Le gué écarlate
Alors que Wynter avait cinq ans, son père l’avait enveloppée dans un petit manteau rouge, hissée en selle devant lui et emmenée en pique-nique. Elle se rappelait encore le roulement soporifique du cheval sous ses fesses et la chaleur de son père contre son dos tandis qu’ils chevauchaient le long des sentiers forestiers. Elle se souvenait de ses bras vigoureux qui l’encadraient en tenant les rênes, de l’odeur de sciure et de résine qui se dégageait de ses vêtements. Elle n’avait pas oublié non plus la lumière qui perçait les frondaisons, ni la manière dont elle jouait sur ses mains d’enfant, si petites sur l’énorme pommeau de la selle.
L’ami de son père, Jonathon, les accompagnait avec ses fils Razi et Albéron. Tous étaient joyeux et riaient, comme souvent à l’époque. Juste deux amis et leurs enfants chéris partis se promener par une chaude matinée d’automne, pour profiter des derniers beaux jours avant que l’hiver ne resserre son étau. En y repensant, Wynter savait qu’ils étaient forcément escortés, mais elle n’avait gardé aucun souvenir de soldats ou de gardes. Peut-être était-elle si habituée à la présence de militaires autour de l’ami de son père qu’elle ne les remarquait plus. Elle ne songeait pas à Jonathon comme au roi, alors ; elle ne connaissait que Jon, le colosse blond, si prompt à s’emporter comme à montrer son affection. C’était l’ami de son père, le père des deux amis de Wynter, ses frères de cœur : Razi, sombre, grave et protecteur, et l’adorable Albéron, gai comme un pinson.
Razi trottait devant, à savourer la liberté inattendue de cette journée. Ses traits mats semblaient s’illuminer de l’intérieur. Albéron montait seul pour la toute première fois, et Wynter se souvenait de l’avoir regardé avec envie et amusement presser son poney pour essayer de se maintenir à la hauteur de son demi-frère. Elle se rappelait l’avoir entendu lancer anxieusement « Razi, Razi ! Ne me laisse pas ! » dans l’air baigné de soleil, et revoyait le sourire de Razi quand il s’était retourné pour l’attendre.
Ils avaient fait halte devant un gué ; les hommes s’étaient déshabillés pour patauger dans la rivière peu profonde, s’éclabousser à grands cris et rire de la fraîcheur de l’eau. Wynter, restée sur la berge, faisait passer son poids d’un pied sur l’autre en regardant Albéron se jeter dans les bras de son père. Jon le lançait très haut dans le soleil, et le visage de l’enfant rayonnait de joie et de lumière.
Une ombre s’était dressée à côté d’elle, et en levant la tête elle avait vu Razi lui sourire.
« Viens, ma chérie. » Il lui avait tendu la main. « Elle paraît froide, mais on s’y habitue. » Il l’avait menée gentiment dans le courant, en serrant fort ses petits doigts, après quoi le père de Wynter s’était avancé vers eux, les avait pris sous ses bras et portés dans l’eau claire pour leur apprendre à nager.

 

Presque onze ans plus tard, Wynter Moorehawke, assise sur la grève de galets d’un gué similaire, guettait les bruits furtifs de la forêt environnante. Elle n’accordait qu’une partie de son attention à la conversation inintelligible des guerriers merrons à sa droite sur les rochers ; le reste se focalisait sur les ombres des sous-bois, et les menaces potentielles qu’elles recelaient.
Au bord de l’eau, Razi, désormais âgé de vingt ans, se tenait accroupi, le regard perdu dans le courant. Un bref instant on aurait pu croire qu’il allait se détendre et s’asseoir pour de bon, mais Wynter savait qu’il ne resterait pas en place bien longtemps. Et de fait le jeune homme passa presque aussitôt la main dans ses cheveux bruns, poussa un soupir de frustration et se releva une fois de plus.
Reste tranquille, songea Wynter, mais, bien sûr, Razi se mit à faire les cent pas sur la berge.
Sa silhouette dégingandée sortit de son champ de vision, puis revint s’y encadrer, et Wynter détourna la tête pour ne pas devenir folle à le voir tourner en rond comme un fauve en cage. Depuis la mort d’Embla, un flot de colère bouillonnait en lui et se manifestait par une impatience insupportable. Wynter éprouvait de la compassion pour sa douleur, mais, dans l’immédiat, le grincement de ses bottes sur les galets lui portait sur les nerfs. Elle serra les dents pour retenir un commentaire désagréable.
Un soupir agacé monta du groupe des guerriers. « Tabiyb, grommela Úlfnaor, tu te asseoir avant que je te assomme avec mon épée. » Razi lui jeta un regard furibond, et le chef merron fronça ses sourcils bruns. « Assis ! ordonna-t-il. Tu me donner le tournis. » Razi s’exécuta, et Úlfnaor marqua son approbation d’un hochement de tête. « Eux bientôt revenir, dit-il. Tu profiter pour te reposer. »
Le grand gaillard parlait d’une voix calme, mais ses yeux sombres fouillaient la rive opposée avec anxiété. Autour de lui, ses guerriers paraissaient tendus ; les trois femmes affûtaient leurs épées, les trois hommes scrutaient les sous-bois de l’autre côté du gué. Quand ils s’étaient mis en route au matin, ils espéraient retrouver Albéron et engager des pourparlers, de sorte que les uns et les autres s’étaient préparés avec soin. Ils avaient revêtu les tuniques et les braies brodées vert pâle du costume traditionnel merron et s’étaient orné les bras, les mains et le cou de bijoux tribaux en argent. Hélas, ils avaient chevauché toute la journée sans trouver la moindre trace du Prince Rebelle et l’après-midi tirait à sa fin. Wynter commençait à craindre qu’on les ait envoyés sur une fausse piste.
Elle croisa le regard de la guérisseuse merronne, Hallvor. Celle-ci lui adressa un sourire rassurant mais Wynter décelait de la nervosité sur son visage. Les deux chiens d’Úlfnaor furetaient au bord de l’eau. Ils levèrent la tête quand ils entendirent Hallvor se lever. La guérisseuse rengaina son épée en descendant vers la berge, et les chiens de guerre remuèrent la queue, avides d’action. Mais elle se contenta de leur caresser la tête d’une main calleuse en regardant la forêt de l’autre côté. Elle bougonna quelque chose en merron. Úlfnaor lui répondit sur un ton apaisant.
Wynter aurait bien voulu que Christopher soit présent, et pas uniquement pour lui servir d’interprète. Elle fronça les sourcils en priant pour qu’il revienne vite. Le gravier crissa derrière elle – Razi. Son ombre immense tomba sur Wynter et il s’accroupit à côté d’elle, les coudes sur les genoux, les yeux sur la rive opposée.
« Je ne crois pas que nous aurons beaucoup plus de chance ici », dit-il à voix basse.
Wynter hocha la tête. Les Merrons longeaient la rivière depuis le petit matin, en s’arrêtant à certains lieux convenus à l’avance dans l’espoir que les hommes d’Albéron finissent par se montrer et les conduisent au camp des rebelles. C’était leur quatrième halte, et l’endroit paraissait aussi désert que les trois précédents. Ils patientaient depuis plus d’une heure maintenant mais Úlfnaor rechignait à poursuivre. Apparemment, si le rendez-vous n’avait pas lieu ici, il ne leur resterait plus qu’un endroit où rencontrer leurs guides. Et si celui-là ne donnait rien non plus, leur mission diplomatique se solderait par un échec. Les guerriers du Nord devraient rentrer chez eux bredouilles, et Razi, Wynter et Christopher ne seraient pas plus près de trouver le camp d’Albéron qu’ils ne l’étaient trois semaines auparavant.
« Chris et Sól sont partis depuis trop longtemps », murmura Wynter.
Razi soupira et se massa le visage. Il ne se donna pas la peine de répondre. Wynter commençait à se répéter, mais elle n’en avait cure. L’inquiétude la rendait irritable. Il ferait nuit dans moins de quatre heures, et elle voulait avoir Christopher sous les yeux. Elle le voulait à côté d’elle, et non quelque part dans ces bois infestés de Loups-Garous où les hommes du roi continuaient à traquer les rebelles.
« Úlfnaor n’aurait jamais dû les autoriser à partir seuls, pesta-t-elle. Au diable ces fichues reconnaissances ! En vérité, je crois qu’il les a laissés partir uniquement pour les occuper et ne plus les entendre. »
Razi lâcha un grognement approbateur. Christopher avait toujours été un trompe-la-mort incorrigible, et quant à Sólmundr, eh bien, depuis la mort de son bien-aimé Ashkr, le guerrier merron ne tenait plus en place. Christopher et lui semblaient se monter la tête l’un l’autre, et tous deux piaffaient d’impatience, pressés de passer à l’action. Ils s’étaient enfoncés dans la forêt avec beaucoup trop d’enthousiasme et trop peu de prudence au goût de Wynter. Elle aurait voulu les voir revenir. Même avec le chien de Sólmundr, Boro, pour les accompagner, elle avait peur que les deux amis soient affreusement vulnérables dans cette forêt.
Wynter ouvrait la bouche pour le formuler à voix haute quand Hallvor et les chiens de guerre dressèrent brusquement la tête. Sourcils froncés, la guérisseuse fit un pas en avant, les yeux sur l’orée de la forêt. Les chiens se mirent à grogner. Hallvor les fit taire d’un geste.
Razi et Wynter se levèrent. Sur les rochers, les Merrons firent de même, l’épée à la main.
« Cad é, a Hallvor ? » demanda Úlfnaor.
Hallvor lui intima de se taire, les yeux fixés devant elle. Elle indiqua les arbres.
« Coinín, répondit-elle. Agus é ag rith. »
C’était Christopher, qui accourait à toute vitesse et sans un bruit à travers les arbres, ses longs cheveux noirs flottant derrière lui. Ses bras minces et ses jambes pompaient l’air. Il déboucha au soleil et franchit le gué en soulevant une cascade d’éclaboussures. Boro et Sólmundr le suivaient au pas de course.
« Vite ! haleta Christopher. Quelqu’un vient, et pas pour parlementer ! »
Les Merrons se tournèrent vers leurs chevaux, mais Sólmundr les rappela. Il courut droit jusqu’aux rochers, se jeta sur la pile d’armes et ramassa son arc long et ses flèches. Ses compagnons l’imitèrent et il leur glissa des explications essoufflées pendant que tout le monde s’équipait.
Les yeux gris de Christopher croisèrent ceux de Wynter quand il s’arrêta devant elle. « Plus le temps de fuir, dit-il. Il va falloir se battre ! Ils sont juste derrière nous. »
Elle tira son épée. « Combien sont-ils ?
— Ai-je le temps de charger le pistolet à mèche ? » demanda Razi.
Christopher secoua la tête en réponse aux deux questions. « J’ignore combien ils sont, je ne crois même pas qu’ils sachent que nous sommes là. Mais ils arrivent droit sur nous, et ils sont bougrement pressés. Oublie le pistolet, Razi. Contentez-vous de tirer l’épée, tous les deux, et restez derrière les archers. »
Sólmundr cria quelque chose, et Christopher se retourna juste à temps pour attraper l’arbalète qu’il lui avait lancée. Son carquois de carreaux noirs suivit, et Wynter l’attrapa d’une seule main tandis que Christopher actionnait le levier d’armement de son arbalète. Elle lui tendit un carreau. Il chargea son arme et se tourna face au gué. Wynter vint se placer à côté de lui, l’épée au poing.
Sólmundr écarta une mèche rousse qui lui tombait devant les yeux et banda son arc long, le regard rivé aux arbres. Les Merrons se déployèrent le long de la rive, l’arc prêt, leurs chiens de guerre tapis en silence à leurs côtés. Le bois et le cuir des arcs grinçaient ; les guerriers mettaient juste assez de tension dans les cordes pour armer leurs flèches sans tirer à fond pour l’instant. Le calme de cette soirée d’automne retomba autour d’eux pendant qu’ils attendaient.
Christopher appuya son arbalète au creux de son épaule et se campa solidement sur ses jambes. « Les voilà », chuchota-t-il. Wynter les entendait à présent, qui se rapprochaient très vite. Au contraire de Christopher et de sa course silencieuse, les nouveaux arrivants semblaient foncer à l’aveuglette à travers les sous-bois. C’était le bruit d’une course paniquée, désespérée. Les Merrons achevèrent de bander leurs arcs et visèrent l’orée de la forêt.
L’homme qui jaillit d’entre les arbres ne les aperçut pas tout de suite. Il déboucha dans le soleil en titubant et pataugea dans l’eau claire jusqu’au milieu du gué sans paraître remarquer l’impressionnante rangée de guerriers qui l’attendait de l’autre côté. La tête basse, il se tenait le ventre à deux mains et semblait consacrer toute son énergie à mettre un pied devant l’autre.
« Arrêtez ! s’écria Wynter. Ne tirez pas ! »
Alerté par sa voix, l’homme s’immobilisa sur des jambes flageolantes. Privé de son élan, il parut perdre sa capacité à rester debout et tomba immédiatement à genoux avant de s’écrouler tête la première dans les eaux peu profondes. La rivière rougit autour de lui.
Suivit un moment de silence abasourdi où tout le monde regarda le sang du malheureux s’élever de son corps, tourbillonner et partir en filets sombres dans le courant. Puis Razi jeta son épée sur le gravier et pataugea dans le gué pour faire rouler l’homme sur le dos.
Wynter croyait qu’il avait perdu connaissance, mais à peine eut-il le visage hors de l’eau que l’homme inhala une grande goulée d’air et empoigna le manteau de Razi d’une main sanglante.
« Aidez-moi, fit-il d’une voix rauque. Aidez-moi… » Ses yeux mi-clos se posèrent sur les Merrons, qui tenaient leurs arcs braqués sur les arbres et dont l’attention se partageait entre le nouveau venu et ceux qui risquaient de surgir à sa poursuite.
Razi entreprit de redresser le malheureux, et Wynter courut l’aider. Christopher les rejoignit au milieu du gué. Sans baisser son arme, il les contourna pour se placer devant eux, l’arbalète pointée sur la berge opposée.
« Retournez derrière les archers, ordonna-t-il avec brusquerie.
— La cavalerie… la cavalerie…, gémit le blessé alors qu’ils le traînaient hors de l’eau. Fuir… le prince. »
Razi croisa le regard de Wynter par-dessus la tête de l’homme tandis qu’ils l’allongeaient sur les galets tièdes. « Vous faites partie de la cavalerie du roi ? » murmura-t-il, en retournant l’homme et en ouvrant son pourpoint afin d’examiner sa blessure. Wynter fit la grimace en découvrant la plaie béante qu’il avait au flanc. Elle dut détourner les yeux devant la masse des os et des organes palpitants.
« Je vais chercher ta trousse », annonça-t-elle.
Mais Razi secoua la tête, l’air sombre, et Wynter comprit qu’il n’y avait plus rien à faire.
« Oui… non… non, ils sont à mes trousses. Oh, Jésu, aidez-moi… » L’homme tenta de ramper, en plantant ses doigts sanglants dans le gravier, les traits déformés par la douleur. Le sang giclait à gros bouillons de sa blessure et rougissait les pierres autour de lui.
« Chut, lui murmura Wynter en posant la main sur son visage. Ne vous agitez pas… Restez allongé, l’ami. » L’homme se calma, et reposa la tête par terre en geignant. « Qui est à vos trousses ? lui demanda-t-elle.
— La cavalerie… la cavalerie… les hommes du roi. »
Wynter jeta un coup d’œil à Razi. Les hommes du roi.
« Vous travaillez pour mon frère », dit Razi d’une voix douce.
Pour la première fois, l’homme leva vers lui des yeux qui s’agrandirent sous l’effet de la peur. « Que Dieu me vienne en aide, souffla-t-il. Vous êtes l’Arabe. » Il gémit et ferma les paupières. « Oh, je suis perdu.
— Ce sont les hommes de mon père qui vous poursuivent ? demanda Razi. Vous cherchiez à regagner le campement des rebelles ?
— Le seigneur Razi voudrait rencontrer son frère, expliqua Wynter à voix basse. Il désire le réconcilier avec le roi. Nous pouvons vous emmener en lieu sûr, si vous voulez, mais indiquez-nous comment rejoindre le prince. » Cependant l’homme, convaincu désormais d’être entouré d’ennemis, enfonça le visage dans le gravier et se tut.
« Razi, intervint Christopher en jetant un coup d’œil à son ami. Les Merrons ne peuvent pas se laisser capturer par les hommes du roi. »
Sólmundr et Úlfnaor regardèrent Razi par-dessus leur épaule. Le reste des Merrons, incapables de suivre la discussion, scrutaient toujours les sous-bois en jetant des regards anxieux vers leurs chefs et l’homme à la peau mate qu’ils avaient juré de protéger.
« Razi, insista Christopher, si les hommes de ton père arrivent il faudra leur tirer dessus ! Sans quoi tu condamnes tous ces gens à la mort, et ta mission sera un échec. »
Razi secoua la tête et refusa de détacher son regard du blessé.
Wynter lui toucha le bras. Elle leva les yeux vers le visage peiné de Christopher.
« Les hommes du roi nous tuerons, ma jolie, dit Christopher. Il va falloir se battre ou mourir ; il n’y a pas d’autre solution.
— Eux arrivent ! » cria Sólmundr, et Wynter bondit sur ses pieds, tandis qu’un bruit de galopade enflait rapidement à travers les arbres. Elle soupesa son épée et revint se placer à côté de Christopher, le cœur battant, en proie à la colère et à la peur. Grand Dieu, comment avait-elle pu en arriver là ? À devoir combattre des soldats loyaux à la couronne, et à choisir entre les tuer ou mourir ?
Les Merrons ordonnèrent à leurs chiens de rester assis et armèrent de nouveau leurs arcs. Des reflets de soleil sur du métal scintillèrent sous les frondaisons tandis que des silhouettes sombres s’avançaient vers eux. Úlfnaor, dont les bras énormes frémissaient sous l’effort, visait avec soin en murmurant quelque chose à ses guerriers. De toute évidence il leur répétait : « Attendez… attendez… »
Wynter se campa sur ses jambes et releva son épée. Sa décision était prise. Elle n’avait pas l’intention de mourir ici. Elle n’allait pas mourir !
Christopher se tourna vers Razi, quêtant sa permission de tirer.
Razi baissa la tête, les yeux clos. Puis il ramassa son épée, se leva et rejoignit ses deux amis. Christopher épaula à l’instant où les soldats du roi jaillirent d’entre les arbres.
Ils n’étaient que deux, et s’avancèrent dans le gué avec une allégresse presque enfantine. Wynter n’oublierait jamais leur expression quand, au lieu du soldat blessé qu’ils s’attendaient à voir, ils se retrouvèrent brusquement confrontés à une rangée d’archers aux visages durs.
Pendant un bref instant le temps parut se figer, puis le plus jeune des soldats porta la main à son épée. Le carreau de Christopher le cueillit entre les deux yeux et le fit basculer en arrière sur sa selle. Puis on n’entendit plus que le claquement sec des arcs longs et le chuintement des flèches qui filaient vers leurs cibles et s’y enfonçaient avec un bruit sourd. Les corps inertes des soldats s’abattirent dans la rivière en soulevant des gerbes d’écume. Leur sang s’écoula dans le courant, comme celui du rebelle.
Wynter baissa son arme et regarda mourir les hommes du roi.
Les chevaux splendides trébuchèrent sous une deuxième volée de projectiles. Ils s’écroulèrent et leur sang se mêla dans l’eau claire à celui de leurs cavaliers. Une grande tache rouge s’étala bientôt à travers le gué, en petits tourbillons, avant de s’étendre jusqu’à la berge où les vaguelettes mouchetées de soleil vinrent colorer les pierres aux pieds de Wynter.
Derrière la jeune femme, Razi se détourna de cette vision macabre pour s’agenouiller auprès du rebelle blessé. Wynter le regarda fermer les yeux sans vie du malheureux. Pendant un instant fugace, Christopher resta près de Wynter, le bras autour de sa taille. Puis il s’avança dans les eaux écarlates du gué pour aider les Merrons à récupérer leurs flèches.