillage. Moins de dix secondes plus tard, il saluait à grand renfort de gloussements ravis le passage des trois éclaireurs, lancés en plein régime sur les traces du moto-speeder qui poursuivait sa course aveugle.
Les choses n’allaient guère mieux pour le dernier gardien. Proprement assommé par Chewie, il avait été dépouillé de son uniforme, ligoté, et deux membres du commando étaient en train de le transporter sous les arbres, tandis que le reste de l’escouade se regroupait en demi-cercle autour de l’entrée.
Yan compara le code dérobé par leurs espions avec les signes figurant sur les touches du cadran de commande, composa rapidement un numéro. Silencieusement, la porte s’ouvrit.
Leia risqua un coup d’œil à l’intérieur. Pas le moindre signe de vie. D’un geste, elle fit signe aux autres de la suivre et pénétra dans le bunker, Yan et Chewie sur ses talons. Bientôt, tout le groupe fut à l’intérieur du corridor de métal faiblement éclairé, à l’exception d’un homme qui, revêtu de l’uniforme du garde, restait en arrière pour faire le guet. Yan poussa une série de touches sur le cadran intérieur et la porte se referma derrière eux. Tout en progressant furtivement le long du couloir, Leia eut une brève pensée pour Luke. Elle fit des vœux pour qu’il puisse retenir Vador, au moins le temps pour eux de faire sauter le générateur ; mais, contradictoirement, une autre part d’elle-même souhaitait qu’il parvienne à éviter la confrontation avec le Seigneur Noir, tant elle craignait que Vador ne soit le plus fort.
La navette de Vador se posa à l’intérieur de la soute d’arrimage de l’Étoile Noire – noir charognard dépourvu d’ailes, insecte de cauchemar. Luke et le Seigneur Noir émergèrent du bec du rapace, suivis par une petite escorte de soldats impériaux, et traversèrent rapidement la caverne de métal en direction de l’ascenseur personnel de l’Empereur.
Luke était en proie aux tourments de l’incertitude. D’ici quelques instants, il allait devoir affronter l’Empereur, livrer sa bataille. Que devait-il faire ?… Que devait-il ne pas faire ?…
Un vent violent soufflait dans son crâne, l’emplissant de bruit et de fureur. Il aurait voulu que le déflecteur soit déjà désactivé, que l’Étoile Noire soit détruite, à l’instant même, alors qu’ils s’y trouvaient tous les trois – lui, Vador et l’Empereur – , alors que rien, encore, ne s’était passé. Il avait peur ; peur de ce qui allait se passer. En admettant qu’il tue l’Empereur, que devrait-il faire ensuite ? Affronter Vador ? Quelle serait l’attitude de son père ? Et qu’adviendrait-il si lui, Luke, défiait son père et… le détruisait ? Détruire Vador… et ensuite ?
Et ensuite ! Cette pensée exerçait sur Luke une attraction-répulsion vertigineuse. Pour la première fois il se vit, dans un brouillard fuligineux, devant le cadavre de son père, l’emblème de son pouvoir flamboyant dans sa main… assis à la droite de l’Empereur.
Il serra les paupières pour repousser cette vision cauchemardesque, mais une sueur glacée perlait à son front, comme si la mort l’avait frôlé de son aile.
Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent. Luke et Vador pénétrèrent seuls dans la salle du trône. Côte à côte ils s’avancèrent, le père et le fils, tous deux vêtus de noir, l’un masqué, l’autre à découvert, à la rencontre du regard maléfique de l’Empereur.
Vador s’inclina profondément devant son maître, mais l’Empereur n’avait d’yeux que pour Luke.
— Sois le bienvenu, jeune Skywalker, déclara-t-il avec un léger sourire. Je t’attendais.
Le défi dans les yeux, Luke soutint sans faiblir le regard d’airain posé sur lui. Le sourire de l’Empereur s’adoucit en une grimace mi-condescendante mi-compréhensive de père face aux bravades d’un fils.
— Tu n’as plus besoin de cela, ajouta-t-il, bon prince.
Dans le même temps, ses doigts exécutaient un petit mouvement en direction des poignets de Luke et les menottes tombèrent sur le sol en cliquetant.
Luke baissa les yeux sur ses mains désormais libres – libres de serrer la gorge de l’Empereur jusqu’à l’étouffer…
L’Empereur paraissait animé à son égard d’intentions pacifiques puisqu’il l’avait libéré, mais Luke savait ce qui se cachait sous ces apparences. Pourtant, il hésitait à passer à l’attaque. L’agression était une des constituantes de la face obscure. Devait-il l’éviter à tout prix ? Ou, au contraire, saurait-il l’utiliser judicieusement et la rejeter ensuite ? Il fixait ses mains libres… libres de choisir, mais qui ne parvenaient pas à choisir. Le choix : cette épée à double tranchant ! Il pouvait tuer l’Empereur, il pouvait succomber aux arguments de l’Empereur. Il pouvait tuer Vador… après quoi il pouvait même devenir un Vador. Encore ce sinistre possible qui venait le narguer !… Luke le rejeta au plus profond de son cerveau.
Devant lui, l’Empereur continuait à sourire. Le moment était lourd de possibilités.
Le moment passa. Luke n’avait rien tenté. L’Empereur enregistra sans changement apparent d’humeur l’issue de ce premier combat.
— Dis-moi, jeune Skywalker, déclara-t-il, qui s’est occupé jusqu’ici de ta formation ?
Luke garda le silence. Il ne dévoilerait rien.
— Oh ! je sais qu’au début il s’est agi de Obi-Wan Kenobi…
Ses lèvres se retroussèrent en un ricanement de loup.
— … et nous connaissons bien le talent dont faisait preuve Obi-Wan pour former un Jedi.
D’un hochement de tête courtois, il désignait Vador, le premier élève de Obi-Wan. Vador n’esquissa pas un signe, ne prononça pas une parole.
Tout en sachant que, dans la bouche du tortueux tyran, il s’agissait d’une sorte de compliment, Luke se tendit sous l’insulte faite à Ben. Il était d’autant plus en colère que l’Empereur avait en partie raison. Il tenta néanmoins de contenir sa fureur, ne fût-ce que parce qu’elle paraissait divertir le dictateur.
Palpatine n’avait rien perdu des émotions qui s’affichaient sur le visage de Luke. Il eut un petit rire.
— Ainsi, il semblerait que tu aies tout d’abord suivi les traces de ton père. Mais hélas, Obi-Wan est mort, à ce que je crois savoir ; son ancien disciple, ici présent, a fait ce qu’il fallait pour cela – il désigna à nouveau Vador de la main. En ce cas, jeune Skywalker, qui a poursuivi ta formation ?
À nouveau ce sourire, tranchant comme un rasoir ! Luke persista à se taire.
L’Empereur se mit à tapoter l’accoudoir de son siège du bout des doigts.
— Il y avait un certain… Yoda. Un très vieux maître Jed… Ah ! Je vois à ton visage que j’ai touché la corde sensible. C’est donc Yoda.
La colère de Luke s’était retournée contre ce lui-même qui venait de se montrer incapable de conserver caché ce qu’il ne voulait pas révéler. Il fallait absolument qu’il retrouve son assurance, qu’il voie tout sans rien laisser paraître.
— Ce Yoda, musa l’Empereur. Vit-il encore ?
Luke se concentra sur le vide de l’espace qu’il
apercevait au-delà du hublot situé derrière l’Empereur. Le vide, le néant. Rien. Il emplit son esprit de ce rien opaque, traversé seulement de quelques scintillements d’étoiles.
— Ah ! s’écria l’Empereur, il n’est plus en vie. Mes compliments, jeune Skywalker, tu as failli parvenir à me cacher cette information. Mais tu n’y es pas parvenu. Tu n’y parviens toujours pas. J’ai accès au moindre repli de ton esprit. Considère cela comme ma première leçon.
Luke sentit son esprit plonger au fond de l’abîme. Et au fond de cet abîme même, il trouva la Force. Ç’avait été une des importantes leçons de Ben et de Yoda : quand tu es attaqué, ploie. Laisse la puissance de ton agresseur souffler sur toi comme la rafale sur les roseaux. Il finira par s’épuiser de lui-même et alors, tu te redresseras.
L’Empereur scruta intensément le visage de Luke.
— Je suis persuadé que Yoda t’a appris à utiliser la Force avec talent.
Le sarcasme obtint sur Luke l’effet recherché : son visage rougit, ses muscles se crispèrent. Le jeune homme vit l’Empereur se passer la langue sur les lèvres et rire. Du fond de sa gorge, du fond de son âme boueuse.
Mais Luke avait vu aussi autre chose au fond de l’Empereur. Quelque chose qu’il ne s’attendait pas à y découvrir : la peur. La peur de ce pouvoir qu’un jeune homme pouvait retourner contre l’Empereur – tout comme Vador avait retourné le sien contre Obi-Wan.
À cet instant, Luke sut que les chances venaient de se rééquilibrer un peu. Il avait soulevé le voile. Il se redressa de toute sa taille, son calme retrouvé, son regard plongeant droit sur l’emplacement où se trouvait le visage du tyran – visage qui se cachait dans l’ombre d’une vaste capuche.
Palpatine lui rendit son regard. Pendant plusieurs secondes, il ne dit rien. Il pesait les potentialités du jeune Jedi.
Enfin il se rejeta en arrière, apparemment satisfait de cette première confrontation.
— J’ai hâte de compléter ta formation, jeune Skywalker, déclara-t-il. Le moment venu, c’est moi que tu appelleras « Maître ».
Luke se sentait maintenant suffisamment assuré pour parler.
— Vous vous trompez lourdement. Vous ne me renverserez pas comme vous l’avez fait de mon père.
— Non, mon jeune Jedi, gloussa l’Empereur en se penchant en avant. C’est toi qui te trompes… sur un grand nombre de points.
Brusquement, Palpatine se redressa, descendit de son trône et vint planter son regard venimeux dans les yeux de Luke. Et Luke vit ce que la capuche lui avait caché jusque-là : les yeux, creusés comme des tombes ; la chair décomposée, sous la peau labourée par les tempêtes de la passion exacerbée ; le sourire de cadavre.
Vador tendit vers l’Empereur la main gantée qui tenait l’épée de Luke. L’Empereur s’en saisit avec une sorte de jubilation, puis se retourna vers le vaste hublot. L’Étoile Noire avait légèrement progressé sur son orbite, laissant découvrir, au bord de la baie circulaire, la forme de la lune verte.
Le regard de Palpatine alla d’Endor à l’épée qu’il tenait en main.
— Ah ! oui, une arme Jedi. Très semblable à celle de ton père.
Il pivota pour faire face à Luke.
— Tu sais maintenant que ton père ne changera plus. C’est donc toi qui changeras.
— Jamais. Bientôt je mourrai, vous avec moi.
Luke était de plus en plus confiant en lui. Il pouvait s’accorder le luxe d’une provocation directe.
L’Empereur éclata de son rire aigre.
— Tu fais probablement allusion à l’attaque imminente de ta flotte rebelle. En ce cas, laisse-moi te dire que nous ne risquons absolument rien de tes amis.
Ainsi, il était au courant. Luke chancela sous le choc, mais se reprit aussitôt.
— Votre excès de confiance en vous causera votre perte, déclara-t-il.
— Et ta foi en tes amis, la tienne.
L’Empereur amorça un sourire qui se mua en grimace de colère.
— Dis-toi bien que tout ce qui a transpiré l’a fait par ma volonté. Tes amis, là-haut, sur Endor, marchent tout droit vers un piège. De même pour ta flotte Rebelle !
Luke ne put empêcher les muscles de son visage de se crisper. L’Empereur s’engouffra dans la brèche.
— C’est moi qui ai permis que votre Alliance connaisse les coordonnées du générateur de champ et celui-ci ne risque rien de votre pitoyable petite bande. Une légion entière de mes troupes les attend là-bas.
Luke vit Vador faire un pas en avant pour se placer aux côtés de l’Empereur. Désormais, il était seul. Il ne pouvait compter sur personne que lui-même alors que l’ennemi, face à lui, poussait son harcèlement.
— J’ai peur que le déflecteur ne soit parfaitement opérationnel à l’arrivée de ta flotte, ricana l’Empereur. Et ce n’est que le début de ma petite surprise… Mais laissons. Je ne veux pas te priver de l’émotion de la découverte.
Luke sentait les défaites s’amonceler sur lui. Combien pourrait-il en supporter encore sans se briser ? Avec une lenteur extrême, sa main se leva en direction de son épée dont l’Empereur paraissait avoir oublié la présence.
L’Empereur poursuivit :
— D’ici même, jeune Skywalker, vous assisterez à la destruction finale de l’Alliance. Et à la fin de votre insignifiante rébellion.
Luke était à la torture. Il avisa les regards de Palpatine et de Vador convergeant tous deux vers sa main en train de se lever. Il la rabaissa, rabaissa le niveau de sa colère. Il fallait à tout prix qu’il retrouve sa maîtrise s’il voulait conserver une chance de découvrir ce qu’il devait faire.
L’Empereur lui offrit l’épée avec un mince sourire.
— C’est cela que vous voulez, n’est-ce pas ? Très bien, prenez-la. La haine bouillonne en vous et c’est une excellente chose. Prenez votre arme Jedi et servez-vous-en. Je ne suis pas armé. Frappez-moi, laissez-vous aller à votre fureur. À chaque instant qui passe, vous vous faites un peu plus mon esclave.
— Jamais.
Luke cherchait désespérément un espoir auquel se raccrocher. Personne n’est infaillible, lui avait appris Ben. L’Empereur ne pouvait pas tout voir, connaître tous les futurs, déformer toutes les réalités. Quelque part en lui, il devait y avoir une faille. Ben, Yoda… Ils étaient désormais intégrés à la Force, faisaient partie de l’énergie qui la modelait. Ils seraient toujours à ses côtés, avait affirmé Ben. Se pouvait-il qu’en ce moment même leur présence obscurcisse la vision de l’Empereur ?… « Ben, appela silencieusement Luke, si jamais j’ai eu besoin de tes conseils, c’est bien en cet instant. Comment puis-je sauver notre cause sans me perdre ? »
L’Empereur se pencha, déposa l’épée sur le siège, à portée de main de Luke.
— C’est inéluctable, dit-il comme en réponse. C’est votre destinée. Vous, comme votre père, êtes désormais… à moi.
Le commando progressait à travers le labyrinthe de couloirs en direction de la salle qui, d’après le plan volé, abritait le générateur. Une lumière jaune tombait des poutrelles, projetant à chaque intersection des ombres suspectes qui faisaient s’immobiliser provisoirement la petite colonne.
À la quatrième intersection, il fut rapidement évident qu’il ne s’agissait pas, cette fois, d’une fausse alerte. Six gardes impériaux étaient postés dans le couloir perpendiculaire, montant une garde vigilante. Yan et Leia échangèrent un regard entendu : la bataille était inévitable.
Blaster au poing, le commando se rua en avant. Leia avait un peu compté sur l’effet de surprise, mais elle dut déchanter en voyant les gardes se jeter à terre et répondre instantanément à leurs coups. Un véritable tir de barrage se déclencha, les décharges répondant aux décharges, ricochant aveuglément du sol aux longerons de la charpente. Deux gardes impériaux tombèrent. Un troisième, désarmé, fila se réfugier derrière une console de réfrigération.
Abrités derrière une porte-pare-feu, deux soldats impériaux mitraillaient systématiquement chaque membre du commando qui se risquait à découvert. Quatre d’entre eux tombèrent successivement en tentant de traverser la zone exposée. La situation était critique : derrière leur bouclier à l’épreuve des rayons, les deux hommes occupaient une position virtuellement imprenable.
Mais pour un Wookie, le virtuellement faisait la différence. Chewbacca se rua en avant. Empoignant la porte entre ses énormes pattes, il la délogea carrément de ses gonds et l’abattit sur les deux gardes. Ils ne bougèrent plus.
Leia atteignit le sixième soldat au moment où il visait Chewie. Se voyant seul, l’homme réfugié derrière le système de réfrigération jaillit de sa cachette pour aller chercher de l’aide. En quelques enjambées, Chewbacca l’eut rejoint. D’une simple claque, il l’assomma pour le compte. La voie était libre.
Les Rebelles se relevèrent et firent rapidement l’inventaire des pertes. Quatre blessés. Cela aurait pu être pire. Mais l’engagement avait été bruyant et il fallait faire vite avant que l’alarme générale ne soit donnée. Il n’y aurait pas de seconde chance.
La flotte rebelle jaillit de l’hyperespace, bataillon après bataillon, au milieu des scintillants traits de lumière. Elle se reforma et bientôt – le Faucon Millennium en tête – s’ébranla en direction de l’Étoile Noire et de sa lune.
Depuis la rentrée dans l’espace normal, une anomalie tracassait Lando. Il vérifia à plusieurs reprises les indications des écrans de polarité, interrogea l’ordinateur…
— Zhng ahzi gnognohzh dzhy lyzh ! annonça le copilote, perplexe.
— Mais c’est pas possible ! s’énerva Lando. On devrait au moins voir s’afficher les paramètres du bouclier.
Nien Nunb secoua la tête en désignant l’un des indicateurs du tableau de bord.
— Dzhmbd.
— Un brouillage ? Mais comment peuvent-ils nous brouiller alors qu’ils ne sont pas censés savoir que nous… arrivons.
Il adressa une grimace de rage à l’Étoile Noire. Si surprise il y avait, elle était pour eux. Ils fonçaient se jeter tout droit dans la toile de l’araignée. Le doigt du pilote vola sur le contacteur du transporteur.
— Ordre à toutes les escadrilles ! rompez ! Le bouclier est toujours en place.
— Tu es sûr ? rugit dans ses écouteurs la voix du Leader Rouge. Mes écrans sont vides.
— Rompez ! répéta Lando. À gauche toute !
Il vira violemment sur l’aile, les chasseurs de l’Aile Rouge à sa suite.
Certains ne réagirent pas assez vite. Trois chasseurs heurtèrent le bouclier invisible qui les renvoya tournoyer follement dans l’espace. Trois gerbes de flammes saluèrent l’explosion des appareils.
Sur le pont du croiseur amiral rebelle, les sirènes hurlaient, les signaux d’alarme clignotaient furieusement, tandis que l’énorme vaisseau luttait contre son inertie pour infléchir sa trajectoire avant la collision avec le déflecteur. Dans les coursives, les officiers allaient et venaient au pas de course des postes de combat à la salle de contrôle. Autour du croiseur, la formation se dispersait dans toutes les directions…
Dans le transpondeur, la voix de l’amiral Ackbar était pressante mais calme.
— À tous les appareils : dislocation immédiate ! Groupe Vert, faites route vers le secteur ZX-20. Groupe Bleu…
— Amiral ! appela fiévreusement l’un des contrôleurs calamariens. Vaisseaux ennemis dans les secteurs RT-23 et PB-4.
Ackbar leva les yeux vers le vaste écran central. La flotte impériale, en formation d’attaque, était en train d’émerger de derrière Endor, en deux vagues lancées en direction des Rebelles comme les pinces de quelque redoutable scorpion. À l’avant, le bouclier bloquait toujours l’Alliance. Ils étaient coincés.
— C’est un piège, lança désespérément Ackbar dans le transpondeur. Préparez-vous à l’attaque !
Le récepteur lui renvoya la voix d’un pilote anonyme.
— Les chasseurs arrivent ! On y va !
L’attaque se déclencha. Les chasseurs Tie – plus rapides que les croiseurs – furent les premiers à rejoindre les envahisseurs rebelles. Les duels s’engagèrent, féroces, et bientôt le ciel noir s’emplit des lueurs pourpres des explosions.
Un officier d’ordonnance s’approcha de l’amiral Ackbar.
— Nous avons renforcé le bouclier avant, Amiral.
— Bien. Doublez la puissance de la batterie principale, et…
À ce moment, un engin thermonucléaire explosa à proximité et le croiseur amiral se cabra sous l’onde de choc.
— Le Groupe Doré est durement touché, cria un autre officier en se précipitant dans le poste.
— Couvrez-le ! ordonna Ackbar. Nous devons à tout prix gagner du temps !
De nouveau, il se pencha vers le transpondeur.
— Ordre à tous les vaisseaux de rester sur les positions actuelles et d’attendre mes ordres.
Lando et ses escadrilles étaient déjà bien trop à l’avant du gros des forces pour exécuter cet ordre. Ils ne pouvaient que continuer à foncer droit à la rencontre de la flotte impériale.
Wedge, le compagnon de Luke lors de la première campagne, commandait les chasseurs X qui escortaient le Faucon.
— Voilure en position d’attaque ! ordonna sa voix calme dans l’émetteur.
Les ailes des chasseurs se replièrent en position de vol rapide.
— Toutes les escadrilles au rapport, appela Lando.
— Leader Rouge présent, répondit Wedge.
— Leader Vert présent.
— Leader Bleu présent.
— Leader Gris…
La transmission fut interrompue par une gerbe de lumière aveuglante qui désintégra complètement l’Aile Grise.
— Ils arrivent, commenta Wedge.
— Vitesse maximale, commanda Lando. Il faut détourner le feu de nos croiseurs le plus longtemps possible.
— Compris, Leader Doré, répondit Wedge. Nous dirigeons vers les coordonnées zéro virgule quatre.
— Deux appareils à une heure, lança une voix.
— Je les vois – c’était Wedge. Virez à gauche, je prends le leader.
— Fais attention à toi, Wedge. Il y en a trois au-dessus.
— Vus, je…
— Je les prends, Leader Rouge.
— Ils sont trop nombreux…
— Tu es trop exposé, vire, mais vire donc !
— Rouge Quatre, attention !
— Je suis touché !
Le chasseur X partit en vrille, ajoutant un astre éphémère au champ d’étoiles.
— Tu en as eu un, Wedge ! cria Rouge Six.
— Mon écran est négatif, où est-il ?
— Rouge Six. Une escadrille de chasseurs a réussi à s’infiltrer…
— Ils en ont après la frégate sanitaire. II faut y aller !
— D’accord, allez-y, acquiesça Lando. Moi, je continue. Il y en a quatre à zéro virgule cinq. Couvrez-moi !
— On vous colle au train, Leader Doré. Rouge Deux et Rouge Trois : coordonnées zéro virgule cinq.
— Tenez bon, là derrière.
— Resserrez la formation, Aile Bleue.
— Beau coup, Rouge Deux.
— Pas mal, apprécia Lando. Je me charge des trois autres…
Calrissian cabra le Faucon et les canons lourds se mirent à cracher leurs éclairs. Deux coups directs. Au troisième, le chasseur Tie fit une embardée qui le projeta tout droit dans un appareil de sa propre
formation. Les chasseurs Tie emplissaient littéralement le ciel mais, heureusement, le Faucon était de moitié plus rapide que tout ce qui était capable de voler.
En l’espace de quelques minutes, le champ de bataille s’était mué en une intense lueur rouge, pointillée de volutes de fumée, de bolides en flammes, de jaillissements d’étincelles et de débris tournoyants. Un spectacle lugubre et hallucinant, qui ne faisait, hélas, que commencer.
De sa voix gutturale, Nien Nunb adressa une remarque à Lando.
— Tu as raison, répondit le pilote avec un froncement de sourcils. Ils n’ont jeté dans la bataille que leurs chasseurs. Qu’est-ce que ces destroyers peuvent bien attendre ?
Une seule interprétation possible : l’Empereur gardait un atout dans sa manche !
Une seconde escadrille de chasseurs Tie passait à l’attaque et le copilote lança un avertissement pressant.
— Je les vois, répondit Lando. On peut dire qu’on est en plein dedans, maintenant.
Il jeta un rapide coup d’œil à Endor, presque provocatrice tant elle respirait la paix.
— Yan, mon vieux pote, c’est pas le moment de me laisser tomber, pria à mi-voix Lando.
Yan pressa un minuscule bouton sur l’appareil fixé à son poignet et se couvrit vivement la tête de ses bras : la porte blindée de la salle de contrôle vola en éclats et l’escouade rebelle s’engouffra dans l’ouverture béante.
À l’intérieur, les soldats impériaux n’étaient pas encore remis de leur surprise. Certains gisaient à terre, blessés au cours de l’explosion. À la vue du commando, les autres reculèrent en désordre et les Rebelles, Yan en tête, se ruèrent sur eux, arme au poing. Leia suivait juste derrière. Chewie couvrait les arrières.
Ils rassemblèrent les gardes dans un coin du bunker. Trois membres du commando furent affectés à la garde des prisonniers, trois autres à la surveillance des issues. Le reste d’entre eux commença à placer les charges explosives.
Leia s’était penchée sur les écrans de contrôle.
— Presse-toi, Yan. Regarde ! La flotte est attaquée.
Solo leva les yeux sur l’écran que lui désignait Leia.
— Par tous les trous noirs !... Avec cet écran qui fonctionne toujours, ils sont acculés le dos au mur.
— Exact, lança une voix du fond de la salle. Tout comme vous.
Yan et Leia pivotèrent pour découvrir des dizaines de fusils-blasters impériaux braqués sur eux. La paroi métallique qui constituait le fond de la pièce avait disparu, laissant le passage au bataillon entier de soldats qui s’était tenu jusque-là caché derrière. Avant d’avoir pu tenter quoi que ce fût, les Rebelles étaient cernés. Déjà, d’autres gardes chargeaient à travers les ouvertures.
Yan, Chewie et Leia échangèrent des regards désespérés. Ils avaient été la dernière chance de l’Alliance. Ils avaient échoué.
À quelque distance de la zone, le superdestroyer amiral de l’Empire avançait à vitesse réduite, protégé par une couverture d’appareils plus légers. Sur le pont, l’amiral Piett observait le déroulement des opérations à travers l’énorme hublot. Deux capitaines de la flotte se tenaient derrière lui, dans un silence respectueux ; eux aussi admiraient les résultats de la stratégie élaborée par leur Empereur.
— Que la flotte se maintienne sur ses positions, ordonna l’amiral Piett.
Le premier capitaine se précipita pour transmettre l’ordre. Le second fit un pas en avant et claqua des talons.
— N’allons-nous pas attaquer, Amiral ? demanda-t-il.
Piett produisit un sourire avantageux.
— Je tiens mes ordres de l’Empereur en personne. Il réserve une petite surprise à ces voyous de Rebelles.
Il marqua une pause pour permettre au capitaine de laisser libre cours à son imagination quant à ce que pouvait être la surprise en question.
— Nous ne sommes là que pour les empêcher de fuir, acheva-t-il.
De la salle du trône de l’Étoile Noire, l’Empereur, Dark Vador et Luke – avec des émotions diverses – regardaient aussi la bataille aérienne qui faisait rage.
C’était une scène de fin du monde. Les explosions silencieuses se succédaient, cristallines, auréolées de vert, de violet ou de magenta. Les mêlées furieuses s’achevaient en feux d’artifice d’acier en fusion et de débris torturés.
Luke vit avec horreur un quatrième chasseur de l’Alliance s’écraser sur le déflecteur et exploser dans un dévorant flamboiement, et un élancement lui poigna le cœur.
Vador observait Luke à la dérobée. Son fils était plus puissant, plus fort qu’il ne l’avait imaginé. Mais encore malléable. Il n’était perdu ni pour la face faible, anémiante de la Force – celle qui devait implorer pour recevoir – ni pour l’Empereur qui craignait à juste raison le jeune Jedi. Lui, Vador, pouvait encore espérer reprendre ce fils, se l’adjoindre et, avec lui, régenter la galaxie tout entière. Il lui faudrait pour cela user de patience et d’adresse, afin de rendre évidentes aux yeux de Luke les exquises satisfactions que pouvait procurer la face obscure et ensuite, l’arracher à l’emprise de l’Empereur.
Vador savait que Luke avait décelé la peur cachée au fond de l’Empereur. Il était perspicace, le jeune Luke, et habile. « Le fils de son père », sourit sombrement Vador.
Il fut tiré de sa contemplation muette par une remarque acide de l’Empereur, adressée à Luke.
— Comme vous pouvez le voir, mon jeune apprenti, le bouclier déflecteur est toujours en place. Vos amis ont échoué. Et maintenant…
Il leva au-dessus de sa tête son bras amaigri, tel un prestidigitateur sa baguette magique.
— … Soyez le témoin de la puissance d’une station de combat entièrement armée, acheva-t-il en rabaissant le bras.
Il marcha vers le transpondeur et dans un soupir d’assouvissement :
— Feu à volonté, Commandant.
Avant d’avoir été témoin de quoi que ce fût, Luke eut le pressentiment atroce de ce qu’il allait découvrir. Un court instant, il ferma les yeux…
Dans les entrailles de l’Étoile Noire, le commandant Jerjerrod donna un ordre. Il ne le fit pas totalement de gaieté de cœur. Car si l’exécution de cet ordre signifiait la fin de l’insurrection rebelle, elle allait avoir également pour suite la fin de l’état de guerre, un état que Jerjerrod chérissait par-dessus tout. Mais au second rang dans les passions du commandant se rangeait celle de l’annihilation totale. Aussi les regrets de Jerjerrod étaient-ils tempérés par un délicieux frisson d’excitation.
Un contrôleur abaissa une manette, éveillant sur un panneau mille clignotements de voyants. Deux gardes impériaux pressèrent une série de poussoirs et, lentement, sur la face achevée de l’Étoile Noire, un immense panneau glissa de côté tandis qu’un épais rayon de lumière commençait à s’élever vers le ciel.
Un canon géant ! Avec une horreur impuissante, Luke vit l’énorme rayon laser s’étendre paresseusement vers le lieu de la bataille. Le rayon effleura l’un des croiseurs intersidéraux de l’Alliance. À l’instant suivant, la place où s’était tenu le vaisseau était vide. Il ne restait rien du merveilleux vaisseau.
Paralysé par le désespoir, le cœur dévoré de néant, Luke sentit son regard, son regard seul, s’éveiller. Il la vit. Son épée. Abandonnée sur le trône.
Et la Force noire vint habiter l’aride désert de ce moment livide.