Ces sortes de voûtes sont très-plates. Ainsi la voûte dont la figure 40 présente l'extrados n'a, comme flèche, qu'un peu plus du quart de son diamètre. Cela seul indique les avantages que l'on pouvait tirer de ce mode de structure.
Nous avons cru nécessaire de nous étendre quelque peu sur les combinaisons qui ont amené les constructeurs anglais aux formes de voûtes en apparence si différentes des nôtres, bien que partant d'un même principe. Cette digression tend à démontrer que, d'un même principe, quand on le suit avec méthode, il peut sortir des déductions très-variées. Il est certain que du principe générateur de la voûte gothique on peut tirer d'autres conséquences encore; que par conséquent il ne peut y avoir aucune bonne raison pour repousser ce principe excellent en lui-même, et laissant à l'architecte la plus grande liberté quant aux applications qu'on en peut faire, en raison des programmes, de la nature des matériaux et de l'économie.
Revenons à la voûte française. Nous l'avons laissée au moment où, étant arrivée à son développement, elle permet de couvrir à l'aide des arcs ou cintres permanents, portant des voûtains de moellon piqué, toutes les surfaces possibles. Ayant atteint au milieu du XIIIe siècle un degré de perfection absolu, conformément au mode admis dès le milieu du XIIe siècle, le système français ne se modifie plus; il procède toujours de l'arc-doubleau, des arcs ogives et formerets avec ou sans tiercerons et liernes. Ce n'est guère que dans les provinces les plus septentrionales, et notamment en Normandie même, que l'application des tiercerons et liernes devient fréquente à dater de la fin du XIIIe siècle. Dans l'Île-de-France, en Champagne, en Bourgogne, les constructeurs s'en tiennent aux arcs ogives et aux arcs-doubleaux jusqu'à la fin du XVe siècle. À ce point de vue, comme procédé de structure, la voûte française ne se modifie pas. Les perfectionnements ou innovations--si l'on peut appeler innovation la conséquence logique d'un système admis toul d'abord--ne portent que sur les naissances de ces voûtes. Nous avons vu qu'en Angleterre, au moyen des courbes composées, on avait évité les difficultés résultant des courbes de rayons différents pour bander les remplissages, puisque, dans ces voûtes anglaises, dès le XIVe siècle, la courbe inférieure est la même pour lous les arcs d'une voûte. En France, sauf de très-rares exceptions, qui appartiennent à une époque relativement récente, la courbe composée n'est pas employée, les formerets, arcs-doubleaux et arcs ogives ont chacun leur courbe, qui est toujours un segment de cercle. Comme on sentait de plus en plus la nécessité de placer les clefs de ces arcs au même niveau, afin de ne pas perdre de place et de pouvoir passer les entraits des charpentes immédiatement au-dessus de l'extrados des voûtes, lorsque ces arcs avaient des ouvertures très-différentes, il fallait, ou que leur brisure donnât des angles très-différents, c'est-à dire que les uns fussent très-aigus, les autres très-obtus, ou que les naissances de ces arcs fussent placées à des niveaux différents 410. C'est ce dernier parti qui prévalut, car les constructeurs cherchaient à donner aux arcs en tiers-point d'un même édifice,--au moins pour les arcs-doubleaux, formerets et archivoltes,--des angles de brisure à la clef qui ne fussent pas trop inégaux. Les naissances de ces divers arcs furent donc une de leurs plus grandes préoccupations.
Le choeur de la cathédrale de Narbonne, commencé à la fin du XIIIe siècle et conçu évidemment par un maître très-habile, présente, sous le rapport de la construction des voûtes, de précieux renseignements 411. Le dernier pilier des travées parallèles à l'axe du choeur, qui commence les travées rayonnantes, est disposé rigoureusement et le plus économiquement possible pour recevoir les arcs qu'il doit porter.
La figure 41 donne la section horizontale de ce pilier sous les voûtes du collatéral. L'archivolte de la partie parallèle à l'axe du choeur occupe toute la largeur ab, et celle de la première travée tournante la même largeur a'b'. Ces archivoltes ont l'épaisseur totale de la pile, à quelques centimètres près. La colonnette C monte jusqu'à la haute voûte, pour porter un seul arc (voyez CATHÉDRALE, fig. 48), puisque nous sommes dans la partie gironnante du choeur; la colonnette D porte à la fois et l'arc-doubleau A et les deux arcs ogives O du collatéral gironnant. Les travées T étant plus étroites que celles parallèles T' au grand axe, il en résulte que le nerf G vertical, qui reçoit le boudin principal G' de l'archivolte, se trouverait, dans la travée T tournante, en retraite du nu H, et qu'il ne paraît point. Ainsi ce sont les arcs qui ont donné rigoureusement la position des nerfs et colonnettes de cette pile cylindrique.
Si nous montrons la voûte du collatéral (fig. 42), avec une des piles de la partie gironnante, nous voyons comment les archivoltes pénètrent dans la pile, et comment les arcs-doubleaux et arcs ogives du collatéral, à cause de leur plus grande ouverture, ont leur naissance placée plus bas que celle de ces archivoltes. Nous voyons aussi comment sont tracés ces arcs ogives, suivant une courbe dans leur plan horizontal.
La figure 43 explique ce tracé. En A, sont les grosses piles du sanctuaire; en B, les piles d'entrée des chapelles. Les clefs C des arcs ogives sont posées au milieu de la ligne ab de clef des voûtains de remplissage, qui réunit le sommet de l'arc-doubleau d'entrée des chapelles au sommet de l'archivolte. Afin de ne pas avoir en e un angle trop aigu, le constructeur a donné, en projection horizontale, une courbure à l'arc ogive eC. Ainsi les remplissages s'établissent-ils plus également dans les deux triangles voisins ayant pour bases l'arc-doubleau du collatéral et l'arc-doubleau d'entrée des chapelles. À la cathédrale de Bourges, les voûtes des collatéraux du choeur (1225 environ) sont déjà tracées suivant ce principe.
Mais nous voyons, dans la perspective figure 42, qu'entre l'arc ogive et l'archivolte, le remplissage est abandonné et pénètre dans la pile même, continuant au-dessus de la bague formant chapiteau. Il y a là un point incomplet, car les voûtains de remplissage doivent toujours reposer sur des extrados d'arcs. Au XIVe siècle, le constructeur de l'église abbatiale de Saint-Ouen de Rouen prend un parti plus franc, plus logique, bien qu'en apparence beaucoup plus compliqué (fig. 44).
Les archivoltes prennent tout l'espace ab, c'est-à-dire exactement la largeur de la pile, moins le nerf C destiné à recevoir l'arc-doubleau et les arcs ogives des voûtes hautes, et le profil de ces archivoltes n'est autre que celui de la pile, ou, pour être plus exact, la section de la pile n'est autre que la section de l'archivolte. L'arc-doubleau du collatéral n'est également que le profil g de la pile, et l'arc ogive le profil h. En élévation, ces arcs se pénètrent ainsi que l'indique le tracé perspectif. Il n'y a plus de chapiteau, puisqu'il n'a plus de raison d'être, et les sommiers, à lits horizontaux, s'élèvent jusqu'au niveau N, c'est-à-dire beaucoup au-dessus des naissances des arcs.
C'est la dernière expression de la combinaison des naissances d'arcs de voûtes en France, et ce parti fut suivi jusqu'à l'époque de la renaissance. Ce sont là des conséquences rigoureuses du principe de la voûte trouvée au XIIe siècle; mais, quant au mode de structure, il ne varie pas, c'est-à-dire que les arcs remplissent toujours les fonctions de cintres permanents recevant des voûtains de remplissage entre leurs branches, voûtains qui ne deviennent jamais des panneaux, mais sont construits par petits claveaux dont les rangs courbés partent toujours de l'arc-doubleau, archivolte ou formeret, pour venir reposer à l'autre extrémité en biais, sur les arcs ogives.
Dans l'article CONSTRUCTION, il est dit comment, à l'aide de ce système de voûtes, on peut couvrir toutes les surfaces, si peu régulières qu'elles soient; comment on peut, sans difficultés d'appareil, faire des voûtes biaises, rampantes, gauches, etc. Ce système français est donc essentiellement pratique; il présentait, sur le système romain, un perfectionnement, et par conséquent il était plus raisonnable de chercher à le perfectionner encore que de l'abandonner pour recourir au mode romain. Mais l'engouement du XVIe siècle pour les arts italiens l'emporta chez nous sur les raisons qui militaient en faveur de notre système de voûtes françaises, dont il était facile de tirer des conséquences de plus en plus étendues. Philibert de l'Orme, dans son Traité d'architecture 412, s'exprime ainsi au sujet de ces voûtes: «Ces façons de voûtes ont été trouvées fort belles, et s'en voit de bien exécutées et mises en oeuvre en divers lieux du royaume, et signamment en ceste ville de Paris, comme aussi en plusieurs autres. Aujourd'huy ceux qui ont quelque cognoissance de la vraye Architecture, ne suivent plus ceste façon de voulte, appellée entre les ouvriers la mode française, laquelle véritablement je ne veux despriser, ains plustot confesser qu'on y a faict et pratiqué de fort bons traicts et difficiles. Mais pour autant que telle façon requiert grande boutée, c'est-à-dire grande force pour servir de poulser et faire les arcs-boutans, afin de tenir l'oeuvre serrée, ainsi qu'on le voit aux grandes églises, pour ce est-il que sur la fin de ce présent chapitre, pour mieux faire entendre et cognoistre mon dire, je descriray une voulte avec sa montée, telle que vous la pourrez voir soubs la forme d'un quarré parfaict, autant large d'un costé que d'autre, ou vous remarquerez la croisée d'ogives, etc.» Ainsi, quoi que puissent prétendre les critiques plus ou moins officiels de notre Académie des beaux-arts, au XVIe siècle encore, ces voûtes étaient considérées comme françaises (par les ouvriers, il est vrai; mais, en fait de traditions, le langage des ouvriers est le plus certain). Or, comme l'architecture du moyen âge dérive en très-grande partie du système de voûtes, il faut en prendre son parti, et admettre que nous avions une architecture française et reconnue comme telle du XIIe au XVe siècle. Mais le texte de Philibert de l'Orme est intéressant à plus d'un titre. Notre auteur admet que ceux qui ont quelque «cognoissance de la vraye «architecture ne suivent plus ceste façon de voulte», et le premier exemple qu'il donne d'une voûte propre à couvrir un vaste vaisseau, après ce préambule, est une voûte gothique en arcs d'ogive sur plan carré, avec liernes et tiercerons. Quant aux exemples qu'il fournit «sur la fin de son chapitre», ce sont des tracés de voûtes sphériques pénétrées par un plan quadrangulaire, voûtes qui ne peuvent être faites sur de grandes dimensions, qui sont d'un appareil difficile, dispendieux, qui sont très-lourdes, et poussent beaucoup plus que ne le font les voûtes gothiques. Et en effet, jusqu'au commencement du XVIIe siècle, les constructeurs français, quelque «cognoissance» qu'ils eussent «de la vraye architecture», continuaient à bâtir des voûtes sur les vaisseaux larges, avec arcs-doubleaux et arcs ogives: l'église de Saint-Eustache, à Paris, en est la preuve, et elle n'est pas le seul exemple. La pratique était en ceci plus forte que les théories sur «la vraye architecture», et, n'ayant point trouvé mieux, on continuait à employer l'ancien mode, jusqu'au moment--et cela sous Louis XIV seulement--où l'on adopta, pour les grands vaisseaux, des berceaux de pierre avec pénétrations, comme à Saint-Roch de Paris, comme à la chapelle de Versailles, comme dans la nef des Invalides, etc.
Or, ce genre de voûtes est un pas en arrière, non un progrès. Les berceaux ont une poussée continue et non répartie sur des points isolés; ils sont très-lourds, s'ils sont de pierre; leur effet n'est pas heureux, et les pénétrations des baies dans leurs reins produisent des courbes très-désagréables, que les Romains, avec juste raison, évitaient autant que faire se pouvait.
On voit donc percer dans le texte naïf du bon Philibert de l'Orme ce sentiment d'exclusion quand même, à l'égard des procédés du moyen âge, qui s'est développé depuis lui avec moins de bonhomie. En effet, en marge du texte que nous venons de citer, il est dit en manière de vedette: «L'auteur approuver la façon moderne (de l'Orme désigne, ainsi les voûtes gothiques) des voûtes, toutes fois ne s'en vouloir ayder.» Pourquoi, puisqu'il les approuve? Il ne nous le dit pas. Quoi qu'il en soit et bien qu'il ne s'en aidât pas, il construisit, comme tous ses confrères, des voûtes en arcs d'ogive, et il eut raison, car la plupart des exemples qu'il donne comme des nouveautés n'ont réellement rien de pratique ni de sérieux, s'il s'agit de fermer de grands espaces. En ceci Philibert de l'Orme prélude à la critique (si l'on peut donner ce nom à un blâme irraisonné) de la structure du moyen âge. Depuis lui, cette critique, quoique moins naïve, ne raisonne pas mieux; mais elle est plus exclusive encore, et ne dirait pas, en parlant de la façon des voûtes du moyen âge, «laquelle véritablement je ne veux despriser, ains plustôt confesser qu'on y a faict et pratiqué de fort bons traicts et difficiles». Ce sont choses qu'on ne confesse plus au XIXe siècle, parce que les esprits logiques de notre temps pourraient répondre: «Si vous confessez que le mode a du bon, pourquoi ne vous en servez-vous pas?» Mieux vaut ne rien dire, ou battre l'eau, que de provoquer de pareilles questions.
La renaissance, quoi qu'en dise Philibert de l'Orme, ne change donc pas de système de voûtes pour les grands vaisseaux, et pour cause; mais elle compliqua ce système. Elle multiplia les membres secondaires plutôt comme un motif de décoration que pour obtenir plus de solidité. Et en effet les voûtes qu'elle construisit sont en assez mauvais état ou mêne sont tombées, tandis que la durée des voûtes des cathédrales de Chartres, de Reims, d'Amiens, défieront encore bien des siècles. Les voûtes hautes de l'église Saint-Eustache de Paris ne furent faites que pendant les dernières années du XVIe siècle, elles ne sont pas très-solides; leurs sommiers ne sont pas combinés avec adresse, les arcs sont bandés en pierres inégales de lit en lit, ce qui, comme nous le disions plus haut, est une cause de déformations. Parmi ces voûtes datant du XVIe siècle, on peut citer, comme remarquables, celles qui fermaient le choeur de l'église Saint-Florentin (Yonne), et qui dataient du milieu de ce siècle 413.
Nous donnons (fig. 45) la projection horizontale de la moitié de ces voûtes, au chevet de l'église. L'arc-doubleau et l'arc ogive composent, comme dans la voûte du moyen âge, l'ossature principale de la structure; mais les tiercerons qui partent de la pile pour se joindre au milieu des liernes n'existent plus ici, et sont remplacés par des intermédiaires ab, qui, s'ils produisent un effet décoratif piquant, ont le tort de reporter une poussée latérale sur les flancs des formerets, ce qui est absolument contraire au principe de la structure des voûtes gothiques, et, qui pis est, au bon sens. Cette poussée est encore augmentée par les arcs ad, qui eux-mêmes contre-butent les liernes de. Aussi ces formerets (rabattus en AA'B) s'étaient-ils inclinés en dehors sous la pression de ces arcs qui viennent les pousser en a'a'', ce qui ne serait point arrivé si, au lieu de ces arcs ab, l'architecte eût posé des tiercerons Ad...; mais on n'aurait pas eu ce compartiment en étoile, et le désir de produire une apparence nouvelle l'emportait sur ce que commandait la raison. On voit donc que déjà se manifestait cette tendance, si développée aujourd'hui en architecture, de sacrifier le vrai, le sage, le raisonné, à une forme issue du caprice de l'artiste. Bien d'autres entorses à la raison se rencontrent dans cette voûte. Ainsi, nous avons rabattu l'arc-doubleau en AC, et l'arc ogive Ae en AF; le grand arc AD contre-butant la clef du chevet, en AG. La rencontre de ce grand arc AD avec l'arc ogive donne la clef H; or, comme cet arc ogive est tracé, le niveau de cette clef H est donné et se trouve en h. Nous reportons ce niveau en h' sur le rabattemtnt de l'arc AD. Le niveau de la clef I est donné; il est le même que celui de la clef H, puisque l'arc ogive AE est tracé. Il faut donc que l'arc KI atteigne ce niveau I; nous le rabattons en KIi, la flèche Ii étant égale à la ligne Ih. Rabattant sur l'arc de cercle Ki la clef O, nous obtenons le point o', et la hauteur Oo' donne, sur la courbe Ki aussi bien que sur celle du grand arc AD, le niveau de la clef O en o' et en o''. Donc il faut que cette grande courbe butante AD passe en G, en h' et en o''. De o'' en G, elle se rapproche évidemment trop de l'horizontale et bute mal l'arrivée des arcs ogives et liernes du chevet; aussi cette branche d'arc o''G s'était-elle tordue et relevée, par suite le grand arc-doubleau KL s'était déformé.
La clef b étant donnée en projection horizontale, son niveau est donné sur le rabattement de l'arc ogive en b'; la rencontre a sur le formeret étant donnée en projection horizontale, son niveau est donné en a'' sur le rabattement du formeret, donc la longueur ab en projection horizontale; l'arc a''b'' est connu. Il en est de même pour l'arc bm, rabattu en b''m', puisque le niveau de la clef m est connu.
Quant aux liernes de, elles sont prises sur un arc de cercle qui réunirait la clef B du formeret à la clef e des arcs ogives. Cet arc de lierne est rabattu de n en e, n donnant le niveau de la clef B du formeret par rapport au niveau de la clef e des arcs ogives. En M sont rabattus les arcs ogives pq du chevet (le niveau de la clef étant celui de l'arc-doubleau), les branches des liernes en rq, et les tiercerons en ps. Tous les arcs, liernes, fausses liernes, faux tiercerons, sont posés dans un plan vertical, quelle que soit leur position par rapport à la courbure des arcs principaux (voyez en P).
Mais les arcs secondaires, pénétrant plus ou moins obliquement les arcs principaux, suivant que ceux-ci se rapprochent ou s'éloignent de la verticale, les joues de ces arcs secondaires, posés dans un plan vertical, se trouvent l'une au-dessus, l'autre au-dessous de l'extrados de l'arc principal; il en résultait une difficulté pour maçonner les voûtains.
Pour sauver cette difficulté, les architectes de la renaissance tracent une clef pendante à ces points de rencontre (fig. 46) 414; clef pendante qui se compose d'un corps cylindrique dans lequel viennent pénétrer les divers arcs 415. Les arcs secondaires étant, comme les arcs principaux, posés dans un plan vertical, l'extrados de la fausse lierne A arrive horizontalement contre le corps cylindrique, tandis que l'extrados de l'arc ogive B le pénétrerait en b du côté de sa naissance, et en c du côté de son sommet; il y aurait donc une différence de niveau entre le point b et le point c. Et de b en c, comment poser les moellons de remplissage? Les constructeurs ont donc augmenté la hauteur des joues de ces arcs principaux en arrivant près de ces clefs, ainsi que l'indique le supplément g, pour araser le point e, et cela en raison du niveau de ces points d'arrivée des liernes, fausses liernes ou faux tiercerons. Il y aurait, par exemple, un décrochement en h à l'arrivée de l'arc ogive B, puisque l'extrados du faux tierceron l n'arriverait pas au niveau de l'extrados de la fausse lierne A. On voit quelles complications de coupes produisaient ces fantaisies des architectes de la renaissance, beaucoup plus préoccupés d'obtenir un effet décoratif que des conditions d'une sage construction. Si nous ajoutons à ces difficultés gratuitement accumulées le manque des connaissances du tracé géométrique, qui déjà se faisait sentir dans les chantiers, nous ne serons pas surpris du peu de durée de ces voûtes du XVIe siècle. Cependant on reconnaît que l'habitude de raisonner sur l'application des formes convenables à l'objet n'est point encore perdue chez les maîtres. Ainsi la forme allongée de ces clefs pendantes, dont l'axe est habituellement vertical, est bien motivée par ces pénétrations d'arcs à des niveaux différents. Ces longues pierres qui semblent à l'oeil des fiches plantées aux rencontres d'arcs, ne sont pas là par un caprice d'artiste, mais une nécessité de structure, et les queues tombantes plus ou moins ornées de sculptures que ces artistes leur donnent en contre-bas des arcs ne font qu'accuser la fonction de ces clefs de rencontre d'arcs.
Au point de vue de la structure, l'art du XVIe siècle était, pour les voûtes comme pour le reste, à l'état d'infériorité sur les arts antérieurs. Les arcs-boutants, par exemple, à cette époque, ne sont plus disposés conformément aux lois de la statique et de l'équilibre des forces (voy. ARC-BOUTANT); les archivoltes ne sont plus régulièrement extradossées, les lits d'assises ne correspondent plus aux membres de l'architecture; les claires-voies, les meneaux, adoptent des formes contraires à la nature et à la résistance des matériaux mis en oeuvre. Il est évident que les architectes, préoccupés avant tout d'appliquer certaines formes appartenant à un autre mode de structure que celui adopté en France en raison des matériaux et de leur emploi judicieux, abandonnent à des mains subalternes le tracé de cet appareil, qui n'est plus d'accord avec ces formes empruntées ailleurs. Les maîtres du XVe siècle étaient meilleurs constructeurs, meilleurs praticiens et traceurs que ceux du XVIe; ceux du XIVe siècle l'emportaient sur les maîtres du XVe, et peut-être ceux du XIIIe l'emportaient-ils encore sur ceux du XIVe. Cependant les appareilleurs du XIIe siècle étaient des génies, si nous les comparons à ceux du XVIIe siècle, car il n'est pas de structure plus grossière et plus mal tracée en France, à moins de remonter aux plus mauvaises époques de l'école romane, que celle de ce XVIIe siècle, que l'on s'efforce d'imiter aujourd'hui.
Les voûtes françaises et anglaises, parties toutes deux du même point au XIIe siècle, étaient arrivées au XVIe, dans l'un et l'autre pays, à des résultats très-différents et qui donnent la mesure exacte des aptitudes des deux peuples. D'après ce que nous avons vu précédemment, on observera qu'en se perfectionnant conformément à la méthode admise dès le XIIIe siècle, les voûtes anglaises, malgré leur apparence compliquée, arrivent de fait, au contraire, à l'emploi d'un procédé très-simple, en ce qu'une courbe peut suffire à tous les arcs d'une voûte, ou que (si ces arcs doivent atteindre à la clef un même niveau) les courbes différentes dans une partie seulement de leur développement, sont tracées par un procédé très-simple; que tous ces arcs restent indépendants, et ne sont reliés que par des entretoises d'un seul morceau, qui n'ont qu'un rôle secondaire et ne peuvent en rien influer sur la courbe principale admise pour les arcs; que les remplissages ne sont plus que des panneaux, aussi faciles à tracer qu'à poser. Dans les voûtes françaises, nous voyons que les constructeurs en viennent à multiplier les arcs; ils les croisent, de telle façon que la courbure de ces arcs doit être distincte pour chacun d'eux; que ces courbures sont commandées par des niveaux donnés par le tracé préalable sur plan horizontal; que ces arcs sont dépendants les uns des autres, et que, par conséquent, ces constructeurs ne sont plus les maîtres, ainsi, de donner à ces courbes les flèches nécessaires en raison de leur fonction, de leur résistance ou de leur action de poussée et de butée; qu'en un mot, ces constructeurs français du XVIe siècle abandonnent un système judicieux et parfaitement entendu (celui du XIIIe siècle), pour se lancer dans des combinaisons indiquées seulement par la fantaisie. Le réseau de la voûte anglaise de la fin du XVe siècle est solide, méthodique: c'est la conséquence d'une longue expérience fidèle au principe posé. Le réseau de la voûte française au XVIe siècle n'est pas solide, parce que les arcs qui s'entrecroisent par suite d'un caprice de l'artiste, sans l'intervention d'une nécessité et de la raison, ont des actions différentes, les unes molles et faibles, les autres actives et puissantes. Au lieu de rendre la voûte française en arc d'ogive plus solide qu'elle ne l'était, par l'adjonction de tous ces arcs secondaires, les architectes français l'altèrent, lui enlèvent ses qualités d'élasticité, de force et de liberté. Aussi ces voûtes du XVIe siècle sont-elles, la plupart, proches de leur ruine, lorsqu'elles ne sont pas déjà tombées.
Alors, au XVIe siècle, nos architectes cherchent, à l'aide d'un savoir médiocre d'ailleurs, à faire des tours de force, et notre Philibert de l'Orme lui-même, malgré son rare mérite, n'est pas exempt de ce travers. Le pédantisme s'introduit dans l'art, et le vrai savoir, le savoir pratique, fait défaut. On veut oublier et l'on oublie les vieilles méthodes, les principes établis sur une longue expérience; méthodes et principes que l'on pouvait perfectionner sans se lancer dans des théories enfantines et très-superficielles. Il n'est pas douteux, rien qu'à examiner les monuments existants, que les maîtres du XIIIe siècle savaient la géométrie et en comprenaient surtout les applications beaucoup mieux que les maîtres du XVIe siècle. Mais les premiers ne s'amusaient pas à la montre, ils se servaient de la science, ainsi que les vrais savants s'en servent, comme d'un moyen, non pour en faire parade. Les architectes de la renaissance prenaient déjà le moyen pour la fin; et, comme il arrive toujours en pareil cas, on possède une classe de théoriciens spéculatifs passablement pédants, et en arrière une masse compacte ignorant les procédés les plus simples. Au XVIe siècle, on faisait des livres dans lesquels on discutait Vitruve tant bien que mal, où l'on donnait les proportions des ordres, où l'on couvrait des pages d'épures destinées à éblouir le vulgaire, mais on inclinait à construire très-mal, très-grossièrement, dans un pays où l'art de la construction avait atteint un développement prodigieux, comme science d'abord, puis comme emploi raisonné des matériaux et de leurs qualités. L'art s'échappait des mains du peuple, de ces corporations d'artisans, pour devenir l'apanage d'une sorte d'aristocratie de moins en moins comprise, parce qu'elle laissait de côté les principes issus du génie même du pays pour une sorte de formulaire empirique, inexpliqué et inexplicable comme une révélation. Il était évident que tout ce qui pouvait tendre à discuter ce formulaire présenté en manière de dogme devait être repoussé par ce corps aristocratique des nouveaux maîtres, dont l'Académie des beaux-arts conserve aujourd'hui encore les doctrines avec plus de rigueur que jamais. C'est pourquoi, de temps à autre, nous voyons, du sein de ce corps et de ses adeptes les plus fervents, s'échapper une protestation contre l'étude de notre art français du moyen âge et les applications étendues qu'on en peut faire. C'est pourquoi aussi nous ne cessons pas et nous ne cesserons pas de tenter de développer cette étude, de faire entrevoir ses applications, bien convaincu de cette vérité affirmée par l'histoire: que les corps ne sont jamais plus exclusifs qu'aux jours où ils sentent leur pouvoir ébranlé.
Note 387: (retour) Il faut dire que ces deux coupoles sont élevées sur pendentifs; mais la nature des lézardes qui se sont produites dans la coupole de Saint-Pierre de Rome n'indique pas que ces désordres soient dus uniquement à des tassements. Il y a eu ruptures dans la calotte même causées par un léger relèvement de la zone des reins de la coupole. Les déchirures causées par des tassements se sont au contraire produites (et cela devait être) à la base même de la demi-sphère, ce qui motiva la pose d'un cercle de fer à cette base; ces lézardes sont suivant les longitudes. Les fissures observées à l'extrados de la zone en contre-bas de la lanterne sont au contraire suivant les latitudes, et produisent une pression à l'intrados qui fit détacher des parties d'enduits et de mosaïques.
Note 388: (retour) Un jeune ingénieur français, M. Choisy, va publier prochainement un travail très-complet sur la structure des voûtes romaines, d'après les monuments. Ce recueil, que nous avons eu entre les mains, donne en détail les divers procédés employés par ces grands constructeurs, et démontre, de la manière la plus évidente, que l'économie dans la dépense était une de leurs principales préoccupations. Nous engageons les architectes qui veulent sérieusement connaître les procédés employés par les Romains dans les constructions à recourir aux travaux de M. Choisy sur cette matière.
Note 392: (retour) L'exemple du temple de Diane de Nîmes est une exception. Il ne faut pas perdre de vue que les monuments romains élevés dans la Province sont, beaucoup plus que ceux d'Italie, pénétrés de l'esprit grec, surtout en se rapprochant de Marseille. Il est intéressant de constater les analogies qui existent entre ces monuments antiques de la Province romaine et ceux de la Syrie centrale.
Note 402: (retour) C'est grâce à l'obligeance de M. Lance, architecte diocésain de Sens, et aux sondages intelligents faits par son inspecteur, M. Lefort, que nous avons pu relever exactement cette arcature, qui présente une disposition si curieuse. Dans notre restitution, la forme des fenêtres est seule douteuse, bien que les pieds-droits de ces fenêtres soient encore accusés à l'extérieur et coïncident avec les pieds-droits de l'arcature du triforium. (Voyez TRIFORIUM.)
Note 404: (retour) La construction de cette voûte paraît dater de la fin du XIIIe siècle, peut-être de 1270. Elle fut réparée en partie plus tard, assez maladroitement, après l'incendie de la première flèche; mais il est certain que les tiercerons et liernes existaient avant cette époque, car les points de départ sont anciens.
Note 406: (retour) Ce travail, inséré dans le premier volume des Transactions de l'Institut des architectes britanniques, a été traduit, en 1843, par M. Daly, dans la Revue d'architecture (t. IV). Le traducteur, dans l'introduction qui précède le texte de M. Willis, ne fait pas ressortir les différences profondes qui séparent la structure des voûtes anglaises de celle des voûtes françaises, et ne semble pas avoir étudié ces dernières; mais en 1843 personne n'était en état de se livrer à un travail critique sur cet objet.
Note 413: (retour) Les arcs-boutants qui contre-butaient ces voûtes étaient mal combinés, comme il arrive à presque tous les arcs-boutants de cette époque; puis les parements extérieurs des contre-forts avaient été sapés à diverses époques; quelques tassements s'étaient produits. Il y a vingt ans, ces voûtes menaçaient ruine, il fallut les refaire. M. Piéplu, architecte du département de l'Yonne, s'acquitta de ce travail avec beaucoup d'adresse, il y a quelques années; mais, par des raisons d'économie, on se contenta de voûtes simples en arcs d'ogive. Nous donnons ici les voûtes anciennes, relevées avant la démolition.
YMAGERIE, s. f.--Voyez SCULPTURE.
YRAIGNE, s. f. (vieux mot). Panneau de fil de fer. Voyez GRILLAGE.
YRE, s. f. (vieux mot). Cour, aire.
ZIGZAG, s. m.--Voyez BATONS ROMPUS.
ZODIAQUE, s. m. Zone de l'éther que le soleil semble parcourir dans l'espace d'une année, et dont l'écliptique est la ligne médiane. Personne n'ignore que la zone zodiacale, divisée en douze parties, une pour chaque mois, dès la plus haute antiquité, porte en chacune de ces parties un signe qu'on appelle les signes du zodiaque. Ces signes sont: le Bélier (mars), le Taureau (avril), les Gémeaux (mai), l'Écrevisse (juin), le Lion (juillet), la Vierge (août), la Balance (septembre), le Scorpion (octobre), le Sagittaire (novembre), le Capricorne (décembre), le Verseau (janvier), et les Poissons (février). Ces figures correspondant aux mois de l'année sont souvent représentées sur nos monuments du moyen âge, et en regard sont figurés les travaux ou occupations de l'homme pendant chacun de ces mois.
Dès le XIe siècle, les portails de nos églises possèdent des zodiaques sculptés sur les archivoltes des portes.
Nos grandes cathédrales des XIIe et XIIIe siècles sont toutes pourvues de ces signes, sculptés toujours d'une manière très-apparente.
À la porte principale de l'église abbatiale de Vézelay (premières années du XIIe siècle), le cordon de médaillons qui entourent le grand tympan représentant le Christ et les douze apôtres, renferme les douze signes du zodiaque entremêlés des travaux mensuels correspondants. Ce zodiaque est un des plus complets que nous connaissions. La porte de droite de la façade de l'église abbatiale de Saint-Denis montre encore sur ses pieds-droits quelques sujets et signes d'un zodiaque qui peut-être était complet, mais qui a été détruit en partie. Dans ce zodiaque, le médaillon qui correspond au premier mois de l'année représente un homme à deux têtes, l'une vieille, l'autre jeune. Du côté de la tête de vieillard, le bras pousse une petite figure barbue dans un édicule dont la porte se ferme: c'est l'année expirée; l'autre main attire une figure imberbe hors d'un édicule dont la porte s'ouvre: c'est l'année qui commence.
À Notre-Dame de Paris, sur les jambages de la porte de la Vierge de la façade occidentale, est sculpté un très-beau zodiaque, dont les sujets et signes sont du meilleur style. Ce zodiaque date de 1220 environ.
Des zodiaques sont fréquemment figurés en peinture, sur les vitraux des roses de nos grandes églises des XIIe et XIIIe siècles.
Des zodiaques étaient également représentés sur des pavages. L'église Saint-Bertin de Saint-Orner, celle de l'abbaye de Saint-Denis, celle de l'abbaye de Westminster, possédaient et possèdent encore en partie des zodiaques en mosaïques ou en incrustations de mastics de couleur dans des dalles gravées. Quelquefois ce sont seulement les travaux ou représentations des occupations de l'année (comme à la chapelle de Saint-Firmin, à Saint-Denis) qui remplacent les signes. C'est un homme qui coupe du bois, un autre qui chasse, un troisième taille sa vigne; puis viennent les mois de la belle saison: un faucheur, un moissonneur, un batteur en grange, un vendangeur, etc. Parfois, dans les édifices d'un caractère civil; comme les châteaux, les hôtels, les maisons mêmes, des plaisirs remplacent les travaux. Certains mois sont réservés aux banquets, aux jeux; des personnages se chauffent devant l'âtre d'une cheminée, des jeunes gens tressent des couronnes. On chasse au faucon ou aux lacs; on pêche, on danse. Il y avait alors comme aujourd'hui, pour les gens de loisirs, une sorte de régularité dans les plaisirs de la ville et de la campagne. Certains zodiaques commencent à Pâques, c'est-à-dire en avril (le Taureau); d'autres, celui de Vézelay, par exemple, commencent en janvier (le Verseau). Mais souvent ces signes, dans nos monuments, ne sont pas à leur place. Étant sculptés sur des morceaux de pierre, avant la pose, claveaux ou assises, les ouvriers ne suivaient pas toujours l'ordre dans lequel ils devaient être placés, et cet ordre était interverti.
FIN DU IXe ET DERNIER VOLUME.
TABLE PROVISOIRE DES MOTS CONTENUS
DANS LE NEUVIÈME VOLUME.
Unité |
Vantail Vergette Verrière Vertevelle Vertu Vierge (sainte) |
Vitrail Voirie Volet Voussoir Voussure Voûte |
Ymagerie Yraigne |
Yre |
Zigzag |
Zodiaque |
FIN DE LA TABLE PROVISOIRE DU NEUVIÈME VOLUME.
PARIS.--IMP. E. MARTINET, RUE MIGNON, 2.