La figure 22 présente en A le plan d'une demi-chapelle du tour du choeur de l'église abbatiale de Saint-Denis, avec le double collatéral pourtournant. Ce plan étant donné, que l'on se pose le problème de le voûter à l'aide du système romain ou du système roman, la solution sera impossible.

Par quels artifices de pénétrations pourrait-on voûter les chapelles? Par des coupoles? Peut-être; mais alors il faudrait que ces coupoles reposassent sur des arcs, établir des pendentifs, et alors prendre une hauteur considérable. D'ailleurs ces pendentifs biais, irréguliers, produiraient un très-mauvais effet. En établissant son plan, l'architecte de l'abside de Saint-Denis savait comment il allait le voûter; ou, pour parler plus vrai, c'était le système de voûtes à employer qui lui donnait les dispositions de son plan. D'abord le cercle intérieur qui lui sert à tracer le périmètre de la chapelle rencontre en a le tailloir de la colonne monostyle b, de sorte que les branches d'arcs ogives ac, de, ec, sont égales entre elles. Ayant tracé l'arc-doubleau f et l'archivolte g, il prend le milieu de l'axe gf, en i, et il trace les deux branches d'arcs ogives bi, hi, puis il trace les arcs-doubleaux hb, bi. Il est clair que tous ces arcs sont indépendants; l'architecte est le maître de placer où bon lui semble leur naissance. Mais (et c'est là où apparaissent les conséquences forcées du nouveau système adopté), s'il eût tracé ces arcs en plein cintre, ou il eût fallu que les naissances de ces arcs eussent été à des niveaux très-différents, si l'on eût voulu que leurs clefs fussent élevées à un même niveau, puisque ces arcs sont de diamètres très-différents, et alors surgissaient les difficultés que nous avons signalées plus haut pour fermer les remplissages triangulaires voûtés; ou si les naissances de ces arcs eussent été placées au même niveau, leurs clefs atteignaient des niveaux très-variables. L'architecte emploie donc l'arc en tiers-point ou brisé, qui lui assure toute liberté pour donner aux clefs les niveaux convenables. Ainsi, le rabattement B indique en l'b' l'arc-doubleau lb, en b'h' l'arc-doubleau bh, en c'e' une des branches d'arcs ogives de la chapelle, en ob' l'arc-doubleau bf, en b''i' la branche d'arc ogive bi, et en b''p celle hi. Il résulte de ce tracé que les clefs cfi sont au même niveau, et que les clefs des deux arcs-doubleaux hb, bl, sont aussi sur une même ligne de niveau, inférieure à celle des trois clefs cfi. Reste, sur cette ossature, à bander les triangles voûtés, lesquels reposent sur ces arcs en tiers-point. Les lignes de clefs de ces remplissages aboutissent nécessairement au point culminant de chacun de ces arcs et donnent les projections ponctuées iq, cr, et passent par la ligne d'axe cg. Une petite difficulté se présentait dans la partie pleine de la chapelle.

L'architecte avait dû percer les fenêtres D, non pas au milieu de la courbe ke, mais plus rapprochées de la pile centrale e, afin d'échapper le contre-fort C. Or, l'archivolte de cette fenêtre tenant lieu de formeret, sa clef se trouve en t; la ligne de clefs ct divisait donc très-irrégulièrement le triangle kec; et il restait, de k en s, un espace entre l'extrados de cette archivolte et celui de la branche d'arc kc, qui pouvait embarrasser le maçon chargé de bander la voûte sur le triangle kec. La figure perspective E montre en F comment cette petite difficulté fut résolue. Le remplissage voûté commence comme commencerait une coupole sur une partie circulaire; puis la surface courbe, gauchissant à mesure qu'elle s'élève, va chercher l'extrados de l'archivolte et celui de la branche d'arc ogive. En G, une projection horizontale indique la disposition des rangs de moellons taillés, à la naissance de la surface courbe entre les arcs. Sur le tracé perspectif E on voit que les archivoltes des fenêtres faisant fonction de formerets pénètrent dans la branche d'arc ogive d'axe, à sa naissance. On remarquera aussi que les naissances des arcs ogives de la chapelle sont à un niveau plus bas que les naissances des autres arcs, et que, par suite, les tailloirs des chapiteaux descendent d'une assise (voy. en y). Sauf quelques tâtonnements, quelques points vaguement étudiés, le système est complet, franc; la liberté de l'architecte est acquise, et de ce premier essai il est facile d'arriver aux conséquences les plus étendues. Le tracé perspectif E montre bien que les remplissages triangulaires en moellons taillés reportent leur charge sur les nervures, sont bandés sur leur extrados, et que celles-ci remplissent exactement, à Saint-Denis déjà, l'office de cintres permanents portant la voûte ou plutôt une réunion de voûtes. Par un reste de respect pour la tradition, peut-être aussi par un défaut de confiance absolue en la bonté du système nouveau, les clefs des formerets et arcs-doubleaux latéraux sont tenues plus bas que celles des arcs ogives, afin de laisser encore à la réunion des voûtains triangulaires une forme générale domicale. Ce parti persista jusqu'aux premières années du XIIIe siècle.

Ce qui prouve combien le système de voûtes admis dans la reconstruction de l'église abbatiale de Saint-Denis est radical, est nouveau, ce sont les monuments contemporains de celui-ci ou même un peu postérieurs, dans lesquels on aperçoit encore des hésitations, des restes de traditions romanes dont les architectes n'osent ou ne peuvent s'affranchir. À ce point de vue, les voûtes de la cathédrale de Sens méritent un examen approfondi. M. Challe, au Congrès scientifique d'Auxerre de 1859, a parfaitement établi que la cathédrale de Sens ne pouvait avoir été reconstruite après l'incendie de 1184; mais on ne peut admettre qu'elle ait été commencée par l'archevêque Henri de France dès son intronisation, c'est-à-dire en 1122, dix ans avant le narthex de l'église abbatiale de Vézelay. Les caractères de l'architecture, des profils et de la sculpture ne peuvent faire supposer que la cathédrale de Sens ait été commencée avant 1140, peu avant la mort de l'archevêque Henri. Et en effet, les textes disent qu'il commença cet édifice, mais ils ne disent pas à quel moment de son épiscopat cette fondation eut lieu. Or, c'est en 1137 que l'abbé Suger commence la reconstruction de son église; en trois ans et trois mois il avait achevé le choeur. En admettant que la cathédrale de Sens soit contemporaine de l'église de Saint-Denis, on y travaillait encore en 1170, et son édification était poursuivie avec lenteur.

La cathédrale de Sens ne peut donc passer pour avoir servi de point de départ pour les travaux de Saint-Denis, et les voûtes de Saint-Étienne de Sens accusent une indécision (surtout les voûtes basses), des tâtonnements qui n'apparaissent plus à Saint-Denis.

Examinons (fig. 23) une demi-travée de la nef de la cathédrale de Sens. Les voûtes des collatéraux A possèdent des arcs-doubleaux C qui sont plein cintre (voy. le rabattement C'). Mais les travées de la nef étant doubles, c'est-à-dire alternativement composées de grosses piles P pour porter les arcs-doubleaux et les arcs ogives des hautes voûtes, et de piles intermédiaires S composées de colonnes accouplées destinées à porter seulement les arcs de recoupement de ces voûtes hautes, les arcs ogives des voûtes basses se placent assez gauchement sur ces piles. Les arcs ogives rabattus en D ont leurs deux branches inégales, celle ab étant plus courte que celle bc. En c, le constructeur, n'ayant pas réservé une colonnette pour recevoir cette branche bc, a dû poser un corbeau dans la hauteur du sommier de l'arc-doubleau et de l'arc formeret (voy. le tracé perspectif G); ainsi a-t-il pu diminuer une partie de la différence de longueur entre les deux branches des arcs ogives. Ces branches d'arcs ogives reposent d'autre part sur la saillie du tailloir des chapiteaux des colonnes accouplées S et sur des colonnettes engagées tenant aux grosses piles. Bien que les arcs-doubleaux C soient plein cintre, les archivoltes E de la nef sont en tiers-point (voy. leur rabattement en E'). D'ailleurs les clefs des arcs ogives atteignent un niveau d supérieur au niveau des clefs des arcs-doubleaux et des archivoltes; de sorte que ces voûtes sont fortement bombées et construites en moellons taillés, comme il a été dit ci-dessus. Ce mélange du plein cintre et de l'arc en tiers-point pour les arcs-doubleaux et archivoltes ne se trouve nulle part à Saint-Denis dans les constructions de Suger. À Saint-Denis, les branches d'arcs sont plus adroitement placées. On n'y voit point de ces culs-de-lampe qui paraissent avoir été un expédient à Sens, et que nous retrouvons aussi dans les voûtes basses d'un autre monument de la Champagne, à Notre-Dame de Châlons-sur-Marne. Maintenant, si nous passons aux voûtes hautes, faites quelques années plus tard (d'autant que, comme nous l'avons dit, les travaux à Sens furent conduits avec lenteur), nous trouvons un système de voûtes très-intéressant à étudier, en ce qu'il éclaircit plusieurs questions touchant la construction de ces parties importantes de nos édifices de la fin du XIIe siècle. Ces voûtes hautes sont sur plan carré avec arc-doubleau de recoupement; méthode adoptée, sauf de rares exceptions, pour les nefs de la seconde moitié du XIIe siècle et du commencement du XIIIe 400. À Sens, cette disposition des voûtes hautes est parfaitement accusée par la forme et la dimension des piles. Les arcs ogives (arcs diagonaux) PM sont plein cintre 401 leur rabattement est en pm. L'arc-doubleau de recoupement SM est rabattu en sm. Les arcs-doubleaux PO sont rabattus en ro. Pour les formerets (anciens), ils étaient plein cintre et sont rabattus en nt. On observera que la courbe d'extrados de l'arc ogive (rabattue) vient rencontrer en v le formeret au niveau de l'extrados de sa clef (en projection verticale), de sorte que la ligne des clefs du remplissage triangulaire Mg (en projection horizontale) est donnée par la courbe d'extrados vm. Le demi-triangle Mgh est donc une section de coupole, et pourrait être construit suivant le mode propre à ce genre de voûtes, c'est-à-dire par une suite de rangs de moellons concentriques. C'est là un point qu'il ne faut pas perdre de vue, car il indique clairement que, comme nous prétendons l'établir dans l'article OGIVE, la forme de la coupole préoccupait encore les architectes de la première période dite gothique. Cependant les rangs de moellons de ces remplissages sont posés parallèlement à la ligne Mg des clefs, afin de reporter le poids de ces remplissages en entier sur les arcs-doubleaux et arcs ogives. Mais on pourra objecter que les formerets plein cintre n'existant plus et ayant été remplacés à la fin du XIIIe siècle par d'autres, en tiers-point et beaucoup plus élevés, nous n'établissons notre tracé que sur une hypothèse. Voici donc (fig. 24) la preuve de l'exactitude du tracé précédent.

En A, est le plan horizontal de la naissance de ces grandes voûtes de la cathédrale de Sens. B est l'arc-doubleau; C, l'arc ogive; D, l'arc-doubleau de recoupement. En E, est tracée la coupe, suivant le grand axe, de cette portion de voûte. Les colonnettes c existent encore en place avec leurs chapiteaux, et dans les travées du choeur les branches be d'arcs formerets ont été laissées au-dessous des formerets surélevés à la fin du XIIIe siècle. Ces éléments suffiraient pour indiquer la hauteur et la forme précise des anciens formerets qu XIIe siècle. Mais voici qui vient encore appuyer notre restitution. Tout le long de la nef, la corniche F du XIIe siècle est conservée; au-dessous est une ornementation de petits arcs plein cintre qui reposent sur une arcature qui autrefois s'ouvrait nécessairement au-dessus des voûtes, ainsi que l'indique la coupe G. La corniche F était surélevée pour permettre aux entraits de la charpente de passer au-dessus de l'extrados des voûtes; et cette arcature G donnait du jour et de l'air sous le comble. Dans le choeur de l'église abbatiale de Vézelay, qui date de 1180 à 1190, les formerets sont également plein cintre et ainsi disposés en contre-bas des clefs de la voûte. Les voûtes hautes de l'église Notre-Dame de Châlons-sur-Marne possèdent, dans le choeur, des formerets plein cintre surbaissés. Il n'y a donc rien dans cette disposition qui ne soit conforme à la structure des voûtes des édifices voisins de Sens ou appartenant à la même province. La ligne ponctuée gh indique la place des formerets refaits à la fin du XIIIe siècle, formerets qui enveloppent de grandes fenêtres à meneaux dont les archivoltes viennent aujourd'hui pénétrer les restes de l'arcature autrefois ajourée au-dessus des voûtes.

La figure 25 donne cette arcature à l'extérieur; les traces encore en place et de nombreux fragments permettent de la restituer sans difficultés 402. En perçant les nouvelles fenêtres, les architectes du XIIIe siècle se sont contentés de boucher les baies donnant autrefois sous le comble, et d'entailler les pieds-droits et archivoltes plein cintre suivant la courbe de l'archivolte de ces nouvelles baies. On voit encore en place, sur quelques points, les chapiteaux C, des portions d'archivoltes et toute la partie supérieure B. En A, sont les arrivées des arcs-boutants qui datent de la construction primitive. Cette arcature supérieure donnant au-dessus des voûtes se retrouve dans beaucoup d'églises romanes des provinces rhénanes, et avait pénétré jusque dans les parties orientales de la Champagne. Sa présence à Sens n'en est pas moins un fait assez remarquable.

Il ressort de cette étude que les voûtes hautes de Saint-Étienne de Sens étaient très-bombées, présentaient des triangles concaves fortement inclinés vers l'extérieur; que les constructeurs n'osaient encore s'affranchir de la forme génératrice donnée par la coupole, quant au tracé, bien qu'ils eussent déjà adopté le mode de structure des voûtains triangulaires de remplissages reportant les charges sur les arcs-doubleaux et formerets; du moins cela paraît-il probable, puisque ce mode est adopté pour les voûtes des collatéraux, plus anciennes, et pour les voûtes hautes des choeurs de Vézelay et de Notre-Dame de Châlons-sur-Marne, qui sont du même temps, ou peu s'en faut, que celles hautes de la cathédrale de Sens. Les triangles prenant pour base les formerets, ayant à Sens été refaits à la fin du XIIIe siècle,--quoique les arcs ogives et arcs-doubleaux n'aient point été modifiés,--nous ne pouvons affirmer toutefois que les rangs de moellons de ces triangles aient été posés parallèlement à la ligne des clefs (voy. figure 24). Il serait possible que les rangs de moellons du demi-triangle ilm eussent été posés parallèlement à la ligne des clefs lm, et que les moellons du demi-triangle nlm eussent été posés par rangs horizontaux, puisque la ligne lm n'était qu'un segment de l'arc ogive (extrados), et que, par conséquent, ce demi-triangle nlm était une tranche de sphère pénétrée par le formeret. Cette structure eût été assez étrange et exceptionnelle pour qu'on ne puisse l'admettre. Cependant il y avait alors une telle liberté dans la manière de poser les remplissages des voûtes d'arête, qu'on ne doit repousser absolument aucune conjecture. C'est grâce à cette liberté que les architectes de la seconde moitié du XIIe siècle arrivent à voûter sans difficultés les surfaces irrégulières, et notamment des espaces triangulaires, entre piles, ainsi qu'on le peut voir autour du choeur de la cathédrale de Paris. Le sanctuaire de Notre-Dame de Paris est enveloppé d'un double collatéral (voy. CONSTRUCTION, fig. 44); la seconde zone de piles étant naturellement plus développée que la première, et la troisième que la seconde, l'architecte a multiplié les points d'appui de manière à présenter toujours des arcs d'ouvertures à peu près égales.

La figure 26 donne une travée A du sanctuaire de Notre-Dame de Paris, le premier collatéral B et la seconde précinction C de colonnes monocylindriques. D sont les archivoltes; E, les arcs-doubleaux concentriques; F, les arcs-doubleaux rayonnants; et G les arcs-doubleaux diagonaux. Tous ces arcs sont en tiers-point, de sorte que leur brisure, leur point culminant est en d pour les premiers, en e pour les seconds, en f pour les troisièmes, et en g pour les quatrièmes. Pour voûter ces surfaces triangulaires, le constructeur a réuni les extrados des points culminant des arcs F et G par des courbes ou lignes de clefs bombées fg, gg, gf. Il a voûté en surfaces courbes, par rangs parallèles à ces lignes de clefs, les triangles ggO, gfI, en posant, suivant la méthode ordinaire, chacun de ces rangs de moellons piqués sur les extrados des branches d'arcs Og, Ig, If. Le point culminant des lignes de clefs fg, gg, est en h, et ce point culminant est à un niveau sensiblement supérieur aux points culminants d et e des archivoltes D et arcs-doubleaux E, puisque les arcs-doubleaux rayonnants et diagonaux F et G sont tracés sur un plus grand diamètre, et que leurs clefs se trouvent, par cela même, plus élevées déjà que celles d et e. Ces clefs, aux points culminants dh, eh, ont donc été réunies par une courbe; puis des lignes fictives ont été tirées de l en h, de K en h, de i en h: ces lignes sont des courbes par lesquelles doivent passer les rangs de moellons. Les extrados l, e des arcs-doubleaux ont été divisés en un nombre de divisions égales suivant l'épaisseur des rangs de moellons; un même nombre de divisions égales a été fait sur la courbe lh, par exemple; puis les lignes qui ont réuni ces points ont donné les joints des rangs de moellons, ce que présente la structure tracée en H et en P. Ainsi ces triangles concaves viennent-ils reposer leur poids sur les arcs de pierre qui réunissent les piles. Il est clair que tout autre système de voûtes ne pouvait permettre de résoudre d'une manière aussi simple le problème de construction posé en ce cas, et nous ajouterons même que le système de la voûte gothique seul se prêtait sans difficultés à fermer ces triangles laissés entre des arcs en tiers-point. Voici donc où les architectes en étaient arrivés déjà dans l'Île-de-France en 1165 environ. Cependant, bien des perfectionnements restaient encore à introduire dans le mode de construire ces voûtes, surtout dans la manière de poser les arcs sur les piles.

Ajouter des arêtes à la voûte soit d'arête, soit cellulaire, soit en coupole sphérique ou côtelée, ou plutôt poser sous ces voûtes des cintres permanents de pierre, au lieu de cintres provisoires de charpente, c'était une idée nouvelle; c'était, comme nous l'avons expliqué au commencement de cet article, sortir le squelette englobé dans l'épaisseur de la voûte romaine pour le laisser apparaître sous cette voûte; c'était l'utiliser non plus seulement comme un renfort, mais comme un support, et bientôt l'unique support; c'était enfin rendre ce squelette indépendant de la voûte elle-même et permettre l'emploi de tous les systèmes possibles de voûtage. Toutefois les déductions étendues de ce système ne se présentent que successivement. Ainsi, la voûte d'arête byzantine bombée étant donnée, renforcer les lignes de pénétration de surfaces courbes au moyen d'arêtes de pierre sous-jacentes; extraire de la voûte bombée les arcs noyés dans l'épaisseur des lignes de pénétration, pour les placer sous ces lignes, afin de reposer les triangles de la voûte sur les arcs, c'est évidemment la première idée qui se présente à l'esprit des constructeurs au XIIe siècle; mais cette extraction d'un membre de la voûte byzantine, noyé dans son épaisseur, pour le placer sous cette voûte, ne modifie pas la voûte; celle-ci subsiste, son ossature est visible extérieurement, voilà tout. Or, il faut trouver la place propre à recevoir cette ossature; la présence nouvelle de cette ossature exigera un supplément d'assiette. C'est en effet ce qui arriva.

Soit (fig. 27) un sommier A de voûtes d'arête bombées byzantines, portées sur des piles isolées. Le constructeur a l'idée de sortir les arêtes de brique a, noyées dans l'épaisseur de ces voûtes, pour maçonner la voûte non plus autour de ces nerfs, mais au-dessus. L'opération qui se présente tout d'abord est celle-ci: il écorne les angles du sommier, et pose, non plus en brique, mais en pierres appareillées, les claveaux b en dehors des angles. Il aura de même fait sortir des faces c des arcs-doubleaux d. L'ensemble du sommier ainsi modifié occupera donc une surface fghi, plus étendue que celle occupée par le sommier de la voûte primitive. Il faudra, dès lors, ou que le chapiteau prenne un évasement considérable, ou que la pile soit plus grosse. Mais cependant les architectes, au XIIe siècle, sentaient déjà qu'il était nécessaire de réduire autant que possible les points d'appui dans les intérieurs des édifices. Le nouveau système adopté paraissait donc en contradiction avec cette nécessité admise. On évasa les chapiteaux; mais n'osant pas porter toute la saillie de ces arcs ressortis, en encorbellement sur le nu des piles, on ajouta à celles-ci, non pas une augmentation uniforme de surface, mais des membres portants, ainsi que nous l'avons fait voir dans la figure 9, ce qui permettait d'ailleurs de diminuer le corps principal de la pile.

Ainsi naissent ces faisceaux de colonnes engagées, qui sont une première déduction logique du nouveau mode de voûtage. Puisque les arcs-doubleaux et arcs ogives (diagonaux) étaient extraits de la voûte byzantine pour paraître sous sa surface interne, il était naturel d'extraire du corps de la pile elle-même des membres pour porter ces arcs. L'idée de réduction absolue de l'ensemble ne vient que successivement. On voit même, dans les monuments voûtés suivant la méthode gothique les plus anciens, que les piles, par suite de l'opération que nous venons d'indiquer, occupent une surface supérieure, relativement, à celle occupée par les piles des derniers monuments de la période romane. On croyait nécessaire de trouver en supplément les surfaces propres à recevoir les arcs nouvellement adoptés. Cette disposition est surtout sensible dans les provinces où le travail de transition de la voûte romane à la voûte gothique se fait avec lenteur, avec timidité. Ainsi les piles de la nef (sans collatéraux) de l'église de la Trinité, à Laval, qui date du milieu du XIIe siècle, portent un système complet d'arcs-doubleaux et d'arcs ogives (fig. 28).

Ici l'architecte a cru nécessaire de trouver sur les tailloirs des chapiteaux la place franche, ou à très-peu près, de chacun de ces arcs, qui sont indépendants les uns des autres dès le sommier.

Dans l'Île-de-France cependant, dès 1140, les arcs se pénètrent à leur naissance, ainsi qu'on le voit autour du choeur de l'église abbatiale de Saint-Denis. On signale bien encore des tâtonnements, des embarras, mais le principe de pénétration des arcs au sommier est déjà admis.

À la cathédrale de Senlis, dont la construction est peu postérieure à celle de l'église de Saint-Denis (partie de l'abside), on voit que l'architecte a cherché à faire pénétrer l'arc ogive des chapelles dans l'arc-doubleau d'ouverture.

La figure 29 donne en A la pile d'angle de ces chapelles (peu profondes comme celles de l'église de Saint-Denis). L'arc-doubleau d'entrée est en a et l'arc ogive en b. Cet arc ogive naît sur la colonne destinée à l'arc-doubleau. Le tracé perspectif B montre en a' cet arc-doubleau et en b' l'arc ogive pénétrant. Bien entendu, les sommiers de ces deux arcs ne sont plus indépendants, mais sont pris dans les mêmes assises jusqu'au niveau n. Bientôt ces arcs, à leur naissance, se groupent de plus en plus, se pénètrent, ce qui permet de diminuer d'autant la section des piles qui les portent. Les arcs se resserrant en faisceau, ne sont plus, de fait, un renfort, une ossature pour porter la voûte, mais deviennent la voûte, et les remplissages qui ferment les intervalles entre ces arcs sont de plus en plus réduits à la fonction des voûtains. La preuve, c'est qu'entre les arcs-doubleaux et arcs ogives, dès le XIIIe siècle, on ajoute de nouveaux arcs supplémentaires. Ainsi se développe le principe admis au XIIe siècle, à l'insu, pour ainsi dire, de ceux qui les premiers l'avaient reconnu, par une succession de conséquences rigoureusement enchaînées. Telle est, en effet, la propriété des principes admis en toute chose, qu'ils deviennent une source féconde, nécessaire, fatale de déductions. C'est pourquoi nous répétons sans cesse: Tenez peu de compte des formes, si vous ne les trouvez pas de votre goût, mais adoptez un principe et suivez-le; il vous donnera les formes nécessaires et convenables à l'objet, au temps, aux besoins. Et c'est pourquoi aussi ceux qui n'aiment guère à se soumettre à un principe, parce qu'il oblige l'esprit à raisonner, espèrent donner le change au public en prétendant que les études sur notre architecture française du moyen âge ont pour résultat de faire adopter des formes surannées. En tout ceci il ne s'agit pas de formes, il s'agit d'une méthode; c'est ce que n'admettront jamais, il est vrai, les architectes pour qui toute méthode est considérée comme une entrave au développement de l'imagination, ou, pour parler plus vrai, à la satisfaction de leurs dispendieuses fantaisies.

Dans les grands édifices, les voûtes établies comme le sont les voûtes hautes de la cathédrale de Sens présentent en somme l'apparence de coupoles côtelées. Les constructeurs n'osent pas encore tenir les clefs de ces grandes voûtes,--clefs d'arcs ogives, clefs d'arcs-doubleaux et de formerets,--sur le même niveau. À la cathédrale de Paris cependant, les voûtes hautes du choeur, terminées avant 1190, sont beaucoup moins bombées que celles de Saint-Étienne de Sens. Il est clair que plus les voûtes sont bombées, plus il est nécessaire d'élever les murs latéraux au-dessus des formerets pour porter les entraits de la charpente, lesquels doivent passer francs au-dessus de l'extrados de ces voûtes. Il résulte de cette disposition un emploi inutile de matériaux, une ordonnance lourde qu'il faut occuper par une claire-voie, si l'on prétend l'alléger; mais alors aussi une dépense considérable pour un objet secondaire. En remontant les clefs de tous les arcs au même niveau, il n'y avait plus à poser au-dessus des formerets que la corniche et le bahut propre à recevoir la charpente du comble. C'est donc vers ce résultat pratique que tendent les efforts des constructeurs à partir du commencement du XIIIe siècle. Le nouveau système se prêtait d'ailleurs parfaitement au nivellement des clefs, puisque les voûtains de remplissage reportent toutes les charges sur les arcs ogives et doubleaux, nullement sur les formerets, dont, à la rigueur, on peut se passer 403. Dans la nef de la cathédrale d'Amiens déjà, les clefs des formerets, des arcs-doubleaux et arcs ogives sont à très-peu près au même niveau. Il en est de même à la sainte Chapelle du Palais, à Paris, et dans beaucoup d'autres édifices bâtis de 1230 à 1240. Les voûtains conservent une courbure en tous sens, ils sont concaves, de sorte que leurs rangs de clefs sont courbes.

À l'article CONSTRUCTION, ce mode de structure est suffisamment détaillé pour que nous n'ayons pas à nous étendre ici sur cet objet. Nous constaterons cependant que, malgré la courbure donnée aux surfaces triangulaires des voûtains de remplissage, s'ils étaient d'une très-grande dimension, à mesure que l'on nivelait les clefs des arcs, on craignait le relâchement de ces larges surfaces courbes, et l'on cherchait à les renforcer entre les arcs-doubleaux et les arcs ogives par des arcs, auxquels on donna jusqu'au XVIe siècle le nom de tiercerets ou tiercerons. Ces arcs supplémentaires venaient aboutir à la lierne posée de la clef de l'arc-doubleau à la clef de l'arc ogive. C'est peut-être à la voûte centrale du transsept de la cathédrale d'Amiens que ce système fut appliqué pour la première fois 404. Cette voûte carrée, qui porte 14m,40 en moyenne d'axe en axe des piliers, parut probablement trop large aux constructeurs de cet édifice pour être faite suivant la méthode admise jusqu'alors.

Nous présentons (fig. 30) le plan du quart de cette voûte. Au centre C est une clef en lunette pour le passage des cloches de la flèche. Les liernes sont projetées en ab, les tiercerons en ef. Ces arcs viennent se réunir au milieu des tiercerons. En AB, nous avons tracé le rabattement des arcs-doubleaux; en GE, celui des arcs ogives; en GF, celui des tiercerons, et en HE la projection verticale des liernes. On voit que les clefs de ces arcs atteignent à très-peu près le même niveau. Les liernes ont une courbure, sont bandées pour pouvoir se porter d'elles-mêmes, et reçoivent en F' la tête des tiercerons. Les rangs de moellons des voûtains n'en sont pas moins posés parallèlement aux lignes de clefs, c'est-à-dire aux liernes, et les tiercerons ne sont là qu'un nerf pour renforcer ces rangs de moellons vers le milieu de leur courbure, dont la lierne ab donne la flèche.

En Angleterre, l'adoption de ce système s'était combinée avec une disposition particulière à cette contrée, de rangs de moellons des voûtains (voyez CONSTRUCTION, fig. de 62 à 72); ce qui amena des combinaisons de voûtes tout à fait différentes de celles admises par l'école française.

En Normandie, vers la fin du XIIIe siècle, on voit déjà des voûtes dont les arcs-doubleaux et arcs ogives ont leurs clefs au même niveau, et qui sont réunies par des liernes non plus courbes, mais horizontales. C'est une sorte de système mixte entre le système anglais, sur lequel nous reviendrons tout à l'heure, et le système français. La voûte centrale du transsept de la cathédrale de Bayeux, qui date de cette époque, nous donne un exemple remarquable de ce genre de structure (fig. 31).

En A, est projeté le quart du plan de cette voûte, percée d'un oeil pour le passage des cloches. De a en b sont les liernes horizontales, sans tiercerons. Les arcs-doubleaux sont rabattus en BC, les arcs ogives en DE, les liernes projetées en GE. Ces liernes horizontales ne sont point appareillées en plates-bandes, leur grande longueur et leur faible section ne l'ont pas permis; elles passent à travers les remplissages de moellons, qui viennent ainsi les soutenir comme une ligne de clefs. La section H fait comprendre cet appareil. Dans leur plus grande courbure, c'est-à-dire près de l'arc-doubleau, les rangs de moellons sont inclinés suivant les lignes gh, et, en se rapprochant de la lunette, ces rangs prennent naturellement la courbure beaucoup plus plate ih. La lierne est donc pincée par la butée de ces rangs de moellons, elle charge et affermit leur point de jonction. En pareil cas, les remplissages triangulaires sont plutôt des portions cylindriques que des concavités, comme dans l'exemple précédent. Le tracé M donne la projection de la clef-oeil avec l'arrivée d'un des arcs ogives O et d'une lierne L. Ces arrivées sont renforcées par des redents en manière de goussets, qui donnent de la puissance aux points de rencontre.

Voici (fig. 32) comme sont appareillées ces rencontres d'arcs avec la clef-oeil. La clef-oeil est composée de huit morceaux. Les quatre qui correspondent aux arcs ogives sont naturellement maintenus à leur, place par la coupe normale à l'arc; les quatre qui correspondent aux liernes sont maintenus également par une coupe oblique a, de sorte que le dernier morceau b de la lierne est plus large à l'intrados, de e en f, qu'à l'extrados, de g en h. Mais toutefois ce morceau, pas plus que ceux qui le précèdent, ne peut choir, puisqu'ils sont les uns et les autres pincés et maintenus par les triangles des remplissages, à la queue p. La figure 32 permet d'apprécier l'utilité des redents qui renforcent les arrivées des branches d'arcs et des liernes, et empêchent ainsi les ruptures qui, se produisant au collet, occasionneraient de graves désordres dans l'économie de la voûte. Comme toujours, l'élément pratique, une nécessité d'appareil ou de structure, fournit ici un motif de décoration. Il est nécessaire de nous étendre quelque peu sur le système de voûtes anglo-normand. Cette étude est intéressante, parce qu'elle fait voir comment, en partant d'un même point, d'un même principe, les deux systèmes anglais et français sont arrivés à des résultats très-différents, tout en demeurant rigoureusement fidèles l'un et l'autre à ce principe.

C'est la meilleure réponse que l'on puisse faire à ceux qui considèrent les principes comme une gêne, et qui ne croient pas qu'au contraire, c'est de leurs déductions seulement qu'on peut tirer des formes nouvelles 405.

Dès le XIIIe siècle on reconnaît, dans la structure des voûtes, l'influence du génie anglo-normand ou anglo-saxon, si l'on veut, car nos voisins n'adoptent pas volontiers la qualification d'anglo-normand. Il est donc entendu que nous ne nous brouillerons pas sur un mot.

Nous avons vu qu'en France, ou plutôt dans l'Île-de-France, déjà au milieu du XIIe siècle, les remplissages des voûtes en arcs d'ogive sont fermés au moyen de rangs de moellons piqués, posés perpendiculairement (en projection horizontale) aux formerets, de telle sorte que ces rangs de moellons viennent se joindre parallèlement sur la ligne des clefs, ou ligne faîtière. Pour obtenir ce résultat, nous avons montré (voyez CONSTRUCTION, fig. 55) comment l'appareilleur traçait sur l'extrados de la courbe du formeret et sur l'extrados de la courbe de l'arc ogive un nombre égal de divisions qui formaient les joints des rangs de moellons. Or, comme la courbe de l'arc ogive est toujours plus étendue que ne peut l'être celle du formeret, les divisions sur l'arc ogive, étant en nombre égal à celles faites sur le formeret, sont plus grandes. En Normandie et de l'autre côté de la Manche, jusque vers 1220, on procède exactement de la même manière; mais en Angleterre, particulièrement, dès le commencement du XIIIe siècle, il se manifeste une indécision dans cette façon de tracer les remplissages des voûtes; on cherche évidemment un moyen plus pratique, plus expéditif, et surtout qui puisse être défini d'une façon plus nette. En effet, les remplissages des triangles de la voûte française étant concaves, ces rangs de moellons ne peuvent être géométriquement tracés sur l'épure; ils sont posés par le maçon, qui les taille à mesure, à la demande du cintre-planchette dont nous avons parlé dans l'article CONSTRUCTION et dont nous reparlerons tout à l'heure. Il était nécessaire donc que l'ouvrier chargé de cette besogne fût assez intelligent, eût une dose d'initiative suffisante, pour pouvoir disposer seul, sans le concours du maître appareilleur, ces rangs de moellons concaves à l'intrados et plus épais, par conséquent, au milieu du rang qu'aux deux extrémités. Il y avait dans ce mode de procéder un à peu près, un sentiment, peut-on dire, qui n'entrait pas dans le génie précis et pratique de l'Anglais, lequel prétend ne rien livrer au hasard dans l'ordre des choses qui peuvent être matériellement prévues et définies. Donc, pour en revenir à l'objet qui nous occupe, les constructeurs anglais, ayant, comme les nôtres, adopté les arcs ogives pour la structure des voûtes d'arête, divisent le formeret et l'arc ogive pour bander les rangs de moellons de remplissage, non plus en un nombre égal de divisions, mais en divisions égales.

Ainsi (fig. 33), soit une voûte d'arête sur plan carré; le rabattement du formeret étant ab, et celui de l'arc ogive cd, si chaque rang de moellons donne sur le formeret les divisions ae, ef, fg, etc., on aura reporté ces mêmes divisions sur l'arc ogive de c en l, de l en m, etc. On aura ainsi (ces divisions étant égales) un plus grand nombre de largeurs de rangs de moellons sur l'arc ogive que sur le formeret. Réunissant donc les points e'l', f'm', etc., on aura la direction de ces rangs de moellons qui en o viendront se rencontrer sur la ligne des clefs. Le poseur pourra ainsi n'avoir à placer que des moellons également épais; les lignes de joints s'inclineront vers l'arc ogive, bien que les surfaces triangulaires passent par une succession de lignes droites horizontales. Les triangles pourront être bandés sans cintres ni même sans cintre-planchette, et il suffira d'une lierne de bois posée de V en X pour recevoir provisoirement les rencontres des derniers rangs de moellons. Ce n'est pas du jour au lendemain qu'on arrive en Angleterre à cette solution pratique, on constate des tâtonnements dont il est utile de se rendre compte.

Dans le cloître de l'abbaye de Westminster (fig. 34), ces tâtonnements sont visibles. Plusieurs voûtes sont fermées conformément à la méthode française (voyez en A le triangle B), d'autres présentent pour la combinaison des remplissages la projection C. Cette combinaison est obtenue par le procédé suivant: l'angle aef a été divisé en deux par la ligne ab, les rangs de moellons du triangle opposé ont été bandés perpendiculairement à cette ligne ab: ces rangs de moellons viennent donc se chevaucher sur la ligne des clefs; ou bien, comme on le voit en D, les rangs de moellons coupent à angle droit cette ligne ad'. C'est le cas de l'exemple présenté dans la figure 33. Parfois aussi, dans d'autres voûtes, à Ely notamment, les rangs de moellons piqués sont posés perpendiculairement aux branches d'arcs ogives, comme le montre le triangle G, et se chevauchent toujours sur la ligne des clefs ou se réunissent en sifflets. Les voûtes du transsept de l'église de Westminster, qui datent de 1230 environ, sont faites conformément au tracé indiqué dans le triangle D et dans la figure 33; c'est-à-dire que les divisions sont égales sur la courbe du formeret F (voyez le tracé perspectif P, fig. 34) et sur l'arc ogive O. Cet arc ayant un plus grand développement que le formeret, il y a donc plus de divisions sur l'arc ogive que sur ce formeret, et les rangs de moellons légèrement concaves s'inclinent sur cette branche O d'arc ogive. Il n'y a pas de lierne transversale pour masquer le chevauchage des rangs de moellons sur la ligne des clefs, mais il en existe longitudinalement déjà, comme l'indique la figure, de M en N. La naissance de la courbe des formerets étant en R, c'est-à-dire beaucoup au-dessus de la naissance des arcs ogives, il y a donc en ghi un triangle vertical faisant partie du tas de charge, et de la ligne ih, pour aller prendre le rang de moellons m (le premier qui commence la série des divisions égales), le constructeur a élevé une surface trapézoïdale ihmn, gauche (en aile de moulin). Ce n'est donc qu'à partir de la ligne mn que les divisions égales ont été faites à la fois sur le formeret et sur la branche d'arc ogive.

Il est facile de reconnaître qu'ici le praticien n'a pas eu d'autre idée que de simplifier son travail au moyen de ces divisions égales sur les deux arcs, de poser des rangs de moellons parallèles dans leur étendue, et d'éviter ainsi la taille de ces moellons sur le tas, exigée par le système français. Les conséquences de l'adoption de ce procédé simplificateur ne se firent pas attendre.

Dans la voûte française, les remplissages de moellons sont des voûtains courbes en tous sens, concavités reportant leur poids sur les nerfs de pierre, sur les cintres permanents. Chaque triangle de la voûte française est une cellule indépendante se maintenant d'elle-même. D'après ce qui précède, on voit que les constructeurs anglais ne considèrent pas les triangles de remplissages comme des voûtains, mais, comme des panneaux, ou plutôt encore comme une suite de couchis. En effet, admettons que l'on ait à poser sur des cintres combinés, comme le sont les arcs-doubleaux, formerets et arcs ogives (c'est-à-dire possédant chacun leur courbe propre) des couchis de planches, il est évident que ces couchis, ayant une égale largeur dans toute leur étendue, donneraient exactement la figure que reproduit le tracé P (fig. 34); que ces couchis ne pourraient se réunir parallèlement suivant la ligne des clefs du triangle, mais se chevaucheraient.

Les Anglais ont-ils fait des voûtes originairement composées d'arcs de pierre ou de courbes de bois, sur lesquelles ils auraient posé des madriers, des couchis, en un mot? C'est possible; d'autant qu'il existe encore en Angleterre, dans le cloître de la cathédrale de Lincoln, entre autres exemples, des voûtes ainsi construites et qui datent du XIVe siècle. Il ne faut pas perdre de vue que les constructions de bois ont de tout temps tenu une place importante dans l'architecture anglaise, comme dans l'architecture de toutes les races du Nord.

Le système de voûtains à projection horizontale triangulaire de la voûte française ne peut en aucune façon se prêter à l'emploi de planches ou de madriers, puisqu'il eût fallu tailler chacun d'eux pour lui donner plus de largeur au milieu qu'aux extrémités; tandis que le système anglais primitif indiqué ci-dessus permet la mise en oeuvre du bois; bien plus, il l'indique, il en est une conséquence. Les dérivés des exemples précédents viennent encore accuser cette préoccupation des constructeurs. La voûte anglaise arrive, au XVe siècle, à être une combinaison de charpenterie bien plutôt qu'une combinaison de maçonnerie.

Dès le XIIIe siècle, les liernes apparaissent, puis les tiercerons. Les liernes étaient une conséquence toute naturelle du chevauchement des rangs de moellons sur la ligne des clefs. Les tiercerons--pour les voûtes d'une grande portée du moins--étaient commandés pour empêcher le fléchissement de ces rangs de moellons qui n'ont qu'une flèche inappréciable et qui semblent figurer des couchis. Ces plans courbes dans un sens, mais nullement concaves ou très-peu concaves,--puisque ces rangs de moellons remplissaient l'office de couchis,--avaient besoin d'être maintenus dans le milieu de leur développement, pour ne point se déformer, s'infléchir; les tiercerons furent donc posés pour parer à cette éventualité.

Bientôt les conséquences de ce principe conduisent à des combinaisons d'arcs dont nous ne trouvons pas, en France, les analogies; et c'est toujours un mode simplificateur qui est la cause de ces combinaisons.

Tout ce qui est du ressort de l'architecture du moyen âge est si légèrement apprécié, même, il faut bien l'avouer, par les architectes, qu'on s'en tient à l'apparence, qu'on juge les méthodes adoptées sur cette apparence, et qu'on ne prend pas la peine de rechercher si derrière la forme visible il y a un procédé très-simple qui l'a commandée.

Déjà en 1842, un des hommes les plus distingués en Angleterre parmi les archéologues s'occupant de l'architecture, avec le sens pratique que dans ce pays on apporte à toute chose, M. le professeur Willis, avait publié sur la construction des voûtes anglaises du moyen âge un travail très-étendu et savamment déduit 406. Ce travail est peut-être la première étude sérieuse qui ait été faite sur le système de structure des voûtes anglaises, et certes les observations recueillies depuis n'ont fait que confirmer les aperçus de M. Willis. Toutefois, n'ayant pas un point de comparaison en dehors du système anglais, le savant professeur ne peut en apprécier tout le côté pratique. En nous aidant de son remarquable travail et de nos observations personnelles, nous essayerons de faire comprendre comment ces voûtes, en apparence si compliquées, sont la déduction la plus simple du système dont nous venons d'exposer les principes élémentaires.

Puisque, pour maintenir la flexion des rangs de moellons, considérés comme des couchis, les constructeurs anglais avaient jugé nécessaire d'établir un tierceron dans chaque triangle de voûtes, aboutissant à la lierne de clefs, il était naturel qu'ils en établissent bientôt plusieurs. Ainsi firent-ils (fig. 35).

Les tiercerons venaient aboutir de la naissance au milieu des liernes, en aa'. Ces constructeurs jugèrent que pour les grands triangles, les espaces a'b, a'c étaient trop grands encore pour se passer d'un renfort intermédiaire. Ils établirent donc les contre-tiercerons gh, gi, aboutissant au milieu des demi-liernes, en h et en i. N'oublions pas que chaque arc de la voûte française possède sa courbe particulière, qui est toujours une portion de cercle, sauf de rares exceptions. Si donc, en se conformant à ce principe, le constructeur anglais avait dû adopter pour chacun de ces arcs,--lesquels ont tous une base différente,--une courbe particulière, il lui eût fallu tracer: 1° la courbe du formeret gb; 2° celles des deux tiercerons ga', ga; 3° celle de l'arc ogive gc; 4° celles des deux contre-tiercerons gh, gi; 5° celle de l'arc-doubleau gl: en tout, sept courbes. De plus, en admettant que, comme dans la voûte française, tous ces arcs eussent été des portions de cercle, ou il eût fallu que leurs naissances eussent été placées à des niveaux très-différents, ou que les clefs de ces arcs eussent été elles-mêmes à des niveaux très-différents. Dans le premier cas, il existait, entre le chapiteau de la pile et la naissance de la courbe des arcs ayant la plus faible base, une verticale gênante pour placer les moellons de remplissage suivant le mode admis par les Anglais; la voûte le long du formeret semblait ne plus tenir à la structure, se détacher, comme on peut le voir dans quelques-unes de ces voûtes primitives, notamment dans les choeurs des cathédrales d'Ely et de Lincoln. Pour éviter cet inconvénient, dès la fin du XIIIe siècle, les constructeurs anglais adoptent une courbe composée, de telle sorte que, toutes ces courbes, à partir du niveau du chapiteau des piles, ont le même rayon.

Ainsi (fig. 35) l'arc ogive étant la plus longue courbe, c'est elle qu'on trace au moyen d'un premier arc de cercle g'm, puis d'un second arc de cercle mn; le point n étant fixé comme hauteur de la voûte sous clef. Bien entendu, le centre de cette seconde courbe se trouve sur le prolongement de la ligne passant par le point m et le centre e de l'arc g'm. La courbe du formeret gog' est donnée par le même rayon em. Ceci fait, toutes les courbes des autres arcs sont données. Tous ont une base plus courte que celle de l'arc ogive. Donc, rabattant le contre-tierceron g'h sur la ligne de base g'c, en h'; de ce point h' élevant une perpendiculaire, celle-ci viendra rencontrer en h'' la courbe maîtresse g'n. La courbe de ce contre-tierceron sera donc la courbe g'h''. Rabattant le tierceron g'a', idem en a''; élevant une perpendiculaire de ce point a'', celle-ci rencontrera la courbe maîtresse en a'''. La courbe de ce tierceron sera donc la courbe g'a'''. Rabattant le deuxième contre-tierceron g'i, idem en i'; élevant une perpendiculaire de ce point i', celle-ci rencontrera la courbe maîtresse en i''. La courbe du deuxième contre-tierceron sera donc la courbe g'i''. On procédera de même pour le tierceron g'a du long triangle, tierceron dont la courbe sera donnée de g'en p; de même aussi pour l'arc-doubleau g'l, dont la courbe sera donnée de g' en q.

Ces clefs atteignent toutes des niveaux différents. Pour tracer les liernes transversales cb, il suffira d'élever des perpendiculaires des points ha'ic sur la ligne cb (projection horizontale de cette lierne transversale), et de prendre sur ces perpendiculaires des longueurs égales à h'h'', à a''a''', à i'i'', à cn, qui donneront les points r, s, t, u, points d'intersection des tiercerons avec la lierne cb. Si l'on veut que le formeret ait la même courbe que tous les autres arcs, on procédera comme ci-dessus. Nous rabattrons la ligne g'b sur la base g'c; du point V, nous élèverons une perpendiculaire qui, rencontrant la courbe maîtresse en V'' donnera la courbe g'V'' du formeret. Cette courbe en projection transversale donnera la hauteur bV', tandis que le formeret, rabattu en go, donnera la hauteur bo'. Employant le même système de tracé, nous aurons en uy la projection longitudinale des branches de liernes cl.

Tout ceci n'est que de la géométrie descriptive très-élémentaire, et ne demande pas de grands efforts d'intelligence de la part du traceur, mais les conséquences au point de vue de la structure sont importantes. D'abord, puisque nous n'avons qu'une seule courbe composée pour tous les arcs; ou plutôt, que tous les arcs ne sont qu'un segment plus ou moins étendu d'une même courbe composée, les panneaux d'appareil d'un arc peuvent servir pour tous les arcs; de plus, les arcs, en pivotant autour de la verticale élevée dans l'axe de la pile g, devant nécessairement passer par un même plan courbe, puisqu'ils ont tous la même courbe, donnent à l'extrados une forme conoïde concave en manière de pavillon de trompette, qui simplifie singulièrement la pose des moellons de remplissage.

Si bien (voy. fig. 36) qu'en traçant la projection horizontale de cette voûte, on voit comment se peuvent poser aisément les rangs de ces moellons ne remplissant plus que la fonction de planches ou bardeaux posés entre des nervures de charpenterie. Mais la suite de déductions logiques qui avait amené les constructeurs anglais à considérer ces arcs multipliés comme des nerfs d'une charpente, les conduisait (à cause surtout du peu de courbure de ces arcs dans la partie supérieure de la voûte) à les relier entre eux par des goussets et contre-liernes, ainsi que l'indique la figure 36 407. Les points de rencontre de ces goussets et contre-liernes avec les arcs et les liernes donnent des motifs de clefs qui renforçaient d'autant ces points de jonction. On obtenait ainsi un réseau résistant d'arcs puissamment étrésillonnés, sur lesquels on pouvait poser les moellons de remplissage comme on pose des planches sur une membrure de charpente.

La figure 37 donne le tracé perspectif d'une de ces clefs (celle A de la figure 36). Les contre-liernes et goussets sont tracés suivant un plan vertical, ainsi que l'indique la section B (fig. 37), des feuillures F étant réservées pour poser les moellons de remplissage, et la queue de ces contre-liernes arasant l'extrados de ces moellons. On observera que l'arc C (qui est ici l'arc ogive) possède en D une joue plus large au-dessous de la contre-lierne qu'en d, ce que motive la position verticale de cette contre-lierne, et ce qui est parfaitement conforme aux conditions de résistance de ces arcs, lesquels n'ont plus besoin d'avoir autant de force là où ils participent au réseau qu'au-dessous de ce réseau. Revenant à la figure 36, nous voyons que les clefs A, B, C, sont posées sur un cercle dont le point D est le centre; de sorte que les branches d'arcs DC, DA, DB, sont identiques. Les clefs E, C, F, divisent la branche de liernes transversale en quatre parties égales, comme la clef G divise la branche de liernes longitudinale en deux parties égales. La clef H divise la branche d'arc AO en deux parties égales, et, pour poser la clef I, on a réuni les points BH, AK, par des lignes, ainsi qu'on le voit en M. Ces deux lignes ont coupé le tierceron en deux points a, b; divisant en deux cet espace ab, on a marqué le point P, centre de la clef I.

En multipliant ainsi les arcs des voûtes destinées à maintenir les remplissages, qui ne sont plus que des panneaux de pierre, il était naturel de construire ces arcs eux-mêmes tout autrement que ne le sont les arcs des voûtes françaises.

Les arcs des voûtes françaises sont, avec raison, bandés au moyen de claveaux ayant entre lits peu d'épaisseur. C'est-à-dire que dans un arc de voûte française, le constructeur a multiplié les joints, afin de laisser à cet arc une plus grande élasticité, d'éviter les jarrets et brisures, qui eussent été, pour les voûtains, une cause de dislocation. Quoique ces voûtains conservent eux-mêmes une certaine élasticité, il était important de préserver de déformations sensibles les cintres permanents (arcs) qui les portent. En bandant ces arcs en claveaux peu épais, en multipliant les joints, le constructeur français estimait avec beaucoup de justesse que (en admettant un mouvement, un tassement) la multiplicité de ces joints, toujours épais, permettait à l'arc, de suivre ces mouvements ou tassements sans déformer sa courbure. Mais, dès l'instant que les Anglais remplissaient les voûtains de remplissage par des panneaux de pierre, et qu'ils adoptaient des courbes composées de deux segments de cercle, dont l'un avait un très-grand rayon, il eût été périlleux de bander ces arcs à l'aide de claveaux peu épais. Aussi, quand les voûtes anglaises sont faites conformément aux tracés que nous venons de donner en dernier lieu, les arcs sont composés au contraire de longs morceaux de pierre, comme le seraient des courbes de charpente. Les liernes ou contre-liernes, qui sont des étrésillons, sont taillées souvent dans un seul morceau de pierre d'une clef à l'autre. Cette méthode était conséquente au système de voûtes admis par ces constructeurs dès la fin du XIIIe siècle.

De tout ce qui précède il ressort que les constructeurs anglais, malgré l'apparence compliquée de ces figures, ont adopté au contraire un procédé simplificateur, soit pour le tracé de ces voûtes, soit pour leur structure. Il est intéressant d'observer comment nos voisins, déjà, étaient pénétrés de cet esprit pratique qui tend à faire converger les efforts communs vers un but, en laissant peu de part à l'initiative individuelle. Il est évident que, pour faire une voûte française à la même époque, c'est-à-dire pendant la première moitié du XIVe siècle, il fallait de la part de chaque ouvrier plus d'intelligence et d'initiative qu'il n'en était besoin pour construire une voûte comme celle que nous venons d'analyser. L'épure faite suivant cette dernière méthode, la besogne de l'ouvrier se bornait à un travail quasi mécanique. Il n'en était pas ainsi de nos voûtes, qui demandaient pendant la pose des combinaisons que le maître devait prescrire pas à pas, mais qu'il ne pouvait géométriquement tracer, que le maçon ne pouvait mettre à exécution que par suite d'un effort de son intelligence. Nous croyons qu'il y a plus d'art dans nos voûtes, d'apparence si simple, qu'on n'en saurait trouver dans ce système purement géométrique, très-simple comme procédé pratique, mais d'apparence si compliquée.

Les génies des deux peuples se montrent ainsi de part et d'autre avec leurs qualités et leurs défauts. On n'est point surpris toutefois que les hommes qui déjà possédaient un esprit collectif et simplificateur aussi manifeste fussent également pénétrés de ce sentiment de discipline et d'ordre qui nous fut si funeste aux journées de Crécy et de Poitiers. Tout se tient dans l'histoire d'un peuple, quand on y veut regarder de près, et c'est ce qui fait de l'étude de l'architecture de ces temps, si complétement empreinte du génie des peuples qui la pratiquaient en France et en Angleterre, un sujet inépuisable d'observations intéressantes.

On a vu dans la figure 35 comment les constructeurs anglais, ayant adopté une seule courbe composée pour tous les arcs d'une voûte, appliquaient même parfois cette courbe au formeret, et par suite à l'archivolte de la fenêtre ouverte sous ce formeret. C'est un procédé simplificateur de construction des voûtes, qui n'exigeait qu'une seule épure pour tous les arcs, qui explique pourquoi beaucoup de ces archivoltes des fenêtres appartenant à des édifices voûtés au XIVe siècle sont obtenues au moyen de courbes composées. Il y a, dans cette forme observée par tous, ceux qui ont visité l'Angleterre, non pas un caprice, une question de goût, mais l'application rigoureuse d'un système suivi, comme nous venons de le démontrer, avec un esprit méthodique rigoureux dans ses déductions. Une fois la courbe admise par une nécessité de construction, on s'y habitua et l'on s'en servit dans des circonstances non commandées par le système de structure.

Cependant les constructeurs anglais ne s'en tinrent pas à la voûte que nous venons de donner (fig. 35 et 36); ils prétendirent, vers la même époque, c'est-à-dire au commencement du XIVe siècle, avoir, avec des arcs formés de courbes composées, des liernes sur un plan horizontal et non plus inclinées vers les formerets et arcs-doubleaux.

Voici (fig. 38) comment ils s'y prirent pour arriver à ce résultat. Soit un quart de voûte d'arête ABCD, un tierceron étant tracé en AE. Pour les naissances de tous ces arcs, c'est-à-dire du formeret AB, du tierceron AE, de l'arc ogive AC, de l'arc-doubleau AD, et de tous les autres arcs, s'il plaît d'en tracer d'autres, comme dans le précédent exemple, un seul arc AF a été tracé, le centre de cet arc étant en D. Rabattant les longueurs de chacun de ces arcs sur la ligne AC considérée comme base, et, de ces points de rabattement, élevant des perpendiculaires sur la base, la ligne ab étant considérée comme le niveau auquel doit atteindre chacun de ces arcs, on trace les segments Fa, Fg, en prenant leurs centres en m et n sur la ligne Fo prolongée; le segment Ih, en prenant son centre en r sur la ligne Io prolongée; le segment Kb, en prenant son centre en q sur la ligne Ko prolongée. Les clefs de tous ces arcs sont sur un même plan de niveau, et par conséquent les liernes CD, CB, sont horizontales. Cependant les sommiers des arcs possèdent tous la même courbe, au moins jusqu'au point K, ce qui sauve la difficulté des naissances dont les courbes sont différentes. Une fois ce niveau K échappé, il y a une si faible différence entre les courbures des arcs, que les rangs de moellons de remplissage peuvent toujours être posés conformément à la méthode indiquée précédemment.

Voyons (figure 39) comment ce système de structure des voûtes anglaises incline vers une méthode de plus en plus mécanique. Soient en ABCD un quart de voûte carrée, et en EBFG un quart de voûte barlongue. Dans la première, l'arc ogive est l'arc AD; dans la seconde, l'arc ogive est l'arc EG. Ayant admis, comme le montre la figure 36, que les tiercerons doivent être multipliés, afin de ne plus considérer les remplissages que comme des panneaux, non plus comme des voûtains, il s'ensuit naturellement que ces panneaux doivent, autant que faire se peut, être semblables comme étendue. Pour tracer les tiercerons, ce ne sera donc plus les liernes que nous diviserons en parties égales, comme dans l'exemple 36, mais nous décrirons le quart de cercle BC pour le quart de la voûte carrée, et nous diviserons ce quart de cercle en parties égales. Par les points diviseurs faisant passer des lignes Aa, Ab, Ac, nous aurons la projection horizontale des tiercerons d'un huitième de la voûte. Dès lors les angles DAa (A sommet), aAb, bAc, cAC, seront égaux et les panneaux compris entre leurs côtés semblables. Nous étrésillonnerons ces tiercerons par des contre-liernes e, f, g, h, etc., comme dans l'exemple figure 36, mais ici tracées de telle sorte que leurs points de rencontre se trouvent sur les quarts de cercle BC, ei. Ou nous voulons adopter pour tous ces arcs une seule et même courbe composée, comme dans l'exemple fig. 35, ou nous voulons que les liernes BD, DC, soient de niveau. Dans le premier cas, nous prenons l'arc ogive AD comme étant le plus étendu, nous le rabattons sur la ligne A'D', nous élevons la perpendiculaire D'D" (D" étant la hauteur de la voûte sous clef), et nous traçons, au moyen de deux centres, la courbe composée A'D". Procédant comme il a été dit ci-dessus; prenant les longueurs Aa, Ab, Ac, AC, et les reportant sur la ligne A'D' en A'a', en A'b', en Ac', en A'C', et de ces points, a', b', c', C', élevant des perpendiculaires à la ligne A'D', ces perpendiculaires rencontreront la courbe A'D" en des points qui donneront les hauteurs sous clef de chacun des arcs Aa, Ab, etc., et par suite, pour la lierne DC, la projection verticale C'''D'''. Mais si nous prétendons poser ces liernes de niveau, alors il nous faudra chercher, au moyen du procédé indiqué figure 38, les courbes A'K, A'l, etc., en conservant toujours pour les sommiers la même courbe A'n.

S'il s'agit d'une voûte barlongue, dont le quart est EBFG, nous procédons exactement de la même manière que pour la voûte carrée; seulement l'arc formeret EF et les tiercerons joignant ce formeret étant plus courts que ne l'est le formeret et ne le sont les tiercerons Aa, Ab, Ac de la voûte carrée, les clefs de ces arcs seront (en supposant que nous n'adoptions qu'une seule courbe) plus basses que dans la voûte carrée, c'est-à-dire que les points hauteurs de ces clefs seront en m pour le formeret EF, en o pour le tierceron Eo', en p pour le tierceron Ep', en q pour le tierceron Eq', etc., et que la ligne des liernes FG donnera la projection verticale F'D'''. Mais si nous voulons que les liernes de cette voûte barlongue soient de niveau, alors il faudra chercher les courbes composées comme ci-dessus, et la courbe du formeret EF rabattue en A'I conservera toujours une partie de la courbe primitive inférieure de A' en s, pour les sommiers.

On voit ainsi comment sont donnés, par l'application d'un principe de construction déduit rigoureusement, ces arcs brisés en lancettes A'I, ou surbaissés composés Am, si fréquemment adoptés pour les fenêtres des nefs anglaises voûtées, ces fenêtres étant circonscrites par l'arc formeret. Cependant, à ces courbes engendrées tout naturellement par un procédé de structure, on a voulu trouver les origines les plus saugrenues. Ces courbes prétendaient imiter le bonnet d'un évêque, ou bien elles avaient une signification mystico-symbolique; en se rapprochant de la ligne droite au-dessus d'un certain point, elles devaient indiquer la disposition de l'âme chrétienne, qui devient de plus en plus ferme à mesure qu'elle s'élève vers le ciel!... Mais nous ne rapporterons point ces rêvasseries de tant d'auteurs qui ont écrit sur l'architecture du moyen âge sans avoir à leur service les premiers éléments de la géométrie et de la statique. Il est clair que les artistes que tout raisonnement fatigue, et qui seraient aises qu'il fût interdit de raisonner, même en architecture, par une bonne loi bien faite, et surtout rigoureusement appliquée, s'empressent de répéter ces pauvretés à l'endroit de la structure gothique, et aiment bien mieux voir l'imitation d'un bonnet d'évêque dans une courbe qu'un principe de structure: le bonnet d'évêque, en ce cas, ou l'aspiration de l'âme dispense de toute étude et de toute discussion, et la voûte gothique passe ainsi au compte des niaiseries humaines; ce qui simplifie la question. Lorsqu'une seule courbe sert pour tous les arcs d'une voûte, et si ces arcs pivotent sur la pile support, il est clair que, au-dessus de chaque pile, chaque partie de voûte donne exactement la forme d'un pavillon de trompette 408. Lorsque la portion supérieure de ces courbes composées seule est modifiée, afin de poser toutes les clefs et les liernes, par conséquent, de niveau ou dans un même plan horizontal, la forme en pavillon n'en existe pas moins jusqu'à une certaine hauteur au-dessus des naissances, et la variété des courbes supérieures modifie un peu la forme en pavillon, mais ne saurait la détruire pour l'oeil. Il est clair aussi que les architectes devaient, par suite de l'adoption de ces arcs rayonnants donnant entre eux des angles égaux, quelle que fût la disposition des travées, soit carrées, soit barlongues, abandonner l'arc ogive, et donner à tous ces arcs rayonnants qui remplissent chacun une fonction semblable une section semblable. C'est ce qui arriva. Il était conforme à la marche logique des procédés adoptés par les constructeurs anglais de ne plus poser entre ces arcs des rangs de moellons, mais de les remplacer par de véritables panneaux de pierre, des dalles. Ce parti est adopté de l'autre côté de la Manche dès le XVe siècle, soit sur des arcs disposés en pavillon de trompette, soit sur des arcs formant une suite de pyramides curvilignes avec portion de berceau. C'est ainsi qu'est construite la voûte de la chapelle de Saint-George, à Windsor 409.

La figure 40 montre une de ces pyramides de voûtes à l'extrados; comment sont disposés les arcs portant feuillures A, et comment entrent dans ces feuillures les panneaux B de remplissage. Les arcs tiercerons, compris entre les arcs ogives O, aboutissent à une ligne de niveau DD'. À partir de cette ligne jusqu'à la ligne des clefs CC', la voûte forme un berceau composé de panneaux de pierre clavés, portant en relief, les compartiments simulant alors des pénétrations d'arêtes, de tiercerons, de contre-liernes, etc. La ligne des clefs, ou la lierne qui réunit la clef E du formeret à la ligne DD', est horizontale, de telle sorte que les tiercerons compris entre les arcs ogives O et ces formerets sont taillés sur des courbes différentes; de même pour les tiercerons compris entre les arcs ogives, d'après la méthode indiquée précédemment. Ainsi, dans cette voûte de la chapelle de Windsor, plusieurs systèmes sont mis en pratique: le système des voûtes en portions de pyramides curvilignes, avec arcs pris sur des courbes différentes (sauf pour les sommiers); le système des grands claveaux larges et peu épais, comme des dalles clavées, enchevêtrées, complétant la voûte par un berceau, dans sa partie supérieure. Plus tard encore les arcs sont supprimés, et les voûtes anglaises ne se composent plus que d'un appareil de grandes dalles, avec nerfs saillants à l'intérieur pris dans la masse et figurant encore les arcs de la structure qui n'existent plus de fait. C'est ainsi que sont construites les voûtes les plus récentes de la cathédrale de Peterborough et celles de la chapelle de Henri VII à Westminster.