Jesse Rosenberg
Mardi 8 juillet 2014

18 jours avant le festival

Ce matin-là, dans la voiture pour aller trouver Steven Bergdorf à New York, Anna nous raconta, à Derek et moi, l’appel qu’elle avait eu avec Kirk Harvey.

— Il refuse de me révéler quoi que ce soit par téléphone, expliqua-t-elle. Il m’a donné rendez-vous demain mercredi à 18 heures au Beluga Bar.

— À Los Angeles ? m’étranglai-je. Il n’est pas sérieux ?

— Il avait l’air tout ce qu’il y a de plus sérieux, m’assura Anna. J’ai déjà regardé les horaires : tu peux prendre le vol de 10 heures demain matin depuis JFK, Jesse.

— Comment ça, Jesse ? protestai-je.

— C’est à la police d’État d’y aller, argumenta Anna, et Derek a des enfants.

— Va pour Los Angeles, soupirai-je.

Nous n’avions pas prévenu Steven Bergdorf de notre venue afin de jouer un peu de l’effet surprise. Nous le trouvâmes à la rédaction de la Revue des lettres new-yorkaises où il nous reçut dans son bureau en désordre.

— Oh, j’ai appris pour Stephanie, quelle affreuse nouvelle ! nous dit-il d’emblée. Est-ce que vous avez une piste ?

— C’est possible et il se pourrait qu’elle vous concerne, lui asséna Derek dont je découvrais qu’il n’avait rien perdu de sa verve même après vingt ans à l’écart du terrain.

— Moi ? blêmit Bergdorf.

— Stephanie s’est fait engager à l’Orphea Chronicle pour mener en toute discrétion une enquête sur le quadruple meurtre de 1994. Elle écrivait un livre à ce sujet.

— Les bras m’en tombent, nous assura Bergdorf. Je l’ignorais.

— Vraiment ? s’étonna Derek. Nous savons que l’idée du livre a été soufflée à Stephanie par quelqu’un qui était présent à Orphea le soir des meurtres. Et plus précisément, dans le Grand Théâtre. Où étiez-vous au moment des meurtres, monsieur Bergdorf ? Je suis certain que vous vous en souvenez.

— Au Grand Théâtre, c’est vrai. Comme tout le monde à Orphea ce soir-là ! Je n’ai même jamais abordé ce sujet avec Stephanie, c’est un fait divers sans la moindre importance à mes yeux.

— Vous étiez rédacteur en chef de l’Orphea Chronicle et vous avez subitement démissionné dans les jours qui ont suivi le quadruple meurtre. Sans parler de ce livre que vous avez écrit sur le festival, festival auquel Stephanie s’intéressait de près justement. Ça fait beaucoup de points de convergence, vous ne trouvez pas ? Monsieur Bergdorf, avez-vous mandaté Stephanie Mailer pour écrire une enquête sur le quadruple meurtre d’Orphea ?

— Je vous jure que non ! C’est insensé cette histoire. Pourquoi aurais-je fait cela ?

— Depuis combien de temps n’êtes-vous plus allé à Orphea ?

— Je m’y suis rendu pour un week-end au mois de mai de l’année passée, à l’invitation de la mairie. Je n’y avais plus mis les pieds depuis 1994. J’ai quitté Orphea sans y garder d’attaches : je me suis installé à New York, j’y ai rencontré ma femme et j’ai poursuivi ma carrière de journaliste.

— Pourquoi avez-vous quitté Orphea juste après le quadruple meurtre ?

— À cause du maire Gordon justement.

Bergdorf nous replongea vingt ans en arrière.

— Joseph Gordon, nous expliqua-t-il, était sur le plan personnel et professionnel un homme assez médiocre. C’était un homme d’affaires raté : ses sociétés avaient toutes sombré et il s’était finalement lancé dans la politique lorsque l’opportunité de devenir maire lui a fait miroiter le salaire qui allait avec.

— Comment a-t-il été élu ?

— C’était un grand baratineur, il était capable de faire bonne impression en surface. Il aurait vendu de la neige à des Esquimaux, mais il aurait été incapable de leur livrer la neige si vous voyez ce que je veux dire. Lors de l’élection municipale de 1990, la ville d’Orphea n’allait économiquement pas très bien et le climat était morose. Gordon a raconté aux gens ce qu’ils voulaient entendre et il a été élu. Mais rapidement, comme il était un politicien médiocre, il a été assez mal considéré.

— Médiocre, nuançai-je, mais pourtant le maire Gordon a créé le festival de théâtre qui a eu un important retentissement pour la ville.

— Ce n’est pas le maire Gordon qui a créé le festival de théâtre, capitaine Rosenberg. C’est son adjoint de l’époque : Alan Brown. Rapidement après avoir été élu, le maire Gordon a compris qu’il avait besoin d’aide pour gérer Orphea. À cette époque, Alan Brown, un enfant de la ville, venait d’obtenir son diplôme de droit. Il a accepté de devenir adjoint au maire, ce qui était un premier poste tout de même important pour un gars fraîchement diplômé. Rapidement, le jeune Brown a brillé par son intelligence. Il a tout mis en œuvre pour relancer l’économie de la ville. Et il y est parvenu. Les bonnes années qui ont suivi l’élection du président Clinton ont ensuite beaucoup aidé, mais Brown avait posé les jalons avec sa panoplie d’idées : il a relancé le tourisme de façon massive, puis il y a eu les célébrations du 4 Juillet, le feu d’artifice annuel, une aide à l’installation de nouveaux commerces, la réfection de la rue principale.

— Et il a ensuite été propulsé maire à la mort de Gordon, c’est bien cela ? demandai-je.

— Propulsé, non, capitaine. Après l’assassinat de Gordon, Alan Brown a assuré les fonctions de maire par intérim pendant à peine un mois : en septembre 1994, il y avait de toute façon les élections municipales et Brown avait déjà prévu de s’y présenter. Il a été brillamment élu.

— Revenons au maire Gordon, proposa Derek. Avait-il des ennemis ?

— Il n’avait pas de ligne politique claire, donc il fâchait tout le monde à un moment ou un autre.

— Par exemple Ted Tennenbaum ?

— Même pas. Ils ont bien eu une petite querelle quant à la réfection d’un bâtiment en restaurant, mais il n’y avait pas de quoi tuer un homme et toute sa famille.

— Vraiment ? demandai-je.

— Oh oui, je n’ai jamais cru qu’il ait pu faire ça pour un motif aussi futile !

— Pourquoi n’avez-vous rien dit à l’époque ?

— À qui ? À la police ? Vous me voyez débarquer au commissariat pour remettre en cause une enquête ? J’imaginais qu’il y avait certainement des preuves solides. Je veux dire : le pauvre gars en est mort quand même. Et puis, pour être franc, je m’en fichais un peu. Je ne vivais plus à Orphea de toute façon. J’ai suivi l’histoire de loin. Enfin bref, reprenons le fil de mon histoire. Je vous disais que la volonté du jeune Alan Brown de reconstruire la ville a été une bénédiction pour les petits entrepreneurs locaux : réfection de la mairie, réfection des restaurants, construction d’une bibliothèque municipale et de divers nouveaux bâtiments. Enfin, ça c’est la version officielle. Parce que sous couvert d’affirmer qu’il voulait faire travailler les habitants de la ville, Gordon leur demandait par-derrière de surfacturer leur prestation en échange de l’obtention du contrat.

— Gordon touchait des pots-de-vin ? s’écria Derek qui semblait tomber des nues.

— Eh oui !

— Pourquoi à l’époque de notre enquête, personne n’en a parlé ? s’étonna Anna.

— Vous vouliez quoi ? lui rétorqua Bergdorf. Que les entrepreneurs se dénoncent eux-mêmes ? Ils étaient aussi coupables que le maire. Autant confesser l’assassinat du président Kennedy tant que vous y êtes.

— Et vous ? Comment l’avez-vous su ?

— Les contrats étaient publics. Au moment des travaux, vous pouviez consulter les montants payés par la mairie aux différentes entreprises. Et il se trouvait que les entreprises participant aux chantiers municipaux devaient aussi présenter leurs bilans comptables à la mairie, qui voulait s’assurer qu’elles ne feraient pas faillite en cours de travaux. Au début de l’année 1994, je me suis arrangé pour obtenir le bilan des entreprises mandatées et je l’ai comparé avec les sommes officiellement versées par la mairie. Pour la plupart, la ligne comptable concernant le paiement effectué par la mairie affichait une somme inférieure à celle du contrat signé avec elle.

— Comment personne ne s’en est-il rendu compte ? interrogea Derek.

— J’imagine qu’il y avait une facture pour la mairie et une facture pour la comptabilité et que les deux montants ne correspondaient pas, ce que personne, à part moi, n’est jamais allé vérifier.

— Et vous n’avez rien dit ?

— Si, j’ai préparé un article pour l’Orphea Chronicle, et je suis allé voir le maire Gordon. Pour lui demander des explications. Et vous savez ce qu’il m’a répondu ?

***

Mairie d’Orphea,
bureau du maire Gordon,
15 février 1994

Le maire Gordon lut attentivement l’article que Bergdorf venait de lui soumettre. Un silence total régnait dans la pièce. Gordon paraissait tranquille alors que Bergdorf était, lui, nerveux. Finalement, le maire, posant le texte sur sa table, leva les yeux vers le journaliste et lui dit d’une voix presque comique :

— C’est très grave ce dont vous me prévenez ici, mon cher Steven. Il y aurait donc de la corruption au plus haut niveau à Orphea ?

— Oui, monsieur le maire.

— Ça va faire un sacré boucan. Bien entendu, vous avez des copies des contrats et des bilans pour prouver tout cela ?

— Oui, monsieur le maire, acquiesça Bergdorf.

— Quel travail consciencieux ! le félicita le maire Gordon. Vous savez, mon cher Steven, c’est une sacrée coïncidence que vous soyez venu me voir : je voulais justement vous parler d’un grand projet. Vous n’ignorez pas que dans quelques mois nous célébrerons l’ouverture de notre premier festival de théâtre ?

— Absolument, monsieur le maire, répondit Bergdorf qui ne comprenait pas bien où le maire voulait en venir.

— Eh bien, je voudrais que vous consacriez un livre à ce festival. Une plaquette dans laquelle vous raconteriez les coulisses de la création de ce festival, le tout agrémenté de quelques photos. Il paraîtrait au moment de l’ouverture. Ce serait un souvenir bienvenu pour les spectateurs qui l’achèteront sans hésiter. Au fait, Steven, combien demandez-vous pour un travail de commande ?

— Je… je ne sais pas, monsieur le maire. Je n’ai encore jamais fait cela.

— À mon avis, ça coûte bien dans les 100 000 dollars, décréta le maire.

— Vous… vous me paieriez 100 000 dollars pour écrire ce livre ? balbutia Steven.

— Oui, ça me paraît normal pour une plume comme la vôtre. Par contre, évidemment, cela ne serait pas possible si un article devait paraître dans l’Orphea Chronicle à propos de la gestion des comptes municipaux. Car les comptes seraient scrupuleusement examinés et les gens ne comprendraient pas que je vous verse une pareille somme. Vous voyez ce que je veux dire…

***

— Et vous avez écrit ce livre ! m’exclamai-je en faisant aussitôt le lien avec le livre qu’Anna et moi avions déniché chez Cody. Vous vous êtes laissé corrompre…

— Ah, non, capitaine Rosenberg ! se rebiffa Steven. Pas de gros mots, je vous en prie ! Vous imaginez bien que je n’allais pas refuser une offre pareille ! C’était l’occasion de me faire un peu de fric, ça aurait pu me payer une maison. Malheureusement, je n’ai jamais été payé car cet imbécile de Gordon s’est fait assassiner avant que je touche l’argent. Pour empêcher que je me retourne contre lui après avoir reçu mes 100 000 dollars, il m’avait dit qu’il me paierait après la publication du livre. Le surlendemain de la mort de Gordon, je suis allé voir illico Alan Brown, devenu maire par intérim. Il n’y avait pas de contrat écrit entre Gordon et moi et je ne voulais pas que notre accord parte aux oubliettes. Je pensais que Brown était mouillé, lui aussi, mais voilà que je découvre qu’il n’était au courant de rien. Il a été tellement effaré qu’il m’a demandé de démissionner avec effet immédiat, faute de quoi il préviendrait la police. Il m’a dit qu’il ne tolérerait pas de journaliste corrompu au sein de l’Orphea Chronicle. J’ai dû m’en aller, et c’est comme ça que ce cafard de Michael Bird s’est retrouvé rédacteur en chef, alors qu’il écrit comme un pied !

***

À Orphea, Charlotte Brown, la femme du maire, avait réussi à arracher son mari à son bureau pour l’emmener déjeuner sur la terrasse du Café Athéna. Elle le trouvait affreusement tendu et nerveux. Il dormait à peine, se nourrissait de rien, il avait les traits tirés et la mine des gens trop soucieux. Elle avait songé qu’un déjeuner au soleil lui ferait le plus grand bien.

Son initiative fut un succès total : Alan, après avoir assuré qu’il n’avait pas le temps de déjeuner, s’était finalement laissé convaincre et sa pause semblait lui avoir fait du bien. Le répit fut de courte durée : le téléphone d’Alan se mit à vibrer sur la table et, lorsqu’il vit le nom de l’interlocuteur qui s’affichait sur l’écran, il eut un air inquiet. Il s’éloigna de la table pour répondre.

Charlotte Brown ne put entendre la teneur de sa conversation, mais elle perçut quelques éclats de voix et décela un extrême agacement dans la gestuelle de son mari. Elle l’entendit soudain dire d’une voix presque suppliante « Ne faites pas ça, je vais trouver une solution », avant de raccrocher et revenir furieux alors qu’un serveur déposait sur leur table les desserts qu’ils avaient commandés.

— Il faut que j’aille à la mairie, annonça Alan d’un ton désagréable.

— Déjà ? regretta Charlotte. Mais mange au moins ton dessert, Alan. Ça peut bien attendre un quart d’heure, non ?

— J’ai de grosses emmerdes, Charlotte. C’était l’imprésario de la troupe qui doit jouer la pièce principale du festival. Il dit qu’il a appris pour la grève et que les acteurs ont peur pour leur sécurité. Ils se désistent. Je n’ai plus de pièce. C’est une catastrophe.

Le maire s’en alla aussitôt, et ne remarqua pas la personne, attablée dos à lui depuis le début de son déjeuner, qui n’avait pas perdu une miette de sa conversation. Elle attendit que Charlotte Brown fût partie à son tour pour décrocher son téléphone.

« Michael Bird ? dit-elle. C’est Sylvia Tennenbaum. J’ai des informations sur le maire qui devraient vous intéresser. Pouvez-vous passer au Café Athéna ? »

***

Lorsque j’avais demandé à Steven Bergdorf où il se trouvait le soir de la disparition de Stephanie Mailer, celui-ci, prenant un air offusqué, avait répondu : « J’étais à un vernissage, vous pouvez vérifier, capitaine. » C’est ce que nous fîmes, de retour dans le bureau d’Anna au commissariat d’Orphea.

La galerie qui organisait l’évènement nous confirma la présence de Bergdorf tout en précisant que le vernissage s’était terminé à 19 heures.

— En quittant Manhattan à 19 heures, il pouvait être à Orphea à 22 heures, fit remarquer Anna.

— Tu penses qu’il aurait pu s’en prendre à Stephanie ? lui demandai-je.

— Bergdorf connaît parfaitement le bâtiment de la rédaction de l’Orphea Chronicle. Il savait comment s’y introduire pour voler l’ordinateur. Il savait également que Michael Bird en était le rédacteur en chef et c’est à lui qu’il envoie le SMS depuis le téléphone d’Anna. Et puis on peut imaginer qu’il craignait d’être encore connu à Orphea, raison pour laquelle il a finalement renoncé à rencontrer Stephanie au Kodiak Grill et lui a fixé rendez-vous à la plage. Rappelez-moi pourquoi on ne l’a pas embarqué tout à l’heure ?

— Parce que ce sont que des suppositions, Anna, intervint Derek. Rien de concret. Un avocat te démonte ça en cinq minutes. Nous n’avons rien de concret contre lui : quand bien même il aurait été seul chez lui, impossible de le prouver. Et puis, son alibi merdique est la preuve qu’il ne sait même pas à quelle heure Stephanie a été assassinée.

Derek n’avait pas tort sur ce point-là. Je collai malgré tout une photo de Bergdorf sur le tableau magnétique.

— Moi, Jesse, suggéra Anna, je verrais plutôt Bergdorf comme le commanditaire du livre de Stephanie.

Elle reprit des extraits du texte retrouvé dans l’ordinateur et que nous avions collés sur le tableau et nous dit :

— Lorsque Stephanie demande au commanditaire pourquoi il n’écrivait pas ce livre lui-même, celui-ci répond : « Moi ? Impossible ! Que diraient les gens ? » Ce serait donc une personne notoirement incapable d’écrire, au point de confier la tâche à quelqu’un d’autre.

Je lus alors l’extrait suivant :

« Il était un peu avant 19 heures. Je suis sorti dans la rue faire quelques pas, j’ai vu une camionnette passer. J’ai compris bien après, en lisant les journaux, que c’était le véhicule de Ted Tennenbaum. Le problème est que ce n’était pas lui qui était au volant. » Bergdorf nous a dit douter justement de la culpabilité de Tennenbaum. Et il était dans le Grand Théâtre ce soir-là.

— Je donnerais cher pour savoir qui était au volant de cette camionnette, dit Anna.

— Moi, lui répondit Derek, je me demande pourquoi est-ce que le maire Brown n’a jamais parlé de la corruption du maire Gordon ? Si on l’avait su à l’époque, ça aurait changé le cours de l’enquête. Et surtout : si l’argent transféré dans le Montana par Gordon provenait des pots-de-vin versés par des entrepreneurs, alors à quoi correspondent les retraits en liquide effectués par Ted Tennenbaum et dont il n’a jamais pu se justifier ?

Il y eut un long silence. Nous voyant Derek et moi complètement perplexes, Anna demanda alors :

— Comment est mort Ted Tennenbaum ?

— Pendant son arrestation, me contentai-je de répondre sobrement.

Derek, lui, détourna tout simplement la conversation pour signifier à Anna que nous n’avions pas envie d’en parler.

— On devrait aller manger un morceau, dit-il, on n’a pas déjeuné. C’est moi qui invite.

***

Le maire Brown était rentré chez lui inhabituellement tôt. Il avait besoin de calme pour étudier les différents cas de figure à envisager si le festival de théâtre était annulé. Il tournait en rond dans son salon, le visage concentré. Sa femme, Charlotte, l’observant à distance, pouvait sentir sa nervosité. Elle finit par le rejoindre pour essayer de le raisonner.

— Alan chéri, dit-elle en passant tendrement sa main dans ses cheveux, et si c’était peut-être le signe qu’il faudrait renoncer à ce festival ? Ça te met dans un tel état…

— Comment peux-tu dire une chose pareille ? Toi qui étais actrice… Tu sais ce que ça représente ! J’ai besoin que tu me soutiennes.

— Mais je me dis que c’est peut-être le destin. Ça fait longtemps que ce festival perd de l’argent de toute façon.

— Ce festival doit avoir lieu, Charlotte ! Notre ville en dépend.

— Mais que vas-tu faire pour remplacer la pièce principale ?

— Je n’en sais rien, soupira-t-il. Je vais être ridiculisé.

— Tout va s’arranger, Alan, tu vas voir.

— Comment ? demanda-t-il.

Elle n’en avait aucune idée. Elle avait juste dit cela pour lui remonter le moral. Elle s’employa à trouver une solution :

— Je… je vais activer mes contacts dans le milieu du théâtre !

— Tes contacts ? Chérie, c’est adorable, mais tu n’es plus remontée sur les planches depuis vingt ans. Tu n’as plus la moindre connexion…

Il enroula un bras autour de sa femme qui posa la tête sur son épaule.

— C’est une catastrophe, dit-il. Personne ne veut venir à ce festival. Ni les acteurs, ni la presse, ni les critiques. Nous avons envoyé des dizaines d’invitations qui sont restées sans réponse. J’ai même écrit à Meta Ostrovski.

— Le Meta Ostrovski du New York Times ?

— Ex-New York Times. Il travaille maintenant à la Revue des lettres new-yorkaises. C’est mieux que rien. Mais pas de réponse non plus. On est à moins de vingt jours de la première et le festival est au bord de l’effondrement. Je ferais mieux de mettre le feu au théâtre pour…

— Alan, l’interrompit sa femme, ne dis pas de telles stupidités !

La sonnette de la porte d’entrée retentit à ce moment-là.

— Tiens, c’est peut-être lui, plaisanta Charlotte.

— Tu attends quelqu’un ? demanda Alan qui n’était pas d’humeur à rire.

— Non.

Il se leva et traversa la maison pour aller ouvrir : c’était Michael Bird.

— Bonjour, Michael, lui dit-il.

— Bonjour, monsieur le maire. Je vous demande pardon de vous importuner chez vous, j’ai essayé désespérément de vous appeler sur votre portable mais il était coupé.

— J’avais besoin d’un moment de tranquillité. Que se passe-t-il ?

— Je voulais avoir votre commentaire sur la rumeur, monsieur le maire.

— Quelle rumeur ?

— Celle qui veut que vous n’ayez plus de pièce principale pour le festival de théâtre.

— Qui vous a dit ça ?

— Je suis journaliste.

— Alors, vous devriez justement savoir que les rumeurs ne valent rien, Michael, s’agaça Brown.

— Je suis bien d’accord avec vous, monsieur le maire. C’est la raison pour laquelle j’ai pris la peine d’appeler l’agent de la troupe en question, qui m’a confirmé l’annulation du spectacle. Il m’a dit que les acteurs ne se sentent plus en sécurité à Orphea.

— Tout ceci est ridicule, répondit Alan sans se départir de son calme. Et si j’étais vous, je ne publierais pas ça…

— Ah ? Et pourquoi ?

— Parce que… vous vous ridiculiseriez !

— Je me ridiculiserais ?

— Parfaitement. Que croyez-vous, Michael, j’ai d’ores et déjà pallié la défection de la troupe de théâtre initialement programmée.

— Vraiment ? Et pourquoi ne l’avez-vous pas encore annoncé ?

— Parce que… Parce que c’est une très grande production, répondit le maire sans réfléchir. Quelque chose d’unique ! Quelque chose qui va faire tellement de bruit que les spectateurs accourront. Je veux faire une vraie et belle annonce, pas un communiqué à la va-vite qui passerait inaperçu.

— Et alors, quand ferez-vous cette grande annonce ? interrogea Michael.

— Je vais l’annoncer ce vendredi, répondit le maire Brown du tac au tac. Oui, voilà, ce vendredi 11 juillet, je ferai une conférence de presse à la mairie, et croyez-moi, ce que je vous annoncerai sera une surprise totale pour tout le monde !

— Eh bien, merci de ces informations, monsieur le maire. Je mettrai tout ça dans l’édition de demain, dit Michael qui voulait vérifier si le maire bluffait ou pas.

— Faites, je vous en prie, lui répondit Alan d’un ton qu’il s’efforça de garder confiant.

Michael acquiesça et fit mine de s’en aller. Mais Alan ne put s’empêcher d’ajouter :

— N’oubliez pas que c’est la mairie qui subventionne votre journal en vous épargnant un loyer, Michael.

— Que voulez-vous dire, monsieur le maire ?

— Que le chien ne mord pas la main qui le nourrit.

— Vous me menacez, monsieur le maire ?

— Je ne me permettrais pas. Je vous donne un conseil amical, c’est tout.

Michael le salua d’un geste de la tête et s’en alla. Alan referma la porte et serra le poing de rage. Il sentit une main se poser sur son épaule : Charlotte. Elle avait tout entendu et lui lança un regard inquiet.

— Une grande annonce ? répéta-t-elle. Mais, mon chéri, que vas-tu annoncer ?

— Je n’en sais rien. J’ai deux jours pour qu’un miracle survienne. Sinon, c’est ma démission que j’annoncerai.

La Disparition de Stephanie Mailer
titlepage.xhtml
part0000.html
part0001.html
part0002.html
part0003.html
part0004.html
part0005.html
part0006_split_000.html
part0006_split_001.html
part0006_split_002.html
part0006_split_003.html
part0006_split_004.html
part0006_split_005.html
part0006_split_006.html
part0006_split_007.html
part0006_split_008.html
part0007_split_000.html
part0007_split_001.html
part0007_split_002.html
part0007_split_003.html
part0007_split_004.html
part0007_split_005.html
part0008_split_000.html
part0008_split_001.html
part0008_split_002.html
part0008_split_003.html
part0008_split_004.html
part0008_split_005.html
part0008_split_006.html
part0008_split_007.html
part0008_split_008.html
part0008_split_009.html
part0009_split_000.html
part0009_split_001.html
part0009_split_002.html
part0009_split_003.html
part0009_split_004.html
part0009_split_005.html
part0010.html
part0011_split_000.html
part0011_split_001.html
part0011_split_002.html
part0011_split_003.html
part0011_split_004.html
part0011_split_005.html
part0012_split_000.html
part0012_split_001.html
part0012_split_002.html
part0012_split_003.html
part0012_split_004.html
part0013_split_000.html
part0013_split_001.html
part0013_split_002.html
part0013_split_003.html
part0013_split_004.html
part0013_split_005.html
part0014_split_000.html
part0014_split_001.html
part0014_split_002.html
part0014_split_003.html
part0014_split_004.html
part0014_split_005.html
part0014_split_006.html
part0014_split_007.html
part0014_split_008.html
part0014_split_009.html
part0015_split_000.html
part0015_split_001.html
part0015_split_002.html
part0015_split_003.html
part0016.html
part0017_split_000.html
part0017_split_001.html
part0018_split_000.html
part0018_split_001.html
part0018_split_002.html
part0018_split_003.html
part0018_split_004.html
part0018_split_005.html
part0018_split_006.html
part0018_split_007.html
part0018_split_008.html
part0019_split_000.html
part0019_split_001.html
part0019_split_002.html
part0019_split_003.html
part0020_split_000.html
part0020_split_001.html
part0020_split_002.html
part0020_split_003.html
part0021_split_000.html
part0021_split_001.html
part0022.html
part0023.html
part0024.html