Nous convenons volontiers que le maniéré du XVe siècle et même du XIVe était une déviation funeste de l'art chez les verriers, mais alors cependant les grands principes décoratifs de cet art n'étaient pas oubliés. Nous préférons encore ces défauts ou ces faiblesses à la pédanterie des artistes du XVIe siècle, qui prétendaient transporter sur le verre des compositions plus ou moins inspirées des peintures des écoles italiennes de ce temps, et qui, pour montrer leur savoir comme dessinateurs, négligeaient absolument d'observer les conditions qui conviennent seules à la peinture translucide.

Nous ne devons pas omettre de parler d'une école de peinture sur verre qui, tout en n'appartenant pas à la France, n'a pas été cependant sans exercer une influence sur les écoles des provinces voisines de l'Est. De même que l'architecture rhénane du XIIe siècle a poussé des rameaux jusque dans la Lorraine et même la basse Champagne, de même l'école des verriers rhénans s'est quelque peu infusée dans nos ateliers français. Au sein de cette école rhénane les traditions du XIIe siècle se prolongent très-tard, soit comme style, soit comme procédés de fabrication. Au XIIIe siècle encore, on fabriquait à Strasbourg des vitraux qui semblent appartenir à une époque très-antérieure. Les figures conservent leur caractère archaïque, et l'ornementation est tout empreinte d'un style roman très-prononcé. En France, dès le milieu du XIIe siècle, l'ornementation possède son allure particulière, qui se distingue parfaitement du dessin encore admis dans la sculpture; il n'en est pas ainsi même au commencement du XIIIe siècle en Alsace. L'ornementation peinte des vitraux s'inspire des mêmes modèles qui ont servi à la composition des ornements de l'architecture. Les procédés employés dans la peinture sur verre ont une rigidité qui ne se rencontre pas dans nos vitraux. À dater du XIIIe siècle, la grisaille, destinée à former le dessin et les traits d'ombres, est absolument noire et opaque, les demi-teintes sont faites par hachures et n'ont pas la translucidité chaude de nos teintes.

Voici (fig. 37) une bordure d'un des vitraux de la nef de la cathédrale de Strasbourg qui montre combien les traditions romanes s'étaient conservées encore au milieu du XIIe siècle, et combien ce dessin se rapproche des formes admises dans l'ornementation sculptée. Les tons de ces vitraux se rapprochent d'ailleurs de la coloration habituelle du XIIe siècle: ils sont clairs; les blancs, les bleus, les jaunes et les verts clairs dominent. Ainsi les têtes d'animaux sont bleu clair, les cercles blancs, les feuilles vert d'émeraude et jaune-paille. Les fonds sont rouges; le filet de gauche, turquoise, et le filet perlé à côté, jaune or; le filet à droite commence par un blanc, puis des plaques pourpres alternent avec des bagues jaunes entre lesquelles est un vert; un filet bleu est accolé à cette bordure, et, près des cercles, un filet blanc. Le bleu saphir et le rouge occupent les moindres surfaces; les tons rompus clairs sont en majorité. Une architecture dans les tons verts, blancs, jaunes et bleus clairs, composée de deux colonnes avec une archivolte, ajoute à ces bordures et enveloppe le fond rouge sur lequel se détachent les personnages, tenus également dans des tons limpides 374. Pour les chairs, les verriers rhénans emploient généralement des verres moins colorés que ceux choisis par nos artistes français.

Nous reproduisons ici (fig. 38) une tête d'un personnage (saint Timothée) qui se voit dans une fenêtre de la chapelle de Saint-Sébastien accolée à l'église de Neuwiller. Ce vitrail, dont il ne reste que la partie supérieure, paraît appartenir, comme style, à une époque très-ancienne; cependant la forme des lettres de l'inscription placée au-dessus du nimbe ne saurait faire remonter ce vitrail au delà du milieu du XIIe siècle. Le caractère de la tête du saint est tout empreint de la tradition grecque et rappelle les plus anciennes mosaïques de Saint-Marc de Venise 375; ici les demi-teintes sont posées par hachures, retouchées sur quelques points au grattoir. Au total, l'exécution de ce vitrail n'indique pas l'habileté que l'on observe dans l'exemple que nous avons donné (fig. 29 bis).

C'est à la fin du XIIIe siècle seulement que les verriers rhénans paraissent abandonner entièrement les traditions de l'art du XIIe siècle. C'est aussi à cette époque, ainsi que le prouve la construction du choeur de la cathédrale de Cologne, que le style dit gothique s'empare de l'architecture. Les maîtres architectes, comme les maîtres peintres, veulent alors dépasser les modèles français qui leur servent de types, ils prétendent aller au delà, et à cette époque déjà ils tombent dans le style maniéré, que nous ne voyons apparaître dans nos provinces que cinquante ans plus tard. Cependant certains vitraux (anciens) du choeur de la cathédrale de Cologne possèdent des qualités de dessin et de style qu'on ne peut méconnaître; quant à l'harmonie des tons, elle semble livrée au hasard, et ne tient aucun compte des règles si bien observées encore par nos artistes pendant cette période.

Comment expliquer que nous ayons perdu en France ces qualités de coloristes si évidentes dans nos vitraux et nos peintures des XIIe et XIIIe siècles; qualités dont on peut suivre la trace jusqu'au XVIe siècle, et qui, à dater de ce moment, disparaissent de jour en jour de nos édifices pour se réfugier, très-rarement d'ailleurs, dans quelques toiles de chevalet de nos peintres? C'est peut-être à l'étude mal comprise ou mal dirigée des oeuvres de l'antiquité et de la décadence italienne que nous devons la perte de cette faculté possédée par nos devanciers. Dédaignant leurs oeuvres, il était tout simple de ne pas tenir compte des enseignements qu'elles fournissent. Plutôt que d'y revenir, on a préféré admettre une bonne fois que les Français ne sont pas nés coloristes. On aime chez nous donner aux préjugés une sorte de consécration dogmatique, cela va bien à la paresse d'esprit; c'est un arrêt fatal contre lequel nous nous persuadons aisément que notre volonté ou notre réflexion ne saurait réagir: les consciences se rassurent, ainsi on se dispense de tout effort. Il est bien certain que le sentiment et l'expérience de l'harmonie colorante sont perdus en France depuis plus de deux siècles, et les pâles tentatives faites de nos jours pour colorer l'architecture en sont une preuve sans réplique. N'est-ce pas, par exemple, se méprendre sur les conditions de l'harmonie colorante appliquée à l'architecture, que de supposer qu'on obtiendra un effet heureux en faisant intervenir le marbre comme élément de couleur au milieu d'une structure de pierre? Le marbre, dont la tonalité est chaude et dure souvent, qui prend des reflets heurtés, ne peut s'allier aux tons légers et transparents de la pierre; c'est pis encore si, avec le marbre, on emploie le métal aux lumières étincelantes. Alors la pierre perd à l'oeil toute solidité, ses tons et ses formes mêmes s'émoussent, s'alourdissent. On voudrait la fouiller, redessiner ses arêtes, ses contours.

Aucun peuple ayant laissé des oeuvres d'architecture recommandables n'est tombé dans une erreur aussi profonde. Les Grecs ont coloré le marbre blanc, qu'ils employaient à cause de la finesse de sa contexture; mais ils l'ont coloré en totalité, et n'ont jamais tenté de placer des marbres de couleur à côté de marbre blanc, et surtout à côté d'une pierre calcaire. Les Romains, qui n'avaient pas d'ailleurs un sentiment bien élevé de l'harmonie, n'ont jamais employé les marbres de couleur simultanément avec la pierre laissée dans son état normal. Saint-Marc de Venise, qui présente extérieurement comme intérieurement une harmonie colorée d'un si heureux effet, est entièrement revêtu de plaques de marbre d'un ton très-fin, de mosaïques et de dorures; de la pierre on ne voit pas trace. Les artistes du moyen âge ont admis la peinture à l'extérieur et à l'intérieur de leurs édifices; mais la peinture n'a pas la rigidité du marbre; on ne subit pas sa tonalité, on la cherche et on la trouve. Ils avaient, pour les intérieurs des grands vaisseaux, la peinture. La coloration des vitraux avait l'avantage de jeter sur les parois opaques un voile, un glacis colorant d'une extrême délicatesse, quand, bien entendu, les verrières étaient elles-mêmes d'une tonalité harmonieuse. Si les ressources dont ils disposaient ne leur permettaient pas d'adopter un ensemble de vitraux colorés, ou s'ils voulaient faire pénétrer d'une manière plus pure la lumière du jour dans les intérieurs, ils avaient adopté cette belle décoration des grisailles qui est encore une harmonie colorante obtenue à l'aide d'une longue expérience des effets de la lumière sur des surfaces translucides. Beaucoup de nos églises conservent des verrières en grisailles fermant soit la totalité de leurs baies, soit une partie seulement. Dans ce dernier cas, les grisailles sont réservées pour les fenêtres latérales qu'on ne peut apercevoir qu'obliquement, et alors les verrières colorées ferment les baies du fond, les ouvertures absidales que l'on aperçoit de loin, en face. Ces grisailles latérales sont toutefois assez opaques pour que les rayons solaires qui les traversent ne puissent éclairer en revers les vitraux colorés. Ces rayons solaires cependant jettent, à certaines heures de la journée, une lueur nacrée sur les vitraux colorés, ce qui leur donne une transparence et des finesses de tons indescriptibles. Les vitraux latéraux du choeur de la cathédrale d'Auxerre, mi-partie grisailles, mi-partie colorés, répandent ainsi sur la fenêtre absidale, entièrement colorée, un glacis d'une suavité dont on ne peut se faire une idée. La lueur d'un blanc opalin qui passe à travers ces baies latérales, et qui forme comme un voile d'une extrême transparence sous les hautes voûtes, est traversée par les tons brillants des fenêtres du fond qui produisent les chatoiements des pierres précieuses. Alors les formes semblent vaciller comme les objets aperçus à travers une nappe d'eau limpide. Les distances ne sont plus appréciables, elles prennent des profondeurs où l'oeil se perd. À chaque heure du jour ces effets se modifient, toujours avec des harmonies nouvelles dont on ne peut se lasser d'étudier les causes, quand toutefois on tient à étudier les causes des effets perçus par les sens: or, plus cette étude est approfondie, plus on demeure émerveillé de l'expérience acquise par ces artistes, dont les théories sur les effets des couleurs (admettant qu'ils en eussent) sont pour nous inconnues, et que les plus bienveillants d'entre nous traitent en enfants naïfs. N'admettant pas que la naïveté toute seule puisse arriver à des résultats aussi complets dans les choses d'art; étant bien convaincu, au contraire, qu'il faut aux artistes une connaissance très-supérieure des causes et des effets pour produire des oeuvres toujours réussies, et cela dans de vastes monuments, nous allons essayer de donner un aperçu du système adopté par les verriers du moyen âge dans la composition et la fabrication des grisailles.

Les plus anciennes grisailles connues ne remontent pas au delà du XIIIe siècle, et ces premières grisailles ne sont mêlées d'aucune partie colorée.

Il existait certainement au XIIe siècle des vitraux simplement composés d'ornements qui étaient fort clairs d'aspect, et dans lesquels par conséquent la grisaille remplissait un rôle important. Mais de ces sortes de vitraux nous ne connaissons qu'un seul exemple, et cet exemple a-t-il été tellement défiguré par des restaurations grossières, que nous ne pourrions le considérer comme complet. Il s'agit de la célèbre verrière de l'église abbatiale de Saint-Denis, dans laquelle on voit des griffons au milieu de médaillons carrés. Si l'on s'en rapporte au dessin que Percier fit de cette verrière à Saint-Denis avant qu'elle eût été transportée au Musée des monuments français, ces griffons formaient le milieu de la verrière, qui possédait trois larges bordures d'ornements dans lesquelles le blanc tenait une grande surface. Mais ce dessin ferait supposer que les griffons du XIIe siècle et leurs médaillons avaient été encadrés beaucoup plus tard, peut-être au XVIe siècle 376. On peut conclure néanmoins, de l'existence de ces fragments, qu'au XIIe siècle on fabriquait des vitraux d'ornements avec coloration.

Les grisailles pures, dont nous n'avons d'exemples qu'au commencement du XIIIe siècle, devaient cependant exister avant cette époque, car le dessin de celles que nous possédons accuse la trace de traditions antérieures au XIIIe siècle. Dans les magasins de Saint-Denis, à Châlons-sur-Marne, à Saint-Rémi de Reims, on retrouve encore des fragments de verres blancs peints qui proviennent très-probablement de grisailles du XIIe siècle. Ces anciens débris sont puissamment modelés, avec demi-teintes, suivant la méthode adoptée pour les ornements de couleur. Le dessin en est plein, large, fortement redessiné avec fonds relativement réduits et remplis d'un treillis en noir ou enlevé au style sur noir. Les verres employés alors sont épais, légèrement verdâtres ou enfumés, souvent remplis de bouillons, ce qui leur donne une qualité chatoyante très-précieuse. Habituellement ces verres blancs sont peu fusibles et ont été moins altérés par les agents atmosphériques que les verres colorés, lesquels sont profondément piqués, surtout à l'orientation du midi 377.

Voici (fig. 39) une grisaille qui provient de l'église abbatiale de Saint-Jean au Bois près Compiègne. Elle est complétement dépourvue de verres colorés et date de 1230 environ, bien qu'elle conserve encore, surtout dans sa bordure, le caractère de dessin du XIIe siècle. C'est surtout dans ces compositions de grisailles que l'on peut reconnaître combien les artistes verriers savaient profiter de la mise en plomb pour appuyer le dessin. Les plombs forment les compartiments principaux, combinés de manière à éviter les angles aigus trop fragiles.

À ce point de vue, le beau panneau que nous retraçons ici (fig. 40), provenant de la chapelle de la Vierge de la cathédrale d'Auxerre, est un chef-d'oeuvre de composition. Cette grisaille est de même dépourvue de verres colorés; elle occupe une large fenêtre, et chaque carré porte d'angle en angle 0m,55. Une bordure blanche à filets unis l'encadre. Son aspect est blanc nacré, d'un ton extrêmement fin et doux. Dans ces deux exemples, les fonds sont couverts par un treillis noir assez ferme, fait au pinceau; quelques demi-teintes sont posées sur les ombres des feuilles en hachurés larges. Le dessin est une grisaille opaque noir brun, un peu transparente sur les bords. La cathédrale de Soissons possède dans la nef de belles grisailles du XIIIe siècle sans couleur, d'un grand effet décoratif; les traits du dessin sont larges, fournis; quelques verres présentent des variétés de blanc pour mieux accuser la charpente principale de la composition. C'était là une ressource dont les verriers du XIIIe siècle ne se privaient pas. Mais ce n'était pas uniformément qu'ils plaçaient ces verres blancs de qualités différentes. Parfois, par exemple, la charpente de la composition se détache sur le fond verdâtre par un ton légèrement enfumé, puis à côté le contraire a lieu; de telle sorte que l'artiste obtenait ainsi les effets chatoyants des damas de soie dans lesquels suivant que la lumière frappe les surfaces, le dessin se détache en ton obscur sur un fond clair ou en clair sur un fond obscur.

La fin du XIIIe siècle employa encore les grisailles sans couleur. La cathédrale de Troyes nous fournit de beaux exemples de ces vitraux incolores. Nous en donnons ici deux panneaux (fig. 41 et 42), dont l'exécution est d'une extrême délicatesse et la composition charmante.

Ces grisailles paraissent dater des dernières années du XIIIe siècle. Mais déjà des bordures colorées les accompagnent, en laissant toujours entre elles et le tableau de la baie un filet blanc. Nous avons vu qu'à cette époque, les verriers employaient souvent les grisailles avec les figures colorées sur fond de couleur; mais, avant le XVIe siècle, nous ne connaissons en France aucun exemple de figures peintes en grisaille sur verres blancs. Les artistes du XIVe siècle avaient cependant employé la peinture opaque en camaïeu pour les figures, dans certains cas; il paraît donc surprenant qu'ils n'aient pas eu l'idée de le faire pour la peinture translucide, ou que, s'ils l'ont fait, il ne nous en reste pas des fragments. En observant attentivement les effets de la peinture translucide en grisaille, on se rend cependant compte des raisons qui ont dû empêcher ces artistes d'appliquer ce procédé aux figures. Si clairement composée que soit une verrière d'ornements en grisaille, si vigoureux que soit le dessin, si bien accusés que soient les fonds, il résulte toujours de ces compositions un effet miroitant à l'oeil, qui rappelle l'aspect d'une étoffe damassée, c'est-à-dire un ensemble vibrant dont il est difficile, à moins d'une attention fatigante, de démêler la trame. La condition essentielle de toute grisaille incolore, c'est qu'il ne reste sur aucun point une surface de verre qui ne soit recouverte par le travail du pinceau. Il faut une répartition égale, régulière, de ce travail, pour qu'en apparence l'oeil ne croie pas voir un trou, un vide dans la surface translucide. Or, en peignant des figures, il fallait nécessairement laisser des surfaces claires inégales et plus ou moins larges, en raison du modelé de la forme. Il en résultait une suite de taches lumineuses et obscures réparties sans ordre, qui produisaient un très-fâcheux effet, et n'invitaient pas à reposer les yeux sur ces surfaces. À distance, les blancs prenaient une importance démesurée, et les ombres, réduites, faisaient taches. On peut se rendre compte de l'aspect désagréable de ces sujets en grisailles translucides si l'on examine certains vitraux de la renaissance où l'on a cherché à rendre des cartons très-lisiblement colorés. L'oeil a grand'peine à démêler les figures, à suivre leurs contours et le modelé à travers ces éclairs entremêlés de points obscurs.

Il n'en est pas du vitrail en grisaille comme du vitrail coloré; on peut sans fatigue porter les yeux sur ce dernier, si sa coloration est harmonieuse, tandis que la grisaille n'est faite que pour donner une tapisserie translucide qui ne préoccupe pas. Le regard ne saurait longtemps se reposer sur cette surface chatoyante, qui semble vibrer, et qui cause des éblouissements si l'on persiste à démêler le dessin qui la compose. Tous ceux qui ont essayé de dessiner des grisailles en place ont pu éprouver cet effet, tandis qu'on peut copier sans fatigue une verrière colorée. Il était donc sensé de ne point peindre des sujets en grisaille.

On peut admettre que le phénomène de vibration causé par les verrières incolores, et aussi la nécessité de ne pas avoir, à côté des surfaces colorées, des surfaces absolument incolores, engagèrent les peintres verriers à entremêler des filets de couleur dans les grisailles. Cet appoint les rendait plus faciles à comprendre, les dessinait plus nettement, et leur ôtait cet aspect chatoyant qui devenait insupportable si les fenêtres occupaient une grande surface. C'est en effet au moment où les baies vitrées occupent tous les espaces laissés entre les piles et les formerets des voûtes que l'on renonce aux grisailles incolores. Les derniers panneaux que nous venons de donner, et qui appartiennent à la cathédrale de Troyes, occupent des fenêtres étroites, sans meneaux; mais quand il s'agit de garnir de larges baies à meneaux, comme celles qui s'ouvrent sur nos vaisseaux à dater du milieu du XIIIe siècle, les peintres verriers renoncent à la grisaille incolore; ils la zèbrent de filets rouges ou bleus, ils y sèment des rosaces et l'entourent de bordures colorées. Parmi ces grisailles on peut considérer comme étant des plus anciennes celles qui garnissent les fenêtres à meneaux de la chapelle absidale de l'église abbatiale de Saint-Germer. La construction de cette chapelle suit de peu celle de la sainte Chapelle du Palais à Paris, c'est-à-dire qu'elle remonte au commencement de la seconde moitié du XIIIe siècle. Bâtie d'un jet, ses vitraux en grisaille datent de l'époque de sa construction, et déjà ils montrent des bordures, quelques filets et des semis de rosaces colorés.

Dans l'exemple (fig. 43), la bordure est composée de feuilles jaune safran sur fond bleu avec filet intérieur rouge. Les quatre lobes R sont également rouges.

Dans l'exemple (fig. 44), la bordure se compose de fleurs de lis jaunes sur fond rouge sans filet intérieur coloré, et les rosaces sont formées d'un carré vert entouré de quatre demi-cercles rouges 378. On remarquera que déjà dans ces grisailles les filets blancs ne sont plus cernés par un plomb que d'un seul côté, l'autre côté étant peint. C'était une simplification sur le procédé du commencement du XIIIe siècle, mais l'effet général perd l'ampleur et la fermeté de ces premières grisailles. Les fonds sont toujours un treillis très-fin fait au pinceau. Cependant, à la fin du XIIIe siècle, les filets de couleur deviennent plus nombreux, les rosaces plus importantes; les treillis des fonds sont remplacés par un ton uni assez inégal, sorte de glacis qui a l'inconvénient de colorer ces fonds en bistre, ce qui ôte de la finesse aux grisailles. Parmi les plus belles grisailles de cette époque, ou du commencement du XIVe siècle, il faut citer celles de la cathédrale de Narbonne.

Voici (fig. 45 et 46) deux de ces panneaux variés. Dans le premier, la bordure est composée de carrés jaunes peints, J, entre lesquels sont placés un verre bleu et un verre rouge, B, R. Pour le corps de la grisaille, les filets rectilignes sont bleus, les filets courbes, rouges, les rosaces ont le coeur jaune, le trilobe circulaire rouge et le trilobe angulaire vert, ou le contraire. Sur les verres blancs, l'ornement peint laisse entre lui et les filets de couleur une marge dépourvue de grisaille, qui fait ressortir très-habilement les tons rouge et bleu des entrelacs. Le tracé de cette verrière est à mentionner. La largeur du panneau AX entre les bordures a été divisée en six parties. De chacun des points diviseurs ont été tirées des lignes à 45°; les centres des courbes, les filets courbes aussi bien que les filets rectilignes, se trouvent sur ce quadrillé diagonal. Ainsi les centres des courbes ab se trouvent aux points c; etc. Il va sans dire qu'un filet blanc cerne extérieurement la bordure.

Dans le second exemple (fig. 46), les couleurs occupent une grande partie de la surface. La bordure se compose de fleurs de lis jaunes sur fond bleu; puis est posé un filet interne rouge. Les armoiries sont d'argent à la croix de gueules; ou mi-parties au premier coupé d'argent à la croix pattée de gueules et d'or chargé d'une tour de sable; au second d'or à trois fasces de gueules. D'autres écus décorent ce vitrail: le premier se découpe sur un fond jaune perlé entouré de deux carrés croisés vert et pourpre violet; le second est posé sur un fond bleu avec carrés de même que dessus, mais les tons alternés. L'effet de cette grisaille est très-beau; si toutefois on peut donner le nom de grisaille à une verrière où les couleurs occupent plus de la moitié de la surface.

La cathédrale de Saint-Nazaire de Carcassonne conserve aussi de très-remarquables grisailles du commencement du XIVe siècle, où la couleur remplit un rôle très-important. Dans les deux roses nord et sud notamment, ces grisailles sont de véritables mosaïques colorées.

Vers le milieu du XIVe siècle, alors qu'on était arrivé à appliquer le jaune au moyen de sels d'argent, on rehaussa parfois les grisailles blanches avec des touches jaunes. On voit de jolies grisailles de ce genre dans la chapelle de Vendôme de la cathédrale de Chartres. Les magasins de Saint-Denis en possèdent également un très-joli panneau, qui a été reproduit par M. A. Gérente. Il faut dire que ce genre de grisaille convient mieux à des baies d'appartements qu'aux fenestrages des grands vaisseaux. Ces moyens décoratifs sont trop maigres pour produire de l'effet de loin sur de grandes surfaces translucides.

Au XVe siècle, le mode des grisailles tapisseries se perd, et est remplacé par des tracés d'architecture blanche et jaune, avec quelques figures colorées d'un effet médiocre.

Le XVIe siècle fit beaucoup de grisailles, ou plutôt des camaïeux avec sujets et arabesques. Nous ne croyons pas nécessaire de revenir sur ce que nous avons dit de ce procédé de peinture sur verre.

On sait que les cisterciens n'admettaient pas dans leurs églises les peintures et la sculpture des figures. Privés de ces moyens décoratifs, ces religieux fermèrent les baies de leurs églises au moyen de verres blancs disposés de manière à former de riches dessins par la mise en plomb. Dès l'année 1842 nous avions pris note de vitraux de ce genre datant des premières années du XIIIe siècle, dans l'église abbatiale de Pontigny, qui dépendait de l'ordre de Cîteaux. Plus tard, en 1850, M. l'abbé Texier signala des vitraux de ce genre dans les églises de Bonlieu (Creuse) et d'Obasine (Corrèze) 379, toutes deux cisterciennes. Ces vitraux incolores et non peints datent du XIIe siècle. Les dessins des vitraux de l'église de Bonlieu sont peut-être de quelques années antérieurs à ceux de l'église d'Obasine, mais d'ailleurs le système adopté est le même dans l'un et l'autre monument. Ces dessins sont bien composés, larges, d'un beau caractère. On peut en juger par l'exemple que, nous donnons ici (fig. 47), tiré de l'église de Bonlieu.

Sur quelques points, ainsi que le remarque M. l'abbé Texier, le plomb ne sertit pas le verre, mais est apposé dessus sur un seul côté 380. Il n'était là que pour compléter le dessin et faire éviter des coupes trop difficiles. C'est d'ailleurs un expédient très-rarement employé.

M. Amé a relevé une partie des vitraux blancs de l'église cistercienne de Pontigny. Quelques-uns de ces vitraux se rapprochent beaucoup, comme dessin, de ceux d'Obasine, mais d'autres en diffèrent essentiellement et présentent des combinaisons en partie rectilignes.

Voici (fig. 48) un de ces panneaux dont la disposition rappelle celle des belles grisailles du commencement du XIIIe siècle 381. Une fois sur la voie, M. E. Amé découvrit des vitraux de ce genre dans un certain nombre d'édifices du département de l'Yonne, particulièrement dans les églises de Mégennes, de Châblis, dans la chapelle de l'ancien hôpital de Sens. Nous en avions dessiné également en 1842 dans la petite église de Montréal, qui datent d'une époque beaucoup plus récente, XVe ou XVIe siècle.

Ce système de vitrage n'était donc pas seulement employé par les cisterciens, puisque ces derniers édifices ne dépendaient pas de cet ordre. Il dut être adopté toutefois lorsque les ressources manquaient pour faire exécuter des vitraux colorés ou en grisailles peintes. Depuis que notre attention a été portée sur ce genre de vitrerie, nous en avons découvert beaucoup de fragments dans des églises des XIIIe, XIVe, XVe et XVIe siècles; fragments qui présentent des combinaisons à l'infini. On en voyait encore des panneaux entiers et variés, en 1843, dans l'église abbatiale de Beaulieu, près de Saint-Antonin (Tarn-et-Garonne), qui date de la fin du XIIIe siècle, et qui alors dépendait d'un fermage.

Voici (fig. 49) un de ces panneaux d'une disposition originale. Les verres de ces vitraux ne sont pas d'une transparence blanche égale, mais inégaux comme épaisseur, et plus ou moins verdâtres ou jaunâtres, ce qui contribue à l'effet de ce genre de vitrerie. La mise en plomb de ce dernier exemple est très-soignée. Dans la partie supérieure de notre figure est indiqué le mode de tracé, le moyen de trouver les centres des quarts de cercle qui constituent le compartiment.

Il n'y a pas à douter que la vitrerie des fenêtres d'habitations ne fût ainsi composée dans le plus grand nombre de cas, puisque les vignettes des manuscrits nous montrent toujours des verres blancs mis en plomb suivant des compartiments variés, dans les intérieurs d'appartements. Souvent un écusson armoyé brochait sur le milieu de ces panneaux blancs, dans les vitrages des châteaux et palais, ou une devise, ou un emblème, et donnaient quelques points de couleur qui égayaient la surface blanche des grandes fenêtres, sans rien enlever à la lumière nécessaire dans toute pièce servant à l'habitation.

La peinture sur verre exigerait, certes, de plus longs développements, si l'on voulait en faire une histoire complète et indiquer les différents procédés employés par les diverses écoles françaises, pendant l'espace de trois ou quatre siècles. Il y a dans l'étude de cet art ou de cette industrie, si l'on veut, reprise depuis peu par quelques artistes distingués, un champ d'observation très-étendu à parcourir. Nous ne pouvons qu'indiquer les points saillants de cette étude pour rester dans les limites du Dictionnaire. Peut-être même trouvera-t-on que nous nous sommes étendu trop longuement sur une des parties de la décoration architectonique; mais il nous paraît qu'il y a, dans cet art de la décoration translucide, des ressources qu'on pourrait utiliser d'une manière plus large qu'on ne le fait de nos jours. Dans un climat comme le nôtre, où la lumière du soleil est souvent voilée, où les intérieurs des édifices et des habitations ne sont éclairés que par un jour blafard, il était naturel que l'on cherchât à colorer cette lumière pâle. C'était là un sentiment de coloriste. Nous avons laissé étouffer ce sentiment sous un classicisme étroit dans ses vues, prétentieux dans ses expressions, qui ne demande pas que l'on comprenne, mais qu'on admire de confiance ce qu'il admet comme licite dans l'art. Il faudrait, certes, une longue expérience et des études sérieuses pour retrouver les traces négligées de cette industrie du peintre verrier.

Quelques hommes dévoués ont fait des efforts et des sacrifices considérables, de nos jours, pour retrouver ces traces. Ils ont même ainsi ouvert, pour notre pays, une source de production assez riche; mais, mal secondés par les fabricants de verre, qui ne se préoccupent pas des conditions nécessaires à la coloration translucide; obligés de lutter contre une concurrence de produits à bon marché qui déprécient ce bel art aux yeux des gens de goût; repoussés systématiquement des grands travaux publics par de puissantes coteries, c'est à grand'peine s'ils peuvent maintenir leurs ateliers ouverts. Qu'ils ne se découragent pas cependant; leur industrie doit, dans un temps où l'architecture tend de plus en plus à élever de vastes édifices largement éclairés, trouver une belle place; mais qu'ils emploient les loisirs que leur fait une opposition systématique à connaître les véritables ressources de cet art décoratif par excellence. Le jour de la réaction contre l'insignifiance académique arrivé, ils seront prêts.

Note 333: (retour) Sachant que beaucoup de ces vitraux avaient été transportés dans les magasins de Saint-Denis, après la dispersion du musée des Petits-Augustins, nous demandâmes, dès que nous fûmes chargés des restaurations de l'église abbatiale, où étaient déposés ces vitraux... On nous montra trois ou quatre caisses contenant des milliers de morceaux de verre empilés... À peine s'il en restait trois morceaux unis par des plombs... Les caisses sont encore à attendre la fée qui voudra bien débrouiller ce chaos.
Note 334: (retour) Diversarum artium schedula.
Note 335: (retour) Lib. II, cap. XVII.
Note 336: (retour) Le diamant remplace avantageusement aujourd'hui le fer chaud.
Note 337: (retour) Lib. II, cap. XIX, De colore cum quo vitrum pingitur.
Note 338: (retour) M. Oudinot, peintre verrier, a fait analyser de son côté des fragments de verrières des XIIe et XIIIe siècles, peints; et l'analyse n'a également donné que du protoxyde de fer. Aujourd'hui cette peinture est obtenue au moyen de battitures de fer que l'on ramasse chez les forgerons, que l'on tamise pour en séparer les parcelles métalliques et que l'on broie avec un fondant. On employait aussi autrefois et l'on emploie encore un minerai de fer appelé ferret d'Espagne, qui est un oxyde de fer naturel plus brun que la sanguine. Cette substance donne à la grisaille un ton plus chaud que la battiture de fer des forgerons.
Note 339: (retour) Voyez Théophile, Diversarum artium sched., lib. II, cap VI et IX.
Note 340: (retour) On fabrique encore à Venise des verres rouges d'un ton très-doux, teints dans la masse. Ces verres rappellent beaucoup certains échantillons du XIIe siècle.
Note 341: (retour) Lib. II, cap. VII.
Note 342: (retour) Les verres bleus du XIIe siècle possèdent une qualité particulière et qui les fait reconnaître entre tous ceux des autres époques: c'est qu'ils paraissent bleus à la lumière de la lampe, tandis que ceux des époques postérieures passent au gris laqueux, au vert ou au violet. Cette observation nous a été suggérée par des peintres verriers, habiles praticiens, et l'expérience nous l'a confirmée.
Note 343: (retour) D'un vitrail de la cathédrale du Mans, commencement du XIIe siècle, représentant l'Ascension.
Note 344: (retour) Voyez le Manuel d'iconographie chrétienne grecque et latine, avec une Introduction par M. Didron, traduit du manuscrit byzantin par le docteur Paul Durand, Paris, 1845.
Note 345: (retour) On peut citer, entre ces fac-simile, comme remarquables: les panneaux des restaurations de la sainte Chapelle, dus à MM. Lusson et Steinheil; ceux des fenêtres du XIIe siècle de l'abbaye de Saint-Denis, dus à M. A. Gérente; des restaurations des vitraux de Bourges et du Mans faites par M. Coffetier.
Note 346: (retour) Façade occidentale. Ce dessin est au sixième de l'exécution.
Note 347: (retour) Voyez CATHÉDRALE.
Note 348: (retour) Voyez, entre autres, les verrières occidentales de Notre-Dame de Chartres; celles de l'église abbatiale de Saint-Denis, fabriquées sous l'abbé Suger; quelques verrières du Mans, de Vendôme, d'Angers.
Note 349: (retour) Voyez, pour la coloration générale de cette verrière, la Monographie de Notre-Dame de Chartres, par J. B. Lassus. Cette verrière est très-fidèlement copiée par M. P. Durand. L'exactitude du dessin et du modelé ne saurait être plus complète, mais la coloration donnée par la chromolithographie ne peut rendre l'effet des rapports des couleurs translucides. Ainsi les bleus sont lourds et sombres, les verts durs, etc.
Note 350: (retour) Nous avons reconnu la présence de ces patines factices sur des vitraux qui avaient été enfermés dans du plâtre peu après leur exécution.
Note 351: (retour) Les peintres verriers employaient plusieurs valeurs de chaque ton, comme nous l'avons indiqué plus haut. Il était facile de désigner chaque valeur par un signe: ainsi, le B (bleu) pouvait être B 1, B 2, B 3, indiquant ainsi le bleu limpide, clair, turquoise; le bleu saphir, le bleu indigo, etc.
Note 352: (retour) Parmi ces verrières d'une tonalité violacée, nous citerons l'une de celles de la sainte-Chapelle de Paris (côté sud, près du sanctuaire), et parmi celles d'une tonalité froide excessive, la rose du nord de Notre-Dame de Paris.
Note 343: (retour) Des vitraux légendaires de la chapelle absidale de l'église de Notre-Dame de Semur (Côte-d'Or).
Note 354: (retour) Des vitraux du bras de croix nord de l'église de Notre-Dame de Dijon (1230 environ).
Note 355: (retour) On sait qu'à la cathédrale de Bourges il existe encore des fragments importants des sculptures appartenant au XIIe siècle (porches nord et sud).
Note 356: (retour) Voyez l'ensemble de cette verrière dans la Monographie de la cathédrale de Chartres, publiée sous la direction de Lassus (dessin de M. Paul Durand).
Note 357: (retour) Diversarum artium schedula, lib. II, cap. XXI.
Note 358: (retour) Nos peintres verriers qui ont habilement restauré des verrières du XIIe siècle, notamment MM. Coffetier et A. Gérente, ont dû procéder de cette manière. Des fragments de ces verrières entre nos mains prouvent la double opération de la cuisson.
Note 359: (retour) Calque d'un fragment appartenant à M. Oudinot.
Note 360: (retour) Ces calques nous ont été fournis par M. Coffetier.
Note 361: (retour) Ce dernier tracé est moitié d'exécution.
Note 362: (retour) Ce défaut est bien sensible dans certains vitraux modernes exécutés comme de la peinture opaque, mais en forçant les ombres.
Note 363: (retour) Des panneaux de la sainte Chapelle.
Note 364: (retour) Comme, par exemple, dans les chapelles absidales de l'église abbatiale de Saint-Denis, dans les cathédrales du Mans, de Bourges et de Chartres.
Note 365: (retour) Aux cathédrales de Chartres, de Bourges, de Tours, d'Auxerre, de Troyes.
Note 366: (retour) Voyez l'ensemble de ce fenestrage dans l'ouvrage du R. P. Martin. Voyez l'ouvrage de M. F. de Lasteyrie.
Note 367: (retour) Il ne reste plus à Amiens que des traces de ces verrières dans le triforium du choeur.
Note 368: (retour) Les calques de ces vitraux nous ont été communiqués par M. Oudinot.
Note 369: (retour) Dans le choeur, deux des anciennes verrières ont été seulement remplacées au XVIe siècle. Ces deux vitraux de la renaissance sont d'ailleurs d'une excellente exécution.
Note 370: (retour) Saint Nazaire prend soin des pauvres, des veuves et orphelins.
Note 371: (retour) Voyez la Monographie de la cathédrale d'Auch, par M. l'abbé Caneto.
Note 372: (retour) Voyez la belle verrière de l'arbre de Jessé de l'église de Saint-Étienne de Beauvais, qui présente un emploi prodigieusement habile de ces procédés d'enlevure à la molette.
Note 373: (retour) Nous avons entre les mains un de ces verres verts, provenant d'une de ces verrières du XVIe siècle de la cathédrale de Carcassonne (Saint-Nazaire), qui est composé d'une assiette blanche verdâtre, d'une couche jaune, d'une couche blanche, d'une couche bleue, d'une fine lamelle blanche et d'une couche jaune. Nous inclinons à croire que ces verres sont de fabrication vénitienne.
Note 374: (retour) Ces vitraux de la cathédrale de Strasbourg se voient encore aujourd'hui dans les fenêtres du bas côté septentrional de la nef, qui date du XIIIe siècle; mais ils ont évidemment été replacés là et appartenaient à l'église du XIIe siècle. Le style des figures ne laisse pas de doute à ce sujet.
Note 375: (retour) Le fac-simile de ce vitrail nous a été communiqué par M. Steinheil. La chapelle à laquelle il appartient passe pour avoir été bâtie sous Charlemagne, et en effet sa construction peut remonter à cette époque; mais nous ne pensons pas que la verrière donnée ici puisse avoir été peinte avant le commencement du XIIe siècle.
Note 376: (retour) La verrière dont il est ici question a été fidèlement reproduite dans l'ouvrage de M. J. Gailhabaud, l'Architecture et les arts qui en dépendent, tome II. Mais cette reproduction donne, avec les griffons et leur entourage du XIIe siècle, les restaurations sans aucun caractère et d'une harmonie de ton déplorable qui ont été faites il y a trente ans.
Note 377: (retour) À la cathédrale de Chartres notamment, certains verres sont tellement piqués et recouverts de lichens, qu'ils ont perdu toute translucidité. Il faut observer que les verres du XIIIe siècle sont plus altérés que ceux du XIIe, ce qui ferait supposer qu'au XIIIe siècle déjà on avait cherché à rendre les verres plus fusibles par des fondants. À ce compte, les vitraux que nous faisons aujourd'hui seront perdus dans deux ou trois siècles.
Note 378: (retour) Nos figures sont au quart de l'exécution. Ces dessins nous ont été fournis par M. Boeswilwald, qui a dirigé la restauration de la sainte Chapelle de Saint-Germer.
Note 379: (retour) Voyez les Annales archéologiques, t. X, p. 81 et suiv.
Note 380: (retour) Ces plombs non sertisseurs sont marqués par un trait vidé.
Note 381: (retour) Voyez Recherches sur les anciens vitraux incolores du département de l'Yonne, par M. Émile Amé (Didron), 1854.


VOIRIE, s. f. Sous le régime féodal, les routes et chemins appartenaient au seigneur sur la terre duquel s'ouvraient ces voies publiques. Le seigneur avait donc le droit de changer la direction de ces voies et de percevoir les péages destinés à leur entretien. Dans les villes, la voirie dépendait, soit de la municipalité, soit du suzerain, soit du seigneur possesseur de droits féodaux.

À Paris, avant le XIIIe siècle, la voirie ne dépendait que du roi et de l'évêque dans la circonscription de sa juridiction. Ce n'est qu'à dater du règne de Philippe-Auguste que la législation de la voirie passe entre les mains du prévôt.

Dans la plupart des villes du Languedoc qui avaient conservé presque intactes leurs formes municipales romaines, le droit de voirie appartenait aux consuls qui, dès lors, exerçaient la police des rues et places. Souvent la police de la voirie appartenait en commun à deux pouvoirs dans une même ville. Cette police consistait à empêcher qu'on ne fît des caves sous les rues, qu'on n'établit des perrons pouvant gêner la circulation, des saillies d'auvents préjudiciables aux passants ou aux voisinages, qu'on y déposât des ordures. Les voyers veillaient à l'entretien du pavage et à l'écoulement des eaux, à la réparation des puits banals et des fontaines, à la conservation des chaînes. On comprendra comment les droits de voirie, souvent partagés dans une même localité entre plusieurs seigneurs, furent l'occasion de nombreux conflits. Les Olim contiennent en effet bon nombre d'arrêts intervenus à propos de ces discussions. Nous donnons ici un de ces arrêts datant de 1312, qui explique clairement la nature de ces conflits et comment ils étaient tranchés par la cour du roi. «Item de l'article ou quel li dit religieux disoient que li habitant de ladite ville (de Saint-Riquier) ne povoient edefier, faire, refaire, rapparelier (réparer), ni empeschier (encombrer) les fros (terrains publics, places, voies) de ladite ville en faisant, edefiant, refaissant ou rappareillant issues, saillies, huisseries, huvrelas (auvents), appentiz, estaures (baies) ou manoueles à puys, ne autres manières de ouvrages ou edefices, viez ou noviaus, es fros desus diz ne sur yceaus, ne es lieus marchissans (aboutissant) as diz fros senz prendre congie au froquier (voyer) de ladite eglise (du monastère de Saint-Riquier); les diz maieur, jurez et commune proposanz au contraire: Oyes les raisons proposees d'une partie et d'autre, veu et considere la vertu de leurs privileges, termine est, et par droit, que li habitant de la dite ville ne povent ne pourront des ore en avant faire edefier, refaire, ne rapparelier tels manieres de edefices ne de ouvrages comme desus est dit, senz requerre le congie dou dit froquier; et se li requis, il n'en woloit donner congie, il le pourront faire, mais il l'en doivent premierement requerre, excepte que se il avenoit par aucune aventure que les manoueles des puis, seans es fros de la dite ville, cheoient ou brisoient, et touz li autres edefices de celluy puis demourast en son estat, et se aucune des parois des maisons de la dite ville, tenanz es fros desus diz, estoient percee ou crevee par faute de closture de verge, de late ou de mortier, le sueil, les potiaus, et toute l'autre charpenterie et mazçonnerie de ladite paroy demoranz en leur estat; termine est et esclarci que li habitant de la dite ville pourront refaire, rapparelier, mettre et remettre les dites manoueles des puis, et refaire les pertuis des parois et edefices desus diz en la maniere que il est desus devise, et faire huis et fenestres, senz requerre le congie dou dit froquier, sauf ce que se toute la charpenterie et mazçonnerie demouroient en leur estat, et les parois entre deuz cheoient jusques en la terre, li habitant de la dite ville ne le povent faire ne refaire sans requerre congie ou dit froquier, en la manière desus ditez. Et n'est mie oblier que se li mur et les portes dont la dite ville est fermee, joignanz as fros, depezçoient en aucune partie ou cheoient dou tout jusques au reys de terre, li habitant desus dit les porront faire et refaire senz requerre le congie dou dit froquier, pour ce que la fermete de la dite ville est nostre 382

Il résulte de la teneur de cet arrêt que, malgré les prétentions de l'abbé de Saint-Riquier possédant sur la ville des droits féodaux, les habitants peuvent réparer les maisons donnant sur les voies et places de ladite ville, en prévenant le voyer de l'abbaye, à moins d'un cas de force majeure, tel que la ruine d'un mur, d'une maison, d'une manivelle de puits, auxquels cas les habitants peuvent immédiatement procéder à la réédification sans avertissement préalable. En tout état, l'avis donné au voyer est inutile lorsqu'il s'agit de réparer les défenses de la ville. C'est ainsi que le pouvoir royal, sans détruire au fond les droits de voirie des seigneurs féodaux, les annulait de fait en bornant ces droits à une simple déclaration faite au voyer féodal, déclaration qui d'ailleurs ne pouvait être suivie d'une opposition aux réparations déclarées. Quant aux murs de ville, considérés par le suzerain comme lui appartenant, s'il y avait lieu de les réparer, il n'était même pas nécessaire de prévenir le voyer du seigneur ayant des droits féodaux sur les terrains de la cité. Ce n'était que peu à peu que le pouvoir royal parvenait ainsi à prendre possession de la voirie des routes et des cités, et les ordonnances des rois de France à dater du XIIIe siècle sont remplies de décisions qui tendent à centraliser entre les mains du suzerain les questions de viabilité. Avant cette époque, les charges de voyers sont créées dans les villes érigées en communes par le seigneur qui octroie la charte. À Auxerre, par exemple, en 1194, la charte du comte de Nevers qui institue la commune, crée une charge de voyer et fixe la juridiction de cette charge 383. Toutes les contestations déférées à la cour du roi provoquaient généralement un arrêt qui pouvait être considéré comme un empiétement du suzerain sur les droits féodaux ou des communes.

Note 382: (retour) Les Olim, publiés par le comte Beugnot, t. II, p. 562, Collection des documents inédits sur l'histoire de France, 1re série.
Note 383: (retour) Baluze, Miscell., VII, 326.


VOLET, s. m. Fermeture de bois plein d'une fenêtre posée à l'intérieur ou à l'extérieur (voyez MENUISERIE).



VOUSSOIR, s. m.--Voyez CLAVEAU.



VOUSSURE, s. f. Rangs de claveaux d'archivoltes qui enveloppent le tympan d'une porte (voyez PORTE). On donne aussi aujourd'hui le nom de voussures à des surfaces cintrées qui forment la transition entre les murs d'une salle et le plafond; mais ce genre de construction n'était pas admis pendant le moyen âge: il ne date que de la fin du XVIe siècle.



VOÛTE, s. f. Nous avons, dans l'article CONSTRUCTION, expliqué d'une manière générale comment, du système admis par les Romains pour voûter leurs édifices, les architectes du moyen âge étaient arrivés à des combinaisons de voûtes entièrement nouvelles et se prêtant à tous les plans. Nous n'avons pas à revenir ici sur ce que contient cet article, sur les moyens employés pour résister à la poussée des voûtes, mais à développer les divers procédés admis en France du XIe au XVIe siècle pour tracer ces voûtes et les établir sur leurs points d'appui.

Tout d'abord un fait doit fixer l'attention de l'observateur qui examine les voûtes construites sous l'empire par les Romains: c'est l'économie apportée dans la construction de ces voûtes. Si grands bâtisseurs qu'ils fussent, les Romains apportaient dans leurs travaux des principes d'économie que nous ne saurions trop méditer. Or, puisqu'il s'agit ici des voûtes, personne n'ignore que les causes de dépenses les plus importantes peut-être dans la construction des voûtes, ce sont les cintrages de bois qui sont nécessaires pour les porter jusqu'au moment où elles sont fermées et où elles peuvent se soutenir par la juxtaposition complète des matériaux qui les composent. Quand on examine quelques-uns de ces grands édifices romains voûtés, tels que les thermes d'Antonin Caracalla, de Dioclétien, la basilique de Constantin à Rome, etc., on est tout d'abord disposé à croire qu'il a fallu, pour former ces vastes concrétions, un énorme cube de bois, des cintrages d'une puissance prodigieuse; par suite, des dépenses provisoires perdues, considérables. Cependant une étude plus attentive de ces voûtes fait bientôt reconnaître qu'au contraire, ces bâtisseurs, pratiques avant tout, avaient su fermer ces énormes concrétions à l'aide de moyens économiques et d'une grande simplicité. Si l'on prend la peine d'analyser ces larges voûtes romaines, berceaux, voûtes d'arête, coupoles, on constate que ces surfaces courbes, en apparence uniformes et homogènes, sont formées d'une suite de nerfs et même de cellules de brique dont les intervalles sont remplis par un blocage composé de pierres légères et de mortier. Ainsi, pour fermer une très-grande voûte, suffisait-il de poser un certain nombre de cintres de charpente, relativement restreints et d'une force médiocre, de les réunir par une forme de planches sur lesquelles la voûte était construite, ainsi que nous allons le voir.

Il arrivait même que, pour ne pas faire subir aux cintres légers de charpente une pression à laquelle ils n'eussent pu résister, les constructeurs formaient les nerfs principaux de rangs de briques superposés, le premier servant de cintre à demeure pour les suivants et déchargeant ainsi le cintre provisoire de charpente. Souvent même le constructeur bandait sur des cintres très-espacés, réunis seulement par des planches, une voûte en grandes briques posées à plat, voûte qui n'avait qu'un poids insignifiant, et sur cette voûte, sur cette coque légère, mais déjà très-résistante, il formait les nerfs principaux, les cellules de brique, et remplissait de blocage les intervalles.

Notre figure 1 expliquera cette méthode de construire les voûtes. Soit un berceau à voûter. Des cintres légers de charpente A, relevés, ont été posés à intervalles égaux, leurs courbes commençant au niveau de la portion de voûte qui a déjà pu être élevée sans le secours d'un cintrage, mais à l'aide d'une simple tige de bois ou de cerces. Ces cintres ont été réunis par des planches ou couchis B, qu'il n'a pas été nécessaire de poser jointifs, planches assez épaisses pour ne pas plier sous la charge d'un homme. Sur ces planches, les maçons ont fait le carrelage C avec de grandes briques plates, comme on construit encore de nos jours des voûtes en tuiles ou carreaux de terre cuite, ciment ou plâtre 384. Dès lors les ouvriers opéraient sur une croûte solide, homogène et pouvant résister à une charge. Les nerfs D ont été posés à l'aplomb de chaque cintre et formés de grandes briques carrées. Ces nerfs ont été disposés ainsi que l'indique le détail X, avec des doubles briques ab, de distance en distance, de manière à pouvoir couler dans la rainure laissée entre elles des planches P normales à la courbe. Le long de ces planches considérées comme dossiers, ont été posées les entretoises E en grandes briques se chevauchant. Après la prise du mortier maintenant les briques de ces entretoises, les planches P ont été enlevées, puis les cellules restant vides ont été remplies d'un blocage de tuf ou de pierre ponce et de mortier. Il est évident que si, à partir du niveau N, les maçons avaient dû bander une voûte de 0m,40 à 0m,50 d'épaisseur en briques ou moellons par le procédé ordinaire, c'est-à-dire en montant peu à peu les rangs de claveaux à partir de ce niveau N jusqu'à la clef, il aurait fallu des cintres de charpente et des couchis très-résistants; car, ayant atteint le niveau M de la voûte, la pression de la bâtisse sur le cintrage eût été très-considérable et aussi forte sur les couchis que sur les cintres eux-mêmes. D'ailleurs les cintres de charpente se dessèchent, jouent toujours quelque peu dans leurs assemblages, et conservent difficilement leur courbure pendant plusieurs semaines, s'ils sont coupés sur un grand diamètre. Le carrelage C devant être fait très-rapidement et formant à lui seul un cintrage, les cintres de charpente pouvaient, sous ce carrelage, se dessécher et se déformer sans inconvénients. Ils n'étaient plus maintenus en place avec leurs couchis, que comme un surcroît de précautions. On voit encore les traces de ce carrelage, simple ou doublé, dans beaucoup de voûtes romaines 385. Il recevait les enduits intérieurs qui adhéraient à sa surface au moyen des bavures du plâtre ou du mortier qui réunissait les briques posées à plat. Si la voûte était d'arête, le système employé était le même, et des arcs diagonaux de brique marquaient la pénétration des demi-cylindres.

Ces arcs diagonaux (fig. 2) ne pouvaient être posés à la fois dans les deux plans courbes, qui ne donnent un angle droit qu'à la naissance de l'arête. En effet, lorsque deux demi-cylindres se coupent à angle droit, on sait que l'angle de rencontre des courbes devient de plus en plus obtus à mesure qu'on s'approche du sommet ou de la clef de la voûte. Un arc de brique ne pouvait mouler cette forme, puisqu'il eût fallu autant d'angles différents qu'il y avait de briques dans une branche d'arc. Les constructeurs romains posèrent donc les cintres de charpente diagonaux suivant la ligne vraie de pénétration, puis ils placèrent sur la courbe des cintres des veaux de bois b (voyez en A), laissant entre eux, de distance en distance, des intervalles c de moins en moins profonds à mesure qu'on approchait du sommet de l'arc. Sur ces veaux le maçon posait alors l'arc diagonal perpendiculaire au plan diagonal (voy. en B). La section de cet arc est figurée par le carré efgh, les veaux comblant la différence ij, et le cintre étant en k. Dans les intervalles c, des briques doubles écornées étaient posées, ainsi que l'indiquent les trapèzes opqr, leur bord suivant la direction horizontale des deux cylindres. On obtenait ainsi la structure indiquée en E. Deux rangs de ces briques parallèles aux plans des voûtes permettaient de poser en l les planches qui (comme il a été montré dans l'exemple précédent) permettaient de bander les entretoises m formant le cloisonnage dans lequel on maçonnait les remplissages de blocage. Les saillies des briques espacées parallèles aux plans des voûtes servaient à tracer et à maintenir l'arête, faite en même temps que l'enduit. S'il s'agissait d'une coupole, ou les nerfs de brique formaient comme des côtes engagées dans la portion de sphère, ainsi qu'on peut le voir à la voûte du temple dit de Minerva Medica, à Rome, ou ces nerfs composaient une suite d'arcs en façon d'imbrication, comme dans la voûte de la petite salle ronde des thermes de Dioclétien.