1

Tout autour de la petite hutte d’adobe, la tempête de sable rugissait et se lamentait, telle une bête à l’agonie qui se refuse à mourir. Par contraste, l’intérieur de la cabane n’en paraissait que plus calme, plus frais, plus ombreux.

Accroupie sur le sol, une silhouette enveloppée d’une vaste tunique s’activait à quelque mystérieuse tâche. Les deux mains brunies émergeant des manches du caftan manipulaient d’étranges outils. Sur le sol était posé une sorte de disque de métal à la surface gravée de symboles cabalistiques d’où pendait, telle la queue d’une comète, un écheveau de fils. Les mains raccordèrent les câbles à une poignée souple, tubulaire, mirent en place une pièce de raccordement, apparemment faite de matière organique, avant de sceller l’ensemble à l’aide d’un nouvel ustensile. Sa tâche achevée, l’homme fit signe à une courtaude forme sombre, immobile dans l’ombre de la hutte.

— Vrrr-dit dweet ? trilla le petit R2 en s’avançant pour s’arrêter à distance prudente de l’étrange appareil.

Puis sur un nouveau signe d’encouragement, D2-R2 se décida à couvrir les derniers décimètres avec un bip-bip rassuré et les mains se levèrent en direction du petit dôme de sa tête.

 

Le sable fin balayait avec rage les dunes de Tatooine. Le vent semblait s’élever de partout à la fois, typhon ici, bourrasque là, blizzard ailleurs, se calmant brusquement pour mieux redoubler de violence à la minute suivante.

La blessure d’une route marquait la plaine déserte, une route en perpétuel changement, disparaissant parfois sous des tourbillons de sable ocre que lavait le coup de vent suivant ; parfois brouillée tel un mirage par les brumes de chaleur. Une route éphémère, une route de cauchemar ; mais la seule à conduire au palais de Jabba le Hutt.

Contrebande, trafic d’esclaves, meurtres commandités, Jabba trempait, par hommes de main interposés, dans tout ce que la galaxie comptait de sales combines. En matière de criminalité et d’atrocités, son imagination ne connaissait pas de bornes et sa cour avait pour réputation d’être l’antre de toutes les turpitudes. On murmurait même que si Jabba avait choisi Tatooine pour lieu de résidence, c’était parce que seule l’aridité de fournaise de la planète pouvait lui éviter l’ultime décomposition.

En un mot comme en cent, même pour un droïd, ce n’était vraiment pas un endroit fréquentable et Z-6PO ne se privait pas de le faire savoir à son compagnon de route, tout en progressant en direction du palais.

— Poot-wEEt beDOO gung ooble DEEp ! trilla moqueusement D2.

— Bien sûr que je suis inquiet ! rétorqua 6PO. Et tu devrais l’être aussi. Le pauvre Lando Calrissian n’est jamais ressorti de cet endroit. Je frémis à l’idée du sort qu’ils lui ont réservé.

La carcasse métallique de 6PO aurait bien été incapable du moindre frémissement, mais l’heure n’était pas aux remarques acides et D2 se contenta de lui renvoyer un petit sifflement de sympathie.

Les deux compères achevaient de contourner une dune de sable et 6PO s’arrêta tout net au vu de la masse sombre et inhospitalière qui se dressait tout près : le palais !

D2, dont les circuits étaient parfois affectés d’une lenteur de réaction que, chez un humain, on aurait attribuée à de l’étourderie, faillit rentrer tout droit dans son ami et n’eut que le temps de glisser sur le côté.

— Regarde un peu où tu vas, protesta 6PO.

Son petit compagnon à ses côtés, le droïd-protocole se remit en marche comme à regret, aussitôt repris par ses pensées moroses.

— Je me demande pourquoi ce n’est pas Chewbacca qui a été chargé de délivrer ce message ? geignit-il. Mais non ! Chaque fois qu’il y a une mission impossible à remplir, c’est à nous qu’en échoit la charge. Personne, jamais, ne se soucie des droïds. Vraiment, je me demande parfois comment nous pouvons tolérer un tel manque de considération…

Il discourait encore lorsque son compagnon et lui atteignirent le massif vantail de fer qui interdisait l’entrée du palais – gigantesque ensemble de tours cylindriques où le fer le disputait à la pierre, émergeant telles de monstrueuses tiges de la montagne de sable.

Plantés devant l’énorme porte dont le linteau disparaissait dans le ciel, les deux droïds activèrent leurs senseurs, à la recherche d’un signe de vie ou d’un dispositif qui leur permette de signaler leur arrivée, jusqu’au moment où, constatant l’absence de quoi que ce soit qui puisse se classer dans l’une ou l’autre catégorie, Z-6PO se décida à faire appel à l’une de ses fonctions les plus sophistiquées : l’initiative. Il s’avança, frappa trois coups discrets à l’épaisse porte métallique, et se retourna aussitôt en annonçant à D2 :

— Ce lieu semble déserté. Nous n’avons plus qu’à retourner présenter notre rapport à Messire Luke.

Soudain, une petite ouverture apparut dans le panneau, d’où jaillit un bras articulé au bout duquel un gros œil électronique examina les arrivants.

— Tee chuta hhat yudd ! décréta l’œil.

Conscient de son rôle de plénipotentiaire, 6PO fit taire le léger frémissement de ses circuits et annonça fièrement :

— Hairdeu Dédeuwha ob Zed Cispéosha ey toota mischka Jabba.

L’œil prit son temps pour examiner les deux robots sous toutes leurs soudures puis se rétracta sans commentaire. La petite fenêtre se referma d’un claquement sec.

— Boo-dEEp gaNOOong, commenta sombrement D2.

6PO acquiesça de la tête.

— Je ne pense pas qu’ils vont nous laisser entrer, D2. Nous ferions mieux de partir.

Il se détournait pour mettre son projet à exécution lorsqu’un horrible grincement le figea sur place. Lentement, l’énorme porte était en train de se soulever. Immobiles, comme court-circuités, les deux droïds fixaient le trou qui béait maintenant devant eux.

De l’ombre leur parvint la curieuse voix de l’œil.

— Nudd chaa !

D’un bip décidé, D2 prit la direction des opérations et 6PO, toujours hésitant, le vit s’enfoncer dans l’obscurité.

— Attends-moi !… cria-t-il en se lançant à la poursuite de son ami.

Puis, conscient qu’il avait une dignité à préserver :

— … Tu risquerais de te perdre, ajouta-t-il.

La grande porte claqua derrière les deux robots avec un bruit à la mesure de sa taille et, avant d’avoir pu décider de la direction à prendre, les deux compères se retrouvèrent face à trois massives silhouettes porcines. Quand on connaissait la haine atavique des Gamorréens pour les robots, il n’y avait pas là de quoi rassurer le pauvre 6PO. Sans un mot, les gardes dirigèrent les deux droïds vers un couloir vaguement éclairé et l’un d’eux grogna un ordre. D2 lança à 6PO un trille nerveux qui demandait des explications.

— Tu n’as pas à savoir, rétorqua le droïd doré. Ton travail, c’est de délivrer le message de Messire Luke et de nous faire sortir d’ici au plus vite.

Une forme venait d’émerger d’un couloir perpendiculaire : Bib Fortuna, le peu ragoûtant maître des cérémonies de cette cour dégénérée. C’était une longue créature humanoïde à la vision spécialisée et dont le corps était entièrement enveloppé d’une cape. À l’arrière de son crâne frémissaient deux épais tentacules sensitifs qu’il portait généralement drapés sur les épaules, en ce qui se voulait un mouvement décoratif, ou tendus derrière lui lorsque son équilibre était menacé. Il s’arrêta devant les deux robots, lança avec un mince sourire :

— Die wanna wanga.

— Die wanna wanga, repartit 6PO de son ton officiel. Nous sommes porteurs d’un message destiné à votre maître, Jabba le Hutt…

D2 trilla un post-scriptum auquel 6PO acquiesça d’un hochement de tête.

— … ainsi que d’un cadeau, traduisit-il.

Alors seulement, ses circuits envisagèrent le sens des mots qu’il venait de prononcer, et c’est avec ce qui, pour un droïd, s’approchait le plus d’un air perplexe qu’il souffla tout haut à l’adresse de D2 :

— Un cadeau ! Quel cadeau ?

Bib secoua la tête d’abondance.

— Nee Jabba no badda, décréta-t-il d’un ton pompeux en tendant la main vers D2. Me chaade su goodie.

Le petit droïd fit un brusque écart en arrière, accompagnant sa retraite d’une véritable volée de protestations électroniques.

— Mais enfin, donne-le-lui ! insista 6PO.

À son avis, son compagnon pouvait parfois se montrer exagérément binaire !

Mais D2 restait ferme sur ses positions, enchaînant furieusement bip-bip et cliquetis, jusqu’à ce que 6PO se décide, de mauvaise grâce, à obtempérer. Le droïd-interprète adressa à Bib un sourire d’excuses.

— D’après mon compagnon, traduisit-il, les instructions de notre maître stipulent que le cadeau doit être remis à Jabba en personne.

Puis, désignant de la tête le petit R2 :

— Croyez bien que je suis désolé, ajouta-t-il d’un ton protecteur, mais j’ai peur que sur ce type de sujet, il ne se montre vraiment entêté.

Bib prit son temps pour étudier le problème, puis, son opinion arrêtée, il fit signe aux droïds de le suivre et repartit dans la direction d’où il était venu, les deux robots derrière lui, les trois brutes fermant la marche.

— D2, murmura 6PO d’un ton pénétré, cette histoire ne me dit rien qui vaille.

 

Z-6PO et D2-R2 se tenaient à l’entrée de la salle du trône et, pour la millième fois, 6PO maudit le Grand Ingénieur pour ne pas lui avoir octroyé de paupières qu’il puisse fermer.

— Nous sommes perdus, geignit-il.

Les cheminées perçant la voûte de la salle, et qui seules assuraient son éclairement, permettaient néanmoins d’apercevoir, réparti dans les diverses alcôves qui en creusaient le pourtour, tout ce que l’univers pouvait compter comme rebuts : créatures grotesques venues des systèmes les plus primitifs, abruties de boisson et baignant dans leurs vapeurs fétides, caricatures d’humains, Gamorréens, Jawas… Grognements, sifflements et rires gras s’entrecroisaient, racontant, comparant des plaisirs de brutes. Face à l’entrée, avachi sur une estrade dominant l’orgie, trônait le plus répugnant d’entre tous : Jabba le Hutt.

Jabba. Une tête énorme – trois, peut-être quatre fois celle d’un humain – et entièrement chauve. Des yeux de reptile. Une peau écailleuse recouverte d’un mucus graisseux. Une bouche dépourvue de lèvres, blessure ouverte d’une oreille à l’autre au bord de laquelle moussait une bave jaunâtre. Pas de cou mais un empilement de mentons qui se perdaient dans un corps bouffi de gavé, dépourvu de membres inférieurs et se terminant en une épaisse queue de serpent étalée sur toute la largeur de l’estrade comme un tube de pâte molle. De chaque côté du torse, deux bras ridiculement petits et terminés par des mains aux doigts gluants qui étreignaient présentement l’embout d’une pipe à eau.

À l’autre extrémité de l’estrade, aussi loin de Jabba que le lui permettait la chaîne qui lui encerclait le cou, une mignonne danseuse fortunienne promenait sur l’assistance un regard de bête traquée, balançant lentement, comme pour bercer sa peur, les deux tentacules insérés à l’arrière de sa tête et qui caressaient joliment son dos nu et musclé.

Enfin, assis tout contre le ventre de Jabba, un petit reptile simiesque récoltait au passage tout ce qui tombait de la bouche de son maître et enfournait bouchée sur goulée, sans interrompre pour autant son écœurant caquètement.

Bib Fortuna s’avança jusqu’à l’estrade, se pencha délicatement en avant et murmura quelques mots à l’oreille du monarque bavotant. Deux yeux réduits à de simples fentes se tournèrent vers les robots immobiles dans l’entrée, et un rire de dément secoua les plis graisseux de Jabba, dégénérant progressivement en une énorme quinte de toux.

— Bo shuda, éructa enfin le maître des lieux qui, s’il comprenait plusieurs langues, se faisait généralement un point d’honneur de ne parler que le hutt.

Leurs délicats circuits frémissant de répulsion, les deux droïds s’avancèrent jusqu’au pied de l’estrade.

— Le message, D2, le message, souffla 6PO d’un ton pressant.

Avec un sifflement d’acquiescement, le petit R2 produisit un pinceau lumineux, créant l’hologramme de Luke Skywalker. L’image grandit, grandit… Au moment où un guerrier Jedi de trois mètres se tint debout, dominant l’assistance, un grand silence se fit dans la salle.

— Mes hommages, Votre Grandeur, déclara l’hologramme. Permettez-moi de me présenter : Luke Skywalker, chevalier Jedi et ami du capitaine Solo. Je demande audience à Votre Grandeur afin de discuter le rachat de la vie de mon ami.

Un énorme éclat de rire secoua l’assistance, que Jabba fit taire instantanément d’un geste de la main.

— Je sais combien vous êtes puissant, reprit l’image de Luke. Et je sais que votre colère contre Solo est à la dimension de cette puissance. Mais je suis certain que nous parviendrons à conclure un accord qui soit profitable pour les deux parties. Et comme gage de ma bonne foi, je vous prie d’accepter en présent ces deux droïds.

6PO fit un bond en arrière, comme piqué par un aiguillon électrique.

— Quoi ! Qu’est-ce qu’il a dit ?

— … tous deux sont hautement sophistiqués, poursuivit Luke, et ils vous seront d’une grande utilité.

Sur quoi l’hologramme disparut. 6PO secoua la tête à plusieurs reprises, comme pour en chasser ce qu’il venait d’entendre.

— Oh ! non, soupira-t-il, c’est impossible, impossible ! Tu as dû délivrer le mauvais message, D2.

Jabba éclata de rire, ce qui déclencha l’éruption d’un nouveau torrent de bave.

— Un marché plutôt que la guerre ! s’écria Bib en hutt. Voilà qui n’est pas d’un Jedi.

Jabba acquiesça de la tête, puis à 6PO :

— Il n’y aura pas de marché, graillonna-t-il. Je ne vous lâcherai pas mon ornementation préférée. Pour moi le capitaine Solo est bien là où il est.

Toujours secoué par une sinistre gaieté, il avait tourné la tête vers l’alcôve faiblement éclairée qui flanquait le trône. En suivant son regard, les deux droïds découvrirent, suspendue au mur, la silhouette congelée de Yan Solo. Seuls le visage et les mains émergeaient de la gangue de glace, donnant au malheureux Solo l’apparence d’une statue encore à l’état d’ébauche.

 

Poussés sans ménagements par un garde, les deux droïds suivaient un passage aussi sombre que l’était leur humeur. Même 6PO se taisait. Des cellules qui tapissaient les murs émanaient d’innombrables cris de souffrance qui résonnaient, lugubres, tout au long de ces catacombes. Parfois, une main ou un tentacule se tendait entre les barreaux d’une porte pour tenter de saisir l’un des infortunés robots.

À une question trillée de D2, 6PO secoua tristement la tête.

— Mais qu’est-ce qui a pu passer dans la tête de Messire Luke ? soupira-t-il, misérable. Serait-ce une faute que j’aurais commise ? Il ne s’était pourtant jamais plaint, jusqu’ici, de mon travail…

Ils avaient atteint l’extrémité du couloir. Une porte s’ouvrit automatiquement et, d’une poussée bien sentie, nos deux amis se retrouvèrent projetés à l’intérieur. Dès l’entrée, leurs systèmes auditifs furent assaillis par une assourdissante cacophonie mécanique – grincements d’engrenages, claquements de pistons, ronflements de moteurs – tandis qu’un brouillard de vapeur réduisait notablement la visibilité. De deux choses l’une, évalua 6PO : ou cet endroit était la salle des machines, ou on venait de les jeter dans un enfer programmé.

Un hurlement électronique – le cri d’agonie d’un droïd – attira son attention vers l’un des coins de la salle. Émergeant du brouillard, un robot humanoïde de la catégorie des EV-9D9 s’avançait en direction des arrivants et, à en juger par la scène qui se déroulait en arrière-fond, une 9D9 aux appétits on ne pouvait plus humains ; malgré la mauvaise visibilité, 6PO distinguait un droïd, attaché à un chevalet de torture et dont on était en train d’arracher les jambes, tandis qu’une autre équipe de tourmenteurs appliquait des fers rougis sur les pieds d’un second malheureux suspendu la tête en bas. Ce dernier poussa un ultime hurlement puis se tut, les circuits sensoriels de sa peau métallique définitivement hors d’usage.

6PO se tassa sous l’impact du cri, tandis que, en manière de sympathie, ses propres bobinages frémissaient d’électricité statique.

9D9 s’arrêta devant 6PO et, levant ses bras terminés par des pinces :

— Ah ! de nouvelles acquisitions, s’écria-t-elle avec emphase. Je suis EV-9D9, responsable en chef des opérations de cyborgs. Vous êtes un robot-protocole, si je ne me trompe.

— Je suis Z-6PO, cyborg hautement spécialisé et…

— Contentez-vous de répondre par oui ou par non, coupa 9D9, glaciale.

« Encore un de ces robots qui ont toujours besoin de prouver qu’ils sont plus droïds que vous », soupira intérieurement 6PO, avant de répondre à haute voix :

— Euh… oui.

— Combien de langues parlez-vous ?

« Si tu veux jouer à ce petit jeu, ma vieille, on sera

deux. »

6PO fit appel à son programme d’introduction le plus protocolaire pour débiter d’un ton digne et officiel :

— Je manipule couramment plus de six millions de formes de communication, et suis apte, éventuellement…

— Magnifique ! Nous sommes privés d’interprète depuis que notre dernier droïd-protocole a attiré sur lui la colère du maître et a été désintégré.

— Désintégré ! croassa 6PO, toutes ses résolutions protocolaires envolées.

Mais déjà 9D9 ne l’écoutait plus. Se tournant vers un garde qui venait d’entrer :

— Celui-là va nous être très utile, décréta-t-elle. Appliquez-lui un verrou limitateur et ramenez-le dans la salle d’audience.

Le garde poussa un grognement d’acquiescement et s’avança lourdement vers 6PO.

— D2, ne me laisse pas ! appela le droïd, tandis que le Gamorréen l’empoignait brutalement et lui faisait franchir la porte.

À la seconde suivante, il avait disparu.

D2 laissa échapper un couinement plaintif, puis, se tournant vers 9D9, lui décocha une véritable tirade de trilles protestataires.

— Une forte tête, à ce que je vois, s’écria en riant 9D9. Mon petit bonhomme, je crois que tu vas bientôt apprendre le respect. Je vais t’affecter à la barge du maître. Il se trouve que plusieurs de nos astrodroïds nous ont été volés ces temps-ci – pour les pièces détachées, j’imagine. Tu feras très bien l’affaire.

Le droïd installé sur le chevalet de torture émit une brève plainte à haute fréquence, ses fils mis à nu lancèrent une dernière gerbe d’étincelles… Il se tut.

 

Dans la salle d’audience, l’orgie battait son plein. Oola, la ravissante créature enchaînée à Jabba, dansait au centre de la pièce, sous les acclamations et les remarques grossières de l’assistance. À l’arrière de l’estrade, 6PO essayait de se faire tout petit, tous ses sens en alerte afin d’éviter à temps le fruit lancé dans sa direction ou le corps projeté entre ses jambes. Il avait bien conscience du peu de dignité de sa position mais, après tout, que pouvait un droïd-protocole dans un endroit aussi peu protocolaire ?

Du nuage de fumée qui entourait Jabba, une main émergea paresseusement, faisant signe à Oola d’approcher. La jeune Fortunienne interrompit instantanément sa danse et un voile de peur passa dans son regard tandis qu’elle reculait en secouant nerveusement la tête. Elle avait manifestement déjà eu à subir des invitations de ce type !

— Da eitha ! gronda Jabba en désignant sur l’estrade un point proche de lui.

Oola secoua à nouveau la tête, le visage figé en un masque de terreur.

— Na chuba negatorie. Na ! Na ! Natoota…

Jabba devint livide. Lâchant la chaîne qui retenait la danseuse, il pressa un bouton. Avant que la jeune Fortunienne ait pu amorcer le moindre mouvement de retraite, le sol se déroba sous ses pieds et elle disparut dans l’ouverture. Quelques secondes de silence suivirent la fermeture de la trappe, puis un rugissement puissant de fauve s’éleva de la fosse, provoquant la ruée d’une dizaine de courtisans vers la grille aménagée dans le sol et d’où ils pourraient observer tout à loisir la mise à mort de la jeune danseuse.

6PO se tassa un peu plus, quêtant du regard un soutien dans le bas-relief qui avait été Yan Solo. Et voilà à quoi menait une absence totale de sens du protocole ! se dit-il sombrement.

Sa rêverie philosophique fut interrompue par un soudain tumulte. Il leva les yeux et vit avancer Bib Fortuna, suivi de deux gardes entourant une silhouette drapée dans la tenue chère aux chasseurs de primes – longue cape et casque –, sa prise tenue en laisse. Chewbacca, le Wookie !

— Oh, non ! gémit 6PO dont l’horizon s’assombrissait de minute en minute.

Bib murmura à l’oreille de Jabba quelques mots qui parurent retenir toute l’attention du despote. Le chasseur de primes attendait, immobile, la fin de l’entretien. C’était un humanoïde de petite taille, mince, mais dont n’émanait aucune impression de fragilité, peut-être du fait de la cartouchière qui lui barrait le torse ou de son regard qui, seul visible derrière la fente du casque, paraissait capable de percer les murailles.

Les yeux de Jabba se tournèrent vers l’arrivant qui s’inclina profondément avant de déclarer :

— Mes hommages à vous, puissant Jabba. Mon nom est Boushh.

Il s’était exprimé en ubain, une langue métallique adaptée à l’atmosphère raréfiée qui baignait la planète originelle de cette espèce nomade. Dérogeant à son sacro-saint principe, Jabba fit une tentative pour répondre dans la même langue.

— On l’a eu enfin, le puissant Chewbacca…

Il buta sur le mot suivant puis, avec un grand rire, parut se rappeler qu’il avait désormais un interprète.

— Où est mon nouveau traducteur ? lança-t-il en faisant signe à 6PO d’avancer. Allons ! Souhaite la bienvenue à mon visiteur et demande-lui quel prix il veut du Wookie.

Plus mort que vif, 6PO s’avança et s’exécuta. Tout en l’écoutant, le chasseur de primes jetait autour de lui de rapides coups d’œil, notant au passage les issues possibles, les otages de valeur, les points vulnérables de la forteresse, repérant tout particulièrement dans un coin de la salle Boba Fett, le mercenaire masqué d’acier responsable de la capture de Yan Solo.

L’examen n’avait duré qu’une fraction de seconde et c’est d’un ton égal que le chasseur de primes répondit :

— Je ne traiterai pas à moins de cinquante mille.

6PO traduisit la réponse à Jabba qui entra instantanément dans une rage folle et, d’un coup de sa large queue, expédia le droïd doré à bas de l’estrade. Le malheureux 6PO se retrouva à quatre pattes, en train de fouiller désespérément ses banques de données à la recherche de l’étiquette à respecter en pareil cas.

Jabba poursuivait sa furieuse harangue et 6PO, qui était en train de se redresser, vit Boushh déplacer légèrement son arme comme pour pouvoir l’atteindre plus facilement. Avec un soupir, le droïd se hissa à nouveau sur le trône, se recomposa une attitude et traduisit la quintessence des paroles de Jabba :

— Il n’ira pas au-delà de vingt-cinq milles…

Sur un signe de Jabba, deux gardes s’avancèrent pour empoigner Chewbacca tandis que deux Jawas couvraient Boushh de leur arme et que Boba Fett lui-même levait son éclateur.

— Vingt-cinq mille, plus sa vie, rectifia Jabba.

6PO traduisit fidèlement au milieu d’un silence de

mort. Le chasseur de primes ne parut pas le moins du monde impressionné. D’une voix calme, parfaitement dominée, il s’adressa à 6PO.

— Tu vas dire à cette outre gonflée de pourriture qu’il va devoir faire mieux que ça s’il ne veut pas qu’on aille ramasser ses entrailles puantes dans toutes les fentes de ces murs. J’ai en ce moment même la main posée sur un détonateur thermique.

Alors seulement 6PO découvrit la petite boule argentée à demi masquée par la main gauche du mercenaire. L’objet émettait un calme bourdonnement, lourd de menaces. Le droïd regarda alternativement Jabba, puis Boushh.

— Alors ? Qu’est-ce qu’il a dit ? jappa le maître des lieux.

6PO s’éclaircit la gorge.

— Votre Grandeur, il… euh… il…

— Tu le craches, oui ? rugit Jabba.

6PO recommanda ses circuits au Grand Ingénieur, et dans son hutt des grands jours :

— Boushh, lança-t-il, se déclare très respectueusement en désaccord avec Votre Très Haute Altesse et lui demande de reconsidérer sa proposition… Dans le cas contraire, il libérerait le détonateur thermique qu’il tient en main.

Un murmure nerveux passa sur la salle et tous reculèrent d’un pas, les yeux rivés sur la petite boule qui commençait à rougeoyer. Une pleine seconde, le temps parut suspendre son cours. Jabba fixait le chasseur de primes, comme s’il avait pu ainsi le foudroyer sur place. Puis, lentement, une grimace de satisfaction étira sa bouche écumeuse et du tréfonds bilieux de son ventre un rire s’éleva qui vint crever à la surface comme une bulle de gaz sur une fondrière.

— Voilà une canaille comme je les aime. Intrépides et inventifs. Tradroïd, fais-lui savoir que je lui offre trente-cinq mille galacs, pas un de plus. Et qu’il a intérêt à ne pas trop tirer sur la corde.

Un vent de soulagement passa sur l’assistance, mais les armes restaient prêtes dans l’attente de la réaction du mercenaire. Boushh écouta la traduction de 6PO, puis, avec un hochement de tête :

— Zeebuss, acquiesça-t-il en relâchant un poussoir sur la boule.

Aussitôt, l’arme reprit sa couleur argentée.

— Il est d’accord, traduisit 6PO.

Une salve de hourras salua cette heureuse conclusion et une lueur de soulagement traversa les yeux de Jabba.

— Mon ami, annonça-t-il, je t’invite à te joindre à notre fête. Nous causerons affaires plus tard. J’aurai probablement un travail à te confier.

Sur quoi chacun retourna à ses occupations et le chasseur de primes se fondit dans la foule, tandis que Chewbacca était emmené par deux gardes. Il aurait pu sans peine les empoigner et leur faire éclater la tête comme une coquille de noix – pour les punir d’être aussi laids ou simplement leur montrer ce qu’était un Wookie – mais, étrangement, il n’amorça pas le moindre geste de résistance. Pas plus qu’il n’adressa le moindre signe de reconnaissance à la silhouette familière qui se tenait près de la porte, le visage à demi caché par le masque en défenses de sanglier des marais qui composait en partie l’uniforme de la flottille des Sables. Lando Calrissian !

Depuis plusieurs mois, Lando avait réussi à s’infiltrer dans ce nid de vermine afin d’étudier les possibilités de délivrer Yan Solo. Plusieurs raisons avaient motivé sa démarche.

La première, c’est qu’il se sentait – à juste titre – responsable de la fâcheuse posture où se trouvait Yan et voulait réparer, dans la mesure, évidemment, où lui-même n’y laisserait pas de plumes. Or, se fondre parmi ces pirates ne présentait pour lui aucune difficulté et vivre sous une fausse identité lui était presque une seconde nature.

La seconde raison qui l’avait poussé à agir, c’est qu’il voulait apporter sa contribution à l’entreprise des amis de Yan et rejoindre l’Alliance Rebelle. L’Alliance s’efforçait d’anéantir l’Empire et, en la matière, les intérêts de Calrissian coïncidaient avec ceux des rebelles : en le dépossédant virtuellement de son exploitation, l’Empire lui avait marché sur les pieds une fois de trop !

Calrissian avait une troisième raison de s’engager. La princesse Leia lui avait demandé son concours et Lando n’était pas homme à se dérober lorsqu’une princesse appelait à l’aide. Et puis, qui sait ? Peut-être un jour chercherait-elle un moyen de le remercier ?…

Enfin, la justification ultime, c’est que Lando aurait parié n’importe quoi que Yan Solo ne pouvait pas être sauvé. Et Lando était tout bonnement incapable de résister à un pari.

Il passait donc ses journées à observer tout ce qui se passait. À observer et à calculer. Il avait assisté à l’arrivée du chasseur de primes, vu emmener Chewbacca… Il recula dans l’ombre et disparut dans un des couloirs de la forteresse.

Dans la salle, l’orchestre entamait une musique endiablée, conduit par un Arcénien reconnaissable à sa peau bleue et à ses énormes oreilles en chou-fleur. Les danseuses envahirent la piste, accueillies par les quolibets des courtisans déjà repris par leur beuverie.

Adossé à une colonne, Boushh surveillait la scène de son regard froid qui passait alternativement des danseuses aux fumeurs, aux buveurs et aux joueurs… Jusqu’à s’arrêter net, comme bloqué par un autre regard, également glacial, fixé sur lui. De l’autre côté de la salle, Boba Fett ne le quittait pas des yeux.

Boushh se déplaça légèrement, son arme serrée dans ses bras comme un enfant que l’on berce. Boba Fett n’avait pas bougé. Invisibles derrière le masque, ses lèvres s’étiraient en une grimace arrogante.

 

À son tour, Chewbacca était en train de faire connaissance avec le donjon et ses interminables couloirs baignés d’ombre. À un moment donné, un imprudent tentacule s’aventura à travers une grille, mais d’un grondement bien senti le Wookie fit comprendre au prisonnier qu’il n’était vraiment pas d’humeur à plaisanter.

La porte suivante était ouverte. Avant que Chewbacca ait eu le temps de réaliser, les gardes l’avaient poussé à l’intérieur de la cellule et la porte s’était refermée. Il était seul, dans le noir total.

Alors le prisonnier leva la tête et, à travers la montagne de fer et de sable, il adressa à l’espace un long et plaintif reproche.

 

La salle du trône était emplie de silence et d’ombre. Le sol était maculé de sang, de vin, de salive ; des lambeaux de vêtements pendaient un peu partout et des corps inconscients gisaient sous les pièces de mobilier détruites. La fête était terminée.

Une silhouette progressait en silence, rasant les murs, s’arrêtant derrière une colonne ici, une statue là, enjambant parfois un corps inconscient d’où s’élevait un ronflement… C’était Boushh, le chasseur de primes.

Il atteignit l’alcôve au mur de laquelle pendait le bloc qui avait été Yan Solo, jeta autour de lui un regard furtif puis, rapidement, enfonça un bouton visible sur la paroi. Le bourdonnement d’un champ de force se tut et, lentement, le monolithe s’abaissa jusqu’au sol.

Boushh s’avança, étudia le visage gelé du pirate de l’espace, passa doucement une main sur la joue glacée comme sur une pierre rare et précieuse. Le mercenaire prit encore quelques secondes pour étudier les commandes figurant sur le côté du coffre avant d’enfoncer une série de poussoirs. Une hésitation, un dernier regard à la silhouette figée… Boushh abaissa le levier de décongélation. Instantanément, le coffre commença à émettre un sifflement strident et Boushh jeta autour de lui un rapide coup d’œil. Rien ne bougeait dans la salle désertée. Lorsqu’il retourna la tête, la gangue qui enserrait Solo avait commencé à fondre. D’abord les traits de son visage se détendirent, puis ses mains, depuis si longtemps figées en une protestation glacée, retombèrent à ses côtés ; enfin le corps parut se tasser sur lui-même. Avant qu’il ait basculé en avant, Boushh le retint, l’allongea avec douceur sur le sol avant d’incliner son impénétrable masque au-dessus des lèvres closes, à la recherche d’un signe de vie. Rien. Pas un souffle.

Brusquement, d’un mouvement mécanique de jouet, les yeux de Yan s’ouvrirent tout grands et une quinte de toux secoua la poitrine du ressuscité.

— Chut ! intima Boushh. Du calme.

Les paupières de Yan se plissèrent, cherchant à identifier l’ombre vague penchée sur lui.

— Qu’est-ce qui se passe ?… Je n’y vois rien du tout.

Il se sentait totalement désorienté. Six des mois de ce

désert qu’il venait de passer en animation suspendue. Et pour lui, une éternité ! Passée à tenter en vain de respirer, de bouger, de crier. Passée à étouffer et à avoir conscience d’étouffer. Et voilà que, soudainement, il se retrouvait au fond d’un insondable puits de nuit.

Si l’univers extérieur lui demeurait opaque, des milliers d’autres sensations se ruaient à l’assaut de son corps. L’air lui lacérait la peau de ses dents de feu ; les vents rugissaient à ses oreilles en ouragans déchaînés ; des myriades d’odeurs envahissaient ses narines, jusqu’à la nausée ; chaque muscle, chaque os se rappelait douloureusement à lui.

Puis vinrent les visions. Visions de son enfance, de son dernier repas, de ses expéditions… comme si toutes les images, tous les souvenirs de sa vie s’étaient trouvés enfermés dans un ballon et que le ballon ait soudain explosé, projetant pêle-mêle son contenu. Et c’étaient trop de sensations, trop de souvenirs à la fois. Dans les minutes qui suivaient la décarbonisation, on avait vu des hommes perdre la raison, devenir désespérément, irrémédiablement fous de ne pouvoir réorganiser en un ordre cohérent et sélectif les milliards et milliards d’images qui traversent une vie humaine.

Solo, lui, avait la tête solide. Opposant son instinct de conservation au raz de marée d’impressions qui menaçait de le submerger, il relégua le trop-plein à l’arrière-plan, ne laissant monter à la surface de sa conscience que les épaves du passé récent : la trahison de Lando Calrissian, de celui qu’il avait considéré comme son ami ; son vaisseau endommagé ; sa dernière vision de Leia ; sa capture par Boba Fett, le chasseur de primes au masque d’acier qui…

Mais où se trouvait-il maintenant ? Que s’était-il passé ? La dernière image qu’il gardait en mémoire était celle de Boba Fett en train de le regarder se transformer en glaçon géant. Était-ce encore lui qui se trouvait là, venu le soumettre à quelque nouveau tourment de sa composition ?… Ah ! si seulement il pouvait voir qui était là…

Les deux mains de Yan se levèrent devant son visage, battant l’air à tâtons pour essayer d’empoigner ce qu’il ne pouvait voir.

— Vous êtes délivré de la carbonite, tenta de le rassurer Boushh. Pour le moment vous souffrez du mal de l’hibernation mais bientôt, vous recouvrerez la vue. Venez, maintenant. Nous devons nous dépêcher de quitter cet endroit.

Se guidant au son de la voix, Yan empoigna le chasseur de primes, explora la surface rugueuse du casque puis, se rejetant en arrière :

— Je ne vais nulle part, déclara-t-il. Et d’ailleurs, je ne sais même pas où je suis…

Il sentait son cœur pomper furieusement le sang, la sueur ruisseler le long de son corps. Il avait chaud ; il avait froid. Et son esprit était assoiffé de réponses.

— Et d’abord, qui êtes-vous ? demanda-t-il d’un ton chargé de soupçons.

Après tout, ce pouvait bel et bien être Boba Fett.

D’un geste vif, le chasseur de primes arracha son masque, révélant l’aimable visage de la princesse Leia.

— Quelqu’un qui vous aime, murmura Leia.

Entre ses mains encore gantées, elle saisit tendrement le visage de Yan et ses lèvres s’unirent longuement à celles du rescapé.