septembre, septembres

Vous allez le remarquer vite : il n’y a pas beaucoup d’auteurs anglo-saxons dans ce numéro, quatre en tout. Eh oui, la sensibilité des lecteurs évolue et cette S-F française que personne ne voulait lire, la voilà qui se vend, la voilà qui décolle, la voilà sujet d’articles du Monde, la voilà qui produit quelques joyaux. Alors, trois textes français dans ce numéro et de plus en plus l’envie pour moi de publier des inconnus, car ils sont de mieux en mieux.

Pierre MARLSON, depuis son repaire de la Creuse, aime voler, planer, et pour une fois, il ne nous entretient pas de pinard comme d’habitude. Beau cas de schizophrénie, bien écrit. Joël HOUSSIN est de retour, avec la seule nouvelle qu’il ait écrite depuis deux ans, il écrit autre chose en élevant des chiens dans les Pyrénées. C’est un gag, mais finement observé, bravo. Plus fou encore est Jean-Benoît THIRION, qui après avoir envoyé des textes à Univers pendant deux ans a eu le temps de faire des progrès. Il sort aussi dans Alerte ! en même temps. Beaux débuts, et quel souffle !

Et puis notre Italien, Riccardo LEVEGHI, la jeune vague frappe là-bas aussi. Une minutieuse description du fascisme mais il n’y a pas que ça. C’est étonnant.

L’Anglais habituel. Brian ALDISS, avec une variation pas très S-F sur un Jack L’Éventreur contemporain. Horrible mais dur comme un texte de spéculative.

Nos trois Américains en vedette. Michael CONEY pour la première fois, un des meilleurs novellistes de son temps. C’est une histoire d’espionnage, mais vous verrez, c’est autre chose que SAS. Deux retours : Jack DANN avec une très belle idée comme on ne m’en envoie pas assez, texte qui se relit plusieurs fois, vous ne serez pas volés. Et Steve GOLDIN, le roi du thème bateau traité de façon nouvelle et surtout avec une sensibilité nouvelle. On dirait un récit des années 50, mais toute sa problématique, toute la tendresse et la lumière de cette histoire sont des années 70, avec ce détail qui fait basculer une petite idée au bord de l’idée de génie.

VOLNY, le seul dessinateur de S-F à n’être jamais mauvais. Si vous lui demandez 20 planches pour le lendemain, gentiment, il vous les fait sans rechigner, et elles seront bonnes. Depuis Marseille, il mène une carrière exemplaire, y compris sur le plan politique. Lisez donc son Méfi !, journal bourré de S-F, c’est un des meilleurs canards de contre-information.

Quoi encore ? Un texte hilarant de DERMEZE, que l’on pourrait publier comme nouvelle, mais c’est mieux comme ça. Et puis Bernard BLANC, à propos duquel je vais m’appesantir.

Je voudrais rajouter quelque chose à son texte, que par ailleurs je signe des deux mains – sur tout. Imaginons que Blanc se trompe. Que ses adversaires aient raison. D’abord, si Blanc a raison une seule fois, c’est une catastrophe. S’il se trompe ça ne tuera personne. Pour ses adversaires, c’est le contraire. Deuxième chose : admettons maintenant qu’il ait complètement tort, et ses adversaires, génies intégraux, ne se trompent pas, sur rien. Il n’en restera pas moins que nous resterons de farouches adversaires de l’utilisation de l’énergie nucléaire. Pourquoi ?

Parce que le nucléaire n’est pas une source d’énergie parmi tant d’autres. Elle coûte très cher, et n’est rentable que sur une grande échelle, sur une échelle unique. Le nucléaire exclut toutes les autres formes d’énergie, et ce n’est pas un hasard si ses partisans la présente comme « la seule alternative ». Elle deviendrait la source quasi-unique de l’électricité, et l’électricité elle-même la forme unique d’énergie, contrôlée bien entendu par une seule compagnie (elle-même contrôlée par l’État… ou le contraire.) Par ailleurs, un encouragement systématique est fait à la surconsommation d’énergie, à laquelle nous succombons tous (cet édito est tapé sur une machine électrique ! Résultat : qui tient l’énergie tient le pays, et le trust mondial de l’énergie tient le monde. Voilà pourquoi tout ce qui touche au nucléaire, l’utilise et l’encourage est à combattre comme la peste. C’est du moins mon avis. Et celui de Bernard Blanc. Et celui de millions d’êtres humains de par le monde, qui le formulent plus ou moins bien. Vous êtes libres de penser ce que vous voulez, et de répéter comme un perroquet bien dressé qu’il y en a marre d’entendre gémir sur le nucléaire dans la S-F. Pour ma part, je donne un conseil à qui le veut : regardez vos amis, faites le tri. Cherchez ceux qui poussent au nucléaire comme d’autres au crime, délibérément ou hypocritement (par exemple en collaborant avec des organisations politiques pro-nucléaires tout en faisant semblant de jouer les écologistes.) Si vous êtes non-violent, changez d’amis (il y en a de bien plus beaux à côté) en leur criant une dernière fois que le nucléaire, c’est le fascisme énergétique, et que l’atome pacifique est le dernier avatar de la tyrannie. Maintenant si vous êtes violent, commencez toujours par leur flanquer votre poing dans la figure, vous ne pouvez pas savoir comment ça aide parfois à entamer un dialogue d’égal à égal.

Et notre sottisier ? Vous vous attendez sans doute à ce que je cite l’article de Vianson-Ponté (encore le Monde, je n’y peux rien s’ils sont plus sots que d’autres concernant la littérature) du 15-16 janvier 1978. D’autres l’ont déjà relevé. Alors, citons l’interview de Jacques Laurent, pas stupide mais révélatrice, dans Lire de novembre 1977 : « Je suis très peu sensible à la S-F, justement parce que la latitude de liberté du romancier y est excessive. » Eh oui, Laurent, la liberté excessive, ça fait mal à la tête, c’est pour ça qu’il y a tellement de docteurs pour la soigner, la calmer, la canaliser – et pas seulement dans la S-F…

Yves FREMION