Les peintres

De tous les auteurs classiques, La Fontaine est celui qui connaît Les peintres ont été plus heureusement inspirés que les écri-le mieux le monde rural. Il reprend en partie à son compte les vains par les réalités de la campagne, témoins les nombreux railleries dont les paysans sont l'objet dans les fabliaux, mais il tableaux que Georges de La Tour (Paiement des dettes, foueur de rend aussi hommage à leur travail patient et opiniâtre et à la vielle) et Louis Le Nain (La Famille de paysans, Repas des paysans), deux grands maîtres du réalisme français, ont consa-morale qui le prône : «Travaillez, prenez de la peine». Il sait crés à la vie paysanne.

distinguer le paysan aisé, qui lègue un héritage à ses enfants (Le Laboureur et ses enfants), de l'ouvrier agricole que guette la AU XIXe SIECLE

Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée Sous le faix du fagot aussi bien que des ans La Révolution, en abolissant les droits féodaux, améliore la Gémissant et courbé, marchait à pas pesants, condition paysanne, mais l'essor démographique qui démarre Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.

vers le milieu du xixe siècle multiplie le nombre des paysans Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur, sans terre. Ceux-ci vivent de travaux saisonniers et de larcins Il met bas son fagot, il songe à son malheur.

(braconnage, maraudage) et entretiennent dans les campagnes

« Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ?

un climat de mécontentement et de violence. George Sand, En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?

séduite par les paysages berrichons, donne une image idyllique Point de pain quelquefois, et jamais de repos. »

et poétique de la paysannerie dans ses romans champêtres (La Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts, Mare au Diable, 1846; La Petite Fadette, 1849). Tandis que Balzac, ami de l'ordre, dresse contre elle le réquisitoire le plus Le créancier, et la corvée

violent :

Lui font d'un malheureux la peinture achevée.

La Fontaine, La Mort et le Bûcheron,

Il est nécessaire d'expliquer, une fois pour toutes, aux gens in Fables, I, XVI.

habitués à la moralité des familles bourgeoises que les paysans n'ont, en fait de mœurs domestiques, aucune délicatesse; ils n'invoquent la morale, à propos d'une de leurs filles séduites, que La Bruyère

si le séducteur est riche et craintif. Les enfants, jusqu'à ce que l'État les leur arrache, sont des capitaux, ou des instruments de bien-être. L'intérêt est devenu, surtout depuis 1789, le seul mobile À la fin du siècle, La Bruyère, plus moraliste que poète sou-de leurs idées; il ne s'agit jamais pour eux de savoir si une action cieux du pittoresque, dénonce avec véhémence la misère glo-est légale ou immorale, mais si elle est profitable. La moralité, bale des paysans, à une époque où les périodes de famine se qu'il ne faut pas confondre avec la religion, commence à l'aisance; multiplient :

comme on voit, dans la sphère supérieure, la délicatesse fleurir dans l'âme quand la Fortune a doré le mobilier. L'homme absolu-L'on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, ment probe et moral est, dans la classe des paysans, une exception.

répandus par la campagne, noirs, livides, et tout brûlés du soleil, Les curieux demanderont pourquoi ? De toutes les raisons qu'on attachés à la terre qu'ils fouillent et qu'ils remuent avec une peut donner de cet état de choses, voici la principale. Par la nature opiniâtreté invincible ; ils ont comme une voix articulée, et, quand de leurs fonctions sociales, les paysans vivent d'une vie purement ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine; et en matérielle qui se rapproche de l'état sauvage auquel les invite leur effet ils sont des hommes. Ils se retirent la nuit dans des tanières, union constante avec la Nature. Le travail, quand il écrase le où ils vivent de pain noir, d'eau et de racines : ils épargnent aux corps, ôte à la pensée son action purifiante, surtout chez les gens autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour ignorants. Enfin, pour les paysans, la misère est leur «raison vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu'ils ont d'état».

semé.

La Bruyère, Les Caractères, IX, 1688.

Balzac, Les Paysans.

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