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Yan avait beau lutter, ses yeux lui refusaient tout service.

— Leia, appela-t-il. Où sommes-nous ?

— Dans le palais de Jabba. Et il faut que je vous sorte de là au plus vite.

Avec des gestes gauches de convalescent, Yan parvint à s’asseoir.

— Pour l’instant, grogna-t-il, je suis complètement dans le brouillard. Je ne vais pas être utile à grand-chose.

Le regard de Leia s’attarda sur celui pour lequel elle avait franchi des années-lumière, risqué sa vie, gaspillé un temps précieux qui allait probablement faire défaut à la Rébellion, un temps qu’elle n’avait pas vraiment les moyens de gaspiller à des fins ou des désirs personnels… Elle l’avait pourtant fait. Parce qu’elle l’aimait.

Les larmes emplirent les yeux de la princesse.

— On y arrivera, murmura-t-elle.

D’un élan, elle le serra dans ses bras, l’embrassa avec fièvre et, à son tour, Yan se sentit submergé par un flot d’émotion. C’est à peine s’il parvenait à croire à sa chance : sa princesse l’avait arraché aux dents de la mort et elle était là, dans ses bras. Incapable de bouger ou même de parler, il l’écrasait contre lui, ses paupières serrées sur ses yeux aveugles, barrière opposée aux réalités sordides qui viendraient les assaillir bien assez tôt.

Et plus tôt encore qu’ils ne le pensaient. Ils étaient toujours perdus dans l’heureuse insouciance de leurs retrouvailles lorsqu’un chuintement inquiétant leur fit lever la tête. En vain Yan écarquilla-t-il les yeux mais

Leia, elle, ne voyait que trop bien le piège dans lequel ils étaient tombés. Le rideau fermant le fond de l’alcôve s’était escamoté, révélant, agglutinés du sol au plafond, les plus répugnants échantillons de la cour de Jabba. Et tout ce beau monde béait, bavotait et ricanait à l’envi.

La main de la princesse se porta à sa bouche, retenant un cri.

— Qu’est-ce que c’est ? s’énerva Yan, toujours isolé dans sa nuit.

Du côté opposé de l’alcôve s’éleva un caquètement obscène. Un caquètement de Hutt.

— Je connais ce rire, soupira Yan en refermant les paupières sur l’irrémédiable.

Les tentures séparant le renfoncement de l’estrade s’ouvrirent à leur tour, et le doute ne fut plus permis. Ils étaient tous là : Jabba, Ishi Tib, Bib, Boba ; plus quelques gardes. Et ils riaient, riaient comme si jamais ils n’allaient s’arrêter de rire.

— Quel touchant tableau ! pouffa Jabba. Mon cher Yan, si ta chance ne s’est pas améliorée, on peut au moins dire que tu as fait des progrès dans le choix de tes compagnons.

Même aveugle, Yan savait encore ce que marchander veut dire.

— Écoutez, Jabba, tenta-t-il. J’étais justement venu pour vous rembourser. J’ai eu un petit contretemps. C’est pas ma faute.

— il est trop tard, Solo. Tu as peut-être été un bon contrebandier, mais maintenant tu es de la chair à bantha.

Jabba partit d’un rire terrifiant.

Leia bouillait intérieurement. Se trouver retenue de force sur ce misérable caillou et par ce résidu de bas-fonds qui se prenait pour le maître du monde, alors que toute la galaxie était en guerre, c’était plus qu’elle n’en pouvait supporter. Mais une princesse sait tenir son rang en toute circonstance et ce fut d’une voix calme et glacée qu’elle laissa tomber :

— Nos amis sont puissants, Jabba. J’ai peur que vous n’ayez très vite à regretter…

— Bien sûr, bien sûr… – Le vieux brigand paraissait littéralement aux anges. Mais en attendant, j’aurai l’ineffable plaisir de profiter de votre toute gracieuse compagnie.

Il l’attira goulûment à lui, et, en une fraction de seconde, Leia passa en revue mille et une façons de l’occire. Leurs deux visages ne se trouvaient qu’à quelques centimètres de distance et le cœur lui montait aux lèvres de devoir supporter le contact de sa peau huileuse, mais elle tint bon à la pensée qu’elle risquait de se faire écharper par la vermine composant cette cour avant d’avoir pu fuir avec Yan. Tôt ou tard, son heure viendrait. Pour l’instant, l’essentiel était de rester en vie. Elle ravala sa fierté avec son haut-le-cœur, ne s’appliqua plus qu’à éviter du mieux possible le contact avec ce pot de graisse.

En prenant tout son temps, Jabba exhiba une langue épaisse et plaqua un baiser baveux sur les lèvres de la princesse.

C’est le moment que choisit 6PO, qui, depuis le début de la scène, se faisait tout petit derrière le trône, pour risquer un coup d’œil :

— Oh, non ! gémit-il. Je ne peux pas voir ça.

Et il se dépêcha de se détourner avant que ses circuits ne soient définitivement endommagés par un aussi monstrueux spectacle.

 

Yan avait été poussé sans ménagements dans une cellule. Il avait entendu la porte claquer, les pas s’éloigner, puis plus rien. La nuit intégrale. À tâtons, il trouva l’un des murs, s’y adossa et, laissant exploser sa rage, se mit à frapper furieusement le sol de ses poings nus. De longues minutes plus tard, lorsque ses mains blessées lui refusèrent tout service, il se calma, tenta d’organiser ses idées.

D’accord, il était momentanément aveugle, mais s’énerver n’arrangerait pas les choses. C’était aussi inutile que d’espérer de la rosée sur un météorite. Il fallait pourtant qu’il trouve le moyen de sauver Leia. Et dire qu’elle avait risqué sa vie pour lui. Où était-elle, maintenant ?…

À la pensée du sort qui devait être réservé à la princesse, Yan sentit son estomac lui remonter dans la gorge, mais il parvint à se dominer et pour chasser les images qui se bousculaient dans sa tête, il entreprit de sonder du poing la paroi. Du roc !

Que faire ? Essayer de passer un marché ? Mais quelle monnaie d’échange avait-il à offrir ?… « Belle gageure, pour un pirate, soupira-t-il, d’essayer de vendre la peau du bantha avant de l’avoir volée ! »

Que pourrait-il bien offrir à Jabba ? De l’argent ? Ce poussah n’arrivait même plus à compter celui qu’il possédait. Des distractions inédites ? Le malheur, c’est que rien ne distrairait plus Jabba que de soumettre la princesse à ses désirs bestiaux et de le tuer lui… Non, décidément, les choses allaient mal, très mal. À bien y réfléchir, la situation n’aurait pas pu être pire.

Yan en était là de ses réflexions lorsqu’il entendit le grondement. Un grondement profond, formidable, qui fit exploser la nuit épaisse de la cellule et se dresser les cheveux du Corellien. En un éclair, il fut debout, le dos toujours collé à la muraille.

— On dirait que j’ai de la visite, murmura-t-il.

La créature laissa échapper un véritable rugissement et à la seconde suivante, Yan se retrouva empoigné à bras-le-corps. Il pouvait à peine respirer. Suffisamment tout de même pour reconnaître, outre le contact d’un long pelage, une odeur délicieusement familière.

— C’est toi, Chewie ? parvint-il à articuler.

Un barrissement ravi lui apporta la réponse attendue et, pour la seconde fois en une heure, Yan se sentit submergé de joie.

— Mais attends, lança-t-il. Je ne vois rien, mon vieux. Tu vas peut-être pouvoir m’expliquer ce qui se passe ici.

Ses réflexions défaitistes étaient déjà oubliées. Maintenant, il n’était plus seul. Une chance incroyable lui avait fait retrouver quelqu’un avec qui dresser des plans. Et non seulement quelqu’un, mais l’ami le plus loyal qui se puisse trouver dans la galaxie.

D’une série de grognements modulés, Chewbacca lui apprit ce qu’il voulait savoir.

— Un plan de Lando ? Mais qu’est-ce qu’il vient fiche ici celui-là ?

Nouvelle série de grognements.

— Luke ? Mais Luke est cinglé. Il n’est pas capable de s’occuper de lui. Alors comment veux-tu qu’il sauve quelqu’un ?

— Rowr Ahrgh awf aharowww rowh rohngr grff, expliqua le Wookie.

— Un chevalier Jedi ? Oh mais, il suffit que je m’absente un moment pour qu’ils aient tous la folie des grandeurs !

Mais Chewbacca ne voulait pas en démordre.

— Ça va, ça va, céda Yan avec un hochement de tête dubitatif. En tout cas, je le croirai quand je le verrai…

À cet instant, sa tête fit durement connaissance avec le mur.

— … si je peux me permettre l’expression, soupira-t-il.

 

Avec des craquements et des grincements qui réclamaient d’autres lubrifiants que le sable et le temps, le portail de fer du palais se souleva sur une silhouette immobile dans la tourmente. Luke Skywalker.

Il était revêtu de la tunique des chevaliers Jedi – une sorte d’ample soutane noire – mais ne portait ni éclateur ni sabrolaser. Aucune bravade dans son attitude : il scrutait l’ombre, prenait la mesure des lieux avant d’y pénétrer. Les événements récents avaient fait de lui un homme, mûri moins par les ans que par la perte de ses illusions d’enfance, la perte de l’absolu. La perte de ses amis, tombés à la guerre. La perte du sommeil, tribut payé aux angoisses des choix à opérer. La perte du rire. La perte de sa main.

Et par-dessus tout, la perte de l’inconscience. Désormais, il savait, et jamais plus il ne pourrait nier cette connaissance qui pesait sur lui.

Une connaissance lourde à porter, mais aussi bénéfique. Elle l’avait rendu moins impulsif, lui avait donné des repères, des valeurs pour lesquelles lutter, la possibilité de choisir véritablement son avenir. Avant son entraînement avec Yoda, il n’était qu’un gamin au talent précoce, maintenant, il espérait bien se montrer digne d’un chevalier Jedi. Il avait désormais son rôle à jouer dans la grande entreprise de l’Alliance – arracher la galaxie aux serres de l’Empire – et il était prêt à le jouer pleinement. Quel que soit le prix à payer.

En attendant, c’était Yan qu’il fallait arracher des mains de Jabba. Luke acheva calmement son examen puis, d’un pas résolu, s’engagea sous la voûte envahie d’ombre.

Presque instantanément, deux Gamorréens s’avancèrent, lui barrant le passage.

— No chuba ! intima l’un d’eux, sur un ton qui n’invitait pas à la réplique.

Sans un mot, Luke pointa la main en direction des gardes qui, avant même que d’avoir pu saisir leur arme, se retrouvèrent en train de suffoquer, les mains agrippées à leur gorge pour tenter de la dégager de l’étau qui l’enserrait. Tous deux tombèrent à genoux.

Luke abaissa la main et poursuivit sa route, laissant les deux gardes délivrés s’effondrer mollement sur les marches ensablées sans demander leur reste.

Au tournant suivant, ce fut Bib Fortuna qui se manifesta. Le maître de cérémonie marcha à la rencontre du jeune Jedi en débitant mécaniquement un discours auquel Luke ne prêta pas la moindre attention. Voyant que l’arrivant le dépassait sans ralentir l’allure, Bib fit précipitamment demi-tour et se lança à sa poursuite.

— Vous devez être le dénommé Skywalker, lâcha-t-il, toujours trottinant. Ce n’est pas la peine d’insister, Son Excellence ne vous recevra pas.

— Je vais sur-le-champ m’entretenir avec Jabba, répondit tranquillement Luke, sans ralentir un seul instant.

Ils venaient de dépasser une seconde intersection et le groupe des gardes postés là leur emboîta le pas.

— Le Grand Jabba se repose, expliqua Bib. Et j’ai reçu pour instructions de vous faire savoir qu’il n’y aura pas de marché.

Luke s’immobilisa brusquement et tourna la tête vers Bib. Son regard accrocha celui du majordome et l’emprisonna le temps d’un éclair, tandis que sa main effectuait un mouvement à peine perceptible.

— Tu vas me conduire tout de suite auprès de Jabba, affirma-t-il.

Bib inclina légèrement la tête, comme à l’écoute d’une voix intérieure. Subitement, il n’était plus très sûr des instructions reçues. Ah ! mais si. Il se les rappelait parfaitement, maintenant.

— Je vous conduis tout de suite auprès de Jabba, acquiesça-t-il.

Sur quoi, Luke à ses côtés, il se remit en route à travers le dédale de couloirs crépusculaire conduisant à la salle du trône. Luke se pencha à l’oreille du majordome.

— Tu sers bien ton maître, souffla-t-il.

— Je sers bien mon maître, répéta Bib avec conviction.

— Tu es certain d’être récompensé, poursuivit Luke.

Bib produisit un sourire avantageux.

— Je suis certain d’être récompensé, acquiesça-t-il.

L’irruption de Luke dans la salle du trône fit sur l’assemblée tumultueuse l’effet d’une douche glacée. Instantanément, les conversations se turent et tous les regards se tournèrent vers celui qui accompagnait le majordome.

Toujours précédé de Bib, Luke entreprit de rejoindre le trône. Dès l’entrée, il avait repéré Leia, assise tout contre le ventre du despote. Une chaîne lui encerclait le cou et elle ne portait pour tout vêtement que le soupçon de costume des danseuses. Le jeune Jedi n’eut pas un signe, pas un coup d’œil montrant qu’il avait noté sa présence. Il avait immédiatement capté la détresse de la jeune femme, mais il ferma résolument son esprit : il lui fallait présentement se concentrer sur Jabba et uniquement sur Jabba.

Comme dans un duo bien réglé, Leia, de son côté, avait instantanément compris la démarche mentale de Luke et bloqué toute manifestation extérieure afin de ne pas le distraire de sa tâche. Dans le même temps, elle gardait l’esprit grand ouvert, prêt à saisir au vol le moindre fragment d’information susceptible de lui permettre de passer à l’action.

6PO, lui aussi, avait vu Luke, et pour la première fois depuis des jours, il se risqua à puiser dans son programme d’espoir.

— Ah ! Messire Luke est enfin arrivé pour me tirer de là, émit-il.

Bib avait atteint le pied de l’estrade. Il se mit au garde-à-vous pour annoncer fièrement :

— Maître, je vous présente Luke Skywalker. Chevalier Jedi.

— Je t’avais dit de ne pas le laisser entrer, gronda Jabba.

— Qu’on me permette de parler, intervint Luke.

Il avait parlé d’un ton uni, mais ses mots parurent résonner dans toute la salle comme un coup de tonnerre.

— Qu’on lui permette de parler, renchérit Bib d’une voix pénétrée.

Un coup violent, assené en pleine face, l’envoya rouler à terre.

— Espèce de débile mental ! rugit Jabba. Tu ne vois pas qu’il t’a possédé avec un vieux truc de Jedi ?

Dans la salle, le brouhaha avait repris, chacun s’interrogeant sur ce curieux jeune homme se réclamant d’une caste aujourd’hui disparue. Luke refoula aux limites de sa conscience cette horde bigarrée, toute sa puissance de suggestion concentrée sur Jabba.

— Vous allez me faire amener ici Yan Solo et le Wookie, énonça-t-il lentement.

Mais Jabba se contenta de rire méchamment.

— Tes tours de passe-passe ne marchent pas avec moi, gamin. Les schémas de pensée humains me sont totalement étrangers. Figure-toi que, du temps où le nom de Jedi avait encore un sens, je tuais sans problème ceux de ton espèce.

Manifestement, il disait vrai. Luke modifia sa stratégie en conséquence, intérieurement aussi bien qu’extérieurement.

— Quoi qu’il en soit, je vais emmener avec moi le capitaine Solo et ses amis. Vous avez le choix : passer avec moi un accord profitable… ou être anéanti. Réfléchissez bien, et ne faites pas l’erreur de sous-estimer mes pouvoirs.

La souris menaçant le lion ! Jabba éclata d’un rire tonitruant.

6PO, qui avait observé l’échange avec une grande attention, se pencha en avant pour murmurer à l’oreille de Luke :

— Maître, vous êtes en train de danser sur une…

D’une poussée, un garde le ramena à sa place. Déjà,

Jabba ne riait plus. Visiblement, il jugeait que la plaisanterie avait assez duré.

— Il n’y aura pas de marché, jeune Jedi, trancha-t-il. Je vais tout simplement avoir le grand plaisir de te voir mourir.

Luke se contenta de tendre la main et, docilement, le pistolaser d’un garde jaillit de son étui pour venir se loger dans sa paume.

— Boscka ! cracha Jabba.

Le sol se déroba soudain sous les pieds de Luke qui se retrouva projeté dans la fosse en compagnie du garde. La trappe était à peine refermée que tous les sinistres courtisans se pressaient déjà à la grille pour assister à la curée.

— Luke ! gémit Leia.

Elle était à la torture, comme si toute une part d’elle-même venait de lui être arrachée et précipitée dans la fosse. Un élan la jeta en avant, immédiatement brisé par la chaîne fixée au collier qui lui enserrait le cou. Et brusquement, Leia ne fut plus capable de se dominer, plus capable de supporter le rire rauque qui secouait cette lie d’humanité. Elle banda ses muscles pour rompre ses liens et prendre la fuite.

Une main apaisante, discrètement posée sur son épaule, lui fit lever la tête. C’était Lando. Imperceptiblement, il secoua la tête et, imperceptiblement, les muscles de Leia se détendirent. Non, l’heure n’était pas encore venue et, comme tout bon joueur, Lando le savait. Toutes les cartes étaient maintenant réunies – Luke, Yan, Leia, Chewbacca… et même cette bonne vieille crapule de Lando. Mais il ne fallait pas gâcher une aussi belle main à ce tour-ci. Les mises étaient trop élevées.

Dans la fosse, Luke boula sur lui-même et fut aussitôt debout pour découvrir qu’il se trouvait dans une sorte de cave aux parois constituées de blocs grossièrement assemblés et parcourus de profondes crevasses. Les os à demi rongés qui jonchaient le sol disaient assez le sort subi par les précédents occupants des lieux.

En levant les yeux, Luke aperçut, à quelque huit mètres au-dessus de lui, la grille de fer entièrement bloquée par les faces hilares des courtisans de Jabba. Un ronflement accompagné d’un cri de pure panique le ramena vivement au niveau du sol. Dans l’une des parois, un panneau était en train de se soulever lentement. Avec un calme infini, Luke se débarrassa de sa longue soutane de Jedi pour se donner une plus grande liberté de mouvements, ne conservant que sa courte tunique. Puis il recula contre la muraille et s’accroupit pour observer la suite des événements.

Du passage libéré par le panneau, un rancor géant était en train d’émerger. De la taille d’un éléphant, il avait en lui quelque chose de reptilien, quelque chose d’anormal, de cauchemardesque. De sa large gueule asymétrique pointaient des crocs énormes, disproportionnés, comme l’étaient les griffes terminant ses pattes. Un mutant, très certainement. Et furieux au-delà de toute imagination.

Le garde jetait autour de lui des regards affolés. Il avisa le pistolet tombé dans la poussière, se jeta dessus et déclencha un tir de laser en direction du monstre qui n’en parut pas fortement affecté, sinon dans son humeur. Pesamment, il se mit en marche.

Fou de terreur, le garde continuait à tirer sans discontinuer. Il tirait encore lorsque le rancor l’empoigna dans ses mâchoires, l’engouffrant d’une seule bouchée, sous les vivats et les hurlements de rire de l’assistance. Quelques piécettes tintèrent sur le sol.

Sa première victime avalée, le monstre se retourna vers Luke, mais d’un bond formidable, le Chevalier Jedi atteignit la grille et, barreau par barreau, traversa la cellule dans toute sa largeur, sous les huées du public frustré.

Soudain, l’une de ses mains lâcha prise sur la barre huilée. Les courtisans rugirent de plaisir. D’un coup d’œil, Luke aperçut sous lui la gueule béante du rancor, prête à l’enfourner.

Pour ajouter à la précarité de sa situation, deux Jawas se précipitèrent et entreprirent de lui écraser les doigts à coups de crosse. Une nouvelle fois, la foule explosa de joie.

Le rancor lançait sa patte le plus haut possible pour tenter d’atteindre sa proie et la position de Luke devenait carrément critique. Soudain, le jeune Jedi prit son élan, lâcha prise et atterrit exactement sur l’œil du monstre. D’un bond, il se retrouva sur le sol.

Ivre de douleur, le rancor tournait en rond en se martelant la face. Il finit tout de même par repérer Luke et, toute souffrance oubliée, se rua sur lui au moment où, d’un geste vif, le jeune homme empoignait l’un des os d’une précédente victime et le brandissait à bout de bras. Jugeant le gag du plus haut comique, la galerie ulula avec délices.

Le monstre souleva Luke comme un fétu de paille et le porta à sa gueule, mais, au dernier moment, Luke lança le bras en avant, forçant l’os en travers de la gorge du rancor. Laissant la bête tousser désespérément pour tenter de se débarrasser de cette arête, il courut se réfugier dans une anfractuosité de la muraille. Le rancor arpentait furieusement la fosse à sa recherche, mugissant et lançant ses pattes au hasard. À un moment donné, il délogea l’un des blocs mal joints, déclenchant un début d’avalanche.

Luke se rencogna encore plus profondément au fond de la crevasse pour se donner le temps de s’éclaircir les idées et de puiser dans les leçons de ses maîtres l’ébauche d’une solution. La peur est comme un épais brouillard, avait coutume de répéter Ben. Elle rend le froid plus intense, l’ombre plus dense. Mais laisse le brouillard se lever et il se dissoudra de lui-même… Luke laissa donc la clameur de la bête passer au-dessus de sa tête et examina de quelle manière il pourrait ensuite mettre l’animal dans son camp.

La chose eût été plus aisée si la bête avait été foncièrement méchante car, comme disait Ben, tout être foncièrement mauvais finit toujours par se détruire lui-même. Mais le rancor n’était pas mauvais ; tout au plus une innocente brute maltraitée, affamée, blessée, qui se jetait sur tout ce qui passait à sa portée. Il fallait donc garder la tête froide et trouver le moyen d’échapper à la brute, de préférence sans lui faire de mal.

La solution rêvée eût été de la lâcher sur Jabba et ses sbires et de lui donner ainsi les moyens de mettre elle-même fin à ses malheurs, mais la probabilité de réussite d’une telle entreprise était bien mince, principalement du fait que la bête était bien trop hors d’elle pour saisir l’intérêt qu’elle avait à s’allier à une autre victime contre ses bourreaux. Non, conclut Luke, la solution ne pouvait venir que de lui seul.

Mais il fallait la trouver rapidement car le danger se rapprochait de seconde en seconde. En effet, le rancor avait réussi à se débarrasser de l’os qui l’étouffait et entrepris de fouiller furieusement l’éboulis à la recherche de sa proie. Par-delà l’amoncellement qui le protégeait encore, Luke avisa un renfoncement d’où émanait une flaque de lumière. Peut-être était-ce de ce côté qu’il convenait de chercher le salut. Mais encore fallait-il parvenir jusque-là ! Et la partie était loin d’être gagnée car, écartant un dernier roc, le rancor venait de découvrir la forme rencognée au fond de la crevasse. Il lança une patte avide, mais alors qu’il allait être empoigné, Luke s’empara d’un quartier de roc qu’il abattit de toutes ses forces sur les doigts de la brute. Le rancor bondit en arrière en poussant un hurlement, et, profitant de ce répit, Luke fila en direction du renfoncement. Il dut rapidement déchanter : une herse aux épais barreaux d’acier interdisait toute fuite ! De l’autre côté, installés dans une petite salle, deux gardiens étaient en train d’achever leur repas. Le jeune Jedi réalisa alors que l’étroit boyau devait pouvoir, à volonté, se transformer en cage, lorsqu’on désirait se rendre maître de l’animal déchaîné. S’il découvrait comment déclencher la fermeture du panneau ou de la porte qui devait former séparation avec la partie principale de la cellule, il serait au moins à l’abri de l’animal. Il n’eut guère le temps de pousser ses investigations car, derrière lui, il entendait se rapprocher les pas pesants du rancor. Et de l’autre côté, la situation n’était guère plus encourageante. Les deux dîneurs s’étaient levés et leurs intentions n’étaient guère bienveillantes à en juger par les tridents des bestiaires qu’ils pointaient en ricanant en direction des barreaux. Luke était pris entre deux feux !

Le rancor s’engageait déjà dans le boyau lorsque Luke avisa, sur le mur opposé de la salle de garde, un tableau de commandes. D’instinct, le jeune Jedi ramassa un crâne sur le sol, le projeta sur le panneau. Il y eut une gerbe d’étincelles puis, brusquement, une lourde plaque métallique tomba du plafond du réduit, s’abattant comme une guillotine sur la tête du rancor, qu’elle fendit littéralement en deux.

Pendant les quelques secondes suivantes, un silence de plomb figea les spectateurs qui se refusaient encore à croire à l’impossible. Puis tous les regards se tournèrent vers Jabba. Il écumait de rage. Leia ne put retenir un petit sourire qui amena le tyran aux limites de l’apoplexie.

— Sortez-le de là, hurla-t-il. Et amenez-moi Solo et le Wookie. Je leur ferai tous payer cette atrocité.

Dans la fosse, Luke regarda avec calme les hommes de main du Hutt se ruer sur lui pour l’enchaîner solidement. Et tandis qu’on l’entraînait, il eut encore le temps de voir l’un des gardiens se jeter en pleurant sur le cadavre du rancor. Plus personne à tourmenter ! Cet homme allait désormais vivre des jours bien solitaires…

 

Tenue au plus court par un Jabba qui tentait de se calmer en lui tiraillant les cheveux, Leia regardait tristement Solo et le Wookie que l’on était en train d’amener. Le Corellien n’avait toujours pas retrouvé l’usage de ses yeux et trébuchait à chaque pas. À son poste derrière le trône, 6PO se sentait surchargé d’appréhension. Dans la salle, les paris allaient bon train sur le sort à résigner à l’impudent qui avait cru pouvoir menacer Jabba et ses amis.

Il y eut un remue-ménage à l’entrée et Luke apparut, entouré de gardes – dont Lando Calrissian. La foule se fendit comme une mer démontée pour livrer passage aux arrivants. Enfin, les trois prisonniers se retrouvèrent debout côte à côte devant le trône.

— Content de te revoir, lança Luke à l’adresse de Solo.

Le visage de Yan s’éclaira.

— Luke ! Alors, toi aussi tu es venu te fourrer dans ce pétrin ?

— Tu parles ! Pour rien au monde, je n’aurais voulu manquer la fête.

Pour un bref instant, il avait retrouvé l’impétuosité et l’insouciance de son adolescence.

— Comment on s’en sort ? interrogea Yan avec un haussement de sourcils.

— Comme d’habitude.

— Oh, oh… souffla Solo. Si mal que ça ?

Il se sentait vif, alerte, détendu. Mais soudain un frisson glacé lui parcourut la moelle épinière.

— Et Leia ? Où est Leia ?

— Ici, répondit instantanément la jeune femme. Je vais bien mais je ne sais pas combien de temps encore je vais pouvoir tenir à distance notre gluant petit ami ici présent.

Elle avait adopté un ton léger pour mettre Yan à son aise et, de fait, depuis qu’ils étaient tous réunis, elle se sentait à nouveau légère et quasi invincible. Elle aurait volontiers éclaté de rire, enfoncé son poing dans le nez de Jabba ou quelque autre facétie similaire, et surtout, elle les aurait bien serrés tous dans ses bras. Même ce peureux de 6PO qui se cachait du mieux qu’il pouvait pour tenter de se faire oublier.

– Tradroïd ! hurla Jabba.

Toute la salle fit silence. Timidement, 6PO fit un pas en avant et, avec de petits gestes embarrassés, débita son message aux captifs.

— Sa Très Haute Excellence, le Grand Jabba le Hutt, a décrété votre élimination immédiate.

— Parfait ! répliqua Solo. Je déteste attendre…

— L’extrême gravité de l’offense infligée à Sa Majesté, poursuivit 6PO, réclame un châtiment terrible et exemplaire…

— Ben voyons ! Faut jamais faire les choses à moitié, ricana Solo que les manières affectées et le ton pompeux du droïd avaient toujours eu le don d’exaspérer.

6PO détestait par-dessus tout être interrompu dans l’exercice de ses fonctions.

— Vous serez conduits jusqu’à la mer des Dunes, reprit-il de son ton le plus cérémonieux, pour y être précipités dans le Grand Entonnoir de Carkoon.

Yan se tourna vers Luke, et avec un haussement d’épaules :

— Ça n’a pas l’air bien terrible, décréta-t-il.

6PO ignora l’interruption.

— … l’antre du terrifiant sarlacc. Dans les entrailles de ce monstre vorace où vous serez digérés pendant un millier d’années, vous acquerrez une nouvelle définition de la notion de souffrance.

— À la réflexion, je propose qu’on supprime cette partie du programme, répliqua Solo.

Un millier d’années, cela faisait tout de même un peu beaucoup.

Chewie brama amplement son approbation, mais Luke ne paraissait pas ému outre mesure par la menace.

— Vous auriez dû choisir de traiter avec moi, Jabba, lança-t-il. Vous venez de commettre votre dernière erreur.

Malgré lui, il avait laissé percer dans sa voix une intonation satisfaite. Il n’était effectivement pas mécontent du refus de Jabba qui allait lui donner l’occasion de débarrasser la galaxie de cette sangsue qui pompait la vie de tout ce qu’il touchait. Bien évidemment, son objectif premier restait de délivrer les amis qu’il chérissait, mais faire d’une pierre deux coups n’était pas pour lui déplaire.

La menace de Luke n’avait guère impressionné le tyran.

— Qu’on les emmène ! ordonna-t-il en ricanant.

Pour lui, cette journée commencée sous de noirs auspices allait en fin de compte lui procurer quelque satisfaction, car il n’était rien qu’il aimât autant que fournir de la nourriture au sarlacc, sinon nourrir le rancor. Pauvre rancor.

Des cris et des applaudissements saluèrent la sortie des prisonniers que Leia suivit d’un regard empli d’inquiétude. Mais à la surprise de la jeune femme, elle ne put déceler autre chose sur le visage de Luke qu’un large et tranquille sourire. « Confiance ! » se gourmanda-t-elle en prenant une grande inspiration pour chasser ses doutes.

 

La barge antigrav de Jabba glissait lentement sur l’immensité sans limites de la mer des Dunes. Sa coque d’acier crissait sous la caresse de la brise légère. Chaque saute de vent gémissait dans les deux énormes voiles, comme si la nature elle-même eût cherché à exprimer un vague malaise d’avoir à subir la présence de Jabba. Le Hutt semblait d’ailleurs vouloir réduire à son minimum le voisinage avec les éléments naturels car, pour le temps de la traversée, il s’était réfugié dans les ponts inférieurs, peut-être pour préserver sa pourriture des ardeurs par trop antiseptiques du soleil.

Sur l’un des flancs de la barge, deux embarcations avançaient en formation – un escorteur transportant six hommes d’armes plus que négligés et une canonnière, ayant à son bord, outre les prisonniers, quatre gardes armés : Barada, deux Weequays… Et Lando Calrissian.

Barada était du genre « service-service » et à en juger par sa manière de pointer son fusil, il était clair qu’il n’attendait qu’une occasion d’en faire usage. Tout aussi déterminés, les Weequays étaient d’un autre type. Ces deux frères chauves, à la peau coriace, étaient les seuls survivants d’une tribu désormais éteinte. Et fort peu communicatifs : on ne savait même pas si le nom de Weequay désignait leur tribu ou leur espèce, ni si tous les membres de la tribu étaient frères. On savait seulement qu’ils s’appelaient mutuellement par ce nom et si, entre eux, ils pouvaient se montrer attentionnés, voire tendres, ils traitaient tout étranger avec la même indifférence grognonne et malveillante.

Assis un peu à l’écart, Lando offrait un visage de pierre, mais intérieurement, il se tenait prêt à agir à la moindre occasion. Il était en train, dans sa tête, de faire le rapprochement entre la situation présente et un coup superbe que lui et sa bande avaient monté sur Pesmem-ben IV. Ils avaient salé les dunes de la planète avec du carbonate de lithium et payé le gouverneur pour qu’il passe un juteux contrat d’exploitation avec une importante compagnie minière. Quand le coup avait été découvert, Lando qui jouait les experts géologues avait eu juste le temps de forcer le gouverneur à s’allonger au fond de l’embarcation et de jeter par-dessus bord le pot-de-vin compromettant avant de se faire prendre. Cette fois-là, il s’en était sorti de justesse, mais indemne, et il espérait bien qu’il en serait de même aujourd’hui. À cette différence près que ce seraient les gardes qu’il allait probablement falloir jeter par-dessus bord.

Toujours dans l’incapacité de se servir de ses yeux, Yan gardait l’oreille tendue, tout en discourant à corps perdu d’un ton badin pour endormir les gardes, les accoutumer au ronron de sa voix. Il escomptait de la sorte bénéficier au moment critique d’une fraction de seconde d’avance sur eux. Une fraction de seconde qui pourrait s’avérer décisive. À dire vrai, il discourait aussi

— comme toujours – pour le simple plaisir de s’écouter parler.

— J’ai l’impression que mes yeux vont mieux, décréta-t-il en clignant des yeux. Au lieu d’un grand flou noir, je vois un grand flou lumineux.

— Crois-moi, tu n’y perds pas grand-chose, repartit Luke. Je sais de quoi je parle, j’ai grandi ici.

Luke évoqua intérieurement sa jeunesse sur Tatooine, son existence dans la ferme de son oncle et ses longues randonnées en landspeeder, en compagnie de ses rares amis – eux aussi fils d’émigrants, eux aussi caressant dans leur tête des rêves d’évasion. Car il n’y avait rien d’autre à faire sur Tatooine – pour un homme comme pour un jeune garçon – qu’arpenter ces dunes monotones en évitant, si possible, les peu réjouissants pillards tuskens qui gardaient le sable comme s’il s’était agi de poudre d’or.

C’était pourtant sur cette planète désolée qu’il avait rencontré Obi-Wan Kenobi – le vieux Ben Kenobi, l’ermite qui vivait ignoré de tous depuis qui savait quand. L’homme qui avait donné à Luke les premiers rudiments de sa formation de Jedi.

Luke pensait fréquemment à Ben, avec amour et avec regret. Plus que quiconque, Ben avait été l’agent de ses découvertes et de ses pertes – et des découvertes de ses pertes.

Ben avait emmené Luke à Mos Esley, la cité-pirate installée sur la face occidentale de Tatooine. C’était là, dans une taverne, que le jeune homme avait fait la connaissance de Yan Solo et du Wookie. Et c’était encore lui qui – après l’assassinat par les troupes impériales d’Oncle Owen et de Tante Beru – l’avait emmené à la recherche des droïds fugitifs D2 et 6PO.

Oui, c’était ici, sur Tatooine, que tout avait commencé pour Luke. Oui, il connaissait bien cet endroit. Et il se rappelait avoir juré de ne jamais y revenir.

— J’ai grandi ici, répéta-t-il d’une voix rêveuse.

— Et maintenant, on va mourir ici, répliqua vertement Solo. Si c’est ça ton plan, laisse-moi te dire que jusqu’ici je ne le trouve pas vraiment génial.

— Le palais de Jabba était trop bien gardé. Il fallait que je t’en fasse sortir pour avoir les coudées franches. Tout ce que tu as à faire, c’est de coller à Chewie et à Lando. Nous, on s’occupe de tout.

— Il me tarde de voir ça…

Solo ne se sentait guère rassuré à l’idée que la réussite de l’opération reposait entièrement sur ce que Luke se considérait comme un Jedi. Pour Yan, ce n’était guère une référence lorsqu’on considérait que cette fameuse Force – à laquelle d’ailleurs il ne croyait guère – n’avait pas empêché l’extinction de la confrérie en question. Pour le Corellien, rien ne valait un vaisseau rapide et un bon éclateur et, dans la situation présente, il aurait fortement souhaité avoir l’un et l’autre.

 

Dans la cabine principale de la barge, Jabba et sa caricature d’aréopage poursuivaient tout simplement la fête commencée au palais. À cette différence près que la perspective de la mise à mort des prisonniers avait encore fait monter l’ambiance d’un ton : les empoignades étaient plus fréquentes, les discussions plus âpres ; les fauves avaient reniflé l’odeur du sang !

Sollicité de toutes parts, 6PO ne savait plus où donner de la tête. Il était présentement forcé de traduire une algarade entre Ephant Mon et Ree-Yees, concernant un point de tactique militaire qui, à vrai dire, le dépassait un peu. Ephant Mon, un bipède pachydermoïde au vilain museau encadré de défenses, soutenait (de l’avis de 6PO) une position indéfendable. Perché sur son épaule, Salacious Crumb, l’insupportable petit singe reptilien, répétait mot à mot toutes les paroles du pachyderme, ce qui, évidemment, doublait le poids des arguments d’Ephant.

Mon conclut son allocution par un barrissement belliqueux – auquel l’ineffable Salacious applaudit des deux pattes – avant d’ajouter :

— Woossie Jawamba boog !

6PO ne tenait pas tellement à traduire cette conclusion, d’autant plus que Ree-Yees était déjà saoul perdu, mais il s’exécuta tout de même.

Dans la face de chèvre de Ree-Yees, les trois yeux se dilatèrent de fureur.

— Backawa ! Backawa ! bêla-t-il.

Et sans autre préambule, il écrasa de son poing le museau de Mon, l’envoyant s’aplatir en plein milieu d’un groupe de Céphalopodes. Autant de gagné pour le traducteur ! se réjouit 6PO qui, profitant de l’occasion, recula promptement pour se fondre dans la foule et se faire oublier. Le Grand Ingénieur ne l’ayant pas doté d’yeux dans le dos, il buta dans un petit droïd chargé d’un plateau et ce qui devait arriver arriva, les verres s’écrasèrent sur le sol sous les couinements, les sifflements et les cliquètements outrés du petit droïd-serveur.

6PO trouva à ces protestations aiguës la douceur d’une musique céleste.

— D2 ! s’exclama-t-il, ravi. Qu’est-ce que tu fais ici ?

— DooO WEEep chWWHrrreee bedzhng.

— Je vois bien que tu sers à boire. Mais cet endroit est dangereux et tu ne devrais pas t’y trouver. Ils vont exécuter Messire Luke, et nous avec si nous n’y prenons garde.

D2 se contenta d’émettre un sifflement – exagérément nonchalant aux yeux de 6PO, eu égard à la gravité de la situation.

— Je voudrais bien être aussi confiant que toi, soupira le droïd doré en jetant un regard inquiet du côté de Jabba.

Le Hutt était à la fête. Il avait assisté au vol plané de Mon et c’était toujours pour lui une satisfaction que de voir les forts s’écrouler ou les fiers être ridiculisés. D’autre part, il venait pour la énième fois de mater la résistance de la princesse Leia, tirant de toutes ses forces sur la chaîne qu’il tenait dans ses doigts boudinés, jusqu’à l’amener une fois de plus tout contre lui.

— Ne reste donc pas si loin de moi, ma toute belle, lança-t-il en riant. Tu verras que, bientôt, tu en viendras à m’apprécier.

Il appliqua une nouvelle traction sur la chaîne pour forcer la jeune femme à boire dans son verre.

Leia ouvrit docilement la bouche et fit le vide dans sa tête. Tout cela était, bien sûr, fort écœurant, mais d’une manière ou d’une autre, ce traitement ne durerait plus très longtemps. Et puis elle avait connu pire.

Le pire, pour elle, c’avait été la séance de torture que lui avait infligée Dark Vador. Ce jour-là, elle avait failli craquer. Jamais le Seigneur Noir n’avait réalisé à quel point il avait été près de lui soutirer l’information qu’il voulait obtenir d’elle : les coordonnées géographiques de la Base rebelle. Il l’avait capturée immédiatement après qu’elle eut réussi à envoyer D2 et 6PO chercher du secours – capturée et fait transporter sur l’Étoile Noire. Là, il lui avait injecté une substance chimique destinée à affaiblir sa résistance psychologique, avant de la soumettre à la torture.

Il avait d’abord torturé son corps, avec l’assistance de ses droïds spécialisés. Et elle avait tout enduré – aiguilles, pointes de feu, chocs électriques – comme elle supportait aujourd’hui le contact répugnant de Jabba ; parce qu’elle détenait au fond d’elle-même une énergie puissante, dont elle ignorait l’origine mais qui venait à son secours chaque fois que le besoin s’en faisait sentir.

Profitant d’un instant de distraction de son tourmenteur, Leia réussit à s’éloigner suffisamment pour pouvoir jeter un coup d’œil par les jalousies des sabords et apercevoir, dans la lumière poussiéreuse, l’embarcation de ses futurs sauveteurs.

Elle était en train de faire halte.

En fait, c’était tout le convoi qui s’arrêtait à la verticale d’une profonde dépression creusée dans le sable. La barge et l’escorteur rejoignirent l’un des bords du cratère, tandis que l’embarcation des prisonniers s’immobilisait à quelques mètres en l’air, à l’aplomb de la cavité.

Tout au fond du cône de sable, une répugnante gorge rose, membraneuse, luisante de mucus, palpitait faiblement. Tout le pourtour de cette gueule – de trois mètres de diamètre au moins – était garni de trois rangées de dents pointues, inclinées vers l’intérieur. Manifestement, le convoi avait atteint son but !

Une planche de fer fut étendue sur le bord de l’embarcation avant que deux des gardes ne viennent détacher Luke. Puis, sans ménagements, ils le forcèrent à monter sur la planche. Comme si le sarlacc avait compris quelle aubaine on était en train de lui préparer, sa gueule se mit à s’agiter de mouvements péristaltiques et à saliver en abondance.

Jabba et sa clique avaient rejoint le pont d’observation pour assister aux nouvelles festivités.

Tout en se massant les poignets pour y restaurer la circulation, Luke embrassait du regard le paysage désolé. De façon inattendue, il sentait la chaleur miroitante de ce désert lui réchauffer le cœur. En fin de compte, une partie de lui-même appartenait bel et bien à ce caillou aride ; il s’y sentirait toujours chez lui… S’arrachant à ses rêveries, il aperçut Leia, debout à la lisse de la berge, et les deux jeunes gens échangèrent un clin d’œil de connivence.

Jabba avait fait signe à 6PO d’approcher. Il lui grommela ses ordres, sur quoi le droïd doré s’éloigna de quelques pas pour s’installer devant le communicateur. Sur un signe du maître, la foule bigarrée des pirates intergalactiques fit silence et la voix de 6PO s’éleva, amplifiée par le haut-parleur.

— Son Excellence espère que vous saurez mourir dignement, annonça 6PO.

Il s’interrompit comme s’il venait de détecter la défectuosité de l’un de ses circuits. Manifestement, quelqu’un avait tripatouillé le programme correct.

Quoi qu’il en soit, il n’était qu’un droïd aux fonctions bien déterminées. Il était fait pour traduire, non pour corriger les erreurs des autres. Il secoua lentement la tête avant de reprendre :

— Mais à supposer que l’un d’entre vous désire implorer sa grâce auprès de Son Excellence, celle-ci est prête à entendre son plaidoyer.

Yan fit un pas en avant pour faire bénéficier ce pot de graisse de ses dernières pensées, au cas où la tentative échouerait.

— Tu diras à cette larve baveuse…

Malheureusement, il était tourné du mauvais côté et débitait sa harangue au seul bénéfice du désert. Chewbacca l’empoigna par l’épaule et le fit pivoter sur lui-même afin que la larve baveuse puisse profiter du discours. Yan remercia de la tête, sans pour autant s’interrompre.

— … à cette larve baveuse qu’elle peut toujours se brosser.

Luke était prêt.

— Jabba, appela-t-il, je t’offre une dernière chance. Libère-nous ou tu mourras.

Il lança un rapide coup d’œil à Lando, qui entreprit aussitôt de rejoindre de son pas le plus négligent l’arrière de l’embarcation. Les choses allaient bel et bien se dérouler comme il l’avait prévu, songeait le pirate. On balançait les gardes par-dessus bord et on décollait sous le nez des autres. Vite fait, bien fait !

Dans la barge, le public se pâmait d’aise : décidément, ce condamné les aurait fait rire jusqu’au bout !… Profitant du brouhaha, D2 se dégagea de la foule et escalada la rampe menant au pont supérieur.

Jabba leva la main et l’assistance fit silence. Le bon moment était venu !

— Je suis sûr que tu as raison, jeune Jedi, déclara le Hutt en souriant.

D’un geste sec, il retourna sa main, pouce vers le bas.

— Qu’on le jette dans la fosse !

Sous les acclamations de la foule, l’un des Weequays poussa Luke de la crosse de son arme. Au moment où il atteignait l’extrémité de la planche, Luke adressa un léger salut au petit droïd immobile à la lisse et, brusquement, les événements se précipitèrent. En réponse à ce signal prédéterminé, un volet s’ouvrit dans la tête du droïd. Un projectile en jaillit, s’éleva dans les airs et s’incurva en un gracieux arc de cercle au-dessus du désert.

Luke avait sauté ! Mais les cris des courtisans assoiffés de sang s’étranglèrent dans leur gorge quand ils virent le condamné se retourner en l’air et empoigner l’extrémité de la planche. Sous l’effet de son poids, la mince plaque de métal se courba à la limite de la rupture, puis l’élasticité du métal catapulta Luke dans les airs. Le jeune Jedi effectua un magnifique saut périlleux en l’air et retomba sur la planche, sous les yeux des gardes médusés. Luke étendit un bras sur le côté et, docilement, son épée de Jedi que venait de lui expédier D2 vint se loger dans sa paume grande ouverte.

Déjà Luke avait activé l’épée. Avant même d’avoir pu réaliser ce qu’il lui arrivait, le garde le plus proche se retrouva précipité, hurlant, dans la gueule du sarlacc.

Les deux autres gardes se ruèrent et, quoiqu’à contrecœur, Luke passa à l’attaque, son épée flamboyante levée. Cette fois, c’était avec sa propre épée de Jedi qu’il allait combattre ; l’autre, celle de son père, il l’avait perdue dans le duel acharné qui l’avait opposé à Dark Vador – ce duel au cours duquel le Seigneur Noir lui avait affirmé être son père.

Ce nouveau sabrolaser, Luke l’avait confectionné lui-même, dans la hutte abandonnée d’Obi-Wan Kenobi, là-bas, sur l’autre face de Tatooine ; il s’était servi des outils et des pièces du vieux maître Jedi pour la fabriquer avec amour et avec art. Et il la maniait avec dextérité, comme une extension de sa propre main. Oui, cette épée-là était vraiment la sienne !

De son côté, Lando ne restait pas inactif. Il était en train de se colleter avec l’homme de barre pour la possession des commandes de l’embarcation. Le blaster du barreur cracha, faisant exploser le panneau de contrôle, et la canonnière se mit brusquement à donner de la gîte, précipitant un second garde dans l’entonnoir de sable et tout un chacun en tas sur le pont.

Luke fut le premier debout. L’épée levée, il chargea le barreur qui, perdant courage à la vue de cette incarnation de la puissance lancée sur lui, recula, trébucha… et bascula à son tour par-dessus bord.

Il atterrit à mi-pente du cratère et resta un instant abasourdi par sa chute. Lorsqu’il réalisa où il se trouvait, il poussa un hurlement de terreur et se mit à pédaler désespérément des pieds et des mains pour tenter de remonter, sans se rendre compte qu’il ne faisait qu’accélérer sa chute. Soudain, un tentacule rosâtre émergea du sable brûlant et vint s’enrouler autour de la cheville du malheureux, l’attirant irrépressiblement vers le bas. Un bruit grotesque de déglutition… Le barreur avait disparu.

Le tout n’avait duré que quelques secondes. Lorsqu’il vit ce qui était en train de se produire, Jabba entra dans une colère folle et se mit à beugler une série d’ordres furieux. En un éclair, le pont ne fut plus qu’un brouhaha de courses, de portes claquant, de cliquetis d’armes, d’appels et de contre-appels.

C’est le moment que choisit Leia pour passer à l’action.

D’un bond, elle fut sur le trône et, empoignant à deux mains la chaîne qui la retenait, elle la passa vivement autour de la gorge bouffie de Jabba. Puis, prenant appui du genou sur le dossier du siège, elle banda ses muscles et tira, enfonçant les maillons de métal dans les bourrelets qui servaient de cou au Hutt.

Malgré les tressautements de l’énorme torse qui menaçaient de lui arracher les bras, malgré l’atroce morsure de la chaîne sur ses doigts, Leia tirait. Avec une force qu’elle ne se connaissait pas, une force qui dépassait sa propre force. Privé d’appui, le Hutt se débattait, jetant toute sa masse dans la lutte – une masse qui à elle seule était capable de briser n’importe quelle résistance physique.

Mais la résistance de Leia était plus que physique. La jeune femme luttait avec tout son être. Les yeux étroitement clos, elle avait chassé de son esprit toute sensation de douleur, uniquement concentrée sur un unique but : gagner millimètre après millimètre sur la longueur de la chaîne.

La sueur au front, elle continuait à tirer, totalement étrangère aux tentatives frénétiques que faisait Jabba pour échapper à cet adversaire inattendu.

Dans un ultime effort, le Hutt jeta tout son poids en avant. Ses yeux de reptile commençaient à lui sortir de la tête, sa langue épaisse pendait hors de sa bouche. Sa longue queue fut secouée d’un dernier spasme, avant de retomber… Le Hutt était mort.

Sans perdre un instant, Leia lâcha la chaîne, cherchant du regard le moyen de se libérer de cette entrave qui la retenait prisonnière du cadavre. À quelque distance, la bataille venait de se déclencher. La jeune femme vit Boba Fett mettre à feu son propulseur dorsal et filer droit sur Luke qui était en train de défaire les liens de Yan et de Chewie. Boba pointa son fusil à laser, mais au même instant le jeune Jedi pivota sur lui-même et l’arme du chasseur de primes se retrouva coupée en deux par l’épée de lumière.

Le canon de la barge venait d’être mis en batterie. La première salve frappa de plein fouet l’embarcation des prisonniers, qui se mit à tanguer dangereusement. Lando fut arraché du pont mais, au dernier moment, il parvint à attraper au vol un étai brisé et à s’immobiliser en équilibre instable, le regard plongeant droit sur la gueule du sarlacc. Voilà qui n’était pas prévu dans les plans du pirate et, dans l’instant, il se jura solennellement que plus jamais il n’irait fourrer son nez dans une affaire qu’il ne contrôlait pas de bout en bout.

L’embarcation encaissa un second coup au but et ce fut au tour de Yan et de Chewie de perdre l’équilibre et de se retrouver écrasés contre le plat-bord. Le rugissement de bête blessée que poussa le Wookie fit se retourner Luke, et Boba Fett profita de cet instant d’inattention pour extraire de sa manche un long filin d’acier. Le bras du chasseur de primes se détendit et le câble s’enroula en sifflant autour du Jedi, immobilisant ses bras à ses côtés.

Luke réagit en un éclair. Le poignet au bout duquel pendait l’épée de feu se tordit, dirigeant le sabrolaser vers l’extrémité du câble que tenait Boba. Le bout de l’épée effleura le lasso, le sectionnant tout net. Luke se dégagea de ses liens au moment précis où un nouveau coup frappait l’embarcation. Boba Fett vola littéralement dans les airs et retomba sur le pont, inanimé.

Malheureusement, l’explosion avait également achevé de sectionner l’étai auquel était suspendu Lando et Luke, impuissant, vit le pirate hurlant disparaître dans l’entonnoir du sarlacc.

Lando atterrit un peu rudement sur la pente, mais indemne. Dans son affolement, il commença par tenter de regrimper la pente raide puis, dans l’inanité de ses efforts, il se contraignit au calme et ferma les yeux, essayant de passer en revue tous les moyens à sa disposition pour infliger au monstre un millier d’années d’indigestion. Dommage qu’il n’ait personne sous la main avec qui parier car à trois contre un, il se jouait gagnant pour le record de survie dans l’estomac de l’ignoble créature.

— Surtout ne bouge pas ! lui cria Luke.

Mais le jeune Jedi n’eut pas le temps de lancer son opération de sauvetage car l’escorteur arrivait droit sur l’embarcation, bourré de gardes qui balayaient leur cible d’un feu nourri.

Quand tu es submergé par le nombre, attaque ! conseillait une maxime Jedi. Luke prit son élan, bondit dans les airs et atterrit au beau milieu des troupes ennemies stupéfaites qu’il entreprit de décimer à grands moulinets de sabrolaser.

Dans l’autre bateau, Chewie s’escrimait à se dégager des décombres tout en essayant de guider de la voix un Solo qui tâtonnait toujours à l’aveuglette. Le Wookie avait repéré, traînant sur le pont, une lance avec laquelle repêcher Lando, et c’est cette perche que tentait de trouver Yan.

Malgré son immobilité, Calrissian se sentait glisser insensiblement vers les mâchoires du sarlacc et le joueur n’aurait pas donné cher de ses chances de leur échapper.

— Ne bouge pas, Lando ! cria Yan. J’arrive.

Puis, à Chewie :

— Alors, où elle est cette pique ?

De ses bras tendus en avant, il balayait la surface du pont en suivant les instructions de Wookie, et sa main finit par rencontrer la lance sur laquelle elle se referma.

C’est le moment que choisit Boba Fett pour émerger de son inconscience. Il se remit péniblement sur ses pieds, encore un peu étourdi et, jetant un coup d’œil vers la seconde embarcation, il aperçut Luke qui tenait tête à rien moins que six gardes. D’une main, Boba s’assura une prise sur la lisse, et ramassant de l’autre main une arme abandonnée par l’un des gardes disparus, il visa Luke.

Chewie poussa un aboiement d’avertissement.

— Où ça ? Où est-il ? hurla Yan.

Réagissant instantanément au second aboiement du Wookie, le pirate aveugle projeta la lance en direction de Boba. Instinctivement, Fett écarta le trait de son bras cuirassé.

— Ôte-toi de mon chemin, pauvre fou, cracha-t-il à Solo en se remettant en position de tir.

Sur une nouvelle série d’instructions de Chewie, Yan pointa sa lance, mais cette fois en direction du dos de Boba. La pique vint heurter de plein fouet le propulseur du chasseur de primes qui se déclencha sous l’impact. Boba fut projeté comme un missile, droit sur l’escorteur. Sa cuirasse ricocha durement sur la coque et il plongea dans le trou. Lando le vit filer à toute vitesse devant lui et disparaître dans la gueule du monstre.

— Rgggowrrboo fro bo, ronronna Chewie.

— On l’a eu ? sourit Solo. Quel dommage que je n’aie pu voir…

Un coup de canon en provenance de la barge coucha l’embarcation sur le côté, expédiant Yan et quasiment tout ce qui se trouvait sur le pont par-dessus bord. Par chance, le pied de Solo accrocha la lisse au passage et le pirate resta là, à se balancer comme un pendule au-dessus du sarlacc. Malgré sa blessure, le Wookie avait réussi à se cramponner à l’épave.

Luke – qui venait d’en terminer avec ses adversaires — évalua la situation d’un coup d’œil. En quelques bonds, il atteignit l’énorme barge et entreprit d’escalader la coque en direction de la passerelle où était installé le canon.

Sur le pont d’observation, Leia continuait à lutter avec ses chaînes, quand elle ne se cachait pas précipitamment au passage d’un garde. Elle s’était étirée autant qu’elle avait pu pour essayer d’atteindre un pistolaser tombé à terre… En pure perte. Ce fut finalement D2 qui vint à la rescousse, non sans s’être au préalable égaré dans la mauvaise coursive.

Sa destination enfin atteinte, il exhiba de sa carcasse un appendice coupant et sectionna les liens de Leia.

— Merci, D2, beau travail. Et maintenant, filons d’ici.

Elle se précipita vers la porte, suivie du petit droïd. Au passage, ils tombèrent sur 6PO, allongé sur le sol et poussant des cris d’orfraie, tandis qu’un véritable géant du nom de Hermi Odle s’appliquait à l’écraser de son poids. Accroupi à côté de sa tête, Salacious Crumb, le petit singe reptilien, avait entrepris de lui arracher l’œil droit.

— Non ! Non ! Pas mes yeux ! hurla 6PO.

D2 expédia une décharge dans le dos du géant, l’envoyant valser à travers une fenêtre. Un second éclair colla littéralement Salacious Crumb au plafond. 6PO se redressa en pleurnichant sur son œil qui pendait au bout d’un faisceau de fils, mais sans oublier pour autant de faire fonctionner ses jambes pour rattraper Leia et D2 qui disparaissaient déjà derrière une porte.

Une nouvelle fois, le tir du canon fit mouche, ébranlant tout ce qui se trouvait à bord de l’embarcation où Chewbacca, agrippé à la coque par son bras blessé, maintenait de l’autre la cheville de Yan, lui-même en train de chercher à l’aveuglette à atteindre le malheureux Calrissian. Lando avait réussi, en s’étalant de tout son long et en restant parfaitement immobile, à stopper sa glissade, mais chaque fois qu’il tendait le bras vers Solo, il sentait le sable se dérober un peu plus sous lui, l’attirant irrésistiblement vers la gueule décidément insatiable du monstre rose. Pour lui, c’était le moment d’espérer que Solo ne lui en voulait plus pour la lamentable histoire arrivée sur Bespin !

Chewie barrit de nouvelles coordonnées.

— Je sais, je sais. J’y vois un peu mieux, maintenant. Peut-être tout ce sang qui me descend à la tête…

— Splendide ! apprécia Lando. Mais si c’était un effet de ta bonté, tu ne voudrais pas grandir de quelques centimètres ?

Sur la passerelle de la barge, les serveurs du canon visaient déjà cette chaîne humaine pour assener le coup de grâce lorsque Luke se matérialisa sous leur nez, tel un diable sorti de sa boîte. Avec un grand rire de pirate montant à l’abordage, le Jedi activa son épée… Le temps d’un clignement d’yeux, il n’avait plus devant lui que des cadavres fumants.

Mais la partie n’était pas encore gagnée. Une compagnie de gardes lancés au pas de course était en train d’escalader l’échelle de coupée en arrosant Luke d’un feu nourri. L’une des décharges arracha l’épée de la main du Jedi qui fut aussitôt cerné de toutes parts. Déjà deux des soldats empoignaient les commandes du canon. Luke jeta un regard sur sa main artificielle ; le mécanisme sophistiqué qui remplaçait sa véritable main depuis son duel avec Dark Vador était à nu, mais il fonctionnait encore.

Le canon fit feu et la charge secoua rudement le flanc du petit bateau, manquant de peu faire lâcher prise à Chewbacca. Hasard heureux, l’onde de choc avait suffisamment incliné l’embarcation pour que Solo puisse enfin agripper le bras de Lando.

— Tire ! cria Yan à Chewie.

— Je suis pris ! hurla Calrissian.

Saisi de panique, il baissa les yeux pour voir les tentacules du sarlacc s’enrouler lentement autour de sa cheville. Décidément, les règles changeaient toutes les cinq minutes dans cette partie d’enfer ! « Mon vieux Lando, soupira avec résignation Calrissian, j’ai bien l’impression que, cette fois, la partie est terminée pour toi… »

Si Luke se démenait comme un beau diable, Leia elle non plus ne perdait pas son temps. Elle avait rejoint la passerelle arrière et mis en batterie le second canon. Son premier coup arracha les superstructures qui lui masquaient la cible, le second balaya le canon meurtrier qui menaçait ses amis.

Les deux explosions détournèrent momentanément l’attention des gardes qui cernaient Luke. Le Jedi bondit sur son épée tombée à quelques mètres et dans un même élan jaillit en l’air, évitant le tir croisé de deux gardes. Les rayons des deux lasers ne furent pas perdus pour tout le monde et les deux soldats s’écroulèrent en même temps. Luke activa son sabrolaser. Il n’avait pas touché le sol que ses autres assaillants gisaient sur la passerelle, fauchés par la lame flamboyante.

— Vers le bas ! cria Luke à l’adresse de Leia.

La jeune femme inclina le canon en direction du pont en lançant un signe d’avertissement à 6PO qui attendait à quelque distance. Le droïd doré jeta un coup d’œil affolé par-dessus la lisse et recula précipitamment, ce qui lui valut de la part de D2 un trille bien senti.

— Je ne peux pas sauter, D2 ! gémit 6PO. C’est bien trop haut.

Sans manières, D2 fit carrément basculer son compagnon dans le vide avant de sauter à sa suite…

Pendant ce temps, la partie de lutte à la corde se poursuivait entre le sarlacc et Solo – avec le baron Calrissian dans le rôle de la corde. Sans lâcher la jambe de Yan, Chewbacca réussit à se caler contre le plat-bord, libérant son autre main pour attirer à lui un pistolaser abandonné dans les décombres. Il dirigea l’arme vers Lando avant de l’abaisser avec un grognement déconfit.

— Il a raison ! cria Lando. Il est trop loin !

Solo tordit la tête vers le Wookie.

— Chewie, passe-moi le pistolet.

Chewbacca s’exécuta et Yan empoigna l’arme de sa main libre.

— Eh ! protesta Calrissian. Attends une minute. Je croyais que tu n’y voyais rien.

— Mais si ! Ça va beaucoup mieux, tu peux me croire.

— J’ai pas vraiment le choix… Eh là ! un peu plus haut !

Lando baissa la tête, s’apprêtant au pire. Solo plissa les paupières… pressa la détente… Le tentacule lâcha prise et disparut dans la gueule du sarlacc.

D’une traction puissante, Chewbacca hissa à bord le double poids des deux compères qui s’abattirent sur le pont, épuisés. Lando jeta un coup d’œil vers la barge où toute activité paraissait avoir cessé. Il repéra enfin Luke, debout sur la passerelle arrière en compagnie de Leia. Le Jedi tenait sans manières la princesse sous son bras gauche, tandis que sa main droite agrippait l’un des cordages qui pendait du mât à demi brisé. D’un coup de pied, Luke actionna la détente du canon, utilisant cet élan pour se projeter avec sa charge dans l’escorteur immobile à côté de la barge. Derrière lui, le canon commençait à faire de sérieux ravages dans les structures du vaisseau.

Luke lança l’escorteur en direction de l’épave pour récupérer Solo, Chewbacca et Lando, puis ramena l’embarcation à proximité de la barge où les explosions se succédaient sans interruption. Les deux jambes dorées de Z-6PO émergeaient tout droit du sable, tandis qu’à quelque distance, le périscope de D2-R2 constituait le seul élément visible de l’anatomie du droïd.

L’embarcation s’immobilisa à la verticale des deux robots enterrés dans le sable. Le compartiment du gouvernail s’entrouvrit pour laisser le passage à un puissant électro-aimant qui s’abaissa vers le sol. Les deux droïds jaillirent littéralement du sable et vinrent se coller à la plaque métallique avec un cliquetis aigu.

— Oh ! protesta 6PO.

— BeeDOO dwEETT ! acquiesça D2.

Quelques minutes plus tard, les deux droïds étaient à bord de l’embarcation. Les uns et les autres s’entre-regardèrent, réalisant seulement qu’ils étaient tous là, et tous plus ou moins entiers. Suivit une longue séance d’embrassades, de bonds, de rires et de cliquetis de joie. À un moment donné, quelqu’un serra par mégarde le bras blessé de Chewbacca et le grognement de douleur du Wookie ramena tout un chacun à des considérations plus terre à terre. Suivit alors un nouveau remue-ménage : qui préparant l’équipement, qui vérifiant les instruments ou programmant le voyage de retour…

Enfin l’escorteur s’éloigna du théâtre de la bataille, laissant ce qui restait de la barge en flammes continuer à lancer ses déflagrations vers les soleils indifférents de Tatooine.