Une grosse pile à section quadrangulaire, flanquée de colonnes engagées, alterne avec une pile cylindrique. Au droit de chacune des grosses piles A est bandé un arc-doubleau B. Une ferme de charpente est posée au droit de la pile cylindrique C. Les collatéraux D sont fermés par des voûtes d'arête avec arcs-doubleaux reposant sur les colonnes engagées des grosses piles et sur les chapiteaux des piles cylindriques. Les chevrons de la charpente, posés longitudinalement, comme un solivage, portaient sur les pignons des grands arcs-doubleaux B et sur la ferme intermédiaire. Ce solivage plus ou moins décoré, avec entrevous en madriers, formait lambris sous la couverture. En F est figuré l'un des pignons des grands arcs-doubleaux avec le lambris 222. Il y a tout lieu d'admettre que la nef de la cathédrale du Mans était originairement construite suivant ce principe. À Notre-Dame du Pré, des voûtes ont été refaites au XIVe siècle sous l'ancienne charpente, en supprimant partie des arcs-doubleaux primitifs, dont on retrouve facilement la trace. Prenant ainsi deux arcades de la nef pour faire une travée, il en résultait un plan carré ou approchant, c'est-à-dire que l'espace AA était égal, ou à peu près, à la largeur de la nef principale; de sorte que si l'on voulait définitivement voûter cette nef, il était tout simple d'adopter tout d'abord une voûte sur plan carré, avec arc-doubleau intermédiaire; c'est-à-dire une voûte donnant en projection horizontale le plan tracé en P (fig. 2). Alors les arcs-doubleaux ab, cd, n'étaient que la reproduction des arcs-doubleaux des grosses piles, et l'arc-doubleau intermédiaire ef remplaçait la ferme de charpente; les arcs ogives ad, cb, portaient les remplissages de voûtes bandés à la place qu'occupaient les lambris. Mais avant de passer outre à l'examen des développements de ce principe, il est nécessaire de mentionner un système de travées issu d'un autre mode de structure.
Les Romains n'avaient pas seulement adopté, pour la construction de grandes salles, le système de files de colonnes portant des murs au-dessus des plates-bandes déchargées par des arcs noyés dans ces murs; ils avaient élevé, sur des piles isolées et largement espacées, de grandes archivoltes portant les murs longitudinaux. Des berceaux, concentriques à ces archivoltes, fermaient les collatéraux, et des charpentes ou des voûtes (comme à la basilique de Constantin à Rome) couvraient la nef principale. Le Bas-Empire avait construit des édifices en grand nombre d'après ce système, en conservant parfois les charpentes sur la nef centrale, ainsi que le constatent certaines basiliques de la Syrie septentrionale. De ce système était dérivé, dès les premiers siècles du christianisme, un mode mixte qui consistait à diviser les grandes travées carrées, portant des voûtes d'arête sur la nef principale, en deux arcades, de manière à pouvoir trouver des voûtes d'arête également carrées sur les bas côtés, dont la largeur était ainsi égale ou à peu près à la moitié de celle de la nef principale. C'est sur ce plan que fut conçue, à Milan, la célèbre église de Saint-Ambroise, dès la fin du IXe siècle; du moins le fait paraît-il probable 223. Or, ce type fut adopté dans la construction d'un grand nombre d'églises carlovingiennes, notamment sur les bords du Rhin, et se perpétua jusqu'au XIIIe siècle.
Comme dans l'exemple que nous venons de donner (fig. 2), chaque travée de l'église carlovingienne du Rhin se composait de deux grosses piles et d'une pile intermédiaire d'une section plus faible; mais cette pile intermédiaire ne portait plus que l'arc-doubleau des voûtes du collatéral et elle ne remplissait aucune fonction du côté de la nef principale.
La travée que nous présentons ici (fig. 3), de la nef de la cathédrale de Worms, nef qui date de la moitié du XIIe siècle, explique suffisamment ce système. Une grande voûte d'arête carrée A, à nervures, couvre chaque travée de la nef, sans arcs-doubleaux intermédiaires; et la pile B n'est placée là que pour obtenir, sur le collatéral C, deux voûtes d'arête romaines. La question était d'avoir des surfaces carrées, ou approchant, pour fermer les voûtes, qui dérivaient toujours de la tradition romaine; or, les collatéraux ayant, en largeur, la moitié environ de la largeur de la nef, il fallait, pour avoir des espaces carrés sur ces collatéraux comme sur la nef, doubler les piles. Le tracé T nous dispense de plus longues explications à ce propos. La nécessité de voûter les grands édifices, les basiliques, les églises, était reconnue partout en Occident, aussi bien dans l'Italie du nord qu'en France et sur les bords du Rhin; seulement les diverses écoles d'art de ces contrées ne résolvaient pas le problème de la même façon. Pour ne considérer les choses que d'une manière générale, l'école que nous appellerons carlovingienne, et qui s'inspirait principalement de l'architecture romaine des bas temps, n'avait en vue que la voûte romaine, berceau, voûte d'arête ou coupole; cette école n'abandonna cette tradition que quand elle adopta le système de structure importé de France vers le milieu du XIIIe siècle. L'école proprement française abandonna au contraire de bonne heure le système des voûtes romaines, chercha autre chose, et le trouva: tout est là. Que l'on découvre en Lombardie ou ailleurs des piles cantonnées de colonnes et des archivoltes dans des nefs, quelques détails de décoration analogues et antérieurs à notre architecture romane française, et qu'on en conclue que nous avons pris chez les autres cette architecture romane, nous ne voyons pas trop l'intérêt qui s'attache à cette priorité. Chacun puisait au fonds commun latin pour les arts comme pour les langues d'Occident, du VIIIe au XIe siècle; mais qu'on nous montre ailleurs qu'en France, et qu'au nord de la Loire, avant 1130, un système de voûtes tel que celui admis dans les constructions de Vézelay dès le commencement du XIIe siècle, et à Saint-Denis en 1140, alors nous serons les premiers à reconnaître ce qu'on voudrait si bien nous prouver en France, savoir: que nous n'avons jamais possédé une architecture propre, pas plus au XIIe siècle qu'au XIXe siècle. Jusqu'à ce que cette preuve soit faite, nous continuerons à répéter: Il n'y a d'architecture originale que celle qui s'appuie sur un nouveau principe, sur un principe non encore admis. Le système de voûtes inauguré en France, au nord de la Loire de 1130 à 1150, ne se trouve nulle part avant cette époque; ce système n'est pas seulement une forme, nouvelle alors, ou un procédé; c'est tout un principe qui s'étend aux diverses parties constituant un édifice et qui oblige de coordonner ces parties suivant certaines lois déduites conformément à la logique: or, l'architecture inaugurée en France de 1130 à 1150 était véritablement neuve alors, sans précédents, indépendante des formes acceptées jusqu'alors; donc cette architecture peut, au meilleur titre, être appelée française 224. Laissons pour le moment le système de travées des nefs rhénanes, et reprenons l'étude des édifices qui appartiennent à nos écoles. Nous venons de voir (fig. 2) une travée composée de deux grosses piles portant des arcs-doubleaux sur la nef principale, avec pile intermédiaire plus faible, divisant le collatéral pour le pouvoir fermer par des voûtes carrées, et portant une ferme de charpente sur cette nef principale pour diminuer la portée des lambris de bois. Voici maintenant un autre système moins ancien que celui de la figure 2, et appartenant à une autre province, où les piles sont égales et, divisant le collatéral en voûtes sur plan carré, donnent, sur la nef centrale, des plans barlongs que l'on a prétendu voûter, suivant une donnée déjà complétement étrangère au système romain.
Il s'agit de la nef de l'église abbatiale de Vézelay (fig. 4); premières années du XIIe siècle. Cette nef, dont nous donnons une travée en A, possède des arcs-doubleaux sur les collatéraux comme sur la partie haute, au droit de chacune des piles dont la section est tracée en B. Ces arcs sont plein cintre, ainsi que les formerets, et bien que la naissance de ceux-ci soit relevée, cependant leur clef n'atteint pas le niveau de la clef des arcs-doubleaux. Il en résulte que pour bander la voûte haute, dans chaque travée, et ne pas faire des pénétrations, mais un semblant de voûte d'arête, il a fallu tâtonner et chercher des formes d'ellipsoïdes qui ne sauraient être tracées géométriquement. C'était une première tentative vers une forme de voûtes non encore admise. Trente ans plus tard, vers 1132, on élevait le porche de la même église (voyez en P); les travées de ce narthex, un peu plus larges que celles de la nef, portent sur des piles dont la section est semblable à celles B. De même que dans la nef, des arcs-doubleaux sont bandés au droit de chacune des piles, soit sur la partie centrale, soit sur les collatéraux, mais ces arcs-doubleaux sont en tiers-point 225. Les formerets ont leur naissance au même niveau que celle des arcs-doubleaux. Il en résulte que, la travée étant barlongue, les clefs de ces formerets sont beaucoup au-dessous des clefs de ces arcs-doubleaux. La voûte fermée sur cet espace est annulaire, d'un arc-doubleau à l'autre, pénétrée par des ellipsoïdes dont les formerets sont une section. Cela pouvait être défini géométriquement, et ce système présentait une parfaite solidité. D'ailleurs des voûtes d'arête rampantes, bandées sur la galerie du premier étage 226, contre-butent parfaitement la voûte centrale. Deux des voûtes de ce porche, de la même époque que les autres, possèdent même déjà des arcs ogives. Le constructeur, en fermant ces voûtes d'après la méthode que nous venons d'indiquer (fig. 4, P), sentait bien que, tout en se rapprochant d'un corps ellipsoïde, elles possédaient cependant des arêtes saillantes (ces voûtes étant bâties de moellons irréguliers) maintenues seulement par l'adhérence des mortiers; que, par conséquent, il y avait à bander sous ces arêtes un cintre permanent de pierre, remplaçant le cintre provisoire de charpente destiné à les maçonner. C'était donc un acheminement vers la voûte en arcs d'ogive. Mais revenant à notre figure 2, on allait, dans d'autres provinces, déduire de ce système mixte d'arcs et de lambris un mode complet de voûtes, sur un principe absolument neuf, mode qui devait se fondre bientôt avec celui qu'inaugurait le porche de l'église abbatiale de Vézelay. C'est en 1150 que l'évêque Baudouin Il, comme on sait, entreprit la reconstruction de la cathédrale de Noyon, qui fut achevée bien avant la fin du XIIe siècle. En 1293, un violent incendie réduisit en cendres la ville et, dit la chronique, la cathédrale de Noyon. Il est clair que les charpentes seules furent brûlées et que les voûtes furent peut-être altérées. Aussi les voûtes de la nef, ainsi que l'indiquent les profils des arcs et leur genre de construction, appartiennent-elles à cette dernière époque. À l'origine, c'est-à-dire au XIIe siècle, ces voûtes, comme beaucoup d'autres datant de cette époque, avaient leurs arcs ogives bandés de deux en deux piles avec un arc-doubleau simple intermédiaire (fig. 5).
La pile intermédiaire qui, dans la figure 2, porte seulement la ferme de charpente divisant en deux l'espace entre les arcs-doubleaux, portait alors l'arc-doubleau intermédiaire destiné à remplacer la ferme de charpente. Les arcs ogives (fig. 5) étaient bandés d'une grosse pile à l'autre. La travée était encore constituée comme celle de la figure 2. C'est-à-dire que la pile intermédiaire A, destinée à porter un simple arc-doubleau des grandes voûtes, était plus grêle que les piles B portant les arcs-doubleaux principaux et les arcs ogives. Cela était conforme à la logique. Alors les arcs reposant sur les piles B étaient seuls contre-butés par des arcs-boutants. La coupe C de la nef et du collatéral complète l'intelligence de ce système de constructions. La plupart des premières voûtes bandées d'après le principe admis au XIIe siècle, dans l'Île-de-France, sont ainsi tracées. La travée des nefs centrales est égale, ou à très-peu près, à la largeur même de ces nefs, mais elle se divise en deux, au moyen d'une pile intermédiaire qui sert à porter les arcs des voûtes du collatéral et à recouper les arcs ogives des hautes voûtes.
Mais ce système, justifié dans une construction assez vaste, n'était guère admissible pour de petits édifices. Les piles intermédiaires, dans ces derniers monuments, eussent été trop grêles, inutiles et encombrantes.
Les architectes les suppriment, ils ne conservent que les piles principales A (fig. 6), mais ils ne construisent pas moins les voûtes conformément au principe que nous venons d'indiquer. Cette dernière travée qui appartient à la nef de la petite église de Nesle, près de l'Île-Adam, montre comme le constructeur a seulement élevé la pile destinée à porter l'arc-doubleau intermédiaire I sur la clef de l'archivolte du collatéral 227, parce qu'il eût été inutile, en effet, de faire porter cette pile intermédiaire sur le sol. En B est tracée la coupe de la travée, et en D le détail des bases des colonnettes sur les chapiteaux des piles monocylindriques. Ces deux exemples appartenant à deux édifices de dimensions très-différentes, mais construits à peu près à la même époque, font ressortir une des qualités principales de cette belle architecture française de la fin du XIIe siècle, l'unité d'échelle 228. Les écartements des piles, les hauteurs de galeries de circulation G, les largeurs des baies, les membres des moulures, sont à peu près les mêmes dans les deux monuments. Nous pourrions saisir ces analogies dans les cathédrales de Paris, de Senlis, de Soissons, de Laon, dans les églises de Saint-Leu d'Esserent, de Braisne, etc 229. Examinons maintenant une travée de nef de l'un des plus grands monuments du commencement du XIIIe siècle, la cathédrale de Bourges 230. Ce vaisseau comprend une nef centrale et des doubles collatéraux dont les voûtes sont à des niveaux différents.
Ainsi (fig. 7), les voûtes du premier collatéral sont bandées au niveau A, et celles du second collatéral au niveau B, d'où il résulte que la nef centrale est éclairée par les fenêtres C, percées au-dessus du comble qui couvre les voûtes du second collatéral. Dans la hauteur de ce comble règne une galerie de circulation D, de même qu'il en existe une seconde en E, au-dessus des voûtes du premier collatéral. Les fenêtres F éclairent la voûte haute. Ces voûtes sont construites d'après le système précédemment décrit; et l'on observera que les piles G, qui portent seulement les arcs-doubleaux d'intersection, sont d'un plus faible diamètre que celles H, qui portent les arcs-doubleaux et les arcs-ogives.
La belle disposition de la nef de la cathédrale de Bourges, avec son premier collatéral très-élevé, disposition qui ne se trouve guère répétée en France que dans le tour du choeur de la cathédrale du Mans 231, est évidemment inspirée des églises du Poitou. C'est un compromis entre les systèmes de construction des nefs de cette contrée et de l'Île-de-France. La nef centrale de la cathédrale de Bourges reçoit des jours dans sa partie haute, au-dessus des combles des bas côtés, ainsi que les nefs de nos églises de l'Île-de-France, ce qui n'a pas lieu dans la cathédrale de Poitiers; mais le collatéral intérieur comprend, sous voûtes, une hauteur considérable, et n'est plus, comme à Notre-Dame de Paris, comme autour du choeur de Notre-Dame de Chartres, comme à Cologne, égal en hauteur au second collatéral.
Voici, en effet, une travée de la nef de la cathédrale de Poitiers, dont la construction, un peu antérieure à celle de la cathédrale de Bourges, conforme d'ailleurs aux traditions romanes du Poitou et de la Vendée, accuse l'importance du collatéral dans ces édifices 232.
Notre figure 8 suppose, en A, la coupe faite sur l'axe longitudinal du bas côté, et en B, sur l'axe de la nef centrale. Les voûtes des collatéraux, épaulées par des contre-forts épais, contre-butent les voûtes hautes. Ces collatéraux sont chacun presque égaux en largeur à la nef, de sorte que ce vaisseau est plutôt une grande salle à trois nefs qu'une église suivant la tradition de la basilique transformée. L'arcature porte au niveau C une sorte de balcon, ou chemin de ronde continu, qui passe derrière chacune des piles, dans l'épaisseur des contre-forts. Un seul comble à deux pentes couvre la nef et ses collatéraux. Cette construction, montée avec beaucoup de soins, est remarquable par ses belles proportions et l'heureuse concordance de toutes ses parties. Les voûtes, tracées suivant la méthode du Poitou et de l'Anjou, tiennent de la coupole et de la voûte en arcs d'ogive (voyez VOÛTE). Il y a dans cette composition une ampleur, une raison et une sobriété qui sont la vraie marque de la puissance chez l'artiste. Ce mélange de qualités supérieures, trop rare aujourd'hui, se retrouve dans la composition des travées de vaisseaux voûtés de 1150 à 1250, que ces vaisseaux soient destinés à un service religieux ou civil. Après la composition de la coupe transversale, en effet, c'est celle de la travée qui détermine les proportions et l'aspect de l'intérieur d'un vaisseau, avec ou sans collatéraux. Or, ces larges travées des monuments du Poitou, de l'Anjou, du Maine, de l'Angoumois, surprennent par leur disposition grandiose, bien que la plupart de ces constructions soient d'une dimension médiocre. Paraître grand est certainement une qualité pour un intérieur destiné à contenir la foule. On s'y trouve à l'aise, même quand l'espace vient matériellement à manquer. La cathédrale de Poitiers est d'une dimension médiocre 233, et cependant, grâce à la belle disposition de ses larges travées, l'impression qu'elle laisse est celle d'un très-vaste intérieur.
Certaines églises de la même contrée, de l'Anjou et du Maine, se composent de vaisseaux à une seule nef, et là encore la composition des travées est largement comprise. Nous citerons, entre autres, la nef de l'église abbatiale de Notre-Dame de la Coulture, au Mans (fin du XIIe siècle), divisée par travées sur plan carré, avec balcon relevé, comme à la cathédrale de Poitiers, porté sur de grands arcs de décharge d'un bel effet 234.
Voici (fig. 9) une travée de cette nef, dépourvue de collatéraux.
Il n'est pas besoin d'être architecte pour comprendre le parti que l'on peut tirer de cette disposition grandiose, simple, se prêtant à tous les modes de structure 235. L'influence de ce système de larges travées voûtées, simples ou avec des collatéraux presque égaux à la nef centrale, ne s'étendit guère au delà du Maine et du Berry vers le nord; et, ainsi que nous le disions tout à l'heure, on peut en retrouver un dernier souvenir dans la composition des travées de la cathédrale de Bourges. De ce côté-ci de la Loire, le système indiqué dans les exemples que nous avons donnés (fig. 5 et 6) persiste pendant le XIIIe siècle, mais on abandonne alors (sauf quelques cas assez rares) le mode de voûtes avec arc-doubleau intermédiaire, recoupant les arcs ogives, c'est-à-dire que les travées, au lieu d'être doublées, sont simples et portent chacune leur voûte propre. N'est-il pas évident qu'il règne dans ces compositions de travées, pendant la période comprise entre 1130 et, 1230, une liberté dont on ne saurait méconnaître la valeur et l'étendue? Aucune autre architecture ne se prêterait à des formes et à des aspects aussi variés sans sortir des principes qui la dirigent. Or, cette souplesse n'est-elle pas la conséquence du système de structure admis? Et de ce que ce système de structure se concilie avec la liberté et y conduit, en faut-il conclure que cette architecture n'est autre chose qu'un procédé suranné, n'ayant plus aujourd'hui d'application? L'étude attentive des proportions ne ressort-elle pas des divers exemples qui viennent de passer sous les yeux de nos lecteurs?
À dater de 1220 environ, la travée des nefs à collatéraux, dans les édifices du Nord, est déterminée d'une manière plus précise. Les piliers, égaux en épaisseur, portent chacun les nerfs complets des voûtes d'arête, haute et basse; les murs, entre ces voûtes, s'ouvrent largement, et sont remplacés même par des fenêtres qui prennent toute la surface comprise entre les piliers et les formerets. C'est d'après ce principe qu'est conçue la nef de la cathédrale d'Amiens, bâtie entre 1220 et 1230 236.
Nous donnons (fig. 10) une travée de cette nef, qui n'a pas moins de 42m50 sous clef 237. Le plan des piliers, au niveau du rez-de-chaussée, est tracé en D, au niveau de la galerie (triforium) en C. Cette galerie est fermée par un mur mince M, auquel s'adosse le comble en appentis qui couvre le collatéral. On voit en G la fenêtre du collatéral qui, élevée sur une arcature et mur d'appui, comprend toute la surface qui existe entre les piles engagées et l'arc formeret. Même système pour les fenêtres hautes F. On voulut bientôt supprimer même les pleins qui formaient, derrière le comble du collatéral, le triforium 238; les murs minces M furent ajourés, et les combles couvrant les collatéraux établis en pavillons sur chaque voûte basse, avec chéneau sur les arcs-doubleaux. Alors la fenêtre supérieure se liait au triforium, et la claire-voie vitrée descendait jusque dans la galerie. C'est d'après ce principe qu'en 1240 on reconstruisit la nef de l'église abbatiale de Saint-Denis, le choeur des cathédrales de Troyes et de Beauvais, et un peu plus tard (1260 environ) celui de la cathédrale de Sées, dont nous traçons en A (fig. 11) une des travées 239.
Le sol du choeur est au niveau B, celui du collatéral en C. La galerie (triforium), sous la fenêtre haute, est ajourée jusqu'au niveau d'un appui D, derrière lequel passe le chéneau. La claire-voie postérieure de cette galerie ne reproduit pas exactement le dessin de l'arcature antérieure (voy. TRIFORIUM). Comme à la cathédrale d'Amiens, tous les espaces laissés entre les piliers, sous les voûtes, sont remplis par des fenêtres décorées de vitraux; de telle sorte que ces travées présentent une surface considérable de peinture translucide de l'effet le plus brillant. En O, est donnée la section d'une pile sur plan ovale, afin de laisser aux vides le plus de surface possible. C'est toujours suivant ces données qu'au XIVe siècle on construisit la nef de l'église abbatiale de Saint-Ouen de Rouen (fig. 11), dont nous présentons une travée en B.
Ces trois derniers exemples montrent comment les maîtres des oeuvres tendaient à diminuer les pleins et à augmenter les surfaces des vitraux dans les églises voûtées. Ce principe ne se modifie guère jusqu'au XVIe siècle; les portions des cathédrales d'Auxerre, de Troyes, de Sens, de Beauvais, qui datent des XVe et XVIe siècles, reproduisent, sauf dans les détails, le parti que nous voyons adopté au XIVe siècle à Saint-Ouen de Rouen. Ce parti convenait parfaitement, d'ailleurs, dans notre climat, à de très-grands vaisseaux. Grâce aux vitraux colorés ou grisailles, on atténuait l'effet des rayons du soleil, et cependant partout pénétrait une lumière chaude et douce qui ne laissait aucun point obscur. La répartition de la lumière dans de grands espaces couverts et fermés est une difficulté contre laquelle, trop souvent, le mérite de nos architectes modernes vient se heurter. Aussi la plupart des grandes salles bâties de notre temps ont-elles un aspect froid et triste. De larges places sombres, soit sur les parois, soit sur le sol, coupent ces vaisseaux, les rapetissent aux yeux et ne se prêtent point à la décoration. La foule même, répandue dans ces salles, forme des taches noires d'un aspect désagréable. Au contraire, au milieu de ces anciens édifices entièrement ajourés entre les nerfs principaux de l'ossature, il circule comme une atmosphère lumineuse et colorée qui satisfait les yeux autant que l'esprit. On se sent à l'aise dans ces vastes cages qui participent de la lumière extérieure en l'adoucissant. C'est en grande partie à cette judicieuse introduction des rayons lumineux que ces vaisseaux doivent de paraître beaucoup plus vastes qu'ils ne le sont réellement. Aussi l'église abbatiale de Saint-Ouen, qui n'est, après tout, que d'une dimension très-ordinaire 240, paraît-elle rivaliser avec nos grandes cathédrales.
On se rendra compte de la disposition des travées des salles de palais et châteaux en recourant aux articles CONSTRUCTION, PALAIS, SALLE.
Note 221: (retour) Au XIIe siècle, des voûtes ayant été construites sur cette nef et appuyées sur des colonnettes accolées aux piliers avec assez d'adresse, des arcs-boutants durent les contre-buter. Les berceaux des collatéraux furent détruits, ainsi que les pilettes G, et des voûtes d'arête les remplacèrent. Cependant la disposition des voûtes en berceaux perpendiculaires aux murs fut conservée dans le transsept. Ces travaux ne purent qu'altérer la solidité de l'édifice bâti de matériaux de petites dimensions; si bien qu'on dut (il y a quelques années) reconstruire les voûtes hautes en matériaux légers et restaurer les parties intérieures. Ces travaux ont malheureusement fait disparaître des traces curieuses de la disposition première. On voit encore cependant, sur plusieurs points, les sommiers S des arcs-doubleaux des collatéraux primitifs.
Note 223: (retour) Voyez, à ce sujet, Étude sur l'architecture lombarde par M. de Dartein, ingénieur des ponts et chaussées. Toutefois, si nous ne contestons pas l'ancienneté de la disposition du plan de l'église de Saint-Ambroise de Milan, il nous semble que l'auteur de cet excellent ouvrage, dans la notice qu'il donne sur cette église, ne tient pas assez compte des restaurations qu'elle eut à subir, et qu'il s'appuie d'une manière peut-être trop absolue sur des textes. Combien n'avons-nous pas d'édifices en France, par exemple, dont la reconstruction presque totale n'est mentionnée que d'une manière incidente, ou ne l'est pas du tout! Aucun texte ne fait mention de la reconstruction de la façade de Notre-Dame de Paris, entre autres; en faut-il conclure que cette façade est celle d'Étienne de Garlande, 1140, ou date de l'épiscopat de Maurice de Sully (1160-1190)? Après le grand désastre de 1196, c'est-à-dire après la ruine des voûtes de l'église de Saint-Ambroise de Milan, ce monument dut subir un remaniement presque total. Des voûtes ne s'écroulent pas sans cause; un sinistre aussi grave est habituellement la conséquence d'un déversement des piles; or, les piles actuelles de Saint-Ambroise ne paraissent pas avoir subi des altérations de nature à pouvoir occasionner la chute des grandes voûtes. De l'examen que nous avons fait de cet édifice, il y a peu d'années, il résulte que nous ne pourrions assigner à sa nef (les voûtes non comprises) la date du IXe siècle. Les profils, les sculptures de toutes les parties supérieures, la structure même de ces parties, semblent appartenir au XIIe siècle, époque brillante pour l'art en Lombardie comme en France. Les monuments élevés sur le sol du nord de l'Italie et dont la date carlovingienne ne saurait être discutée, ont un caractère barbare, comme structure, que l'on ne retrouve pas dans Saint-Ambroise de Milan. Toutefois, nous le répétons, nous croyons bien, comme M. de Dartein, que la disposition du plan appartient au IXe siècle, ainsi qu'une partie des constructions inférieures, l'autel, etc.
Note 224: (retour) En 1845, M. Vitet écrivait ceci: «Que tous ceux à qui ces questions inspirent un sérieux intérêt cessent de s'évertuer à prouver, les uns que l'ogive nous est venue d'Orient, les autres qu'elle est indigène: querelles vides et oiseuses! Qu'ils cherchent par qui a été mis en oeuvre le système à ogive; pourquoi l'influence de ce système a été si grande et si universelle, comment pendant trois siècles il a pu exercer sur une moitié de l'Europe une absolue souveraineté; qu'ils cherchent enfin si la naissance et les progrès de ce système ne sont pas inséparablement liés à la grande régénération des sociétés modernes, dont le XIIe siècle voit éclore les premiers germes... Les révolutions architecturales ainsi envisagées ne se confondent plus avec ces fantaisies futiles et éphémères qui font préférer telle étoffe à telle autre pendant un certain temps; elles sont de sérieuses, de véritables révolutions, elles expriment des idées.» (Monographie de Notre-Dame de Noyon, p. 130.)
TRÈFLE, s. m. Nom que l'on donne à un membre d'architecture de forme géométrique, obtenu au moyen de trois cercles dont les centres sont placés aux sommets des angles d'un triangle équilatéral. On dit aussi trilobe (fig. 1). À dater de la fin du XIIe siècle jusqu'au XVIe, on s'est beaucoup servi de cette figure dans la composition des meneaux, des roses, des arcatures, et en général des claires-voies. Quelquefois les points de rencontre des cercles sont terminés par un ornement feuillu A, par une tête humaine ou d'animal.
Il arrive souvent qu'un trèfle inscrit trois autres trèfles, ainsi que l'indique le tracé B. (Voy. BALUSTRADE, FENÊTRE, MENEAU, ROSE.)
Quelques auteurs ont voulu voir dans cette figure un symbole. Rien ne vient appuyer cette opinion. Le trèfle résultait tout naturellement de l'emploi, très-fréquent, du triangle équilatéral, dans l'architecture du moyen âge, comme figure génératrice (voy. PROPORTION). Il avait l'avantage, pour les claires-voies des meneaux, par exemple, de pouvoir inscrire facilement dans un arc en tiers-point ab des figures engendrées par le triangle équilatéral.
TREILLAGE, s. m. Claire-voie composée de lattes ou de bois légers réunis, pendant le moyen âge, par des pointes ou de petites chevilles de bois; puis, vers la fin du XVe siècle, par du fil de fer.
Déjà, vers la fin du XIIe siècle, des treilles étaient établies dans les jardins privés, et, sous saint Louis, ce mode de former des berceaux avec de la vigne était fort répandu. À cette époque, les treilles du jardin du Palais, sur l'emplacement de la place Dauphine actuelle, étaient en grande réputation. Les treillages consistaient habituellement alors, si l'on s'en rapporte aux vignettes des manuscrits, en des bois souples croisés, retenus par des pointes ou des liens d'osier quelquefois entrelacés. La mode des architectures en treillages ne paraît pas remonter au delà du commencement du XVIe siècle. C'était une importation italienne, et non point une des plus heureuses.
TREILLIS, s. m. Clôture de fenêtre de fer léger, mais très-serrée; sorte de grillage (voy. ce mot), mais capable d'opposer une résistance sérieuse. Il est souvent question, dans les romans des XIIIe et XIVe siècles, de fenêtres ainsi treillissées au dehors d'une manière permanente (voy. GRILLE). On donnait aussi le nom de treillis à des grilles en façon de chevaux de frise, pour défendre la contrescarpe des fossés des châteaux. «Tout à l'environ de Plessis, il fist faire (Louis XI) un treillis de gros barreaux de fer, et planter dedans la muraille des broches de fer, ayant plusieurs poinctes, comme à l'entrée par où l'on eu pu entrer aux fossés dudit Plessis 241.»
TRÉSOR, s. m. Pièce réservée, à côté des églises abbatiales et cathédrales, aussi dans les châteaux, pour renfermer les objets les plus précieux; tels que vases sacrés, reliquaires, pièces d'orfévrerie, puis encore les chartes, les titres, etc.
La cathédrale de Paris avait son trésor au-dessus de la sacristie (voy. SACRISTIE, PALAIS). La sainte Chapelle du Palais, à Paris, possédait également un joli édifice annexe, qui contenait les sacristies et le trésor des chartes. De même, à la chapelle du château de Vincennes (voy. CHAPELLE). Souvent aussi les trésors des églises étaient pratiqués dans l'intérieur même de l'édifice. On voit encore à la cathédrale de Reims, dans le bas côté du bras de croix septentrional, le trésor entresolé, grillé, qui renfermait les beaux objets que possédait le chapitre de cette église. À la cathédrale de Rouen, dans celle d'Évreux, le trésor n'était qu'une chapelle grillée. À Sens, à Troyes, les trésors des cathédrales sont annexés à l'église, au côté méridional du choeur, et l'on y accède par des escaliers donnant dans le collatéral. Dans les châteaux, les trésors des chartes étaient placés dans le donjon, ceux de la vaisselle dans une tour, proche de la grand'salle, et celui de la chapelle à côté ou au-dessus de la sacristie. Ces trésors, habituellement voûtés et ainsi à l'abri des incendies, n'étaient éclairés que par des fenêtres élevées au-dessus du sol et soigneusement grillées. Leurs portes étaient de fer et doubles, ou tout au moins munies de deux serrures. On voit encore, dans l'hôtel de Jacques Coeur, à Bourges, la pièce qui servait de trésor.
L'habitude de disposer, dans les châteaux ou hôtels, des pièces spécialement affectées à la conservation des trésors, et particulièrement des archives, ne paraît guère remonter, chez les seigneurs laïques, au delà de Philippe-Auguste. Jusqu'alors il était d'usage, parmi les nobles, d'emporter partout avec soi les titres précieux et la plupart des objets précieux que l'on possédait. C'était une habitude mérovingienne que l'on trouve répandue chez tous les peuples de race indo-européenne. Le chef ne se fiait qu'à lui seul pour garder son bien et sa famille, et pendant l'époque romaine on voit que les armées de barbares ne marchent qu'accompagnées des lourds chariots qui portent les vieillards, les femmes, les enfants et les dépouilles amassées à la guerre. Pendant la campagne de 1194, contre Richard, le bagage de Philippe-Auguste tomba dans une embuscade tendue près de Fréteval, en Vendômois, par le roi d'Angleterre, qui mit ainsi la main, non-seulement sur la vaisselle et les joyaux de son rival, mais aussi sur les registres de cens, de taille, de servage, «bref, le chartrier complet de France, que les rois avaient coutume de porter avec eux dans tous leurs voyages. Ce fut, disent les chroniques de Saint-Denis, une rude tâche que de réparer cette perte et de rétablir toute chose en légitime état 242.» Ce fut à dater de cet événement que les rois français déposèrent les registres d'État dans une résidence fixe. Le chartrier de France, placé d'abord au Temple, fut transféré partie dans la grosse tour du Louvre, partie dans le trésor de la sainte Chapelle, dont nous avons parlé ci-dessus.
TRIBUNE, s. f. (du lat. tribuna). Partie principale des édifices sacrés, suivant les académiciens de la Crusca. En effet, dans les basiliques chrétiennes primitives, la tribune est l'hémicycle qui forme l'abside, où se tenait l'évêque ou l'abbé entouré de son clergé (voy. CHOEUR, TRANSSEPT), en souvenir de la place qu'occupait, dans la basilique romaine antique, le préteur. Des pères de l'Église donnent parfois le nom de tribunal à l'un des ambons placés des deux côtés du choeur, notamment à celui du haut duquel on lisait l'Évangile aux fidèles assemblés dans les nefs 243.
Le dessus des jubés, d'où on lisait également l'Évangile et d'où l'on instruisait les fidèles, prit dès lors le nom de tribune. Par extension; on donna le nom de tribune, dans l'église, à toute partie élevée au-dessus du sol, soit sur des colonnes et des arcs, soit sur des encorbellements 244. C'est ainsi que ces édifices religieux eurent leurs tribunes du jubé, des orgues, de l'horloge, du trésor; parfois aussi des tribunes particulières réservées à quelques fidèles privilégiés, à de grands personnages, aux familles des fondateurs, etc. On monte à ces loges, relevées au-dessus du pavé, par des escaliers donnant, soit dans l'église, soit dans des bâtiments voisins, quand elles sont privées, c'est-à-dire réservées à certains personnages. Les tribunes étaient encore un moyen d'augmenter les surfaces données aux fidèles dans de petites églises. Nous n'avons à nous occuper ici que des tribunes comprises comme annexes intérieures et élevées des églises, non comme sanctuaires, ambons ou jubés (voy. JUBÉ, CHOEUR). Or, l'usage des tribunes remonte assez loin. Galbert raconte comment, en 1127, Charles le Bon fut assassiné dans la tribune où il était monté pour prier avec Thancmar, châtelain de Bourbourg; tribune pratiquée dans l'église de Saint-Donatien, à Bruges. Les corps de ces deux personnages ayant été transportés dans le choeur par les religieux pour être inhumés, le parti qui avait fait consommer le meurtre résolut de les enlever: «La nuit suivante, le prévôt ordonna de munir d'armes l'église et de garnir de sentinelles la tribune (solarium) et la tour, afin qu'il pût s'y retirer avec les siens en cas d'attaque de la part des citoyens. D'après l'ordre du prévôt, des chevaliers entrèrent armés cette nuit dans la tribune de l'église 245... Ces misérables (les partisans) ne pouvant s'emparer des lieux inférieurs de l'église, avaient encombré de bois et de pierres l'escalier qui menait à la tribune, en sorte que personne ne pouvait y monter et qu'eux-mêmes ne pouvaient descendre, et ils cherchèrent seulement à se défendre du haut de la tribune et de la tour. Ils avaient établi leurs repaires et leur demeure entre les colonnes de la tribune, avec des tas de coffres et de bancs, d'où ils jetaient des pierres, du plomb, et toutes sortes de choses pesantes sur ceux qui attaquaient... Enfin, les chanoines de l'église, montant du choeur dans la tribune, par des échelles 246...» Ces curieux passages font connaître que la tribune en question était placée sous une tour de l'église, qu'elle avait un escalier communiquant avec les logis extérieurs, et qu'elle était voisine du choeur. C'était une pièce de premier étage, s'ouvrant sur l'église par des arcatures à claire-voie, comme le sont les galeries supérieures des collatéraux de nos églises des XIe et XIIe siècles. Si cette pièce servait de tribune, c'est-à-dire d'oratoire élevé au-dessus du sol de l'église, elle n'avait point la forme tout exceptionnelle que nous attachons aujourd'hui à cette partie de l'édifice religieux.
On voit une tribune d'un caractère bien franc et d'une époque assez ancienne (1130 environ) dans le narthex de l'église abbatiale de Vézelay 247. Nous en trouvons une autre dans la petite église de Montréal (Yonne), qui est adossée à la façade et regarde le choeur, dont les dispositions sont très-remarquables.
La figure 1 présente en A le plan de cette tribune, et en B la coupe faite sur ab. On monte à cette tribune par deux escaliers donnant dans les collatéraux, et pris aux dépens de pierre l'épaisseur du mur de face. Entièrement construite en belles dalles de dure, elle repose sur une colonne jumelée monolithe et quatre grandes consoles composées de longues pierres en encorbellement.
L'arrangement de la colonne avec un cul-de-lampe et des corbeaux est extrêmement intéressant, comme construction, en ce qu'il se combine avec le trumeau de la porte 248. Une table d'autel portée sur la balustrade pleine et sur une seule colonne jumelée, est placée dans l'axe de la tribune, en C. Les queues des claveaux D d'archivolte de la porte et le tympan E dégagent naturellement, en s'abaissant, les portes d'entrée P de la tribune. Une rose, d'un excellent style, s'ouvre en G, au-dessous des voûtes de la nef.
La figure 2 donne la vue perspective de cette tribune, prise de la nef. Cet ouvrage a été conçu et élevé en même temps que la façade, qui date de la fin du XIIe siècle, puisque la construction des encorbellements se relie intimement à cette façade, et que les deux escaliers ont été réservés dans le mur en le bâtissant. L'église de Montréal est petite, et est terminée par un sanctuaire carré avec un transsept et deux petites chapelles, également sur plan carré, orientées. La tribune, qui peut contenir facilement vingt à vingt-cinq personnes, ajoutait donc à sa surface. Peut-être était-elle réservée au seigneur, car l'église était attenante à un château dont il ne reste plus traces. La position du petit autel C le ferait croire. Cette tribune pouvait ainsi servir de chapelle privée. Construite en magnifiques matériaux taillés avec une pureté remarquable, cette église, et sa tribune (si rare), est, entre les monuments de la Bourgogne, un de ceux qui présentent le plus d'intérêt.
Tout le monde connaît la tribune de la cathédrale de Paris, qui, à l'intérieur, s'élève sous la grande rose occidentale, entre les deux tours, et dont l'arc sert d'étrésillonnement à la base de ces tours. Cette tribune, construite en même temps que la partie inférieure de la façade, et qui date, par conséquent, de 1210 environ, sert aujourd'hui à porter le buffet des grandes orgues. Elle se compose seulement d'un arc qui franchit toute la largeur du vaisseau central, et d'une voûte en arcs d'ogive. En largeur, elle occupe la moitié de l'épaisseur des tours et met en communication les belles salles voûtées du premier étage de ces deux clochers, par de larges arcades. Deux autres arcades semblables, s'ouvrant dans ces salles, donnent directement sur la nef.
Nous ne parlerons pas ici des salles de premier étage, des porches ou clochers posés dans l'axe des nefs principales, et qui, s'ouvrant sur ces nefs, sont de véritables tribunes, parce que nous avons l'occasion ailleurs de signaler ces dispositions 249.
Au XIVe siècle, on éleva, dans l'intérieur de la cathédrale de Laon, trois tribunes sous les pignons de la façade occidentale et des deux bras de croix, pour étrésillonner les piliers des six tours qui flanquent ces pignons. Ces trois tribunes n'ont donc point une destination définie, c'est un moyen de consolidation utilisé. Elles consistent simplement en un arc bombé, avec voûte en arcs d'ogive bandée entre les piliers de la première travée. Pendant la seconde moitié du XVe siècle, une tribune fut élevée entre la première travée de la nef de la cathédrale d'Autun 250. Cette tribune, destinée à porter un buffet d'orgues, est disposée sur un plan original, ainsi que le montre la figure 3, en A.
Elle occupe un trapèze abcd, dont les angles b, c, sont contre-butés par les arcs bf, ce. La voûte, avec arcs ogives, tiercelets, liernes, etc., est compliquée et assez plate. C'est une construction bien conçue, si l'on a égard aux dispositions des piliers anciens que l'on prétendait ne pas modifier. On arrive au sol de la tribune par deux escaliers à vis anciens, qui, primitivement, donnaient accès à une sorte de loge extérieure, qui, vers la fin du XIIe siècle, fut remplacée par un beau porche 251. La vue perspective de cette tribune en fait saisir la construction et le caractère. En B, est un des deux arcs-boutants qui maintiennent la poussée de la voûte, dont l'arc de tête bc est porté sur les deux clefs de jonction oblique b et c. Il y a là une combinaison très-simple dans son principe, dont on pourrait tirer un excellent parti. Les redents et poinçons avec liens courbes n'ajoutent rien à la solidité, et ne sont pas du meilleur style, appliqués à une construction de pierre.
Indépendamment de ces tribunes ouvertes, faites pour recevoir des chanteurs, des jeux d'orgues, ou un public privilégié, on pratiquait parfois, dans les églises abbatiales ou paroissiales, et surtout dans les chapelles de châteaux, de petites tribunes fermées, destinées à certains personnages. Cet usage devint fréquent pendant le XVe siècle. Les abbés ne descendaient plus au choeur et avaient leur tribune. Les seigneurs avaient aussi leur tribune spéciale, soit dans l'église paroissiale, soit dans leur propre chapelle.
Voici (fig. 4) une de ces petites tribunes closes, pratiquée dans le mur de face du bas côté de l'église abbatiale de Montivilliers (Seine-Inférieure). Cette église est romane; mais, au XVe siècle, on rétablit un bas côté, dans le mur duquel est ménagée une tribune 252. En A, est tracé le plan de la tribune avec l'escalier qui y conduit, et en B l'élévation sur le collatéral. Ces claires-voies étaient garnies intérieurement de courtines, afin que les assistants aux cérémonies pussent voir dans l'église sans être vus. Le service des tribunes prenait parfois, dans les chapelles de châteaux, une grande importance 253. L'une était disposée pour le seigneur et les siens, d'autres pour les habitants du château, pour les familiers. La garnison et tout le service se tenaient sur le pavé, à rez-de-chaussée. Il arrivait souvent même que ces tribunes étaient faites de bois. Les grand'salles des châteaux possédaient également de ces sortes de tribunes de menuiserie peinte et décorée d'étoffes. On y plaçait les musiciens les jours de fête et de banquets, les femmes, ou des personnes étrangères auxquelles on voulait faire honneur les jours de plaids. Ces sortes de tribunes étaient élevées dans un angle de la salle, et l'on y arrivait par des escaliers extérieurs.
Dans les églises, on suspendait aussi des tribunes de bois pour recevoir des orgues, des choeurs ou des personnes privilégiées. À la cathédrale de Reims, on voit encore les restes d'une de ces sortes de tribunes accolée au pignon nord du transsept, et qui date du XVe siècle. Au-dessus de la porte d'entrée principale de la cathédrale d'Amiens, il existe également une tribune de bois, dont la construction remonte à 1500 environ, et qui porte sur une ferme armée, masquée derrière trois arcs en menuiserie.
L'église de Saint-Andoche, de Saulieu (Côte-d'Or), possède encore une jolie tribune de bois de la fin du XVe siècle, au-dessus de la porte centrale. La figure 5 en donne l'élévation perspective, prise de l'intérieur de la nef.
En A, est tracé le système de construction de ces tribunes de charpente et menuiserie. L'entrait B est entaillé à mi-bois pour laisser passer le poinçon C, qui s'élève jusqu'à la longrine D et reçoit les deux arbalétriers E. Les liens G soulagent les parties intermédiaires de l'entrait, le pied de ces liens reposant sur les murs latéraux en I et venant s'assembler à l'extrémité inférieure du poinçon C rendu fixe par les deux arbalétriers E. Une doublure décorée masque l'entrait, et la balustrade de menuiserie fixée de B en D sur cette doublure et sur la longrine D roidit tout le système. Le solivage repose sur une lambourde fixée derrière l'entrait. C'est un système analogue qui est appliqué à la cathédrale d'Amiens, quoique la portée soit beaucoup plus grande 254. La forme de charpente, formant le devant de la tribune, est divisée en trois travées (voyez en P). De même les poinçons F sont entaillés à mi-bois dans l'entrait H. Le trapèze KLMN maintient la tête de ces poinçons qui reçoivent les pieds des liens O. Les assemblages des arbalétriers sont maintenus dans l'entrait par des étriers boulonnés et par les deux contre-fiches K, N. Une triple arcature en menuiserie, qui paraît suspendue, masque les poinçons, les liens, et contribue encore à donner du roide à tout l'ensemble. Ces arcatures retombant sur des culs-de-lampe en l'air ne sont donc pas un vain ornement, mais sont la véritable décoration de la structure en charpente.
On élevait aussi des tribunes sur les places pendant les fêtes publiques, pour y placer des choristes et des acteurs qui récitaient des mystères devant la foule. Pendant les tournois, des tribunes de charpente recouvertes d'étoffes et d'écus armoyés étaient construites sur l'un des côtés de la lice et servaient d'abri aux seigneurs et aux dames. Mais ces ouvrages provisoires sortent du domaine de l'architecture.
TRIFORIUM, s. m. Mot en usage dans la basse latinité (formé du grec), introduit dans le vocabulaire de l'architecture par les archéologues anglais, et qui s'applique aux galeries pourtournant intérieurement les églises, au-dessus des archivoltes des collatéraux 255. Le triforium occupe toute la largeur du collatéral, ou n'est qu'une étroite galerie de service adossée aux combles des bas côtés. La plupart de nos grandes églises du Nord possèdent un triforium, qui n'est qu'une tradition de la galerie (ambulatoire) de premier étage de la basilique romaine. Quand le triforium prend toute la largeur du collatéral, il est voûté à dater du commencement du XIIe siècle, et, dès l'origine, sa fonction est déterminée plus encore par une nécessité de stabilité que par les besoins du service de l'église. Tant que les nefs des églises étaient couvertes par des charpentes apparentes, à l'instar de la basilique romaine, si l'architecte élevait une galerie de premier étage, comme à Saint-Rémi de Reims, par exemple 256, il ne pouvait guère songer à la voûter; il se contentait de bander un arc-doubleau au droit de chaque pile, arc-doubleau qui recevait le solivage incliné portant la couverture en appentis, qui étayait les grands murs de la nef, mais qui ne pouvait exercer sur ces murs une poussée que la charge des parties supérieures ne pût neutraliser. Ce fut tout autre chose quand on prétendit remplacer les charpentes apparentes par des voûtes, et par des voûtes en berceau. Ces voûtes s'affaissèrent bientôt entre les murs déversés sous l'action de leur pression oblique; il fallut penser à maintenir ces murs dans leur plan vertical. C'est alors qu'on eut l'idée de jeter longitudinalement sur les galeries de premier étage un demi-berceau ou arc-boutant continu, pour contre-buter la poussée du berceau central. Dès la fin du XIe siècle, l'école auvergnate arrivait à ce résultat, dont on peut encore constater l'efficacité, si l'on visite les églises d'Issoire, de Saint-Nectaire, de Notre-Dame du Port à Clermont, de Saint-Etienne de Nevers, et même de Saint-Sernin de Toulouse. Les arcs-doubleaux des galeries primitives (voyez la figure 1 de l'article TRAVÉE) étaient conservés, et le solivage de bois incliné était remplacé par ce demi-berceau sur lequel on posait à cru la couverture de tuiles ou de dalles.
La figure 1 explique cette modification dans les procédés primitifs. En A, on voit encore la travée de la galerie avec ses arcs-doubleaux au droit des piles, et son solivage portant la couverture; en B, le solivage est remplacé par un demi-berceau contre-butant la poussée continue du berceau central C. N'oublions pas, d'ailleurs, qu'avant de se décider à jeter des voûtes sur les hautes nefs, on avait commencé par se contenter d'arcs-doubleaux portant, en partie, la charpente et la couverture 257. Dans les provinces où l'on osa tout d'abord supprimer les charpentes pour leur substituer des berceaux entre chaque arc-doubleau de la nef, il était naturel de remplacer de même les lambris des combles en appentis des galeries par des demi-berceaux. Mais ce nouveau système de structure obstruait les fenêtres hautes, percées autrefois sous les charpentes des nefs centrales. Aussi ces églises d'Auvergne dont nous parlons, n'en ont-elles point, tandis que de petites baies éclairent le triforium.