8
L’Amiral Ackbar fixait, incrédule, l’endroit où, quelques secondes seulement auparavant, le croiseur intersidéral Liberté était engagé dans une furieuse bataille à longue portée. À sa place, il n’y avait plus rien que le vide de l’espace, poudré d’une fine poussière qui miroitait faiblement à la lueur des lointaines explosions.
Dans le poste de commande de l’Alliance, c’était la confusion. Les contrôleurs éberlués s’évertuaient encore à contacter le Liberté, les capitaines de la flotte allaient et venaient de l’écran aux hublots, criant ordres et contrordres. Un officier d’ordonnance tendit à Ackbar le transpondeur dans lequel résonnait la voix du général Calrissian.
— Appel au quartier général. Ici Leader Doré. Le coup est venu de l’Étoile Noire ! Je répète : l’Étoile Noire est opérationnelle !
— Nous l’avons vu, répondit la voix lasse d’Ackbar. Que tous les appareils se préparent à la retraite.
— Ah, non ! Je ne vais tout de même pas me sauver comme un bastin ! s’insurgea Lando.
— Nous n’avons pas le choix, général Calrissian. Nos croiseurs sont incapables de repousser une puissance de feu d’une telle magnitude.
— C’est votre dernière chance, Amiral ! Vous n’en aurez pas d’autre. Yan va nous faire sauter ce fichu bouclier, il faut seulement lui laisser un peu plus de temps. Foncez sur ces destroyers, Amiral !
Ackbar regarda autour de lui. Une énorme charge secoua le vaisseau, crachant sur le hublot une brève flaque de lumière blême. Calrissian avait raison. Il n’y aurait pas de seconde chance. C’était maintenant ou c’était la fin.
Il se tourna vers le premier maître.
— Lancez la flotte en avant.
— Très bien, Amiral. – L’homme marqua une pause. Amiral, nous n’avons pas grande chance face à ces destroyers. Leur puissance de feu est supérieure et ils sont mieux blindés.
— Je sais, soupira Ackbar.
Le premier maître s’éloigna, remplacé par un officier d’ordonnance.
— Notre avant-garde a établi le contact avec la flotte impériale, Amiral.
— Concentrez tout le feu sur leurs générateurs. Si nous pouvons faire tomber leurs boucliers, cela laissera une petite chance à nos chasseurs.
Le vaisseau fut secoué par une nouvelle explosion : une décharge avait touché les gyrostabilisateurs arrière.
— Intensifiez les boucliers auxiliaires ! hurla quelqu’un.
À travers le hublot de la salle du trône, Luke voyait avec un désespoir qui semblait n’avoir pas de fond le rayon géant incinérer vaisseau après vaisseau. Silencieuse, cette décimation n’en était que plus horrible.
— Votre flotte est perdue, siffla méchamment l’Empereur. Et vos amis, sur Endor, ne survivront pas à la défaite…
Il pressa le contacteur du transpondeur.
— Commandant Jerjerrod, lança-t-il en caressant voluptueusement chaque mot, à supposer que les Rebelles découvrent un moyen de faire sauter le générateur du déflecteur, vous retourneriez le canon vers la lune et l’anéantiriez.
— Bien, Votre Grandeur, répondit le récepteur. Je me permets seulement de faire remarquer à Votre Grandeur que nous avons plusieurs bataillons stationnés là-bas…
— Vous la détruirez.
Le murmure de l’Empereur était plus définitif qu’aucun cri.
— Bien, Votre Grandeur.
Palpatine se retourna vers Luke. Il jubilait.
— Il n’y a aucune issue, mon jeune élève. L’Alliance périra. Et vos amis avec.
La désespérance tordait les traits du jeune Jedi. Sur le trône, l’épée fut agitée d’un frémissement. Luke tendit une main qui tremblait et ses lèvres se retroussèrent en une grimace qui découvrit ses dents.
— Bon, très bon, sourit l’Empereur. Je sens votre colère. Vous êtes désarmé… prenez votre arme. Attaquez-moi avec toute votre haine et cela vous conduira au bout du chemin qui mène à la face obscure.
Son éclat de rire brisa les dernières résistances de Luke. L’épée crépita, vola dans la main de son maître, irrésistiblement attirée par la Force. À la seconde suivante, Luke accompagnait l’arme de tout son poids, en direction du crâne de l’Empereur.
À l’instant, la lame de Vador surgit, parant le coup à quelques millimètres de la tête de Palpatine. Les étincelles volèrent, baignant la face grimaçante de l’Empereur d’une lueur infernale.
Luke bondit en arrière et se retourna, l’épée levée, pour faire face à son père. Vador étendit lentement le bras que prolongeait la lame étincelante.
Avec un soupir de satisfaction, l’Empereur se laissa aller sur son trône, savourant d’avance le spectacle de ce terrible combat.
Yan, Leia, Chewbacca et le reste du commando émergèrent du bunker sous bonne escorte. Le spectacle qui les attendait était notablement différent du parterre d’herbe qu’ils avaient découvert à leur arrivée. La clairière était maintenant bourrée de soldats impériaux.
Des centaines. Cuirassés de blanc ou de noir. Certains debout au repos, d’autres observant la scène du haut des bipodes TR-TT, d’autres encore appuyés sur leur moto-speeder. Si, à l’intérieur du bunker, la situation avait paru sans issue, ici elle prenait des allures désespérées.
Yan et Leia se tournèrent l’un vers l’autre et échangèrent leurs âmes dans un regard. Tout ce pour quoi ils avaient lutté, tout ce dont ils avaient rêvé était perdu. Et pourtant, pour un peu de temps encore, quelque chose leur était laissé : ce qu’ils étaient l’un pour l’autre. Jusqu’alors, ils avaient cheminé, chacun de son côté, à travers un vaste désert émotionnel. Aucun d’entre eux n’avait, auparavant, connu l’amour. Yan parce que bien trop énamouré de lui-même, Leia parce qu’emportée dans le tourbillon de la lutte : brûlant d’embrasser l’humanité tout entière, elle n’avait pas su trouver de place en son cœur pour un attachement unique. Mais aux confins du désert, ils s’étaient rejoints ; ils avaient trouvé un petit coin d’ombre fraîche où s’abriter, grandir, se nourrir même.
Cela aussi allait leur être enlevé, très bientôt, et il leur restait tant à se dire qu’ils ne trouvaient pas les mots. Simplement, leurs mains se joignirent, et dans ces minutes qui pouvaient être les dernières, leurs doigts se parlèrent.
C’est alors que 6PO et D2 débouchèrent dans la clairière, apparemment engagés dans une grande discussion. À la vue du comité d’accueil, ils s’arrêtèrent net.
— Oh, malheur ! gémit 6PO.
À l’instant, D2 et lui pivotèrent et repartirent aussi vite que le leur permettaient leurs membres respectifs dans la direction d’où ils étaient venus. Six soldats se lancèrent aussitôt à leur poursuite.
Ils s’engagèrent sous le couvert, pour voir les deux droïds plonger derrière un arbre. Ils se ruèrent en avant, contournèrent le tronc… découvrirent D2 et 6PO immobiles, attendant de se faire prendre. Les gardes s’avancèrent…
Quinze Ewoks s’abattirent alors du haut des branches, brandissant des cailloux et des bâtons. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, les gardes étaient maîtrisés et ligotés. Sur quoi Teebo, qui était perché sur un autre arbre, porta à ses lèvres une corne de bélier et sonna trois coups prolongés. C’était le signal qu’attendaient les Ewoks pour attaquer.
Par centaines, de toutes les directions, ils envahirent la clairière, se jetant du haut des arbres au milieu de l’armée impériale et provoquant un chaos indescriptible.
Les soldats tiraient sans discontinuer. Ils blessaient ou tuaient dix, vingt petites créatures velues et c’étaient cinquante, cent d’entre elles qui plongeaient pour les remplacer. Les moto-speeders poursuivaient sous les arbres de petits Ewoks piaulants et se trouvaient renversés par des quartiers de roc lâchés du haut des branches.
Dès les premiers instants de la mêlée, Chewie avait plongé dans le feuillage tandis que Yan et Leia se jetaient à l’abri des arches qui flanquaient l’entrée du bunker. Profitant d’une légère accalmie, Yan se glissa jusqu’à la porte et composa rapidement le code sur le cadran. Cette fois, la porte refusa de s’ouvrir.
— Ils l’ont reprogrammée après notre passage, pesta Yan.
Leia tendit le bras pour essayer de saisir un pistolaser abandonné près du corps d’un garde, mais l’arme était hors d’atteinte.
— Il nous faut D2 ! hurla-t-elle pour couvrir le bruit des explosions.
Yan acquiesça de la tête, tira son communicateur de poche et composa la séquence d’appel du petit droïd. Après quoi il s’empara de l’arme que Leia ne pouvait atteindre.
D2 et 6PO étaient abrités derrière un tronc lorsque le petit R2 capta le message. Avec un sifflement agité, il sortit de sa cachette et fila en direction du champ de bataille.
— D2 ! cria 6PO. Où vas-tu ? Attends-moi !
Avant d’avoir réalisé les risques qu’il prenait, il était sur les traces de son compagnon.
La chasse continuait entre moto-speeders et Ewoks, les petits ours se faisant plus féroces à mesure qu’on leur roussissait le poil. Une cinquantaine d’entre eux s’étaient attaqués aux bipodes. Agrippés par grappes entières aux pattes des machines, ils les entortillaient de lianes et glissaient graviers et ramilles dans les jointures. D’autres désarçonnaient les éclaireurs à l’aide de lianes tendues à hauteur de gorge, jetaient rochers et sagaies, filet et massues. Ils étaient partout.
Par dizaines, ils s’étaient regroupés derrière Chewbacca avec qui l’épisode de la nuit précédente avait tissé des liens : il était leur mascotte, eux ses petits cousins de province. Aussi était-ce avec une ardeur toute particulière qu’ils luttaient maintenant côtes à pattes. Avec une frénésie altruiste toute wookie, Chewie faisait le vide dans les rangs de ces soldats qui osaient blesser ses petits amis. De leur côté, les Ewoks ne songeaient à rien qu’à suivre Chewbacca à tout prix et à se jeter sur quiconque tentait de mettre la main sur lui.
C’était une étrange et sauvage bataille.
D2 et 6PO atteignirent sans mal la porte du bunker. Leia s’était procuré un blaster et couvrait les droïds en compagnie de Yan. D2 roula rapidement jusqu’au terminal et brancha son bras-ordinateur. Il n’avait pas commencé le décodage qu’une décharge de laser giclait à moins d’un mètre de lui, arrachant son câble de connexion et l’envoyant rouler dans la poussière.
La tête du petit droïd laissa échapper une volute noire et un filet de graisse commença à s’écouler lentement de la jointure endommagée. Brusquement, tous les compartiments du droïd s’ouvrirent, tous les orifices dégorgèrent lubrifiant ou fumée, toutes les roues tournèrent… Puis plus rien. 6PO se rua vers son compagnon blessé tandis que Yan examinait à nouveau le cadran.
— Je peux peut-être court-circuiter ce truc, grommela Solo.
Pendant ce temps, les Ewoks avaient érigé une catapulte primitive de l’autre côté de la clairière. Ils lâchèrent un bolide dans les pattes d’un bipode. La machine frémit sur ses bases mais ne bascula pas. Elle se retourna et marcha sur la catapulte, canon en batterie, dispersant les imprudents. Quand le bipode ne fut plus qu’à trois mètres du but, les Ewoks sectionnèrent un faisceau de lianes, libérant deux énormes troncs qui s’écrasèrent sur le sommet de la machine de guerre, l’abattant pour le compte.
Ce fut le signal, chez les Ewoks, d’une nouvelle phase de l’assaut. Revêtus de peaux d’écureuils volants, ils s’élancèrent en vol plané, bombardant l’ennemi de toutes sortes de projectiles coupants ou contondants. Teebo, qui conduisait l’attaque, fut frappé à l’aile par un éclair et alla s’écraser dans une racine noueuse.
Aussitôt, un bipode se mit en marche, mais Wicket fondit du ciel à temps pour tirer son ami hors du passage. Malheureusement, sa trajectoire croisa celle d’un moto-speeder… Ewoks et éclaireur disparurent dans les profondeurs du feuillage.
Les pertes augmentaient.
Dans l’espace, l’Alliance était dans une situation critique. Les pertes se comptaient par centaines. Les appareils atteints emplissaient le ciel de leurs explosions… Méthodiquement, le canon-laser de l’Étoile Noire désintégrait la flotte rebelle.
Le Faucon Millennium harcelait un destroyer impérial, lâchant ses décharges pour s’esquiver aussitôt et distancer les chasseurs Tie lancés à sa poursuite.
Dans le cockpit, Lando s’égosillait dans son transpondeur.
— J’ai dit plus près ! hurla-t-il à l’attention d’Ackbar au poste de commande de l’Alliance. Il faut coller littéralement à ces destroyers pour que le canon-laser ne puisse nous atteindre sans abattre ses propres vaisseaux.
— Jamais des supervaisseaux comme leurs destroyers et nos croiseurs ne se sont battus au corps à corps ! s’insurgea violemment l’amiral.
— Splendide ! lança Lando en redressant son appareil au ras de la coque du destroyer. On est en train d’inventer une nouvelle forme de combat.
— Mais nous n’avons aucune tactique à appliquer à ce type de confrontation !
— Nous en savons autant qu’eux ! Et ils croiront qu’on en sait plus.
Le bluff comme dernier recours n’était pas une tactique de jeu recommandable, mais quand on avait tout son argent dans le pot, c’était le seul moyen de gagner. Et Lando ne jouait jamais pour perdre.
Ackbar se faisait encore tirer l’oreille.
— A cette distance, nous ne tiendrons pas longtemps contre les destroyers, tenta-t-il encore.
— Nous tiendrons plus longtemps que face à l’Étoile Noire et, avec un peu de chance, il y en aura quelques-uns qui tomberont avec nous !
Lando lança le Faucon dans une vrille mais ne put éviter un éclair qui volatilisa ses canons avant. Avec une parfaite maîtrise, il redressa l’appareil et plongea sous le ventre du léviathan impérial.
Ackbar s’était finalement résigné à la stratégie de Calrissian. Dans les minutes qui suivirent, des dizaines de croiseurs impériaux se rapprochèrent à des distances incroyablement faibles des destroyers et le colossal corps à corps commença.
Luke et Vador tournaient lentement en cercle. Le sabrolaser haut au-dessus de sa tête, Luke préparait son attaque, en prime. Le Seigneur Noir se gardait, en quarte, réponse classique. Brusquement, Luke se fendit. Parade. Feinte. Contre-parade de Vador qui laissa l’impact guider sa lame vers la gorge de Luke. Riposte. En garde. Aucune blessure de part ni d’autre. Les duellistes reprirent leur valse lente.
Si Vador ne le montrait pas, il était impressionné par la rapidité de Luke. Satisfait, même. Quel dommage qu’il ne puisse permettre au garçon de tuer l’Empereur sur-le-champ ! Non. Luke n’était pas encore prêt, émotionnellement. Encore capable de retourner vers ses amis s’il tuait l’Empereur maintenant. Ce serait pour plus tard, lorsqu’il serait passé par la formation de Vador et de Palpatine. Alors, il serait prêt à tenir sa place à la droite de son père. En attendant, il était de l’intérêt de Vador de l’empêcher de frapper au mauvais endroit – ou au bon endroit à contretemps.
Avant que Vador n’ait pu pousser plus loin son analyse, Luke porta une nouvelle attaque. Plus agressive. Il avança en une suite rapide de fentes, son épée crépitant contre la lame phosphorescente de Vador. À chaque impact, le Seigneur Noir reculait d’un pas. Il s’effaça pour porter une attaque vicieuse mais Luke détourna la lame et continua à le repousser. Momentanément déséquilibré, le Seigneur Noir trébucha au sommet des marches et tomba sur les genoux.
Du haut de l’escalier, Luke toisait son adversaire, ivre de sa propre puissance. La victoire était à sa portée. Il la sentait. II allait s’emparer de l’épée de Vador, de la vie de Vador. De la place de Vador aux côtés de l’Empereur. Oui, même de cela. Cette fois, il ne repoussait pas cette perspective ; il s’en glorifiait, s’en gorgeait comme d’un fruit mûr. Le pouvoir lui enflammait les joues, l’embrasait d’une fièvre qui oblitérait toute autre considération.
Il avait le pouvoir ; c’était à lui de décider.
Puis, lentement, une autre soif, aussi dévorante, vint se surimposer sur la fièvre ardente qui le consumait : il pouvait également anéantir l’Empereur, les anéantir tous les deux et ensuite, la Revanche et la Conquête chevauchant à ses côtés, régner en maître sur la galaxie.
Un moment intense, étourdissant. Luke ne défaillit pas, ne recula pas.
Il fit un pas en avant.
Pour la première fois, l’idée pénétra la conscience de Vador que son fils pouvait le vaincre. Depuis leur duel sur Bespin, le garçon avait acquis une maîtrise étonnante. Sans parler de sa rapidité et de sa précision. C’était là une circonstance inattendue. Inattendue et inopportune. À sa propre surprise, Vador sentit ramper en lui les miasmes de l’humiliation ; pis, ceux de la
peur. Puis vint la colère, froide, nue. Et Vador ne fut plus que soif de revanche.
Comme un miroir, le jeune Jedi immobile au sommet des marches reflétait inconsciemment le trouble de Vador, au bénéfice d’un Palpatine jubilant. L’Empereur pressa Luke.
– Va, garçon, lâche la bride à ta haine ! Laisse-la couler en toi, ne faire plus qu’un avec toi. Laisse-la te nourrir !
La voix de l’Empereur éveilla le jeune Jedi de ses rêves de gloire et de conquête. Luke réalisa soudain ce qui était en train de se produire et ne fut plus que confusion. Que voulait-il ? Que devait-il faire ? Son exultation passionnée des secondes précédentes ? Envolée, noyée dans un flot d’indécision, un brouillard d’incertitudes.
Luke recula d’un pas, abaissa son épée. Il se détendit, essaya de chasser toute haine de son être.
À cet instant, Vador attaqua. Il se fendit, mettant Luke sur la défensive, enroula son épée autour de celle de son adversaire pour le désarmer. Luke se dégagea, rompit. D’un bond, il fut sur un portique dominant la salle. Vador sauta par-dessus la rampe de l’escalier, atterrit sur le sol, à la verticale de la plate-forme sur laquelle se tenait Luke.
— Je ne te combattrai pas, Père, énonça Luke.
— Tu es mal avisé d’abaisser tes défenses, l’avertit ! Vador.
La colère du Seigneur Noir s’était apaisée. Il ne voulait pas vaincre si le garçon ne se donnait pas à fond. Mais si vaincre signifiait devoir tuer un garçon qui refusait le combat, alors il pouvait le faire. Il tenait simplement à avertir Luke des conséquences de sa décision. Il tenait à ce qu’il sache qu’il ne s’agissait plus d’un jeu.
Luke entendit cela, mais aussi un autre discours.
— Tes pensées te trahissent, Père. Je sens le bien en toi… le conflit. Une première fois, tu n’as pas pu te résoudre à me tuer, et tu ne me détruiras pas aujourd’hui.
C’était en réalité par deux fois – à ce qu’en savait Luke – que Vador avait eu l’occasion de le tuer et ne l’avait pas fait. Au cours du combat au-dessus de la première Étoile Noire et, plus tard, dans leur duel à l’épée, sur Bespin. À rajouter à cela l’épisode douloureux au cours duquel Vador avait tenu Leia entre ses griffes. Il l’avait torturée… mais ne l’avait pas tuée. Luke frémit à l’évocation des tourments qu’avait endurés sa sœur, mais il chassa rapidement cette pensée de crainte qu’elle ne fût surprise par l’Empereur.
L’accusation de Luke avait mis Vador hors de lui. Il était capable de tolérer beaucoup de choses de la part de l’insolent gamin, mais cela, c’était intolérable ! Il allait donner au garçon une leçon qu’il n’oublierait pas de sitôt. Ou mourrait d’avoir apprise.
— À nouveau, tu sous-estimes le pouvoir de la face obscure…
Vador lança son épée. La lame fendit l’air en scintillant, sectionna deux des supports du portique sur lequel était perché Luke, avant de rejoindre docilement la main du Seigneur Noir. Déséquilibré, Luke trébucha, roula sur la plate-forme inclinée, jusqu’à un niveau intermédiaire. Dans l’ombre du surplomb, il était hors de vue. Vador se mit à faire les cent pas autour de la zone d’ombre tel un chat à l’affût mais il se garda bien de se risquer plus avant.
— Tu ne pourras pas éternellement rester caché, Luke.
— Tu seras obligé de venir me chercher, répliqua la voix désincarnée.
— Je ne te donnerai pas si facilement l’avantage.
Vador sentait ses intentions s’entacher d’ambiguïté ; l’intégrité de son engagement dans la voie de l’ombre était en voie d’être compromise. Le garçon était décidément trop clairvoyant. Il allait falloir redoubler de prudence.
— Je ne cherche pas davantage, Père. Je ne te combattrai pas. Tiens… prends mon épée.
Luke connaissait l’ampleur du risque qu’il prenait mais cela n’entamait pas sa résolution. Si elle devait signifier sa fin, qu’il en soit ainsi. Il ne se servirait pas de l’Ombre pour combattre l’Ombre. Peut-être, après tout, reviendrait-il à Leia de poursuivre la lutte, sans lui. Peut-être trouverait-elle la voie qu’il cherchait en vain. L’autre voie, celle de l’Ombre, Luke se l’interdisait.
Il déposa son épée sur le sol et se laissa rouler en direction de Vador. À mi-chemin, il s’immobilisa et attendit.
Le Seigneur Noir n’eut qu’à tendre la main pour que le sabrolaser de Luke vienne s’y loger. Il l’accrocha à sa ceinture puis, avec une gravité teintée d’incertitude, il pénétra dans l’ombre du surplomb.
Son esprit dirigé vers Luke, Vador captait chacun des sentiments qui agitaient le jeune Jedi. Le doute, le remords, le regret, la solitude. Des vagues de chagrin aussi. Mais pas directement reliées à lui, Vador. À d’autres… à Endor. Ah ! il y était ! La lune où ses amis allaient mourir. Luke l’apprendrait bientôt, les relations humaines étaient fort différentes du côté obscur de la Force.
— Donne-toi à la face obscure, Luke, implora Vador. C’est le seul moyen de sauver tes amis. Oui, tes pensées te trahissent, fils. Tes sentiments envers eux sont fort, spécialement envers…
Vador s’interrompit. Il sentait quelque chose, quelque chose que Luke essayait de lui cacher.
Luke se rencogna plus profondément dans l’ombre. Comment faire ? Leia souffrait. Sa douleur l’appelait, criait vers lui comme lui criait vers elle. Il ne pouvait plus nier cet appel, ni le gommer. Il fallait qu’il le berce en lui, qu’il l’accueille.
La conscience de Vador envahit cette intimité.
— Non ! hurla Luke.
— Une sœur ?… énonça la voix encore incrédule de Vador. Une sœur ! vociféra-t-elle. Cette fois, ce sont tes sentiments qui t’ont trahi. Et elle avec… Des jumeaux !…
II poussa un rugissement de triomphe.
— … Obi-Wan a été bien inspiré de la cacher, mais désormais, son échec est complet. – Il laissa filer un sourire diabolique. – Si tu ne te tournes pas vers la face obscure, peut-être qu’elle le fera.
Pour Luke, c’était le point de rupture. Pas Leia ! Elle restait le seul espoir. Si Vador retournait contre elle ses talents dévoyés…
— Jamais ! hurla-t-il.
Son épée vola de la ceinture de Vador dans sa main, s’activa comme d’elle-même. Luke se rua sur son père avec une frénésie qu’il n’avait jamais soupçonnée en lui. Pas plus que Vador.
Les deux gladiateurs se battaient férocement. Les étincelles jaillissaient par gerbes du tranchant de leur lame. Il devint pourtant rapidement évident que l’avantage était dans le camp de Luke. Et que Luke le mettait à profit. Les deux épées s’entrechoquèrent. Lorsque Luke repoussa Vador pour rompre l’engagement, la tête du Seigneur Noir alla donner contre une des poutrelles basses qui soutenaient la plate-forme supérieure. Vador recula en titubant, poursuivi sans relâche par un adversaire déchaîné.
Coup après coup, Luke forçait Vador à la retraite. Toujours plus bas. Jusqu’au bord extrême du puits de visite du générateur. Sur le pont qui enjambait le puits. Les attaques harcelaient Vador comme des accusations, comme des cris, comme des échardes de haine.
Le Seigneur Noir tomba sur les genoux. Il leva son épée pour bloquer un nouvel assaut… La lame de Luke trancha la main au niveau du poignet.
Et tandis que l’épée de lumière disparaissait dans le puits insondable, la main, avec ses fils, ses instruments électroniques rebondit sur le sol avec un tintement sinistre, et disparut.
Du fond de la brume rouge qui brouillait ses sens, Luke entendit le tintement. Comme au sortir d’un cauchemar, il baissa les yeux vers sa main artificielle gantée de noir, et il sut à quel point il était devenu pareil à son père. Pareil à l’homme qu’il haïssait.
Il s’immobilisa, tremblant, au-dessus de Vador, la pointe de son épée appliquée sur la gorge du Seigneur Noir. Il voulait anéantir cette émanation de l’Ombre, cette chose qui avait été son père, cette chose qui était… lui.
Subitement, l’Empereur fut à ses côtés, frémissant d’une agitation incontrôlable.
— Bien ! Tue-le ! Ta haine t’a donné la puissance ! Maintenant, que ton destin s’accomplisse ! Tue et prends la place de ton père à mon côté !
Le regard de Luke se fixa sur ce père virtuellement vaincu, puis sur l’Empereur, puis à nouveau sur Vador. Ce qu’il avait devant lui était l’Ombre ; et c’était l’Ombre qu’il haïssait. Pas son père, pas même l’Empereur, mais l’Ombre qu’ils abritaient. Et que lui aussi abritait. La seule manière de vaincre l’Ombre était de renoncer à elle. Irrévocablement.
Lentement, Luke se redressa et prit la décision pour laquelle toute sa vie il s’était préparé.
— Jamais ! dit-il fièrement en jetant l’épée au loin. Jamais je ne me tournerai vers la face obscure. Vous avez échoué, Palpatine. Je suis un Jedi, comme mon père l’a été avant moi.
La jubilation de l’Empereur se changea en rage froide.
— Qu’il en soit ainsi, Jedi. Si tu ne peux pas être retourné, tu seras éliminé.
Palpatine leva vers Luke ses bras squelettiques. De ses doigts jaillirent d’aveuglants éclairs blancs qui sifflèrent à travers la pièce comme des serpents, et Luke se sentit assailli par une douleur abominable. Des épées de feu fouaillaient ses entrailles, lui lacéraient le ventre. Jamais il n’avait même entendu parler d’un tel pouvoir, d’une telle corruption de la Force.
Au milieu de son intolérable supplice, une pensée soutint Luke : ce que la Force générait, la Force pouvait le repousser. Luke leva les bras et, au début au moins, il réussit. Les éclairs rebondirent sur ses doigts pour aller se perdre dans les parois. Mais bientôt les éclairs revinrent à l’assaut, plus rapides, plus intenses, et Luke ne put plus les repousser. Il se recroquevilla sur lui-même, convulsé de douleur, les genoux fléchis, ses pouvoirs déclinants.
Comme une bête blessée, Vador rampa jusqu’aux pieds de l’Empereur.
Sur Endor, la bataille du bunker se poursuivait. Les soldats continuaient à arroser les Ewoks de leurs armes sophistiquées, les Ewoks à assommer les soldats à coups de gourdins, à déséquilibrer les bipodes à l’aide des troncs et des lianes tendus, à renverser les moto-speeders à l’aide de lassos et de filets.
Ils faisaient s’abattre des arbres sur leurs ennemis. Ils creusaient des trous recouverts de branchages puis poussaient les bipodes à les prendre en chasse jusqu’à ce que les véhicules patauds basculent dans les chausse-trapes. Ils provoquaient des éboulis. Ils endiguaient un petit cours d’eau, puis ouvraient les vannes – ils noyèrent ainsi une milice entière et deux bipodes. Ils se massaient pour s’évanouir aussitôt. Ils escaladaient les bipodes et déversaient dans les sabords de l’huile de lézard bouillante. Ils attaquaient au couteau, à l’épieu, à la fronde et poussaient de stridents cris de guerre pour confondre et épouvanter l’ennemi. Leur inventivité et leur audace ne connaissaient pas de bornes.
À leur exemple, Chewie devenait plus téméraire encore qu’à l’ordinaire. Le Wookie commençait à éprouver tant de plaisir à s’élancer de liane en liane et à bombarder des têtes, qu’il en oubliait presque l’existence de son blaster.
À un moment donné, il se jeta – Teebo et Wicket agrippés à son dos – sur le toit d’un bipode. Ils atterrirent avec un bruit sourd et firent tant et si bien à cogner et à bondir qu’un soldat souleva l’écoutille supérieure afin de déterminer l’origine d’un tel vacarme. Avant qu’il ait pu tirer son arme, Chewie l’avait arraché du bipode et projeté à terre. Immédiatement, Wicket et Teebo se glissèrent dans l’ouverture et maîtrisèrent le second garde.
Les Ewoks conduisaient un bipode impérial à peu près comme ils pilotaient un moto-speeder – horriblement mal mais en y prenant le plus grand plaisir. Chewie faillit à plusieurs reprises être projeté par-dessus bord, mais les barrissements qu’il lançait à travers l’ouverture n’impressionnaient guère les pilotes de fortune : les deux Ewoks gloussaient, piaulaient, couinaient… et se précipitaient tout droit dans le moto-speeder suivant.
Avec mille contorsions, Chewie finit par réussir à se glisser dans l’ouverture. En une demi-minute, il avait assimilé le fonctionnement de l’engin, la technologie impériale étant relativement standardisée. Il élabora alors une nouvelle tactique : s’approcher comme si de rien n’était d’un autre bipode et le réduire en poussière. Tactique couronnée de succès. Les machines de guerre tombaient les unes après les autres, sans même avoir soupçonné comment pour la plupart.
À voir flamber les monstres métalliques, les Ewoks trouvèrent en eux de nouvelles ressources. Ils se rallièrent derrière le bipode du Wookie, profitant de sa protection pour intensifier leur manœuvre de harcèlement. Chewie était en train d’infléchir l’issue de la bataille.
Pendant ce temps, Yan s’escrimait toujours sur le panneau de contrôle. Les fils crachaient des étincelles à chaque nouvelle épissure, mais la porte restait close. À plat ventre derrière lui, Leia se démenait comme un beau diable avec son blaster.
— Donne-moi un coup de main, lança enfin Yan, je crois que j’y suis. Tiens-moi ça.
Leia rengaina son arme et maintint en place le fil qu’il lui tendait pour lui permettre d’y adapter deux autres conducteurs dégagés du cadran.
— Croisons les doigts, c’est parti, décréta Yan.
Les trois fils se rejoignirent. L’étincelle jaillit. Avec un « VROUFF ! » sonore, une plaque de blindage s’abattit devant la porte, doublant la barrière imprenable.
— Splendide, murmura Leia. Maintenant, on a deux portes à forcer.
À ce moment, elle fut touchée au bras par une décharge et précipitée à terre. Yan se jeta à plat ventre à côté d’elle, cherchant à enrayer l’hémorragie.
— Princesse Leia, vous allez bien ? s’inquiéta 6PO.
— Rien de grave, répondit Leia en secouant la tête. Je…
— On ne bouge plus ! intima une voix. Un seul geste et vous êtes morts.
Ils se figèrent. Deux soldats étaient devant eux. Dans leur main, le fusil ne tremblait pas.
— Debout ! ordonna l’un d’eux. Les mains en l’air.
Yan et Leia échangèrent un regard où tout était
compris, senti, partagé. Dans les yeux de Leia, Yan lisait quelque chose de plus : un message. Il baissa les yeux vers l’étui du blaster qui pendait à la taille de la jeune femme. Elle avait subrepticement tiré son arme et la tenait prête. Yan se trouvait entre Leia et les soldats, bloquant en partie leur champ de vision, de sorte qu’ils n’avaient rien remarqué.
Yan plongea à nouveau son regard dans l’âme de Leia et dans un sourire d’adieu :
— Je t’aime, souffla-t-il.
— Je sais, répondit-elle simplement.
Le moment était passé. Au même signal, non énoncé mais compris, Yan bondit de côté, Leia tira.
L’air s’anima instantanément d’une scintillante aurore orangée, labourée d’éclairs et de sifflements… Quand la fumée se dissipa, les soldats gisaient à terre. Et un bipode était immobilisé à quelques mètres de Yan, ses canons braqués droit sur sa figure.
Yan leva les mains, risqua un pas en avant. Il ne savait pas quoi, mais il allait au moins tenter quelque chose.
— Reste en arrière, dit-il calmement à Leia tout en évaluant la distance qui le séparait de la machine.
C’est alors que l’écoutille du toit du bipode se rabattit violemment et qu’apparut une tête de Wookie, illuminée d’un large sourire.
— Ahr, Rahr ! aboya Chewbacca.
Yan l’aurait embrassé.
— Chewie ! Dépêche-toi de descendre de là. Elle est blessée !
Il s’élança à la rencontre de son ami, et s’immobilisa à mi-parcours.
— Non, attends ! lança-t-il. J’ai une meilleure idée.