C'est avec le cri de Haven dans les oreilles que
Wren reprit conscience. Avant même d’ouvrir les yeux, elle sut que
Sergueï avait des ennuis. Son cœur était enserré dans un étau
d’acier qui l’empêchait de respirer, de penser même, et tout le
reste était oblitéré par une panique totale et par une sensation de
perte irrémédiable.
D’instinct, elle tenta de reprendre en main son
Courant. Mais ne trouva rien dans quoi s’enraciner : il n’y avait
pas de socle de pierre sous ses pieds, et toute possibilité de
contrôle interne avait été balayée par l’attaque de… de cette chose
qu’animait une fureur jalouse, affamée et paranoïaque envers son
associé. Les lignes d’un Courant immonde lui léchaient le corps, se
collaient à lui telles des sangsues, aspiraient sa substance, là,
sous ses yeux.
— Non ! hurla-t-elle dans un écho rageur au
désarroi de Haven.
Elle rassembla alors toute la haine, toute la
peur, toute l’angoisse que le parchemin avait soulevées en elle, et
les entrelaça à son Courant, chargeant celui-ci de l’amour, du désir et de la passion indicibles qu’elle
éprouvait pour Sergueï. Sergueï Didier, fils de Luisa, fils de
Kassian. Opérateur. Associé. Amant. Ami. De tout ce qu’il était,
depuis sa façon de bouger en dormant jusqu’à ses pattes d’oie
lorsqu’il souriait, à l’intensité de son regard, à la musicalité
surprenante de son rire. De l’amour qu’il avait pour elle, auquel
elle répondait pleinement, sans crainte ni réserve. De sa volonté
de tout faire pour elle, absolument tout, même mourir.
Et le Courant s’étira, se distendit et le trouva,
trouva son essence, s’y plongea, le connectant à Wren, à son
existence même, pour le ramener lentement, petit à petit, à la
réalité.
— Je t’adjure de rester !
T’avise pas de me laisser !
Reviens ! Tout de suite !
Elle ne se rendait même pas compte qu’elle
l’interpellait dans son habituel style haïku. Les mots lui venaient
spontanément tandis qu’elle renforçait son filin-Courant et le
tirait à elle de toutes ses forces.
Mais le parchemin refusait de se laisser voler sa
proie. Les lignes vertes et jaunes du Courant la cinglèrent en
retour, crépitant au moment de l’impact sur sa peau. Elle hurla de
douleur, la gorge à vif, déchirée. Mais elle tint bon.
Qu’est-ce que je peux faire ?
Rien, songea-t-elle,
avant d’évacuer aussitôt ce mot honni. Pas de défaitisme. Pas de
doute. Juste la conscience de la vie de Sergueï entre ses mains. De
son amour. Car il l’aimait, elle en était certaine. Il l’aimait, et
elle l’aimait. C'était ça le lien. Il
existait, il était bien réel. Elle ne pouvait
pas se permettre d’en douter. Pas maintenant.
Son filin-Courant se tendait avec plus d’énergie
qu’elle n’en possédait, une énergie qui grandissait, semblait-il,
malgré son épuisement.
— Reste, au nom du ciel !
Toute sa volonté se concentra dans cette
injonction. La volonté, c’était le pouvoir. Et le pouvoir, la
force. Sergueï releva la tête, la regarda. Wren vit que sa
conscience revenait, et avec elle la profondeur, la couleur et la
solidité.
Puis quelque chose la frappa violemment de côté,
lui coupant le souffle et brisant ce lien dont elle avait tant
besoin. L'image de Sergueï disparut de sa vue l’espace d’une
fraction d’éternité.
L'agresseur — une créature sombre munie de
défenses jaunâtres, les oreilles pelées et tombantes sous une masse
de cheveux noirs hirsutes — se rua sur elle. Wren eut à peine le
temps de tirer sur le filin-Courant avant que ses mains physiques
n’empoignent ce Fatae sorti de nulle part.
— Meurs, garce ! Ça pas regarder toi.
Le Minos la plaqua contre le mur. Wren poussa un
grognement, et prit le risque de prélever une vrille de Courant de
Sergueï pour se battre contre ce nouvel assaillant.
— Quel. Est. Ton. Putain. De. Problème ?
Elle n’avait vraiment, mais vraiment pas besoin de
cela maintenant.
— Toi rester en dehors, humaine.
Gênés par leurs défenses, les Minos n’étaient
pas des modèles d’élocution. Si Wren
comprenait plus ou moins ce qu’il disait, elle n’en saisissait
absolument pas le sens.
— Mais de quoi diable parles-tu ?
Elle risqua un œil vers Sergueï, et son sang se
figea dans ses veines. Elle devait faire quelque chose.
Tout de suite !
— Je cherche arrêter toi. Toi pas arrêter. Toi
continuer t’occuper affaires Fatae. Alors maintenant, arrêter toi
pour de bon.
C'est alors que, d’un seul coup, tout se mit en
place dans son esprit. Sa curieuse impression en rentrant chez
elle. Le sentiment d’être suivie. Les étranges vibrations perçues
chez les leaders Fatae lors du pow-wow dans son appartement, quand
ils s’étaient chamaillés entre eux plutôt que d’attaquer Mme
Howe…
La politique. Dieu qu’elle détestait la politique
! Surtout lorsqu’elle se mettait en travers de son chemin au moment
où elle tentait de retirer du feu les fesses de son
partenaire.
— Je n’ai pas de temps pour ça ! aboya-t-elle en
tentant de se débarrasser du Fatae pour retourner s’occuper de
Sergueï.
Mais le Minos lui attrapa le bras d’une patte
épaisse, enfonçant dans sa chair les pointes dures de ses griffes,
jusqu’au sang.
Bondissant à son secours, Haven tenta de faire
lâcher prise à la bête. Mal lui en prit. Il se retrouva à son tour
projeté avec force contre le mur, mais à la différence de Wren
s’affaissa aussitôt, assommé.
— Toi, mourir. Tous mourir.
Un sourire s’épanouit alors
sur la face du Minos, dévoilant des canines jaunes plus effrayantes
que les doubles rangées de dents d’un requin. Puis il referma sa
patte sur le cou de la jeune femme, le pouce sur la trachée.
— Sergueï !
Le pouce commença à appuyer, et Wren ne vit plus
que des étincelles de Courant tandis que tout son environnement
virait au gris.
— Je suis désolée, mon amour. Tellement
désolée…
— Relax, jeune fille. Je suis là.
Pendant un moment d’hébétude, Wren pensa que
c’était le Minos qui lui parlait, et résista. Puis son cerveau
reconnut la voix familière, et son corps s’effondra comme si tous
ses tendons avait été sectionné.
Simultanément, un sifflement traversa l’air,
suivant l’arc tracé par un croissant de métal brillant.
Lequel croissant de métal s’abattit avec violence
dans le dos du Minos. L'une des œuvres de Lee, reconnut-elle dans
son brouillard. Il avait réalisé une série de lames dans le cadre
d’une installation, quoi, deux ans auparavant ? C'était une…
mezzaluna. Oui, peut-être bien.
Lâchant un hurlement de rage, la bête pivota pour
attraper la lame, et ce faisant, tel un chien jaloux de son os,
délaissa Wren, qui s’étala sur le sol, contusionnée de la tête aux
pieds.
— Occupe-toi de Sergueï ! lança Lee. On se charge
de ce salaud !
Sans s’attarder à poser des questions, se traînant
sur les mains et les genoux, Wren se faufila entre les morceaux
d’une table brisée, puis, sans un regard pour Haven, suivit le filin-Courant toujours lié à elle, jusqu’à
l’endroit où Sergueï disparaissait presque sous un enchevêtrement
de Courant maléfique.
Sa silhouette était floue sur les bords, comme si
une gomme invisible était en train de l’effacer, ou comme si on la
voyait à travers une brume de chaleur. Mais il était toujours là.
Et c’était toujours Sergueï.
Elle essaya de tirer le filin vers elle, mais il
glissa entre ses mains mentales, trop affaiblies pour bien le
saisir.
— Non ! geignit-elle, les larmes aux yeux. Nooon
!
— Ancre-toi en moi.
La voix était elle aussi familière, et elle sentit
son propriétaire se coller contre elle à la manière d’un chien
affectueux. Elle se retourna. C'était O.P., qui la fixait avec
intensité de ses pupilles rouges. Que… Qu’avait-il dit ?
— Allons, vite ! Fais ce que je te dis ! la
pressa-t-il.
Jamais, jusqu’ici, elle n’avait tenté de s’ancrer
en une autre personne que Sergueï. C'était un acte trop personnel,
trop intime. O.P. n’était pas…
— C'est pour ça que j’ai été créé, Valère.
Fais-le !
Vaincue par l’autorité de sa voix, elle agrippa sa
fourrure, enfouit les doigts et la tête dans l’épaisseur musquée de
son collier de poils blancs, et se plongea tout entière en lui, au
fond de son être, s’enfonçant dans cette chair ferme si différente
de la chair humaine, et cependant d’une troublante similitude. A la
fois familière — O.P. était un vieil ami — et totalement étrangère.
Et au milieu de tout cela, Wren sentit
l’endroit où elle devait être. Elle s’y glissa avec l’étonnement et la gratitude de celle qui découvre
des prises sur une falaise nue.
Avec un cliquètement étrange qui noua tout
l’intérieur de son corps, elle s’enracina, se centra parfaitement,
et fut soudain en mesure de faire ce qu’elle avait à faire.
— Je t’adjure de rester !
T’avise pas de me laisser !
Reviens ! Tout de suite !
Le Courant fusa à travers elle, avec une puissance
telle que si elle ne s’était pas aussi solidement ancrée, elle eût
été emportée comme un fétu et projetée dans un océan d’électricité
pure. Elle eut l’impression de chevaucher une tornade à la
puissance dix, d’être prise dans l’œil d’un cyclone… Ou plutôt
d’être l’œil de ce cyclone ! Le Courant
claqua, étincela et bouillonna autour d’elle, plongeant dans sa
peau et en ressortant, pénétrant loin dans sa chair, puis
jaillissant dans l’air, pour s’accoupler au lien existant, le
densifier, le renforcer, pour courir le long du filin jusqu’à la
forme de Sergueï à présent transparente.
— Reviens, maintenant, murmura-t-elle, avant
d’envoyer tout ce qui était en elle à travers le lien, ne retenant
rien de cette prodigieuse cacophonie de puissance sauvage.
Puis tout se passa en un éclair. Le Courant
rebroussa chemin, reflua le long du filin, O.P. poussa un cri et
disparut du champ de conscience de Wren. L'entité poussa un
rugissement proche d’un crissement métallique, puis battit en
retraite de l’autre côté de la pièce, où elle flotta près du
plafond, menaçante, à l’endroit où était tombé le parchemin.
C'était à présent une ignoble boucle de
Courant de la forme d’un serpent, dont la simple vue lui était
douloureuse. Mais pour le moment elle semblait tranquille. Pour
mieux préparer son prochain mouvement ? Serait-elle capable de
pensée construite ? Ou ne fait-elle que réagir ?
— Petit Roitelet ?
Faible, brisée, la voix était néanmoins douce à
ses oreilles. Soudain, plus rien d’autre ne compta.
— Serg ?
Elle rampa jusqu’à l’endroit où son associé gisait
sur le sol. Il était pâle, la peau de son visage complètement
décolorée, des fils gris étaient apparus dans ses cheveux, mais,
mais il était là, solide au toucher, vivant. Vivant. En piteux
état, certes. Il était impossible à un Profane de recevoir autant
de Courant sans en payer le prix, mais il était vivant.
— Merci mon Dieu, dit-elle en l’entourant de ses
bras, savourant le contact de sa peau contre la sienne.
C'est alors qu’elle fut frappée par le silence qui
régnait dans la cave. Clignant des yeux pour refouler ses larmes
d’épuisement, elle tourna la tête pour voir où en était l’autre
combat.
— Il faut partir, associé, souffla-t-elle dans les
cheveux de Sergueï, avant de se séparer de lui à contrecœur.
Si elle avait dû chercher qui, parmi tous ses amis
et connaissances, pouvait l’aider à lutter contre un Fatae enragé,
Lee n’eût pas figuré en tête de liste, malgré toute sa bonne
volonté. C'était un excellent ami doublé d’un farceur inspiré, mais
il n’était pas un bagarreur de rue malgré sa connaissance des arts
martiaux. Du moins le croyait-elle.
Eh bien il était clair
qu’elle avait sérieusement sous-estimé l’artiste. Car pendant
qu’elle s’échinait à ramener Sergueï dans l’univers des êtres
physiques, il s’était chargé du Minos, réussissant à imposer ce qui
ressemblait fort à un statu quo, son
Courant et la puissance phénoménale du Minos se neutralisant l’un
l’autre. A dire vrai, ils ressemblaient à l’une de ses sculptures :
le guerrier moderne et l'homme-taureau figés dans le combat. Sauf
que les objets de métal ne saignaient pas, tandis que Lee était
couvert d’hémoglobine au visage et au côté. D’une clé des deux bras
autour de sa gorge massive, il tentait d’étrangler la bête, tandis
que les pattes calleuses de celle-ci empoignaient ses épaules et
cherchaient, semblait-il, à le déchirer en deux.
Wren s’approcha de Lee par la droite, attentive à
demeurer hors de portée du Minos. L'œil droit tuméfié de Lee était
encroûté de sang séché, et sa bouche était ouverte d’une manière
qui donnait à penser que sa mâchoire était brisée.
— Bon sang, Peuplier…
Ses os. Le métal. Je crois avoir presque pris sa
mesure.
Que puis-je faire ?
demanda-t-elle sur la même ligne de Courant.
Rien. Simplement… Attention !
Mais elle s’était déjà retournée, comme lui
avertie par le brutal afflux de colère qui emplissait l’espace.
Pensant que l’entité était occupée à récupérer, elle avait fait la
seule chose qu’elle n’aurait jamais dû faire : l’ignorer. Et cela
avait suffi pour ranimer toute la haine placée en elle par son créateur, tout le venin accumulé
durant les années d’enfermement dans la Maison du Secret.
« Idiote, crétine, imbécile ! » Mais elle n’eut
pas le temps de se morigéner davantage, car l’entité repartait à
l’attaque. Après l’expérience du premier assaut, Wren ne voulait
pas se laisser piéger par ce Courant qu’elle projetait vers elle
sous forme de tentacules translucides et visqueuses.
Les émotions. Non, l’espoir. L'espoir était la
réponse à cette chose immonde qui essayait de l’avoir en jouant sur
ses angoisses, sur ses peurs. Elle l’avait arrachée à Sergueï en se
concentrant sur ce qu’elle connaissait sans l'ombre d'un doute.
L'entité était le produit d'un orgueil, d’un ego détruits. Oui,
cela, elle le savait à présent. Elle connaissait son désir effréné
de détruire en retour, de réduire en lambeaux tout ce qui était
libre. Tout ce qui n’était pas autant consumé par l’amertume
qu’elle l’était elle-même. Et rien ni personne en ce monde ne
pouvait être amer à ce point.
Mais comment faire de l’espoir une arme ?
Une vrille de Courant d’un orange sale s’enroula
autour de sa cheville et tira. Wren tomba sèchement sur le dos, le
souffle coupé. La vrille l’entraîna plus loin. Wren sentit
l’irritation et la perte de confiance lui hérisser la peau. Si elle
la laissait continuer, l’amertume trouverait cette fois le moyen de
s’immiscer en elle. Et elle était trop affaiblie, trop éprouvée
pour reprendre le combat. « Le contrôle. Garde le contrôle, Valère
! »
Alors qu’elle gesticulait à la recherche d’une
prise, ses doigts se refermèrent sur quelque chose de froid, dur et
immobile. Un objet de marbre ? Un pied de table ? Quoi qu’il en fût, c’était assez grand et assez
lourd pour faire l’affaire. Peut-être. Wren força ses épaules à se
détendre comme si elle abandonnait la lutte, puis se projeta
brutalement en arrière afin de libérer sa jambe. « Je t’aime, Serg.
Je t’aime, je t’aime, je t’aime… »
Sentant l’entité tourner maintenant autour de sa
tête, elle se concentra sur le mantra, et se remplit non pas de
peur, mais d’amour.
— Tu ne feras jamais une athlète, hein ! On dirait
un poulet décharné !
— Hé ! lança-t-elle à l'entité d'un ton railleur,
espérant la troubler d’une manière ou d’une autre. C'est autre
chose que des cours de gym qu’il te faudra donner ! J’ai des
souvenirs bien pires que ceux-là !
La vrille se tendit en claquant, comme si elle
s’était irritée de ce que sa proie n’eût pas sombré dans la haine
qu’était censée inspirer un présumé professeur sadique. Wren tira
sur l’objet lourd, et la table se déplaça légèrement. La panique…
La panique commençait à s’emparer d’elle.
Et lorsqu’un Talent panique, de mauvaises choses
se produisent.
— Saleté de fils de p…
Le cri de Lee se perdit heureusement, tandis que
le Courant était soudain pompé de toutes parts. Du bâtiment
lui-même, des câbles enterrés sous la chaussée, de tout ce que le
noyau intime de Wren était en mesure de percevoir. Lee fut arraché
au monstre et renversé, Wren projetée à terre. Dans le mouvement,
la table sur laquelle elle tirait vola par-dessus sa tête et
atteignit la masse écœurante de l’entité tentaculaire.
Emmagasinant autant de
Courant volé qu’elle l’osa, Wren se redressa sur les genoux, et,
clignant des yeux, retrouva juste à temps une vision nette pour
assister à la disparition du Minos.
Sans s’arrêter pour réfléchir, Wren se saisit d’un
faisceau de filaments de Courant qu’elle ramena à elle, parmi
lesquels elle sélectionna les plus propres, les plus purs qu’elle
put trouver, des filaments jamais touchés par des esprits
Talentuesques, et les modela de sorte à leur donner une forme bien
précise.
— Cajole ta geôle :
Dirige ton pouvoir vers l’extérieur,
Ne laisse aucun courant passer.
Ce n’est que lorsque la cage se mit en place
autour de l’entité qu’elle se rendit compte qu’elle avait joué avec
les mots pour formuler son incantation.
— Tu avais raison, Neezer. Toutes ces semaines à
faire des mots croisés m'ont quand même appris quelque chose
!
L'entité poussa un hurlement si terrible qu'un «
pop ! » se produisit dans les oreilles de Wren, qui se mirent à
saigner, mais elle ne put s’extraire de sa cage. Wren avait dirigé
le Courant non pas vers l’intérieur, mais vers l’extérieur, créant
ainsi une zone profane, un espace obscur de son cru autour de
l’entité, dans lequel il devenait impossible de trouver à se
nourrir.
C'était le mieux qu’elle pût faire. Pour le
moment.
— Sergueï ?
— Da.
La voix était blanche, incertaine, mais Wren
sentit l’étau qui comprimait son cœur se desserrer.
— Je… je crois, oui.
Elle se traîna vers Lee, qui ouvrit son œil valide
et la regarda.
— Ce qui nous fait deux. Trois, avec moi...
Comment va la grosse houppette ?
Wren saisit le poignet d'O.P., tâta son pouls,
souleva une paupière pour examiner la pupille, et hocha la
tête.
— Toujours là. Un beau mal de crâne en
perspective, toutefois.
— Eh bien, c’était… intéressant.
Lee grimaça, mais ne bougea pas un doigt.
— Crétins de Minos. Les méchants sont ficelés ?
Que vas-tu faire de cette pourriture, maintenant ?
Wren se baissa, lentement, prudemment, puis,
s’appuyant sur un coude, observa la cage qui palpitait d’énergie
emprisonnée. Elle préféra ne répondre qu’à la deuxième question
:
— Le Silence voulait la récupérer ? C'est
son problème désormais. Notre accord ne
stipulait que la localisation du manuscrit. Et pour être localisé,
il l’est, sapristi !
Elle se déplaça avec précaution sur le sol dur, le
corps en proie à une douleur sourde et diffuse qui lui fit craindre
d’avoir subi des lésions internes.
— Prochaine étape, l’hôpital Saint-Vincent. Je
vois d’ici la tête du personnel des urgences ! Mais avant cela, il
faut que je passe un coup de fil à André pour l’avertir que son
colis est là.
Elle marqua une pause, avant d’ajouter :
— Si tant est que les lignes téléphoniques ne
soient pas coupées après notre petite fiesta.
Peuplier, tu as de la monnaie sur toi ?
Aucune réponse.
Elle se retourna pour regarder son ami, et toutes
ses idées de repos, de détente et de satisfaction du travail bien
fait s’évanouirent.
— Lee, non !