CHAPITRE XXV

 

— Quoi ? s’écria Anakin.

— Es-tu un Jeedai ? À question simple, réponse simple !

— Qu’est-ce qui vous pousse à le croire ? Si j’étais un Jedi, serais-je esclave ?

— Les modeleurs détiennent déjà une Jeedai. Et d’autres se trouveraient sur cette lune. Toi... Personne ne se rappelle d’où tu viens. Et tu n’as vraiment rien d’un esclave quand on y regarde de près ! Parfois, les Jeedai se laissent délibérément capturer...

— Ce n’est pas mon cas. Je vous assure.

Il ne mentait pas... puisque personne ne l’avait fait prisonnier !

Et il ne se laisserait pas faire maintenant ! Uunu n’était pas une guerrière. Il se prépara néanmoins au pire, tentant de rester calme. Il ne voulait pas de mal à Uunu. Elle l’avait mieux traité que prévu, et il mettrait un point d’honneur à en tenir compte.

Puis il remarqua une lueur fugitive dans les yeux de l’Humiliée.

— Vous vouliez que je sois un Jedi, n’est-ce pas ? Je vous ai déçue.

Uunu soupira.

— Si tu étais un Jeedai, tu m’aurais déjà attaquée.

— Ah, oui ? Vous croyez ça ? Et vous avez tout de même pris le risque... ?

— Quel risque ? Des guerriers sont cachés non loin d’ici. Je leur avais fait part de mes doutes...

Elle se décomposa.

Il sentit sa nuque se hérisser. Où étaient les guerriers ? Il ne voyait personne.

— Livrer un Jedi vous aurait permis d’échapper à votre statut d’Humiliée ? C’est ça ?

— Pas directement... Seuls les dieux peuvent modifier mon statut. Mais j’aurais aimé rencontrer un Jeedai. Et en démasquer un aurait donné à Yun-Shuno plus de poids quand elle intercèdera en ma faveur.

— Est-ce votre supérieure ?

— C’est une déesse, infidèle ! Celle des Humiliés. La seule qui puisse faire de moi une vraie Yuuzhan Vong.

— Oh !

— Assez palabré ! Au travail.

Ils continuèrent. Elle enlevait les poils des bourgeons et lui les entaillait pour en extraire les lambents.

— Comment devient-on un Humilié ? demanda Anakin.

— Encore une question impolie..., dit Uunu, sans réelle agressivité. Certains d’entre nous sont nés ainsi, d’autres se sont attirés cette malédiction en se comportant mal.

— D’après ce que j’ai entendu dire, certains estiment être victimes d’une injustice. Ils ne mériteraient pas un tel sort...

Elle éclata d’un rire rauque.

— Mériter ? Nous ne méritons pas, nous sommes. (Elle comprit soudain de quoi il parlait.) Tu fais référence à Vua Rapuung, celui qui t’a ramené ?

— C’était peut-être son nom. Je n’en suis pas sûr. Il a marmonné des choses... Il ne s’adressait pas à moi, bien entendu.

— Vua Rapuung est fou à lier ! Jadis, c’était un grand guerrier. Maintenant, il n’est plus rien. Qui supporterait un tel revers de fortune ? Alors, il s’invente des histoires. Peut-être est-il le premier à y croire !

— Des histoires ?

— Il prétend qu’une modeleuse l’a infecté avec un germe qui reproduirait les marques de la honte.

— Pourquoi ?

— Parce qu’elle l’aimait, et qu’il l’a repoussée.

— Elle l’aimait ?

Des Yuuzhan Vong, tomber amoureux ! Anakin jugea qu’il fallait une sacrée dose d’imagination pour le croire...

— Oui. Une histoire à dormir debout, comme je te le disais !

— Pourquoi ?

— Quelle ignorance crasse ! Les dieux seuls décident des unions. Les amants Yun-Txiin et Yun-Q’aah n’auraient jamais provoqué ce genre de passion entre une modeleuse et un guerrier. Yun-Yuuzhan est impitoyable avec les dieux jumeaux. Ils n’oseraient pas risquer bêtement ses foudres. Impossible ! Conclusion, Vua Rapuung délire ! Il est maudit, comme nous, et se refuse à l’admettre. Depuis quelque temps, son instabilité mentale empire. Les intendants ne tarderont pas à mettre un terme à ses souffrances, si ce n’est déjà fait...

— Quoi ?

— Les Humiliés doivent être utiles et soumis. À ces conditions, la société tolère leur existence. Bien sûr, nous nous chargeons des corvées auxquelles ne s’abaisserait aucun Yuuzhan Vong. Sinon, nous ne vaudrions plus la peine d’être nourris. (Elle leva la tête.) Tu t’inquiètes de Vua Rapuung ?

— Je me soucie de tout être vivant.

— Tu parles de nouveau comme un Jeedai.

Comment en sait-elle autant sur notre philosophie ?

Où une Humiliée aurait-elle trouvé ces informations ? Et pourquoi s’y intéresserait-elle ?

— Un Jeedai s’inquièterait-il du sort d’un Humilié ? Autant que de celui d’une personne de haute caste ?

— Oui. J’ai connu des Jedi. Ils protègent toutes les vies.

— Pas celle des Yuuzhan Vong. Les Jeedai cherchent à nous tuer.

— Seulement quand ils y sont contraints. Ils n’aiment pas tuer.

— Ce ne sont pas des guerriers ?

— Pas exactement, d’après ce que je sais. Plutôt des protecteurs.

— Des protecteurs... Et ils protègent tout le monde ?

— Tous ceux qu’ils peuvent.

Elle ricana.

— Quel drôle de mensonge ! De nature à redonner espoir à ceux qui ne le méritent pas. Un mensonge fallacieux et insidieux ! Certains Humiliés disent même... Comment arrives-tu à me tirer les vers du nez, infidèle ? Travaille, au lieu de me casser les oreilles ! Et cesse de me harceler de questions !

 

Cette nuit-là, Anakin se faufila sans trop de mal hors du dortoir, à peine surveillé... Les esclaves ne pouvant s’échapper du camp, à quoi bon perdre de précieuses heures de sommeil à monter la garde ? S’ils voulaient se balader la nuit, les Yuuzhan Vong s’en moquaient.

Atteindre les champs fut plus malaisé, mais Anakin avait l’expérience de la discrétion. Quelques instants plus tard, il s’agenouilla dans le champ de lambents, sous la lueur orange de la géante gazeuse. Les plantes bruissaient. Au-delà du périmètre du camp, de l’autre côté de la rivière, la vie foisonnante de la jungle continuait...

Anakin entra en contact avec l’esprit de Tahiri, accablé de douleur et de misère.

Arrivé au dernier lambent moissonné, il s’agenouilla près du premier plant de la moisson suivante, les yeux rivés sur la tige à la subtile phosphorescence. Osant à peine respirer, il tendit une main vers le bourgeon... et le caressa comme il avait vu Uunu le faire des centaines de fois.

Les pétales se détachèrent sous ses doigts. Puis Anakin sentit un choc électrique le long de son bras... Ni agréable ni désagréable en soi. Il eut l’impression de goûter une nourriture si exotique que ses papilles gustatives, en l’absence de point de comparaison, n’auraient su qu’en « penser ».

La sensation se précisa pendant qu’il caressait le bourgeon, jusqu’à ce que la fleur exhale son parfum. Il devint le lambent, sensible à son éveil.

Puis le bourdonnement, dans sa tête, augmenta, dominant le murmure des autres plantes. Quand la cosse fut parfaitement lisse, il regarda autour de lui, à l’affût de mouvements suspects. Dans le camp yuuzhan vong, il était pratiquement aveugle et sourd. Incapable de percevoir le danger grâce à la Force, il devait se fier à ses sens normaux.

Pas d’ombre inquiétante ni de mouvements furtifs... Son éperon-moissonneur sorti, il incisa la cosse et l’épela, révélant la gemme qui s’y nichait. Entre ses doigts, presque sans y avoir été incitée, elle prit un doux éclat.

— Oui ! souffla-t-il.

Il fit s’éteindre la pierre qu’il serrait dans son poing.

Puis il revint au dortoir. Passant devant l’autel de Yun-Shuno, il entendit des gémissements. Des murmures flottaient dans la nuit...

Anakin s’aventura à la pointe du complexe en forme d’étoile, là où il avait « débarqué » du bateau vivant. Il se faufila de nouveau à l’intérieur.

La mare brillait d’une lueur phosphorescente. Anakin sonda ses profondeurs avec la Force, espérant repérer rapidement son sabre laser abandonné des jours plus tôt.

L’eau était trouble. Il la percevait comme à travers un nuage. Les écrevisses géantes et les autres créatures marines s’y détachaient faiblement. Il perdit un temps précieux à « cartographier » les lignes de vie, les courants et les énergies. Il eut enfin à l’esprit une image exploitable  – vacillante comme un mirage, mais présente. Le courant avait poussé son sabre laser contre un filet. Il mobilisa sa volonté ; l’arme frémit, remonta à la surface, émergea de la mare... et vint se nicher au creux de sa paume.

— Qui est là ? demanda une voix, dans l’ombre. Anakin recula, le cœur battant la chamade. Il se tapit dans le coin le plus sombre du complexe.

— Je vous demande pardon, dit-il, essayant d’imiter la voix d’un Yuuzhan Vong. Je ne suis personne, seulement un Humilié...

La silhouette bougea et Anakin la vit mieux. Une sorte de nid de serpents lui tenait lieu de coiffure. Il n’avait jamais rien vu de tel chez les Yuuzhan Vong.

— Ce complexe est celui des modeleurs. Tu n’as rien à faire ici, Humilié.

— Je vous prie de m’excuser, ma dame. Je voulais... J’avais espéré que les eaux du bassin de succession m’inspireraient pour prier Yun-Shuno avec plus de ferveur.

— Je devrais signaler ton infraction. Seuls les Humiliés dotés des phéromones de passage sont autorisés à entrer ici. Je...

Il entendit un halètement rauque.

— Y a-t-il un problème, ma dame ?

— Non. J’étais venue contempler ma douleur. Va-t’en, Humilié. Il est exclu que j’interrompe ma méditation par ta faute. File avant que je ne change d’avis !

— Merci, grande modeleuse.

Tremblant comme une feuille, il battit en retraite. L’esprit en ébullition, il avait l’impression d’avoir une supernova dans le crâne... Il touchait enfin au but !

La « supernova » se refroidit quelque peu quand il sortit du damutek, retournant au village des Humiliés. Il lui faudrait davantage qu’un lambent et un sabre laser pour réussir le coup d’éclat qu’il projetait ! Il avait besoin de temps et de solitude. Coulante ou pas, Uunu ne les lui accorderait pas. Mais il ne pouvait plus attendre Vua Rapuung... Uunu avait des soupçons. Et Hul Rapuung avait émis les mêmes doutes à son sujet, dès son arrivée.

De plus, Vua Rapuung était peut-être mort.

Anakin devait se cacher. Mais où ?

Absorbé par ses réflexions, il ne vit pas venir une silhouette… et la percuta.

Un juron... On le saisit par les cheveux. Surpris, Anakin lâcha son sabre laser et le lambent, qui s’illumina.

À sa lueur, il découvrit un visage mutilé...

— Vua Rapuung !

— Éteins ce lambent !

— Lâchez-moi !

Le Yuuzhan Vong obéit. Anakin récupéra ses précieuses possessions.

Tiens-toi tranquille, lambent... Il incita la gemme à s’assombrir. La lueur disparut.

— Que faites-vous avec ça ? cracha Vua Rapuung.

— Peu importe. Ravi de vous revoir ! J’avais entendu dire...

— On a cherché à me tuer, coupa Rapuung. L’heure est venue de passer à l’action ! C’est maintenant ou jamais.

— Impossible ! Il me reste une chose essentielle à faire !

— Trop tard !

— Écoutez-moi ! Une des raisons qui vous ont poussé à une alliance avec moi, c’était le sabre laser. Vous me l’avez dit ! Exact ?

— Il nous aurait aidés, reconnut Rapuung. Sans lui, j’ignore si nous pourrons franchir les portails et les sécurités... Vous m’avez menti ? Vous avez votre arme ?

— Elle ne marche plus. Mais je peux la réparer grâce au lambent.

— Vite, alors !

— Ça prendra un jour ou deux.

— Impossible de nous cacher deux jours ici ! Et si nous quittons le périmètre, nous n’y entrerons plus jamais.

— J’ai besoin de ces deux jours ! insista Anakin.

— Dès demain, on s’apercevra que je suis vivant. Ce n’est qu’une question d’heures. À moins que vous connaissiez une sorcellerie Jeedai capable de nous rendre invisibles...

— Non. Mais... Le temple d’origine... Comment a-t-il été rasé ?

— Un damutek s’est posé dessus. La pierre du bâtiment a nourri le corail.

— A-t-on comblé les grottes, dessous ?

— Quelles grottes ?

— C’est ça ! dit Anakin, enthousiaste. Si les vôtres se sont contentés d’écraser le temple sous la masse du damutek, les grottes doivent avoir résisté... Ne disiez-vous pas que les damuteks enfonçaient leurs racines dans le sol pour en extraire l’humidité et les sels minéraux ?

— En effet... Si les dieux sont avec nous... Quelle question, bien entendu, ils le sont ! Je suis Vua Rapuung !

Anakin frémit au souvenir du diagnostic d’Uunu sur la santé mentale de Vua Rapuung... Était-il passé de l’état de cinglé à celui de fou à lier ?

Quand frapperait sa prochaine crise ?

Quelle importance ? Fou ou pas, Rapuung était son unique allié. Pour l’instant, il ferait avec !

— On croira que nous avons fui dans la jungle, continua le guerrier mutilé. Elle ne nous cherchera jamais dans les racines de sa forteresse ! Il nous faudra des gnulliths...

— Vous pouvez vous en procurer ?

— Oui, mais c’est un risque. Si on nous remarque quand nous nous enfoncerons dans les racines, on nous y enfermera, et nous mourrons d’une mort lente et ignominieuse.

— Plus ignominieuse que celle qui est réservée aux Humiliés ? lança Anakin. Et depuis quand vous souciez-vous du danger ?

S’il ne voyait pas Rapuung dans l’obscurité, il imagina aisément son expression...

— Une bonne chose que vous n’ayez jamais pensé ça de moi, grogna Rapuung. Attendez-moi là.

Il partit.

Anakin resta seul.

Star Wars [Le Nouvel Ordre Jedi-07] - [L'aurore de la victoire T1] - Conquête
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