Du provisoire-qui-dure !
Pile ce qu'on pense en arrivant chez les Biouf : Une baraque arrondie, en tôle ondulée (merci pour la climatisation). A l'intérieur, un vaillant ventilo livre au lauchem une lutte perdue d'avance. Les occupants de cette gentilhommière ont eu beau rassembler des palmes par-dessus le zinc, il y fait une tiaffe d'enfer.
Au moment où nous nous présentons, ils allaient se mettre à table. Leur bectance m'a l'air, au premier œillard, moins comestible que la graisse pour lubrification des pompes à vidange.
Ils semblent aussi âgés l'un que l'autre, bien qu'ils soient père et fils. Gueules boucanées, labourées de rides profondes, regards enfoncés, plis des lèvres taillés au ciseau à froid. L'épuisement et le soleil ont transformé les deux visages en bas-reliefs illustrant la peine des hommes.
La venue de l'employé d'hôtel stoppe leurs gestes lents. Ils échangent quelques mots dans cette langue si éloignée de la mienne.
Le frangin me fixe, et lâche un rot en comparaison duquel le meuglement d'une vache en gésine ressemblerait au grand air de Manon chanté par la principale diva du Metropolitan Opera de Nouille York.
Par l'intermédiaire du fils interprète, je raconte mon histoire de reportage. Mes pourliches le rendent persuasif, il plaide ma cause avec la froide virulence de Me Vergès et de nouveaux talbins concluent magnifiquement sa péroraison.
Je pige, à l'émotion des Arbis, que me faire plaisir représentera pour eux une tâche sacrée.
Etant un littérateur partisan éperdu de l'antichiasse, je ne vais pas t'essorer la prostate avec le compte rendu de mon interrogatoire, long comme une envie de pisser dans un enterrement. Moi, t'es au courant : sobriété, efficacité !
Je branche les enturbannés sur les péripéties de la construction du formidable ouvrage. En fond sonore, le grondement cataracteux de l'eau s'évacuant selon un débit aménageable.
En fin de compte, j'apprends que peu après le début des travaux, une catastrophe se produisit sur le chantier : une grue géante bascula, tuant une dizaine d'hommes dont l'ingénieur en chef...
Les promoteurs engagèrent alors des effectifs de remplacement. Tiens-toi bien, Sébastien, ceux-ci se composaient des six personnages sur lesquels j'enquête, plus l'ingénieur belge mort avec eux dans l'accident de téléphérique.
Le staff reconstitué poursuivit l'immense ouvrage et conduisit à bien la réalisation d'Escouffian.
Le temps que je mets à rassembler toutes ces données est incalculable. Si je t'appliquais les tarifs horaires de mon garagiste, tu devrais vendre le vélo de course de ta grand-mère pour me payer !
Dehors, la lumière baisse son pantalon, mais la lune prend l'intérim. Je vois ma gerce et ma fille, assises sur un tronçon de canalisation. Marie-Marie conte une histoire de petit renard à Antoinette. L'animal rend chaque soir visite à un très vieil homme pour lui tenir compagnie. Un jour il est blessé par un vilain piège de braconnier, et le dabe le soigne. Touchant. D'autant que ma Musaraigne d'autrefois possède le sens de la narration.
Pardon. Je m'éloigne. Mais ne t'inquiète, j'ai des dons de boomerang.
Donc, le barrage est achevé. Inauguration pharaonique par le jeune Fouace, fils de Soliman-l'Albuminurique dont le père, chassé du pouvoir par la Révolution des Turbans Noirs, vend des merguez à la foire du Trône. Les réalisateurs de l'œuvre se dispersent.
L'Affaire s'écrit ainsi et s'arrête là. Seulement un homme survient, nommé San-Antonio. Un zig avec le cerveau encore plus volumineux que ses burnes. Il sent, IL SAIT, qu'il existe QUELQUE CHOSE.
Quoi ?
A lui de le découvrir.
Sur mes instances, les Arbis consentent à claper, à condition toutefois que je partage leur briffe.
L'horreur !
De la merde, fais confiance, y en a, et pas de la chouette ! Avec les graminées, tu trouves des parcelles d'animal. Mammifère ? Volatile ? Poisson ? Le mystère ne reste pas entier, hélas ! mais en charpie. Cruelle épreuve que je mène à bien. De retour au palace, je me ferai servir un grand verre de n'importe quel alcool pourvu qu'il dépasse 45°. Juste pour désinfecter, tu comprends ?
Et pendant que le repas se déroule, Marie-Marie continue de distraire NOTRE fillette dans la pénombre bordée de mauve. Image de sérénité. Chansonnette d'âme...
Brusquement, il m'arrive une inspire. Pile au moment où je glaviote un morceau de pas consommable dans le creux de ma main avant de l'évacuer sous le tapis berbère. Comment articuler ma question à ces messieurs pour qu'ils l'entravent ?
— Dites-moi, mes frères, après la mort de l'ingénieur en chef et de ses équipiers, des modifications dans les plans du barrage ont-elles été effectuées par les remplaçants ?
Ils ont de la peine à piger, aussi dois-je réitérer ma demande, en simplifiant le vocabulaire. Reusement, le palacier n'est pas glandu.
Quand il paraît avoir parfaitement assimilé ce que je peux savoir, il le transmet à son papa et à son frérot.
Concertation.
L'ampoule suspendue à la tôle voûtée diffuse une lumière crue qu'aucun abat-jour ne vient endiguer. On ressemble à des mineurs, à l'intérieur de ce logement cylindrique.
Ma question est dépecée, reprise, mise à plat. Ils se monosyllabent des trucs colmatés par des silences, et repartent.
Puis, sir papa, après un long pet cascadeur semblable à une salve de mitraillette tirée au plus profond du gouffre de Padirac, enfile ses mains laborieuses dans ses manches et tchatche longuement.
— Que dit-il ? m'impatienté-je.
— Qu'un conduit, non prévu initialement, a été percé dans l'épaisseur de l'ouvrage depuis la rive où nous sommes.
Une vibration éminemment musicale retentit dans le tréfonds de mon âme. Comme sensation, ça me rappelle une fellation au thé chaud que m'avait prodiguée une adorable Asiatique.
— Messieurs, fais-je à mes amis arabiens, si ce n'est pas Allãh qui vous a mis sur ma route, c'est au moins son cousin germain ou le mari de sa sœur ! La nuit est claire comme l'émoi d'une jeune mariée à l'instant où elle laisse transformer son hymen délicat en salade des quatre-saisons ; laissons tomber café, pousse-café et cigares pour nous rendre à ce mystérieux conduit. Je vous en saurai tellement de gré que vous ne saurez plus où le mettre.
Ils consentent.
Nous partons.
Au passage, je donne un baiser à mes chères donzelles.
*
**
Furet mesure qu'on approche, le grondement de la chute bouillonnante me cigogne la dure-mère. Si je prolongeais mon séjour ici, on devrait m'opérer de la cataracte !
En contournant légèrement le ventre du géant, on constate que des échelons de fer sont scellés dans le béton : une douzaine environ, espacés d'une vingtaine de centimètres.
Ton ami Bibi s'élance pareil à un sapajou, atteint une niche aménagée dans le flanc du barrage.
Le conduit, mon chéri !
Faisceau de ma torche.
— Boudi ! comme disent les Suédois. Y en a long sur le porte-bagages !
Derrière moi, le frère du garçon d'hôtel se fond dans mon ombre. Je ne distingue que son glissement et son odeur, laquelle est moins charmeuse que celle du parc de Bagatelle en été.
Un étrange malaise me point. Au fond, je suis content de ne pas me trouver seul dans cette expédition.
Je ne sais plus qui, du maréchal Lyautey ou de mon crémier, a dit : « A force d'avancer, on finit toujours par arriver quelque part » ? Comme il avait raison.
A quelques mètres : une porte.
Bleue !
Mais cependant rébarbative.
Mon faisceau la parcourt lentement. En manière de serrure, elle ne dispose que d'un clavier carré dont les dix touches sont numérotées de 0 à 9.
Classique ! Mais vachement couillesque ! Combien d'entre elles faut-il presser pour déclencher l'ouverture ? Et dans quel ordre ? Selon le calcul des probabilités, je peux passer la nuit, plus une partie de ma vie, sur ces chiffres avant d'obtenir un résultat.
Je déplace la lumière jusqu'au visage de mon équipier.
— Alors ? demandé-je.
— Dans le cul, la balayette ! déclare-t-il, à peu de chose près, dans sa langue.
— Tu as une idée ? insisté-je pauvrement et en désespoir de tu sais quoi ? Oui : cause !
Au lieu de proférer, il caresse les touches du clavier. Naturellement, rien ne s'opère (loi de Lavoisier).
— Tiens-moi la loupiote, Adalbert !
Mon geste est éloquent car il obéit gentiment.
Je récupère ma liberté de mouvements et reproduis sur mon calepin la composition du clavier. Je t'ai précisé qu'il comprenait dix touches numérotées de 0 à 9 ; toutefois, j'explique pour la compréhension générale, que cette numérotation ne s'effectue pas dans l'ordre. Sur la première ligne horizontale figurent : 0, 8, 2 ; sur la seconde : 7, 1, 3, 9 ; sur la troisième : 4, 5, 6.
Tu ne trouves pas ça étrange, voire simplement curieux ?
Non ? C'est parce que tu n'as pas pris tes pilules au phosphore, Nicéphore ! Ben moi, je tique !
Trois chiffres en haut, quatre sur la deuxième ligne, et à nouveau trois. Cherchez l'erreur !
Mon gambergium lâche des gaz qui me giclent par les oreilles, et peut-être même par le trou de la pine ? Viens contrôler, chérie !
Lillico, je fonce à la ligne comportant les quatre chiffres. Presse chacun avec une tactilité de non-voyant atteignant le clitoris de sa compagne.
Nothing !
— Arrzva chouïa zigoumi ? demande pertinemment mon compagnon.
— Pas encore, mais ça va venir ! le rassuré-je-t-il.
Je lui ai repris la lampe, laquelle trembille dans ma main comme les testicules d'un cavalier de jumping dans sa culotte.
Une idée lumineuse, et donc bienvenue, m'assaille.
Ne bouge pas, je vais te la révéler. Je sens que ça s'organise. La ligne du haut comporte des chiffres pairs (0, 8, 2), celle du dessous, des chiffres impairs (7, 1, 3, 9), la troisième comprend (4, 5, 6), un chiffre impair et deux chiffres pairs, mais les trois sont dans l'ordre.
Si, après une telle constatation, tu continues de répéter partout que je suis un con, je te fais bouffer le slip de Bérurier !
Je pourrais te laisser mijoter à feu doux jusqu'à ce que ta moelle épinière se caramélise. Mais, tu ne l'ignores pas, ma conscience professionnelle refuse ce pain-là.
Le prestigieux Sana a découvert que, pour obtenir les faveurs de cette porte, il convient d'appuyer 4 fois sur le 4, 5 fois sur le 5 et 6 fois sur le 6.
C'est pas grandiose, le génie humain ?
Ce que je ressens, en pénétrant dans ce lieu mystérieux, est proche d'une timidité mêlée de gêne. Le comprends-tu-t-il ? Un peu comme lorsque tu guignes ton épouse occupée à tailler une bouffarde à son masseur.
Chose curieuse, en délourdant, une lumière intense et froide pour salle d'opération s'est déclenchée, me révélant un local d'environ trente mètres carrés. En son centre un énorme caisson d'acier nanti de quatre cadrans sur un côté.
Pourquoi ce cube, seul dans un local creusé dans la masse du barrage, me cause-t-il un indicible sentiment de peur ?
Je looke mon cicérone.
Lui, la joue dans le genre passif, style : je ne pense pas, j'attends.
Craintif, j'approche du bloc qui me fait songer à la pierre noire de La Mecque, modèle réduit. Les cadrans sont disposés les uns au-dessus des autres. Quatre trous de serrure les flanquent. Sous chacun d'eux sont inscrits une lettre et un chiffre.
J'examine longuement ce bigntz.
Mon caberluche bat le beurre ! Des bribes de pensées s'agglutinent. Des images naissent. Des certitudes s'élaborent.
Je finis par ressortir mon légendaire calepin, sélectionne une page aussi vierge que la Cicciolina lors de son baptême, et note consciencieusement les lettres et les chiffres inscrits sur la carène.
Tu sais quoi, Eloi ?
Je songe aux quatre petites clés plates trouvées dans un talon de la mère Gudule. Par « acquisition de conscience », dirait le Gros, je relève l'empreinte des serrures sur un autre feuillet de mon carnet.
La trouillasse qui me nouait les tripes se dissipe. Un signe à Nez-de-dromadaire, mon guide, et nous partons rejoindre les autres.
A l'arrière de la Land-Rover, Marie-Marie et Antoinette se sont endormies, enlacées, sur la banquette.
Somptueux tableau qui me mettrait des larmes plein les yeux si j'avais le temps de les laisser sécher !