CHAPITRE XXXII

 

D’un regard d’aigle, Talon Karrde surveillait les détecteurs. Mais l’arrivée de Kam Solusar ne lui échappa pas pour autant.

— Que se passe-t-il ? demanda le Jedi.

— Les détecteurs indiquent qu’un transporteur est entré à l’instant dans l’atmosphère de Yavin 4.

— J’ai senti une incroyable montée en puissance de la Force, il y a quelques instants, renchérit Solusar. Je suis sûr qu’Anakin était impliqué, et probablement Tahiri.

— Les percevez-vous toujours ? Sont-ils à bord du cargo ?

— Je pense, répondit Solusar.

Karrde secoua la tête.

— Ça ne me suffit pas ! Si je m’aventure aussi loin en territoire hostile, ma flottille y laissera forcément des plumes... Je dois être sûr. Et si c’était encore un coup fourré de la Brigade de la Paix ?

— Il s’agit d’Anakin, affirma Solusar.

Karrde se détendit.

— C’est déjà mieux !

Il se tourna vers son équipage.

— On dirait que c’est ce que nous attendions, les gars. Notre ordre de mission a changé. Jusqu’à présent, nous nous contentions de liquider les vaisseaux ennemis égarés... D’après ce que j’ai compris, les Yuuzhan Vong se sont servis de nous comme cible d’entraînement, histoire d’éliminer leurs plus mauvais éléments.

« Mais si nous tentons d’intercepter le transporteur, tout changera. Ils nous attaqueront en force, et nous serons faciles à dégommer... Cette fois, il n’y aura pas de flotte de la Nouvelle République pour voler à notre secours. Si quelqu’un a des doutes ou des objections, j’aimerais les entendre tout de suite.

Il balaya la passerelle du regard, puis les écrans, où s’affichaient les visages des autres capitaines.

Seule Shada prit la parole.

— À quel moment ne vous avons-nous pas soutenu, capitaine ?

Un chœur d’acclamations salua cette remarque.

— Parfait, les gars. Au travail !

 

Une série de bips et de sifflements accueillit Anakin quand il monta dans le transporteur.

— Salut, Fiver ! Content de te revoir, moi aussi !

— Remets-toi au boulot, droïd paresseux, ajouta Vehn. Et toi, le héros, prends un canon ! Voyons si nous pourrons semer ce truc !

— Je me sentirais mieux aux commandes, dit Anakin.

— Après ce que tu as fait à mon vaisseau la dernière fois ? Non, merci !

— Bon, il est à toi, après tout...

— Fichtre oui !

Anakin regarda l’écran par-dessus l’épaule du pilote.

— On a pris une belle avance...

— Oui. Ces vaisseaux vong mettent un temps fou à quitter l’atmosphère. Mais une fois dans l’espace, ils iront plus vite que nous.

— Quel est ton plan ?

— Tenter de les battre de vitesse jusqu’à ce que nous soyons à l’abri.

— C’est tout ?

— J’improvise ! Tu vas râler parce que je suis venu vous sortir de ce guêpier ?

— Non. Je pensais plutôt te remercier... Mais je n’en suis plus si sûr.

— Boucle-la, tu vas me faire pleurer ! Si tu as un plan, vas-y !

Anakin étudia le champ d’étoiles. Il lui sembla percevoir... quelque chose...

— Active les détecteurs à longue portée, demanda-t-il.

— Désolé. Nous travaillions dessus quand tes deux petits copains ont « senti » que tu avais besoin d’aide... Nous avons suspendu les réparations pour foncer !

— Sannah, Valin ! appela Anakin, leur faisant signe de le rejoindre. Concentrez-vous... Percevez-vous quelque chose... dehors ?

— Oui, confirma Valin. Kam Solusar est quelque part dans le secteur...

— Je le sens aussi, dit Sannah.

— Je suis trop affaibli pour le détecter, et Tahiri aussi. Dites à Vehn où vous le localisez.

Valin étudia l’espace, puis désigna une direction, à quatre-vingt-dix degrés à tribord.

— Là !

—  « Là » ? s’étrangla Vehn. C’est censé être un cap, çà ?

— L’hyperdrive fonctionne ? demanda Anakin.

— Non.

— Alors, je suggère de nous diriger immédiatement vers ce « là », ou nous finirons tous en poussière.

— Mieux vaut ça que retomber entre les mains de l’ennemi, souffla Tahiri.

— D’accord..., dit Vehn d’une voix traînante. Les petits génies ont toujours eu raison, jusque-là.

Anakin fit mine de s’asseoir sur le siège du copilote.

— C’est la place de Qorl ! cria Vehn.

— Je la lui laisse, dit Qorl. Tous les Solo de ma connaissance étaient de meilleurs pilotes que moi.

— Ne dites pas de bêtises ! lança Anakin. Même si c’était vrai, vous êtes en meilleur état que moi pour piloter. Désolé de m’en être mêlé. Vous semblez être une bonne équipe, tous les deux.

Les deux hommes se dévisagèrent.

— Qorl m’a inculqué une certaine... sagesse, dit Vehn en souriant.

— À grands coups de botte dans le postérieur ! ricana le vieil homme.

— Parfait, conclut Anakin. Merci à vous deux. Vous nous avez sauvés, Tahiri et moi, alors que beaucoup d’autres, à votre place, auraient filé sans se retourner !

— Tu plaisantes ? couina Vehn. Pour me faire griller le cerveau par tes deux petits potes ?

— D’ailleurs, ajouta Qorl, nous ne sommes pas encore tirés d’affaire. Je me suis échoué deux fois sur Yavin 4. Mes chances ne sont pas bien élevées quand il s’agit de quitter ce système.

— Exact, dit Anakin, mais nous en sommes plus près que tout à l’heure.

— Nous aurons les Vong sur les bras dans moins d’une demi-heure, annonça Vehn.

— Ils nous auront rattrapés si vite ?

— Non. Je parle de ceux qui sont déjà dans l’espace...

— Je prends la tourelle des canons, décida Anakin.

— D’accord. Donne-leur à réfléchir, au moins ! lança Vehn.

 

— Le transporteur a été attaqué par les Yuuzhan Vong, dit H’sishi. Il a été touché, mais vole toujours vers nous.

— Dans combien de temps le rejoindrons-nous ?

— En mettant le cap dessus, moins de vingt minutes. Mais pour la flotte en formation à la surface, nous serons des cibles idéales.

— Si nous prenons une voie détournée, nous n’arriverons pas avant l’analogue de destroyer qui se dirige aussi vers eux. Dankin, cap sur le transporteur ! Que le Lion Noir, le Missionnaire et l’Ether nous escortent !

— Monsieur, ce ne sont pas nos vaisseaux les mieux armés.

— Non, mais ils volent à notre vitesse. Exécution !

— À vos ordres, capitaine. Nous serons à portée de tir de l’ennemi dans dix minutes...

 

Anakin regarda le troisième corail skipper partir en vrille vers bâbord. Il ne l’avait pas détruit : ses deux premières salves absorbées par les anomalies gravifiques du basal dovin, la troisième l’avait seulement effleuré... Mais le petit vaisseau n’était pas assez rapide pour rester à la hauteur du transporteur. Les coraux skippers n’étaient pas très inquiétants.

L’analogue de destroyer, en revanche ! De plus, Anakin ne voyait pas ce qu’il y avait derrière. Pour ce qu’il en savait, une flotte entière le séparait peut-être de Talon Karrde. À supposer qu’il fût là... Il tenta encore de capter l’aura familière de Kam Solusar. Et l’effleura brièvement. Mais Kam était peut-être à des années-lumière de distance – et encore... s’il n’avait pas rêvé.

Le destroyer les rattraperait bientôt.

Anakin espéra que Vehn avait plus d’un tour dans son sac...

 

— Un coup au but contre le Lion Noir, monsieur, annonça H’sishi.

— Shada, tu es là ? demanda Karrde.

— Oui, chef. Ils nous ont chatouillés... Nous tenons le coup.

— Encore une salve comme celle-là et vous serez pulvérisés ! grogna Karrde. Décampez ! Vous en avez assez fait.

— Désolée, chef, je ne t’entends plus... Un problème avec l’unité com... Tenez bon, nous vous ramènerons à bon port !

L’alimentation du Wild Karrde vacilla, puis se rétablit. La coque vibra. Les deux derniers vaisseaux d’escorte n’arrivaient pas à dévier toutes les attaques. À la première passe d’armes, le Missionnaire avait explosé...

Pauvres gars...

Il les pleurerait plus tard.

Karrde vit le Lion Noir recevoir le coup de grâce. Des nuages de plasma jaillirent de sa poupe.

— File de là, Shada ! cria-t-il dans l’unité com. Pas de réponse.

— Le Lion Noir continue de poursuivre le destroyer, monsieur, rapporta H’sishi. Je ne comprends pas... Ses moteurs sont morts, et son réacteur approche de la charge critique...

— Shada ! grogna Karrde. Dankin, modifiez la trajectoire de deux degrés sur tribord et préparez-vous.

— Que fait-elle, monsieur ?

— Elle les a pris dans un rayon tracteur ! Elle y a probablement concentré toute la puissance restante...

Le Lion Noir explosa, emportant avec lui le destroyer yuuzhan vong.

— Shada..., murmura Karrde, soudain épuisé.

Il avait perdu tant d’amis au fil des ans... Trop souvent, il avait joué à cache-cache avec la mort, sa vieille compagne... Un petit jeu où nul ne pouvait espérer gagner longtemps, bien sûr. Son heure venue, il mourrait, comme tout le monde. Mais il n’aurait jamais cru que Shada disparaîtrait avant lui...

— Un destroyer de moins, dit-il, les dents serrées. Il en reste un.

— Nous avons perdu l’Ether, monsieur, annonça H’sishi.

— Détruit ?

— Non. Mais il n’a plus d’alimentation.

— Donc, nous restons seuls.

— Oui.

— Monsieur ! Derrière nous !

Sur l’écran, Karrde vit apparaître...

... Un destroyer Impérial rouge !

— Un message, monsieur ! cria Dankin.

— Visuel !

Un humain barbu apparut sur l’écran.

— Eh, bien, Karrde ! Comme on se retrouve... Je suppose que je vous tirerai aussi de cette mélasse. J’espère que vous aurez une chouette récompense à m’offrir !

— Booster Terrik !

— En personne !

— Je vous dénicherai quelque chose de très sympathique dans mes entrepôts. Promis !

— Où est mon petit-fils ?

— Nous le croyons à bord du transporteur que le grand vaisseau yuuzhan vong est sur le point de gober tout cru !

— C’est tout ce que je voulais savoir... Rendez-vous de l’autre côté, Karrde !

— L’autre côté de quoi ?

— De la nébuleuse que je vais créer !

L’écran devint noir.

— D’accord, les gars..., soupira Karrde. Nouvelle donne. Ce n’est pas le moment de gaspiller nos cartes !

 

Anakin tira sans discontinuer, arrachant des plaques de corail yorik à l’analogue de destroyer. Mais ça ne semblait pas le gêner beaucoup...

Anakin reconnut que Vehn se débrouillait bien comme pilote. Il s’était approché du vaisseau ennemi histoire d’éviter les plus gros canons, et se déplaçait en spirale afin d’échapper à l’attraction du basal dovin. S’il s’éloignait trop du destroyer, une seule salve des canons à plasma les réduirait en poussière.

— Haut les cœurs, là-derrière ! cria Vehn. Ils lancent les coraux skippers !

Les Yuuzhan Vong ne gardaient pas les chasseurs dans des hangars, mais le long des grands vaisseaux. Anakin avait liquidé plusieurs chasseurs ainsi amarrés. Maintenant, ils quittaient le destroyer par essaims.

— Tiens-les en respect Solo ! gémit Vehn. Si j’essaie de les distancer, le destroyer nous pulvérisera.

— Compris !

Anakin se concentra sur les ennemis organiques qui les attaquaient. Contre les coraux skippers, il adopta un rythme semi-automatique : un premier coup pour attirer une anomalie gravifique, un deuxième à la limite de son horizon des évènements... L’anomalie se déplaçait pour intercepter la salve... Et Anakin visait l’autre flanc du vaisseau.

Parfois, le trou noir artificiel parvenait à absorber les trois salves. Mais souvent, la lumière cohérente passait assez loin de l’anomalie pour tourner autour d’elle... Avec un peu d’entraînement, Anakin s’aperçut qu’il pouvait orienter cette troisième salve à peu près là où il le souhaitait.

Mais pas tirer simultanément sur tous les chasseurs...

Le transporteur gémissait et frémissait sous les coups ennemis.

Absorbé par sa tâche, Anakin se battait en silence.

Comme tous ceux qui l’entouraient... Tous étaient désormais au-delà des mots.

Un coup traversa le barrage défensif d’Anakin, brûlant le transpacier du cockpit de la tourelle. Anakin voulut éliminer un des trois autres chasseurs qui passaient dans son champ de vision. Il tira... Le vaisseau tourbillonna sous l’impact, se stabilisa...

... Et fonça sur lui.

Sans s’affoler, Anakin tira de nouveau. Une singularité avala son premier coup, le deuxième étant détourné. Le troisième frappa l’ennemi au centre. Le skip se vaporisa... Ses débris bombardèrent le cockpit avec la force d’un orage de météorites.

Le transpacier se fissura.

Encore un coup comme ça, et je respirerai le vide spatial...

Mais Anakin ne pouvait pas quitter la tourelle. Il vérifia que le sas était scellé, isolant la zone du reste du transporteur. Inutile d’entraîner ses amis avec lui dans le vide cosmique !

Il élimina deux autres chasseurs. Trois de plus foncèrent sur lui.

Il tira, conscient qu’il ne les éliminerait pas tous du même coup.

Le canon endommagé eut un raté... Impassible, Anakin regarda approcher les vaisseaux ennemis... Il utilisa la Force pour les bombarder de débris...

Que ressentirait-il quand son sang commencerait à bouillir dans ses veines... ?

Il les perçut dans la Force à l’instant précis où les coraux skippers disparaissaient dans un éclair de lumière blanche. Deux ailes X contournèrent le nuage de gaz et de corail fondu. Son unité com crépita.

— Tu as besoin d’un coup de main, petit frère ?

— Jaina !

— Tu nous as fourrés dans un sacré pétrin, Anakin, dit une voix masculine.

— Jacen ! Où... Comment... ?

— On t’expliquera plus tard ! lança Jaina. Qui pilote cette caisse à savon ?

— Moi ! annonça Vehn.

— Filez de là ! ordonna Jaina. Nous tiendrons ces chasseurs à distance. Corran aussi est là. J’ai presque pitié des Vong...

— Mais si je romps le combat...

— Croyez-moi, dit Jaina, à ce stade, vous n’avez plus le choix !

Anakin soupira de soulagement quand le turbolaser se réactiva.

— Je couvre nos arrières ! dit-il à son frère et à sa sœur. Dégagez-nous un chemin. Vehn, en avant toutes !

— À vos ordres ! ironisa le pilote...

... Avant de pousser un petit cri. Anakin ne comprit pas pourquoi... jusqu’à ce qu’ils soient passés de l’autre côté de L’Aventurier Errant.

L’analogue de destroyer yuuzhan vong brûlait comme une nova.

Devant ce fabuleux spectacle, Anakin eut un grand sourire.

 

Le lendemain, quand les Yuuzhan Vong abandonnèrent enfin la partie et sautèrent dans l’hyperespace, Karrde, lui, ne souriait pas en regardant les épaves...

Décidément, il se faisait trop vieux pour ces absurdités !

— Capitaine, un message pour vous, dit H’sishi.

Il aurait aimé l’ignorer, mais après la bataille, c’était peut-être important.

Un homme mince d’âge moyen apparut sur l’écran.

— Corran Horn... Content de vous revoir. Je suppose que vous êtes à bord du destroyer de votre beau-père ?

— Quand Jacen et Jaina nous ont trouvés, j’y étais. Et à bord d’une des ailes X qui se sont battues ici. Karrde, je voulais vous remercier d’avoir sauvé mon fils et les enfants. Je sais ce qu’il vous en a coûté.

Non, vous n’en savez rien !

— N’en parlons plus. J’aime tenir mes promesses.

— Un homme selon mon cœur..., approuva Horn. J’ai aussi l’habitude de payer mes dettes. Et j’en ai une de taille envers vous.

Karrde fit un petit signe de tête.

— Je suis heureux que votre fils s’en soit tiré. Autre chose ? Désolé, mais je ne suis pas d’humeur à papoter.

— Encore un instant, si vous le permettez. Ça ne remboursera pas tout ce que je vous dois, mais j’ai quelque chose pour vous.

— Quoi ?

— Qui, plutôt...

Horn s’écarta. Shada D’ukal prit sa place.

— Shada !

— Karrde, tu ne m’as tout de même pas crue stupide au point de m’attarder à bord d’un vaisseau en flammes ! Après avoir verrouillé le rayon tracteur, tout l’équipage a couru aux nacelles de sauvetage... Horn nous a trouvés avec son aile X, en pleine chute vers la géante gazeuse... (Elle scruta l’écran.) Qu’y a-t-il, chef ? Une poussière dans l’œil ?

— Cochonnerie d’unité de recyclage d’air, encore détraquée ! grommela Karrde en tentant d’écraser ses larmes. Ramenez vos fraises en quatrième, que nous débattions de l’éternité qu’il vous faudra pour me rembourser le Lion Noir !

Shada leva les yeux au ciel.

— À bientôt, chef !

Talon Karrde se permit un petit sourire. Pourquoi pas ? Ils avaient gagné, non ?