CHAPITRE XIV

 

Dyana Serval, nue, magnifique, se tient droite en haut du mur d'enceinte. Diane chasseresse ! Je crois rêver. Pourtant Gunstett est là. Mort. Complètement mort. Dégueulasse !

Je voudrais comprendre.

Nom de Dieu de nom de Dieu de nom de Dieu ! Je crois que je me suis fait berner de bout en bout. Pas possible autrement. Elles étaient d'accord, les nénettes ! C'est le MFD qui va jubiler.

Quel coup de théâtre ! Remous chez les téléspectateurs, je vois ça d'ici. Et vas-y que je te parie sur celui-ci, et sur celui-là ! Mais, bon Dieu, qu'est-ce que c'est que ce bordel ?

Tandis que je suis là, parfaitement ahuri, ne sachant si je dois éclater de rire ou pleurer de rage, je vois Sabine qui, très à l'aise dans sa nudité, m'observe du coin de l'œil.

Quel con ! Mais quel vieux con j'ai été ! Baisé sur toute la ligne. Sur toute la ligne ! En ce moment, je parie que partout on se fout de ma gueule. La devise du MFD se vérifie : deux femmes valent bien quatre hommes (évidemment, si une femme vaut deux hommes !).

Du calme. Du calme. Du calme.

Ne nous avouons pas vaincu. Le jeu n'est pas fini. En ce moment tout le monde garde ses chances. Le dé n'est à personne. Pas encore ! Tout est une question de manœuvre.

— Alors, monsieur Lehard ? Qu'est-ce que vous dites de ça ?

Je demeure bouche bée, feins d'être toujours le jouet de la surprise. Je préfère répondre à côté de la question :

— Vous m'appelez monsieur, maintenant ? Y aurait-il quelque chose de changé dans nos accords ?

Satisfait. Je suis satisfait. Je pensais n'être pas capable de dire trois mots sans bafouiller, et voilà que j'ai trouvé ce qu'il fallait dire. Et sur un ton qui sonne juste. Un ton qui contient une toute petite pointe d'indignation. Rien qu'un soupçon.

Sabine se braque :

— Ah non ! Ne faites pas l'innocent ! Vous avez cherché à me duper et c'est vous qui…

— Quoi ? Vous duper ? Mais, Sabine… Comment avez-vous pu penser une chose pareille ? Certes ! J'avoue avoir songé à vous fausser compagnie la nuit dernière, mais osez me dire que vous n'y avez pas pensé vous aussi !… Mais vous êtes restée. Comme je suis resté ! Pourtant, j'avais au moins une raison de vous en vouloir puisque vous m'aviez envoyé promener… Vous vous souvenez ? Je vous avais tout simplement demandé…

— Vous m'avez tout de même laissée, non ?…

Oh ! Ce n'était pas vraiment déloyal ! Vous m'avez aidée à trouver. Nous possédions tous deux les mêmes renseignements. Dès lors, vous avez pu vous croire libéré de votre engagement…

— Ne croyez pas cela !

— Vous saviez bien que je me trompais, que ce n'était pas dans le temple hindou qu'il fallait chercher le dé !

— Je n'ai eu l'idée de venir ici qu'après vous avoir quittée !

— A d'autres !

— Vous devez me croire, Sabine ! Parce que c'est la vérité ! La vérité ! Je n'ai, à aucun moment, cherché à vous tromper. D'ailleurs, rappelez-vous l'article 20 du règlement !

Sabine me tourne le dos, ne répond pas.

Là-bas, son arc à la main, Dyana nous observe sans broncher. On doute de moi, c'est sûr !

— Sabine… J'avoue ne plus savoir quoi vous dire pour essayer de vous prouver ma bonne foi… Je croyais que nous étions devenus amis et… Enfin ! Dites quelque chose !

Ce n'est pas à un mur que je me heurte mais à une cathédrale ! Dire que je suis pétri de bonne foi, que je me décarcasse pour lui faire comprendre qu'une amitié ne peut pas se terminer comme ça !… Et elle doute ! C'est bien une femme, tiens !

— Sabine… Cette scène est ridicule. Vous pensez aux caméras ? Je suis à poil et vous aussi ! Et vous m'appelez monsieur ! Vous ne croyez pas que… ?

Elle éclate de rire. J'ai gagné !

— D'accord, Jean. Raccord… Je vous crois.

— Pas trop tôt ! Mais maintenant, j'aimerais bien que vous m'expliquiez votre petite mise en scène…

Sabine se tourne vers Dyana et lui adresse un signe. Celle-ci abandonne son arme, s'assied sur le mur, se laisse glisser tout en se retournant, s'accroche et saute. Une minute plus tard elle est auprès de nous.

— Tu ne l'as pas raté. Un joli coup ! Digne du prénom que tu portes !

— Que de compliments, bébé ! Mais je n'ai aucun mérite. Je pratique le tir à l'arc depuis l'âge de huit ans ! C'est un sport que j'aime beaucoup.

— N'empêche ! Si tu n'avais pas été là, nous serions sûrement à la place de Gunstett en ce moment !

Dyana sourit de toutes ses dents. Elle s'amuse à surprendre mes regards qui sont autant de compliments à sa beauté.

— Je vais te dire quelque chose, Dyana. Je suis content que tu ne sois pas morte ! Pas seulement à cause de ce que tu as fait…

— On parlera de ça plus tard…

— O.K. ! Racontez-moi comment vous…

— Je préférerais qu'on en termine avec ce jeu ! dit Dyana.

— Bah ! Maintenant, nous avons le temps… Tout à l'heure, je pensais que les organisateurs avaient fait en sorte que le jeu se poursuive. Donnons-leur satisfaction !Vas-y, Sabine !

— On se tutoie ?

— Tu veux encore m'appeler monsieur ?

Elle rit.

— Voilà, commence-t-elle. Nous avons fait approximativement la même démarche. Notre raisonnement était le suivant : dans ce jeu, deux femmes et quatre hommes c'était bien tant que nous nous en tenions au jeu. Mais il y a eu Falker !

— Il a tenté de me violer, déclare Dyana. J'ai essayé de le calmer, mais c'était un cinglé, ce type-là. Le jeu passait après. Nous nous sommes battus. Je me suis échappée mais il m'a rattrapée. Il voulait m'étrangler. Il disait que ça lui ferait du bien de me tuer devant des milliers de spectateurs… Ma seule défense a été de lui tordre le… enfin, les…

— D'accord. Ensuite ?

— Il m'a lâchée mais il était ivre de rage. J'ai essayé une nouvelle fois de m'enfuir. Une chance pour moi : il est tombé. J'ai voulu l'assommer avec une pierre et… tu connais la suite.

— Et tu m'as rencontré peu après…

— Un peu plus d'une heure après, oui.

— Tu as bien joué ton rôle.

— Toi aussi ! J'ai vraiment cru que tu étais naïf… Pendant un instant, du moins.

Je hoche la tête. Dyana poursuit :

— Plus tard, j'ai rencontré Sabine. Nous avons discuté et nous avons décidé d'agir de concert. Le jeu était dangereux. Il fallait que nous mettions un homme de notre côté sans qu'il soupçonne notre accord. C'est pourquoi nul ne nous a jamais vues ensemble… Notre plan ne s'est pas tout à fait déroulé comme nous l'espérions, mais le résultat est identique… Lorsque tu as décidé de faire équipe avec Sabine, j'ai continué de vous suivre. Avant cela, j'étais morte pour tout le monde. Dès la première nuit, j'ai fait croire que j'avais été victime d'une agression… Calquée sur ce que j'avais réellement vécu ! Je me suis même servi du sang de Falker !

— Bien joué ! Je commence à comprendre beaucoup de choses…

— Tu as même failli surprendre Dyana, me précise Sabine.

— Moi ?

— Rappelle-toi le bruit que tu as entendu quand nous avons décidé de quitter le château…

je me tourne vers Dyana.

— Tu étais là ?

— Benfeld venait d'être tué par Gunstett. Le jeu devenait dangereux. Je suis allée au château pour m'emparer d'un arc et de quelques flèches… En tout cas, voilà un détail que les organisateurs ignoraient : je sais tirer !

J'acquiesce.

— Autrement dit, si j'avais eu l'intention de toucher à ta petite copine…

— Il y avait une flèche pour toi. Oui, mon bébé !

Parfois, il faut avoir le cœur bien accroché, c'est moi qui vous le dis ! On ne se méfie jamais assez des femmes. On les croit douces, faibles, sans défense… Elles vous surprennent toujours.

— Bon ! Et si nous nous occupions du jeu ? Quelle heure est-il ?

— 19 h 00… 19 h 00 ? Et le jour n'est pas tombé ? Qu'est-ce que ça veut dire ? On joue les prolongations ?

Bon sang ! Mais c'est bien sûr ! Ce ne sont pas les cinq dernières minutes mais les derniers instants. Il s'agit vraiment de prolongations. Toutefois, le suspense est terminé pour tout le monde. Plus de surprise.

— Eh bien, dis-je, il ne nous reste qu'à retourner au bercail. Chers téléspectateurs, la pièce que nous venons de jouer devant vous est de l'Association Temporaire de Production. Les décors sont de…

— Jean !

Sabine vient de fouiller Gunstett. Elle a récupéré le dé, objet de notre convoitise et symbole de notre victoire. Elle demeure figée, émue dirait-on. La minute est historique…

— Jean…

Elle me tend une fiche. Un fiche exactement semblable à celles qui ont jalonné nos parcours respectifs. Sa main tremble.

Je lis ; « Bravo ! Vous avez certainement trouvé l'objet, et nous vous en félicitons. Toutefois, le jeu ne sera véritablement terminé que lorsque vous aurez regagné votre cube mais, sur le parcours vos adversaires vous attendent. De plus, il a été établi qu'il n'y aurait qu'un seul gagnant. Pour vous aider à vous démarquer des autres concurrents, veuillez trouver ci-joint un pistolet qui servira de question subsidiaire. »

— Les salauds ! Les salauds ! s'écrie Dyana.

Je serre les poings. Oui : des salauds ! Ils ont vraiment tout prévu. Je comprends pourquoi Gunstett n'était pas pressé de regagner son cube !

Un seul gagnant, hein ? Eh bien ! on va voir !

Fou de rage, je me rue sur le pistolet que j'arrache de la main de Gunstett. Sabine et Dyana se mettent à hurler comme des louves et s'enfuient.