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Ils sortirent du bureau, empruntèrent le couloir, tournèrent à gauche. La chambre des époux Mortimer était occupée par un grand lit à la couverture en satin, une commode de style Regency et deux grandes armoires en chêne massif, aux lignes sobres. Deux portes donnaient dans une salle de bains en marbre rose, une vaste penderie et un boudoir où Frances Mortimer disposait d’une coiffeuse, d’un semainierXVIIIeet de petits meubles en acajou contenant des produits de beauté. La moquette de laine vert sombre et les tapisseries murales, représentant des paysages de la campagne anglaise, faisaient de cet ensemble un chef-d’oeuvre d’harmonie, évoquant une suite somptueuse d’un grand hôtel d’autrefois.
– Merci de votre compréhension, Sir John Arthur.
– Je ne dors plus ici depuis la mort de Frances, confia le savant.
Le téléphone sonna dans son bureau.
– Le British Museum, sans doute ; cela risque d’être long. Excusez-moi, inspecteur.
Le professeur quitta la pièce. Higgins contempla les meubles, le lit, s’imprégna de la magie du lieu. Il s’apprêtait à l’explorer davantage quand il aperçut, dans le couloir, une silhouette tentant de se dissimuler.
– Venez donc, mademoiselle Lillby.
La femme de chambre obtempéra. Son chignon était toujours quelque peu désordonné, son visage moins fougueux, plus soumis.
– Vous pourriez me faire gagner du temps, mademoiselle. Guidez-moi, je vous prie.
Agatha Lillby tira des tiroirs, ouvrit les portes des armoires. Higgins observa d’un oeil acéré des robes, des costumes. Agatha Lillby avait le sentiment angoissant que cet inspecteur était devenu le véritable maître des lieux.
Dans l’armoire de Sir John Arthur, Higgins découvrit une vingtaine de paires de chaussures, des escarpins noirs de grande classe. Il les souleva avec soin et les reposa un à un.
– Venez voir, mademoiselle, c’est étrange.
Agatha Lillby s’approcha. Higgins s’était accroupi, elle l’imita. L’inspecteur désignait une paire aussi élégante que les autres.
– Ces chaussures ont une pointure de moins, dit-il en désignant du doigt la paire incriminée. Comment expliquez-vous ce mystère ?
Agatha Lillby s’empara des escarpins et les examina. Elle haussa les épaules.
– Le plus simplement du monde. Elles appartiennent à Philipp Mortimer.
– Les auriez-vous mal rangées ?
– Sûrement pas, inspecteur ! protesta-t-elle en se redressant. Philipp Mortimer est l’être le plus négligent que je connaisse. Un matin, j’ai découvert dans sa chambre une chaussure appartenant à Mme Mortimer. Une autre fois, il avait laissé traîner sa veste dans la salle de bains de son père. Ce jeune homme ne respecte rien.
Higgins se redressa à son tour.
– Si je vous comprends bien, c’est Philipp Mortimer qui rangé ses propres chaussures parmi celles de son père ?
– Évidemment ! Là ou ailleurs, pour lui, c’est pareil. Je vais les remettre à leur place.
– Inutile, mademoiselle. Laissons les choses là où elles sont. Il y a déjà assez de problèmes avec cette momie qui se déplace.
Agatha Lillby ouvrit des yeux inquiets.
– Connaîtriez-vous un certain William W. Dobelyou, mademoiselle ?
– Ce nom-là ne me dit rien, répondit-elle sèchement.
– William W. Dobelyou était le chef du gang des antiquaires. Du moins, sur le terrain. Il y avait peut-être une tête pensante au-dessus de lui.
Un bruit de moteur attira soudain l’attention de Higgins.
– La moto de Philipp Mortimer, je suppose ?
Agatha acquiesça.
– Je ne veux pas déranger le professeur ; vous le saluerez de ma part. Je vais accueillir son fils.
– Inspecteur…
Tendue, angoissée, la femme de chambre posait une question muette.
– Rassurez-vous, mademoiselle. Je n’ai rien dit à Sir John Arthur. Cela ne s’imposait pas. Mais vous n’avez pas été tout à fait sincère et je le déplore. J’ai l’impression que vous avez de notables besoins d’argent et que vous êtes prête à tout pour en obtenir. Je crois aussi que ce Dobelyou avait besoin d’un certain nombre de complicités pour mener à bien ses coupables activités. Si vous n’avez pas déposé vous-même la clé du bureau du British Museum dans la chambre de Philipp Mortimer, vous en connaissiez peut-être l’existence ? Vous avez encore beaucoup à confesser, mademoiselle. Surtout la vérité.
Laissant pétrifiée la femme de chambre des Mortimer, Higgins descendit l’escalier de marbre. Il commençait à connaître la demeure.
Philipp Mortimer rangeait sa moto contre le mur du garage. Ses gestes étaient hésitants. Sans doute revenait-il de son pub favori. Entendant le gravier crisser, il se retourna mollement et aperçut Higgins.
– Encore vous, inspecteur ! Vous habitez chez nous, à présent ?
– Pas exactement, monsieur Mortimer. Le hasard fait bien les choses, j’avais des précisions à vous demander. Vous ne rentrez pas votre moto dans le garage ?
– Jamais. Chacun son domaine. Ma moto n’a rien de commun avec la Rolls de mon père.
– Cela vous ennuierait si je jetais un coup d’oeil à votre magnifique BMW ?
Le front de Philipp Mortimer se plissa.
– Vous vous y connaissez, en moto ?
– C’est le moment d’apprendre, répondit Higgins en se penchant sur l’engin qu’éclairait assez mal la lumière de la lanterne du perron. J’aimerais que vous me parliez des derniers instants de Frances Mortimer, poursuivit-il, tout en examinant le moteur de la BMW.
– Pardon ? sursauta Philipp Mortimer.
– Je veux parler des derniers moments que vous avez passés avec elle. Pendant le trajet de l’hôtel particulier au National Theatre, Barry n’a rien dit ?
– Non, vraiment rien…
– Pendant la représentation, aucun incident ?
– Aucun.
– À l’entracte, qu’avez-vous fait ?
– Rien de spécial. Frances a simplement téléphoné à mon père.
– Sauriez-vous ce qu’ils se sont dit ?
– Des banalités… Frances a été obligée de patienter quelques instants, car mon père se disputait avec Tumberfast.
– Et ensuite ?
– Dès la fin de la pièce, Barry nous a emmenés à l’annexe du British Museum. Frances m’a prié de l’accompagner. J’ai d’abord refusé, et puis…
– Vous arrive-t-il souvent de laisser traîner vos chaussures dans la chambre de votre père ?
– Vous… vous moquez de moi ?
Higgins, apparemment satisfait, se redressa.
– Bien belle moto. On doit aller vite, avec un pareil engin ; dommage qu’il fasse tant de bruit. Agatha Lillby n’aimait guère Mme Mortimer, d’après ce que je sais. N’avez vous jamais douté de sa moralité ?
Philipp Mortimer sentait le froid le gagner. Il lui tardait de regagner son lit.
– Je n’aime pas jouer les informateurs, mais j’ai assisté à une scène choquante, le jour du meurtre. C’était le matin, de bonne heure. J’ai entendu des voix de femmes. Une altercation. Je suis sorti de ma chambre. Frances et Agatha se disputaient. J’ai entendu Agatha demander à Frances une avance sur ses gages. Frances lui a répondu que c’était impossible. Elle avait déjà accepté trois fois et ne céderait plus. Agatha lui a promis qu’elle ne l’emporterait pas en paradis. Elle s’est retirée, furieuse.
Les mains dans les poches de son imperméable, tournant le dos à son interlocuteur, Higgins contempla l’hôtel particulier des Mortimer.
– Pourquoi pas, après tout ? Ce serait extraordinaire, à moins que… Merci de votre collaboration, monsieur Mortimer. Vous feriez mieux d’aller dormir. La nuit est fraîche.
Pour la seconde fois, Philipp Mortimer vit la silhouette de Higgins disparaître dans les ténèbres. Le jeune homme frissonna et rentra dans une demeure qui n’était plus pour lui qu’une coquille vide.
Le crime de la momie
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