AVERTISSEMENT
Voici un roman qui est presque plutôt une sorte de comédie, car les événements s’y expliquent volontiers en conversations et les personnages y ont ce je ne sais quoi de simple et d’outré qui convient au tréteau. Je crois cependant que si j’eusse mis ces Rencontres de M. de Bréot en état d’être représentées au théâtre, elles eussent eu peu de chance d’y jamais paraître. Il y a telles libertés de langage et d’idées que le livre seul rend supportables, et j’espère que le lecteur ne m’en voudra pas de celui-ci. Certes il y trouvera par endroit des plaisanteries assez fortes, mais dont la bonne humeur, joyeuse et saine après tout, excusera à ses yeux ce qu’elles auront d’un peu rude à ses oreilles et leur défaut de toucher parfois à des sentiments respectables et que je ne voudrais offenser en personne.
Ce qui divise le plus les hommes, ce n’est point tant leur manière de comprendre cette vie-ci que l’autre, et l’on aura justement affaire, dans ce livre, à des gens qui ne font pas grand cas de l’idée que quelque chose de nous puisse survivre à ce que nous avons été. Ce sont eux que le XVIIe siècle appelait du nom de « Libertins » et qui pensaient, avec leur Ninon de Lenclos, « qu’on est bien à plaindre, quand on a besoin de la religion pour se conduire, car c’est une preuve qu’on a l’esprit bien borné ou le cœur bien corrompu ».
Les quelques Esprits Forts que j’ai entrepris de figurer ici y parlent donc assez mal de ce qui leur semblait des préjugés. Aussi aurais-je peut-être hésité à rapporter leurs propos, si je n’avais été sûr qu’ils leur appartinssent en propre et si je n’avais jugé qu’ils composassent un curieux tableau de mœurs ou plutôt, comme je le disais, une sorte de comédie burlesque et outrée qui barbouille de couleurs crues un sujet au fond grave et sérieux, et n’en montre, au lieu de la face véritable, que les bouches peintes et les masques aux joues de carton.
Quelles qu’elles soient, je n’aurais pas voulu publier ces Rencontres de M. de Bréot sans un mot d’avertissement. Il est vrai qu’on pourra me répondre que le moyen de rendre inutile l’explication était de supprimer l’ouvrage. Je l’eusse peut-être fait si je n’eusse été convaincu qu’il est un de ceux parmi les miens où se marque le mieux que je n’ai jamais, en écrivant, cherché quoi que ce soit d’autre que le plaisir délicieux et toujours nouveau d’une occupation inutile.
H. R.