SOMMAI RE

La couverture de cet ouvrage a été réalisée avec l'aimable Maupassant et ses Contes 4

collaboration de la Comédie-Française.

Les Contes d'hier à aujourd'hui 6

Photographie : Philippe Sohiez.

CONTES NORMANDS ET PARISIENS

(Choix de textes intégraux)

UNE PARTIE DE CAMPAGNE 11

MADEMOISELLE FIFI 27

LA VEILLÉE 43

HISTOIRE VRAIE 50

LA REMPAILLEUSE 57

PIERROT 66

Aux CHAMPS 74

LES SABOTS 82

Crédits photographiques :

EN MER 91

pp. 4, 8, 10 (Maupassant photographié par Nadar), 24 (B.N., Estampes), 47

SAINT-ANTOINE 100

(B.N., Est.), 64, 73 (B.N., Est.), 88, 90 (un sabotier), 99, 117, 125, 127

REGRET 111

(moisson à la faux, photographie d'Aumenier), 136, 146, 156, 166, 186, 201

DÉCORÉ! 119

(Documentation Française), 208 (Guy de Maupassant à 30 ans, photographie LA FICELLE 128

d'Autin), 214 (Les premières batteuses, 1859, dessin de Lambert), 221, 222 (Le battage au fléau, dessin de Lambert), 231 (La moisson en Seine et Marne, août LE VIEUX 138

1906), 241, 242 (Présentation d'un futur venant de Paris, gravure de F. Gre-LE PROTECTEUR 149

nier), 251 (Le repas des moissonneurs, détail de la lithographie de V. Adam, LA PARURE 157

Paris, B.N., Est.), 252-253 (Boutique et arriére boutique à Paris, dessin de L'AVEU 168

E. Lorsay, B.N.) : photographies Hachette.

LA BÊTE À MAÎT'BELHOMME 176

pp. 9, 26, 49, 97, 174 : photographies Roger-Viollet.

AMOUR 187

pp. 41 : photographie Harlingue-Viollet.

LES EPINGLES 194

p. 110 : photographie Documentation française.

pp. 148, 256 (Guy de Maupassant, gravure de F. Desmoulin) : photographies Bibliothèque Nationale.

MAUPASSANT ET SON TEMPS

Chronologie 202

Ecrire au temps de Maupassant 206

© Hachette Livre 1993, 43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15

ISBN : 2.01.017877.7

À PROPOS DE L'ŒUVRE

Les influences 209

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous La France de Maupassant 215

pays.

Critiques et jugements 218

Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes des articles L.122-4 et L.122-5, d'une part, que les «copies ou reproductions strictement PARCOURS THÉMATIQUE

réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collec-Le monde rural 223

tive », et, d'autre part, que « les analyses et les courtes citations » dans un but Paris 232

d'exemple et d'illustration, «toute représentation ou reproduction intégrale Index thématique 243

ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite ».

Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, sans ANNEXES

autorisation de l'éditeur ou du Centre français de l'exploitation du droit de Carte de la Normandie 254

copie (3, rue Hautefeuille, 75006 Paris), constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

Carte de Paris 255

Bibliographie, filmographie 256

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MAUPASSANT

ET SES CONTES

La fable, c'est La Fontaine; le roman, c'est Balzac; le conte, c'est Maupassant.

Deux amis d'enfance de sa mère, Gustave Flaubert et le poète Louis Bouilhet, son correspondant pendant qu'il était pensionnaire au lycée de Rouen, ont certes contribué à le pousser vers la littérature. Flaubert a même été son mentor, à la fois critique et chaleureux, et il lui soumettait régulièrement et respectueusement ses premiers essais. Mais il aurait pu être poète (il a d'ailleurs composé quelques vers) ou dramaturge (il est l'auteur de quelques petites pièces) ou, plus sûrement encore, vu l'époque où il vivait, romancier (et il a en effet écrit des romans

dont certains sont restés célèbres

comme Une vie. Bel Ami ou Pierre et Jean), mais c'est dans le conte que son génie s'est épanoui.

Entre ce genre et lui on dirait qu'il existe une affinité mystérieuse, et en quelque sorte organique. Il en a écrit près de trois cents au cours d'une période de production littéraire extraordinairement féconde mais qui n'a guère excédé quinze années. Bien qu'il ait su, à maintes reprises et avec succès, dilater son talent à la dimension d'une œuvre plus ample, Maupassant excelle surtout dans l'inspiration brève, dans le trait brillant et profond, dans l'esquisse instantanée que sa justesse impose. Il n'est pas l'homme d'une fresque immense à la Balzac ou à la Zola, mais les mille petites touches dont sont faits ses contes finissent par dessiner une société, traduire une humeur, une philosophie, bref, constituer une grande œuvre.

Reprocherait-on aux peintres impressionnistes, ses contemporains, d'avoir su capter tant de lumière au Guy de Maupassant à 39 ans.

prix de mille petits coups de pinceau?

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LES CONTES D'HIER

. . . A AUJOURD'HUI

SUR LE PATOIS NORMAND

Maupassant a eu le bonheur, chichement accordé par le destin à un écrivain, de connaître la gloire de son Il ne convient pas de s'attarder longuement sur le patois vivant. Il est vrai qu'il n'a pas été un révolutionnaire que Maupassant prête à ses paysans : c'est un patois de briseur d'idoles ou maudit, mais qu'il s'est avancé langue d'oïl fort proche du français littéraire dont il ne se dans un chemin fortement balisé par d'illustres sépare que par des différences de prononciation et quel-prédécesseurs, celui du roman réaliste où Flaubert, son ques fautes de grammaire. Ce n'est qu'exceptionnellement maître, s'était déjà engagé et illustré avant que Zola, que les paysans utilisent des termes spécifiques, dont nous son aîné de dix ans, aille plus loin encore et fonde donnons le sens dans des notes infrapaginales.

avec succès le naturalisme et le roman «expérimental»

comme les sciences dont il se proposait d'utiliser la méthode. Maupassant, lui, n'a jamais eu les excès d'un chef d'école, ce qui explique sans doute qu'il ait été apprécié d'emblée, dès la parution de son plus long conte Boule de Suif (1880). La société de la fin du XIXe siècle aimait à se reconnaître dans le miroir, dans les innombrables petits miroirs qu'il lui tendait avec ses contes. La critique, pourtant, était acerbe : Maupassant avait le sarcasme facile et le trait juste.

On n'en finirait pas d'évoquer toutes les figures, souvent inoubliables, de paysans ou de notables normands, de bourgeois ou de boutiquiers parisiens dont il a saisi le ridicule ou l'ignominie, parfois aussi la détresse, avec une sobriété puissante. Mais justement on apprécie encore de nos jours l'acuité du regard sans complaisance qu'il portait sur ses contemporains, donc aussi sur les nôtres : il y a En fait, ce patois est peu original, mais il donne à certains encore des paysans rusés, ou «près de leurs sous», contes « normands » du pittoresque et une certaine couleur des femmes coquines et des maris naïfs, des filles locale. Il a surtout une signification sociale : il distingue les séduites et malheureuses. Maupassant nous parle d'eux paysans, même enrichis (M. Omont dans Les Sabots, et nous tient en haleine comme sait le faire Maître Hauchecorne dans La Ficelle), des bourgeois de un bon conteur. Un siècle après sa mort, vieille souche, instruits et bien élevés.

nous ne nous lassons pas d'entendre sa voix.

Le sultan des Mille et Une nuits

ne se lassait pas non plus

d'entendre Schéhérazade.

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GUY DE MAUPASSANT

Dessin de L. Valiet pour Mademoiselle Fiji.

Publicité pour les œuvres de Maupassant (1904).

Guy de Maupassant portant ses œuvres.

Portrait-charge (B.N., Estampes).

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UNE PARTIE DE CAMPAGNE1

On avait projeté depuis cinq mois d'aller déjeuner aux environs de Paris, le jour de la fête de Mme Dufour, qui s'appelait Pétronille. Aussi, comme on avait attendu cette partie impatiemment, s'était-on levé de fort bonne 5 heure ce matin-là.

M. Dufour, ayant emprunté la voiture du laitier, conduisait lui-même. La carriole, à deux roues, était fort propre ; elle avait un toit supporté par quatre montants de fer où s'attachaient des rideaux qu'on avait relevés 10 pour voir le paysage. Celui de derrière, seul, flottait au vent, comme un drapeau. La femme, à côté de son époux, s'épanouissait dans une robe de soie cerise extraordinaire. Ensuite, sur deux chaises, se tenaient une vieille grand-mère et une jeune fille. On apercevait 15 encore la chevelure jaune d'un garçon qui, faute de siège, s'était étendu tout au fond, et dont la tête seule apparaissait.

Après avoir suivi l'avenue des Champs-Elysées et franchi les fortifications2 à la porte Maillot, on s'était mis 20 à regarder la contrée3.

En arrivant au pont de Neuilly, M. Dufour avait dit :

«Voici la campagne, enfin!» et sa femme, à ce signal, s'était attendrie sur la nature.

Au rond-point de Courbevoie, une admiration les 25 avait saisis devant l'éloignement des horizons. À droite, là-bas, c'était Argenteuil, dont le clocher se dressait; au-dessus apparaissaient les buttes de Sannois et le Moulin d'Orgemont. A gauche, l'aqueduc de Marly se dessinait sur le ciel clair du matin, et l'on apercevait aussi, de 30 loin, la terrasse de Saint-Germain ; tandis qu'en face, au bout d'une chaîne de collines, des terres remuées indi-1. Première publication dans La Vie moderne (2 et 9 avril 1881). Repris dans La Maison Tellier (1881 et 1891).

2. fortifications : ceinture de murailles qui entouraient et défendaient la place de Paris, à l'emplacement des actuels boulevards des Maréchaux.

3. la contrée : la banlieue nord-ouest de Paris, où sont situées toutes les petites villes dont il sera question dans la suite du texte.

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CONTES NORMANDS ET PARISIENS

UNE PARTIE DE CAMPAGNE

quaient le nouveau fort de Cormeilles. Tout au fond, zinc brillant du comptoir devant lequel se tenaient deux dans un reculement formidable, par-dessus des plaines ouvrier endimanchés.

et des villages, on entrevoyait une sombre verdure de À la fin, Mme Dufour se décida : «Oui, c'est bien, 35 forêts.

70 dit-elle ; et puis il y a la vue. » La voiture entra dans un Le soleil commençait à brûler les visages ; la poussière vaste terrain planté de grands arbres qui s'étendait der-emplissait les yeux continuellement, et, des deux côtés rière l'auberge et qui n'était séparé de la Seine que par de la route, se développait une campagne interminable-le chemin de halage1.

ment nue, sale et puante. On eût dit qu'une lèpre l'avait Alors on descendit. Le mari sauta le premier, puis 40 ravagée, qui rongeait jusqu'aux maisons, car des sque-75 ouvrit les bras pour recevoir sa femme. Le marchepied, lettes de bâtiments défoncés et abandonnés, ou bien des tenu par deux branches de fer, était très loin, de sorte petites cabanes inachevées, faute de payement aux que, pour l'atteindre, Mme Dufour dut laisser voir le bas entrepreneurs, tendaient leurs quatre murs sans toit.

d'une jambe dont la finesse primitive disparaissait à De loin en loin, poussaient dans le sol stérile de présent sous un envahissement de graisse tombant des 45 longues cheminées de fabrique, seule végétation de ces 80 cuisses.

champs putrides où la brise du printemps promenait un M. Dufour, que la campagne émoustillait déjà, lui parfum de pétrole et de schiste mêlé à une autre odeur pinça vivement le mollet, puis, la prenant sous les bras, moins agréable encore.

la déposa lourdement à terre, comme un énorme Enfin, on avait traversé la Seine une seconde fois, et, paquet.

50 sur le pont, c'avait été un ravissement. La rivière éclatait 85 Elle tapa avec la main sa robe de soie pour en faire de lumière ; une buée s'en élevait, pompée par le soleil, tomber la poussière, puis regarda l'endroit où elle se et l'on éprouvait une quiétude douce, un rafraî-trouvait.

chissement bienfaisant à respirer enfin un air plus pur C'était une femme de trente-six ans environ, forte en qui n'avait point balayé la fumée noire des usines ou les chair, épanouie et réjouissante à voir. Elle respirait avec 55 miasmes1 des dépotoirs.

90 peine, étranglée violemment par l'étreinte de son corset Un homme qui passait avait nommé le pays : Bezons.

trop serré ; et la pression de cette machine rejetait La voiture s'arrêta, et M. Dufour se mit à lire l'en-jusque dans son double menton la masse fluctuante de seigne engageante d'une gargote2 : Restaurant Poulin, sa poitrine surabondante.

matelotes et fritures, cabinets3 de société, bosquets et balan-La jeune fille ensuite, posant la main sur l'épaule de 60 çoires. « Eh bien ! madame Dufour, cela te va-t-il ? Te 95 son père, sauta légèrement toute seule. Le garçon aux décideras-tu à la fin ? »

cheveux jaunes était descendu en mettant un pied sur la La femme lut à son tour : Restaurant Poulin, matelotes roue, et il aida M. Dufour à décharger la grand-mère.

et fritures, cabinets de société, bosquets et balançoires. Puis Alors on détela le cheval, qui fut attaché à un arbre ; et elle regarda la maison longuement.

la voiture tomba sur le nez, les deux brancards à terre.

65 C'était une auberge de campagne, blanche, plantée au 1oo Les hommes, ayant retiré leurs redingotes, se lavèrent bord de la route. Elle montrait, par la porte ouverte, le 1. miasmes : émanations pestilentielles.

2. gargote : restaurant de campagne, simple et bon marché.

1. chemin de halage : chemin public emprunté par les chevaux qui tirent des 3. cabinets : salles pour réunions.

péniches le long d'un cours d'eau.

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CONTES NORMANDS ET PARISIENS

UNE PARTIE DE CAMPAGNE

les mains dans un seau d'eau, puis rejoignirent leurs Une servante étant venue, on commanda le déjeuner.

dames installées déjà sur les escarpolettes1.

«Une friture de Seine, un lapin sauté, une salade et du Mlle Dufour essayait de se balancer debout, toute 140 dessert», articula Mme Dufour, d'un air important.

seule, sans parvenir à se donner un élan suffisant. C'était

«Vous apporterez deux litres et une bouteille de bor-105 une belle fille de dix-huit à vingt ans; une de ces deaux », dit son mari. « Nous dînerons sur l'herbe », femmes dont la rencontre dans la rue vous fouette d'un ajouta la jeune fille.

désir subit, et vous laisse jusqu'à la nuit une inquiétude La grand-mère, prise de tendresse à la vue du chat de vague et un soulèvement des sens. Grande, mince de 145 la maison, le poursuivait depuis dix minutes en lui pro-taille et large des hanches, elle avait la peau très brune, diguant inutilement les plus douces appellations. L'ani-110 les yeux très grands, les cheveux très noirs. Sa robe des-mal, intérieurement flatté sans doute de cette attention, sinait nettement les plénitudes fermes de sa chair qu'ac-se tenait toujours tout près de la main de la bonne centuaient encore les efforts des reins qu'elle faisait pour femme, sans se laisser atteindre cependant, et faisait s'enlever. Ses bras tendus tenaient les cordes au-dessus 150 tranquillement le tour des arbres, contre lesquels il se de sa tête, de sorte que sa poitrine se dressait, sans une frottait, la queue dressée, avec un petit ronron de plaisir.

us secousse, à chaque impulsion qu'elle donnait. Son cha-

«Tiens ! cria tout à coup le jeune homme aux cheveux peau, emporté par un coup de vent, était tombé derrière jaunes qui furetait dans le terrain, en voilà des bateaux elle ; et l'escarpolette peu à peu se lançait, montrant à qui sont chouet1 ! » On alla voir. Sous un petit hangar en chaque retour ses jambes fines jusqu'au genou, et jetant 155 bois étaient suspendues deux superbes yoles2 de cano-

à la figure des deux hommes, qui la regardaient en riant, tiers, fines et travaillées comme des meubles de luxe.

120 l'air de ses jupes, plus capiteux que les vapeurs du vin.

Elles reposaient côte à côte, pareilles à deux grandes Assise sur l'autre balançoire, Mme Dufour gémissait filles minces, en leur longueur étroite et reluisante, et d'une façon monotone et continue : « Cyprien, viens me donnaient envie de filer sur l'eau par les belles soirées pousser ; viens donc me pousser, Cyprien !» À la fin, il y 160 douces ou les claires matinées d'été, de raser les berges alla et, ayant retroussé les manches de sa chemise, fleuries où des arbres entiers trempent leurs branches 125 comme avant d'entreprendre un travail, il mit sa femme dans l'eau, où tremblote l'éternel frisson des roseaux et en mouvement avec une peine infinie.

d'où s'envolent, comme des éclairs bleus, de rapides Cramponnée aux cordes, elle tenait ses jambes martins-pêcheurs3 .

droites, pour ne point rencontrer le sol, et elle jouissait 165 Toute la famille, avec respect, les contemplait. «Oh!

d'être étourdie par le va-et-vient de la machine. Ses ça, oui, c'est chouet», répéta gravement M. Dufour. Et il 130 formes, secouées, tremblotaient continuellement les détaillait en connaisseur. Il avait canoté, lui aussi, comme de la gelée sur un plat. Mais, comme les élans dans son jeune temps, disait-il ; voire même qu'avec ça grandissaient, elle fut prise de vertige et de peur. À

dans la main - et il faisait le geste de tirer sur les chaque descente, elle poussait un cri perçant qui faisait 170 avirons - il se fichait de tout le monde. Il avait rossé accourir tous les gamins du pays ; et là-bas, devant elle, en course plus d'un Anglais, jadis, à Joinville ; et il plai-135 au-dessus de la haie du jardin, elle apercevait vaguement santa sur le mot «dames», dont on désigne les une garniture de têtes polissonnes que des rires faisaient grimacer diversement.

1. chouet : orthographe ancienne pour chouette.

2. yoles : embarcations légères, de forme allongée.

3. martins-pêcheurs : petits oiseaux qu'on trouve généralement au bord des cours d'eau et qui se nourrissent de petits poissons.

escarpolettes : balançoires.

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CONTES NORMANDS ET PARISIENS

UNE PARTIE DE CAMPAGNE

deux montants qui retiennent les avirons, disant que les licitée par une curiosité féminine qui était peut-être du canotiers1, et pour cause, ne sortaient jamais sans leurs désir, les regardait à tout moment, les comparant sans 175 dames. Il s'échauffait en pérorant2 et proposait obstiné-21O doute avec regret aux laideurs secrètes de son mari.

ment de parier qu'avec un bateau comme ça, il ferait six Elle s'était éboulée1 sur l'herbe, les jambes pliées à la lieues à l'heure sans se presser.

façon des tailleurs, et elle se trémoussait continuelle-

« C'est prêt », dit la servante qui apparut à l'entrée. On ment, sous prétexte que des fourmis lui étaient entrées se précipita ; mais voilà qu'à la meilleure place, qu'en quelque part. M. Dufour, rendu maussade par la pré-180 son esprit Mme Dufour avait choisie pour s'installer, 215 sence et l'amabilité des étrangers, cherchait une position deux jeunes gens déjeunaient déjà. C'étaient les proprié-commode qu'il ne trouva pas du reste, et le jeune taires des yoles, sans doute, car ils portaient le costume homme aux cheveux jaunes mangeait silencieusement des canotiers.

comme un ogre.

Ils étaient étendus sur des chaises, presque couchés.

« Un bien beau temps, monsieur», dit la grosse dame à 185 Ils avaient la face noircie par le soleil et la poitrine cou-220 l'un des canotiers. Elle voulait être aimable à cause de la verte seulement d'un mince maillot de coton blanc qui place qu'ils avaient cédée. «Oui, madame, répondit-il; laissait passer leurs bras nus, robustes comme ceux des venez-vous souvent à la campagne ?

forgerons. C'étaient deux solides gaillards, posant beau-

- Oh! une fois ou deux par an seulement, pour coup pour la vigueur, mais qui montraient en tous leurs prendre l'air; et vous, monsieur?

190 mouvements cette grâce élastique des membres qu'on 225 - J'y viens coucher tous les soirs.

acquiert par l'exercice, si différente de la déformation

- Ah! ça doit être bien agréable?

qu'imprime à l'ouvrier l'effort pénible, toujours le

- Oui, certainement, madame. »

même.

Et il raconta sa vie de chaque jour, poétiquement, de Ils échangèrent rapidement un sourire en voyant la façon à faire vibrer dans le cœur de ces bourgeois privés 195 mère, puis un regard en apercevant la fille. «Donnons 230 d'herbe et affamés de promenades aux champs cet notre place, dit l'un, ça nous fera faire connaissance. »

amour bête de la nature qui les hante toute l'année der-L'autre aussitôt se leva et, tenant à la main sa toque rière le comptoir de leur boutique.

mi-partie rouge et mi-partie noire, il offrit chevaleres-La jeune fille, émue, leva les yeux et regarda le cano-quement de céder aux dames le seul endroit du jardin où tier. M. Dufour parla pour la première fois. «Ça, c'est 200 ne tombât point le soleil. On accepta en se confondant 235 une vie», dit-il. Il ajouta : «Encore un peu de lapin, ma en excuses ; et pour que ce fût plus champêtre, la famille bonne. - Non, merci, mon ami. »

s'installa sur l'herbe sans table ni sièges.

Elle se tourna de nouveau vers les jeunes gens, et, Les deux jeunes gens portèrent leur couvert quelques montrant leurs bras : «Vous n'avez jamais froid comme pas plus loin et se remirent à manger. Leurs bras nus, ça?» dit-elle.

205 qu'ils montraient sans cesse, gênaient un peu la jeune 240 Ils se mirent à rire tous les deux, et ils épouvantèrent fille. Elle affectait même de tourner la tête et de ne point la famille par le récit de leurs fatigues prodigieuses, de les remarquer, tandis que Mme Dufour, plus hardie, sol-leurs bains pris en sueur, de leurs courses dans le brouillard des nuits ; et ils tapèrent violemment sur leur poitrine pour montrer quel son ça rendait. « Oh ! vous avez 1. canotiers : gens qui pratiquent l'aviron sur divers types d'embarcations. Ils étaient ordinairement vêtus d'un pantalon et d'un maillot de corps à manches courtes (cf. le célèbre tableau de Renoir, Le déjeuner des canotiers).

2. pérorant : parlant sentencieusement.

1. s'était éboulée : s'était effondrée, affaissée.

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CONTES NORMANDS ET PARISIENS

UNE PARTIE DE CAMPAGNE

245 l'air solides », dit le mari qui ne parlait plus du temps où L'autre yole s'en alla plus doucement. Le rameur il rossait les Anglais.

regardait tellement sa compagne qu'il ne pensait plus à La jeune fille les examinait de côté maintenant; et le autre chose, et une émotion l'avait saisi qui paralysait sa garçon aux cheveux jaunes, ayant bu de travers, toussa vigueur.

éperdument, arrosant la robe de soie cerise de la patronne 290 La jeune fille, assise dans le fauteuil du barreur, se 250 qui se fâcha et fit apporter de l'eau pour laver les taches.

laissait aller à la douceur d'être sur l'eau. Elle se sentait Cependant, la température devenait terrible. Le fleuve prise d'un renoncement de pensée, d'une quiétude de étincelant semblait un foyer de chaleur, et les fumées du ses membres, d'un abandonnement d'elle-même, vin troublaient les têtes.

comme envahie par une ivresse multiple. Elle était deve-M. Dufour, que secouait un hoquet violent, avait 295 nue fort rouge, avec une respiration courte. Les étour-255 déboutonné son gilet et le haut de son pantalon ; tandis dissements du vin, développés par la chaleur torrentielle que sa femme, prise de suffocations, dégrafait sa robe qui ruisselait autour d'elle, faisaient saluer sur son pas-peu à peu. L'apprenti balançait d'un air gai sa tignasse sage tous les arbres de la berge. Un besoin vague de de lin et se versait à boire coup sur coup. La grand-mère, jouissance, une fermentation du sang parcouraient sa se sentant grise, se tenait fort raide et fort digne. Quant à 300 chair excitée par les ardeurs de ce jour ; et elle était aussi 260 la jeune fille, elle ne laissait rien paraître ; son œil seul troublée dans ce tête-à-tête sur l'eau, au milieu de ce s'allumait vaguement, et sa peau très brune se colorait pays dépeuplé par l'incendie du ciel, avec ce jeune aux joues d'une teinte plus rose.

homme qui la trouvait belle, dont l'œil lui baisait la Le café les acheva. On parla de chanter et chacun dit peau, et dont le désir était pénétrant comme le soleil.

son couplet, que les autres applaudirent avec frénésie.

305 Leur impuissance à parler augmentait leur émotion, et 265 Puis on se leva difficilement, et, pendant que les deux ils regardaient les environs. Alors, faisant un effort, il lui femmes, étourdies, respiraient, les deux hommes, tout à demanda son nom. «Henriette», dit-elle. «Tiens! moi je fait pochards, faisaient de la gymnastique. Lourds, m'appelle Henri», reprit-il.

flasques, et la figure écarlate, ils se pendaient gauche-Le son de leur voix les avait calmés ; ils s'intéressèrent ment aux anneaux sans parvenir à s'enlever; et leurs 310 à la rive. L'autre yole s'était arrêtée et paraissait les 270 chemises menaçaient continuellement d'évacuer leurs attendre. Celui qui la montait cria : «Nous vous rejoin-pantalons pour battre au vent comme des étendards.

drons dans le bois ; nous allons jusqu'à Robinson, parce Cependant les canotiers avaient mis leurs yoles à l'eau que Madame a soif. » Puis il se coucha sur les avirons et et ils revenaient avec politesse proposer aux dames une s'éloigna si rapidement qu'on cessa bientôt de le voir.

promenade sur la rivière.

315 Cependant un grondement continu qu'on distinguait 275 «Monsieur Dufour, veux-tu? je t'en prie!» cria sa vaguement depuis quelque temps s'approchait très vite.

femme. Il la regarda d'un air d'ivrogne sans La rivière elle-même semblait frémir comme si le bruit comprendre. Alors un canotier s'approcha, deux lignes sourd montait de ses profondeurs.

de pêcheur à la main. L'espérance de prendre du gou-

«Qu'est-ce qu'on entend?» demanda-t-elle. C'était la jon, cet idéal des boutiquiers, alluma les yeux mornes du 320 chute du barrage qui coupait le fleuve en deux à la 280 bonhomme, qui permit tout ce qu'on voulut, et s'installa pointe de l'île. Lui se perdait dans une explication à l'ombre sous le pont, les pieds ballants au-dessus du lorsque, à travers le fracas de la cascade, un chant d'oi-fleuve, à côté du jeune homme aux cheveux jaunes qui seau qui semblait très lointain les frappa. «Tiens! dit-il, s'endormit auprès de lui.

les rossignols chantent dans le jour : c'est donc que les Un des canotiers se dévoua : il prit la mère. «Au petit 325 femelles couvent. »

285 bois de l'île aux Anglais!» cria-t-il en s'éloignant.

Un rossignol! Elle n'en avait jamais entendu, et l'idée 18

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CONTES NORMANDS ET PARISIENS

UNE PARTIE DE CAMPAGNE

d'en écouter un fit se lever dans son cœur la vision des avait des désirs infinis de bonheur, des tendresses poétiques tendresses. Un rossignol! c'est-à-dire l'invi-brusques qui la traversaient, des révélations de poésies sible témoin des rendez-vous d'amour qu'invoquait surhumaines, et un tel amollissement des nerfs et du 330 Juliette1 sur son balcon ; cette musique du ciel accordée 365 cœur, qu'elle pleurait sans savoir pourquoi. Le jeune aux baisers des hommes; cet éternel inspirateur de homme la serrait contre lui maintenant; elle ne le toutes les romances langoureuses qui ouvrent un idéal repoussait plus, n'y pensant pas.

bleu aux pauvres petits coeurs des fillettes attendries !

Le rossignol se tut soudain. Une voix éloignée cria : Elle allait donc entendre un rossignol.

« Henriette ! »

335 «Ne faisons pas de bruit, dit son compagnon, nous 370 « Ne répondez point, dit-il tout bas, vous feriez envo-pourrons descendre dans le bois et nous asseoir tout ler l'oiseau. »

près de lui. »

Elle ne songeait guère non plus à répondre.

La yole semblait glisser. Des arbres se montrèrent sur Ils restèrent quelque temps ainsi. Mme Dufour s'était l'île, dont la berge était si basse que les yeux plongeaient assise quelque part, car on entendait vaguement, de 340 dans l'épaisseur des fourrés. On s'arrêta ; le bateau fut 375 temps en temps, les petits cris de la grosse dame que attaché, et, Henriette s'appuyant sur le bras de Henri, ils lutinait sans doute l'autre canotier.

s'avancèrent entre les branches. « Courbez-vous », dit-il.

La jeune fille pleurait toujours, pénétrée de sensations Elle se courba, et ils pénétrèrent dans un inextricable très douces, la peau chaude et piquée partout de cha-fouillis de lianes, de feuilles et de roseaux, dans un asile touillements inconnus. La tête de Henri était sur son 345 introuvable qu'il fallait connaître et que le jeune homme 380 épaule ; et, brusquement, il la baisa sur les lèvres.

appelait en riant «son cabinet particulier».

Elle eût une révolte furieuse et, pour l'éviter, se rejeta Juste au-dessus de leur tête, perché dans un des sur le dos. Mais il s'abattit sur elle, la couvrant de tout son arbres qui les abritaient, l'oiseau s'égosillait toujours. Il corps. Il poursuivit longtemps cette bouche qui le fuyait, lançait des trilles2 et des roulades2, puis filait de grands puis, la joignant, y attacha la sienne. Alors affolée par un 350 sons vibrants qui emplissaient l'air et semblaient se 385 désir formidable, elle lui rendit son baiser en l'étreignant perdre à l'horizon, se déroulant le long du fleuve et s'en-sur sa poitrine, et toute sa résistance s'abattit comme volant au-dessus des plaines, à travers le silence de feu écrasée par un poids trop lourd.

qui appesantissait la campagne.

Tout était calme aux environs. L'oiseau se remit à Ils ne parlaient pas de peur de le faire fuir. Ils étaient chanter. Il jeta d'abord trois notes pénétrantes qui sem-355 assis l'un près de l'autre, et, lentement, le bras de Henri 390 blaient un appel d'amour, puis, après un silence d'un fit le tour de la taille de Henriette. Elle prit, sans colère, moment, il commença d'une voix affaiblie des modula-cette main audacieuse, et elle l'éloignait sans cesse à tions très lentes.

mesure qu'il la rapprochait, n'éprouvant du reste aucun Une brise molle glissa, soulevant un murmure de embarras de cette caresse, comme si c'eût été une chose feuilles, et dans la profondeur des branches passaient 360 toute naturelle qu'elle repoussait aussi naturellement.

395 deux soupirs ardents qui se mêlaient au chant du ros-Elle écoutait l'oiseau, perdue dans une extase. Elle signol et au souffle léger du bois.

Une ivresse envahissait l'oiseau, et sa voix, s'accélé-rant peu à peu comme un incendie qui s'allume ou une passion qui grandit, semblait accompagner sous l'arbre 1. Juliette : héroïne du drame de Shakespeare Roméo et Juliette : dans une des 4oo un crépitement de baisers. Puis le délire de son gosier se scènes les plus célèbres, où Juliette, sur son balcon, échange de tendres propos avec déchaînait éperdument. Il avait des pâmoisons prolon-Roméo, on entend chanter le rossignol.

2. trilles, roulades : ornements de l'écriture musicale.

gées sur un trait, de grands spasmes mélodieux.

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CONTES NORMANDS ET PARISIENS

UNE PARTIE DE CAMPAGNE

Quelquefois il se reposait un peu, filant seulement Deux mois après, comme il passait rue des Martyrs, deux ou trois sons légers qu'il terminait soudain par une Henri lut sur une porte : Dufour, quincaillier.

405 note suraiguë. Ou bien il partait d'une course affolée, 445 Il entra.

avec des jaillissements de gammes, des frémissements, La grosse dame s'arrondissait au comptoir. On se des saccades, comme un chant d'amour furieux, suivi reconnut aussitôt, et, après mille politesses, il demanda par des cris de triomphe.

des nouvelles. «Et mademoiselle Henriette, comment Mais il se tut, écoutant sous lui un gémissement telle-va-t-elle ? »

410 ment profond qu'on l'eût pris pour l'adieu d'une âme.

450 - Très bien, merci; elle est mariée.

Le bruit s'en prolongea quelque temps et s'acheva dans

- Ah!...

un sanglot.

Une émotion l'étreignit; il ajouta :

Ils étaient bien pâles, tous les deux, en quittant leur lit

- Et... avec qui?

de verdure. Le ciel bleu leur paraissait obscurci ; l'ardent

- Mais avec le jeune homme qui nous accompagnait, 415 soleil était éteint pour leurs yeux ; ils s'apercevaient de la 455 vous savez bien; c'est lui qui prend la suite.

solitude et du silence. Ils marchaient rapidement l'un

- Oh ! parfaitement.

près de l'autre, sans se parler, sans se toucher, car ils Il s'en allait fort triste, sans trop savoir pourquoi.

semblaient devenus ennemis irréconciliables, comme si Mme Dufour le rappela.

un dégoût se fût élevé entre leurs corps, une haine entre

- Et votre ami? dit-elle timidement.

420 leurs esprits.

460 - Mais il va bien.

De temps à autre, Henriette criait : « Maman ! »

- Faites-lui nos compliments, n'est-ce pas ; et quand Un tumulte se fit sous un buisson. Henri crut voir une il passera, dites-lui donc de venir nous voir...

jupe blanche qu'on rabattait vite sur un gros mollet; et Elle rougit fort, puis ajouta : «Ça me fera bien plaisir; l'énorme dame apparut, un peu confuse et plus rouge dites-lui. »

425 encore, l'œil très brillant et la poitrine orageuse, trop 465 - Je n'y manquerai pas. Adieu !

près peut-être de son voisin. Celui-ci devait avoir vu des

- Non... à bientôt!

choses bien drôles, car sa figure était sillonnée de rires subits qui la traversaient malgré lui.

L'année suivante, un dimanche qu'il faisait très chaud, Mme Dufour prit son bras d'un air tendre, et l'on tous les détails de cette aventure, que Henri n'avait jamais 430 regagna les bateaux. Henri, qui marchait devant, tou-oubliée, lui revinrent subitement, si nets et si désirables, jours muet à côté de la jeune fille, crut distinguer tout à 470 qu'il retourna tout seul à leur chambre dans le bois.

coup comme un gros baiser qu'on étouffait.

Il fut stupéfait en entrant. Elle était là, assise sur Enfin l'on revint à Bezons.

l'herbe, l'air triste, tandis qu'à son côté, toujours en M. Dufour, dégrisé, s'impatientait. Le jeune homme manches de chemise, son mari, le jeune homme aux 435 aux cheveux jaunes mangeait un morceau avant de quit-cheveux jaunes, dormait consciencieusement comme ter l'auberge. La voiture était attelée dans la cour, et la 475 une brute.

grand-mère, déjà montée, se désolait parce qu'elle avait Elle devint si pâle en voyant Henri qu'il crut qu'elle peur d'être prise par la nuit dans la plaine, les environs allait défaillir. Puis ils se mirent à causer naturellement, de Paris n'étant pas sûrs.

de même que si rien ne se fût passé entre eux.

440 On se donna des poignées de main, et la famille Mais comme il lui racontait qu'il aimait beaucoup cet Dufour s'en alla. «Au revoir!» criaient les canotiers. Un 480 endroit et qu'il y venait souvent se reposer, le dimanche, soupir et une larme leur répondirent.

en songeant à bien des souvenirs, elle le regarda longuement dans les yeux.

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CONTES NORMANDS ET PARISIENS

UNE PARTIE DE CAMPAGNE

- Moi, j'y pense tous les soirs, dit-elle.

- Allons, ma bonne, reprit en bâillant son mari, je 485 crois qu'il est temps de nous en aller.

Compréhension

avril 1881

1. Quels détails indiquent la condition sociale de la famille Dufour ?

2. Que pensez-vous de la quantité de vin commandée par M. Dufour? Quel est l'intérêt de cette précision ?

3. Relevez tous les détails qui opposent la famille Dufour d'une part et les deux canotiers de l'autre. Comment réagissent Mme et Mlle Dufour?

4. Qu'est-ce qui nous montre que les deux canotiers sont des séducteurs ? En quoi se distinguent-ils toutefois l'un de l'autre ?

5. Qu'est-ce qui pousse Mlle Dufour à l'aventure? Quels sentiments l'animent? S'agit-il vraiment d'amour?

6 Précisez les sentiments des personnages plusieurs mois après l'aventure.

7. Quelle tonalité la dernière rencontre entre Henri et Henriette donne-t-elle au conte?

8. Beaucoup de Parisiens, du temps de Maupassant, allaient passer le dimanche aux bords de la Seine pour s'asseoir dans l'herbe, canoter ou se baigner : pourriez-vous citer des peintres de l'époque que ce thème a inspirés et rassembler quelques reproductions de leurs tableaux ?

Ecriture, /Réécriture,

9. Quelles expressions sont particulièrement savoureuses dans la description de la descente de la carriole (7. 74 à 97) ?

10. Dans la description de Mlle Dufour, quels détails sont empreints de sensualité ?

11. Comparez la description de Mme Dufour avec celle de sa fille : ressemblances et différences.

12. Maupassant répète à trois reprises que le commis des Dufour a les cheveux jaunes : que pensez-vous de l'adjectif choisi? Quel Au bord de l'eau, lithographie de A. Dreux (1878).

effet produit-il ?

13. En quoi l'écriture des lignes 157 à 164 les distingue-t-elle de ce qui précède ? Quel est l'intérêt de cette dissonance ?

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C O N T E S N O R M A N D S E T P A R I S I E N S

14. En quoi consiste l'ambiguïté de l'expression : son cabinet par-MADEMOISELLE FIFI1

ticulier ? A-t-elle le même sens pour Henriette et pour le canotier ?

15. Comment l'union physique de Mlle Dufour et du canotier est-Le major, commandant prussien, comte de Farlsberg, elle présentée ? Maupassant est-il réaliste ?

achevait de lire son courrier, le dos au fond d'un grand 16. M. Dufour raconte à un de ses amis (sous la forme d'une lettre fauteuil de tapisserie et ses pieds bottés sur le marbre ou d'une conversation, au choix) sa partie de campagne.

élégant de la cheminée, où ses éperons, depuis trois mois qu'ils occupaient le château d'Uville2, avaient tracé deux trous profonds, fouillés un peu plus tous les jours.

Une tasse de café fumait sur un guéridon de marque-terie maculé par les liqueurs, brûlé par les cigares, entaillé par le canif de l'officier conquérant qui, parfois, s'arrêtant d'aiguiser un crayon, traçait sur le meuble gra-cieux des chiffres ou des dessins, à la fantaisie de son rêve nonchalant.

Quand il eut achevé ses lettres et parcouru les journaux allemands que son vaguemestre3 venait de lui apporter, il se leva, et, après avoir jeté au feu trois ou quatre énormes morceaux de bois vert, car ces messieurs abattaient peu à peu le parc pour se chauffer, il s'approcha de la fenêtre.

La pluie tombait à flots ; une pluie normande qu'on aurait dit jetée par une main furieuse, une pluie en biais, épaisse comme un rideau, formant une sorte de mur à raies obliques, une pluie cinglante, éclaboussante, noyant tout, une vraie pluie des environs de Rouen, ce pot de chambre de la France.

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L'officier regarda longtemps les pelouses inondées, et, là-bas, l'Andelle4 gonflée qui débordait ; et il tambouri-nait contre la vitre une valse du Rhin, quand un bruit le fit se retourner : c'était son second, le baron de Kelweingstein, ayant le grade équivalent à celui de capitaine.