Épilogue
La suite ne possédait pas le luxe que son budget aurait pu lui offrir, mais elle était charmante, confortable, et lui convenait parfaitement.
— S'il te plaît, mon chéri, aurais-tu l’obligeance de me servir encore un peu de thé ?
Saisissant la théière en argent, le gentleman en question emplit de nouveau sa tasse, y ajouta un carré de sucre, et la lui rapporta. KimAnn Howe accompagna ses remerciements d’un sourire, puis reporta son attention sur le livre de comptes ouvert devant elle sur le secrétaire de style Queen Ann.
— Veux-tu que je réserve une table quelque part pour ce soir, ou préfères-tu dîner ici ?
— Hmm, dîner ici, je crois. Je ne me sens pas le courage de sortir.
— Très bien. Je vais arranger cela.
Un discret carillon retentit, signalant que quelqu’un souhaitait être reçu. Le gentleman se pencha pour déposer un baiser sur les cheveux blancs impeccablement coiffés de son épouse.
— Ce doit être Sébastian. Je vous laisse entre vous : je suis impatient de visiter ce musée.
— Merci, mon chéri. Tu reviens avant 7 heures, n’est-ce pas ?
Il quitta la suite par une porte secondaire, tandis que la porte principale de la suite s’ouvrait sur un groom en uniforme qui introduisit le visiteur.
— Madame Howe.
— Monsieur Bailey.
Elle se leva pour accueillir l’homme à la manière européenne, une bise sur chaque joue, puis s’écarta d’un pas et le regarda longuement.
— Vous avez une excellente mine.
— Quelques semaines dans les Alpes vous requinqueraient un mourant. Quel que soit ce que vous allez me sortir de votre manche, je suis d’attaque !
Elle le gratifia d’un sourire hérité de plusieurs générations de puissants, avant de lui désigner le coin de la pièce opposé à celui où elle travaillait, où les attendaient un sofa et son fauteuil assorti. Elle ne prit pas la peine de refermer le livre de comptes, le laissant là comme elle l’eût fait d’un simple magazine.
Sebastian Bailey était son homologue au Conseil pour la zone de San Diego. S'ils se retrouvaient ici à La Nouvelle-Orléans, c’était parce que la perle de la Louisiane n’avait pas usurpé sa réputation de neutralité. Elle l’avait gagnée contre espèces sonnantes et trébuchantes. Aucune réunion du Conseil ne s’y tenait, aucun Mage n’y était à demeure. Les uns et les autres la laissaient aux magiciens vaudou, aux vrais et faux sorciers, aux fakirs et aux charlatans de tout poil. Et aux Solitaires, même si très peu d’entre eux avaient choisi d’y élire domicile.
KimAnn détestait cette ville.
— Que diriez-vous d’une tasse de thé ?
— Du thé ? Très peu pour moi ! Merci quand même.
Roturier pure souche, Bailey était un cas à part au sein des dirigeants du Conseil. San Diego était partie de rien — toutes proportions gardées — et son patron idem.
Raison pour laquelle c’était lui qu’elle avait choisi de contacter en premier.
— Très bien. Je suis là. Que se passe-t-il, madame Howe ?
Au moment où il avait pris le contrôle du Conseil de sa ville, elle lui avait laissé la liberté de l’appeler par son prénom. Le fait qu’il persistât à lui montrer une certaine déférence, de même que du respect pour son âge et sa position, l’amusait d’autant plus qu’il se fichait comme d’une guigne de toutes les autres convenances sociales.
— J’ai une proposition à vous faire.
Il la dévisagea un instant, puis sourit.
— Avez-vous jamais songé à... faire partie de quelque chose de plus grand ? poursuivit-elle, prenant ses aises sur le sofa comme s’ils abordaient un sujet aussi trivial que la couleur du revêtement mural. Quelque chose de beaucoup plus grand, et de beaucoup plus redoutable ?
— Est-ce que, par hasard, cela aurait un rapport avec les récentes… difficultés que vous avez rencontrées dans votre secteur ?
Son ton suggérait qu’elle avait plus ou moins perdu pied, que le contrôle de ses gens lui avait échappé, alors qu’elle avait réglé la question avec un minimum de tracas ou de pressions de la part du Conseil.
Mais elle demeura de marbre. Si Bailey était ici, c’est qu’il était intéressé. Ou tout au moins disposé à écouter ce qu’elle avait à dire.
— Nous sommes toujours restés séparés, indépendants, chaque Conseil dans chaque zone. Et à bon escient. Mais il se passe actuellement certaines choses qui m’incitent à penser qu’une coalition des différents secteurs pourrait nous être mutuellement profitable…