Le plus haut ordre avec l’épée
Que Dieu ait fait et commandé,
C’est l’ordre de chevalerie
Qui doit être sans vilenie.
Chrétien de Troyes « Le conte du Graal »
Entre Nicosie et Saint-Hilarion, avant d’embarquer à Famagouste, à l’automne de l’an de grâce MCCCXLVII{xvi}.
Avant de nous rendre au festin royal auquel le roi Hugues nous avait conviés, le chevalier de Montfort me pria de l’accompagner en la chapelle de la Vierge, à l’intérieur de la cathédrale. Nous y brûlâmes trois cierges chacun. Nous récitâmes ensemble, à voix basse, plusieurs prières pour rendre grâce de nous avoir soutenus et secourus lors de la terrible épreuve que nous venions de subir.
Ayant fait le signe de la Croix sur ma poitrine, j’allais quitter la chapelle lorsque je crus voir, à la lumière dansante des cierges, les lèvres de la statue de la Vierge Marie s’ouvrirent tandis qu’une voix lointaine prononçait ces paroles émouvantes. Seule ma conscience profonde pouvait me les avoir dictés pour avoir douté de Lui en ce sinistre jour du samedi saint :
Tu ne crois plus avoir le temps de L’aimer ?
Il prend le temps de te L’offrir.
Tu crois ne plus avoir le temps de Le pleurer ?
Il garde le temps de te sourire.
Tu crois ne plus avoir le temps de Le trouver ?
Il domine le temps pour te chercher.
Tu crois avoir le temps de Le suivre ?
Il n’a plus le temps de vivre.
Tu crois avoir le temps de Le supplier ?
Il n’a plus le temps d’écouter.
Tu crois avoir le temps de L’adorer ?
Il ne l’a plus. Ses jours sont comptés.
Tu crois que le temps t’échappe et fuit ?
Tu as tort. Il accuse ta propre lâcheté.
Tu crois pouvoir cheminer sans Lui ?
Tu as tort. Il ne t’a jamais abandonné.
Tu crois avoir le temps de Le renier ?
Tu as tort. Il n’a plus le temps de te pardonner.
Et pourtant, tu as raison, pauvre mortel,
Car Son amour pour toi est éternel.
À la fin du banquet, les joues un peu rosies par ce trop bon vin de la commanderie, je sollicitai du roi Hugues la permission de rendre une visite courtoise à la princesse Échive. Il m’en parut surpris, mais il envoya un page lui faire part de ma requête et me pria d’attendre sa réponse. Le page revint quelque temps plus tard. Il se pencha vers le roi et lui chuchota quelques mots dans le creux de l’oreille.
Le roi me fit savoir que la princesse me recevrait avec plaisir, mais pas avant quinzaine. Elle était encore très lasse et trop affaiblie pour m’accueillir plus tôt. Je ne pus que comprendre et compatir. Je remerciai le roi et le saluai. En le priant de lui transmettre mes vœux et mes intentions de prière pour son prompt rétablissement.
Le lendemain matin, une fine nappe de givre recouvrait le sol. Elle fondit dès les premiers rayons du soleil. L’air, si doux la veille, était devenu vif et sec.
Pendant la nuit, j’avais revu Isabeau de Guirande. De pied en cap, mais en songe. Était-ce un heureux présage ? Je ne devais pas tarder à être fixé.
Deux semaines plus tard, je me rendis dans le quartier marchand de Nicosie pour recevoir la commande que j’avais passée à un orfèvre.
Le couvercle de la petite boîte ciselée d’or et d’argent était magnifique et le travail qu’il avait effectué était d’une finesse exquise. Le couvercle, lisse et brillant à l’origine, était recouvert d’émaux sertis et cloisonnés aux armes d’Isabeau de Guirande. J’avais remercié avec chaleur l’orfèvre pour la qualité de la composition et lui avais baillé le solde qu’il me restait lui devoir.
Aurais-je jamais l’occasion d’offrir ce présent à ma gente fée aux alumelles ? Et si je m’étais trompé sur ses armes, sur les champs ? Et si mes recherches avaient été vouées à l’échec, dès le départ, pour cette simple raison ? Un songe n’est qu’un songe, après tout. Je devais bien en convenir s’il me restait un tant soit peu de raison. Mais mon cœur se révoltait à cette idée.
Perdu dans mes pensées et dans la contemplation du précieux objet, je ne vis pas un page s’approcher de moi :
« Messire Brachet de Born ?
— Oui ? dis-je en sursautant.
— Pardonnez-moi de troubler votre méditation. La princesse Échive m’a prié de vous faire savoir qu’elle était disposée à vous recevoir. Elle vous propose de la rejoindre demain matin, vers sexte, pour le dîner. Elle se repose actuellement en la résidence d’été du roi. J’aurais grand plaisir à vous y accompagner, messire. Si tel est toujours votre désir ? »
Le page avait un doux visage d’adolescent, un léger duvet sous le menton. Il arborait la livrée des serviteurs des rois de Chypre et de Jérusalem. Je le priai de porter mon salut respectueux à la princesse, de lui dire que j’avais accueilli son invitation avec joie et que je m’y rendrai avec grand plaisir.
La résidence d’été se trouvait à près de sept lieues du palais royal de Nicosie. Nous convînmes de nous donner rencontre au palais avant de prendre ensemble le chemin de la forteresse de Saint-Hilarion, le page et moi.
Le soir même, le chevalier de Montfort m’informa avec dépit qu’il venait d’apprendre par le mestre-capitaine d’une nef marchande qui faisait escale dans le port de Limassol, que la Santa Rosa avait été victime d’une terrible tempête en mer de Crimée. Deux autres nefs naviguaient de conserve avec elle, la Santa Elisa et la Santa Lucia. Les trois navires s’étaient violemment abordés, causant moult avaries.
Ils ne seraient pas de retour à Chypre avant les feux de la Saint-Jean, après avoir franchi le détroit du Bosphore, au large de Constantinople, en mer Noire.
Leurs mestres-capitaines faisaient actuellement procéder à des réparations de fortune en le port de Constantinople, mais à leur arrivée ils devraient mettre les navires en cale sèche pour permettre aux maîtres charpentiers de procéder à des travaux de carénage. Les nefs ne pourraient donc probablement pas reprendre la mer avant le début des vendanges !
Lorsque je l’interrogeai sur l’éventuelle possibilité d’embarquer sur une autre nef, le chevalier me rappela qu’il avait baillé une forte somme pour assurer notre passage à bord et qu’il n’entendait pas armer une autre nef. Or donc, nous étions cloués sur l’île jusqu’à l’automne.
Après tout, nous pouvions profiter de la douceur du climat et aucune mie ni personne d’autre que le baron de Beynac ne nous attendaient en terre d’Aquitaine, me dit-il. Là, il se trompait en ce qui me concernait, mais je me gardais bien d’évoquer ma douce chimère, la fée inconnue de mon pays d’oc.
Quant à lui, je ne lui connaissais aucune compagne. Le chevalier de Montfort vivait comme un ascète. Il me sembla cependant fort contrarié par ce contretemps. Des raisons militaires, sans doute. Ou pécuniaires. Il devait avoir hâte de changer ses lettres pour se rédimer en bons écus d’or.
Je l’informai de l’invitation que la princesse Échive m’avait fait parvenir. Contrairement à toute attente, il me dit s’en réjouir. Il me pria toutefois de rester en grande vigilance. Il n’avait aucune envie de renouveler de sitôt son exploit lors d’une nouvelle ordalie. Et de jouter avec un autre chevalier de Sidon…
Je le rassurai sur mes intentions, on ne pouvait plus courtoises, et l’informait que le roi avait donné son accord. Il m’accorda quartier libre jusqu’à la fin de notre séjour. Arnaud assurerait pendant ce temps les menues corvées que son service exigerait. Sauf événement grave et imprévu. Je l’en remerciai vivement tout en l’assurant de mon dévouement.
L’imposante forteresse de Saint-Hilarion dressait ses mâchicoulis et son donjon sur la chaîne de montagnes du Kendadhaktylou. Elle surplombait l’anse de Kyrenia, un site splendide, un véritable paradis terrestre.
Un fort émeuvement me saisit la gorge lorsque je revis la princesse. Non que je fusse énamouré. La princesse Échive était d’une beauté brune, très levantine. Elle ressemblait plus à sa mère qu’à son père, sans en avoir la roide beauté. Mais son charme, sa douceur, son air altier et son léger accent du pays de Grèce me conquirent sur le champ.
Ses paroles étaient douces, ses yeux de jais savaient se montrer rieurs, ses gestes, délicats, ses sentiments agréablement discrets. Un parfum de jasmin et de roses sauvages flattait mes narines à chacun de ses mouvements et m’envoûtait plus sûrement que le vin de la commanderie hospitalière.
Je lui rendis des visites de plus en plus fréquentes et retournais de moins en moins souvent dans ma cellule monacale. La princesse avait fait mettre à ma disposition deux pages qui me servaient dans une chambre somptueuse située dans l’une des tours de la forteresse, à trente pas de son propre logis.
Le chevalier de Montfort déplorait seulement que je ne prisse plus le temps de disputer quelque partie d’échecs avec lui. Je lui suggérai d’initier Arnaud à ce jeu. Pour adoucir sa réclusion.
La princesse et moi parlions des heures ensemble. Parfois de sujets sans importance, parfois de sujets graves. Sans jamais évoquer, bien sûr, l’acte ignominieux dont elle avait été victime.
Nous apprîmes à nous connaître, à livrer notre cœur d’une façon toujours courtoise. J’avoue ne jamais avoir tenté ni même envisagé un geste déplacé contre son gré.
Nous évoquâmes la guerre qui sévissait en Aquitaine. Elle se montra fort curieuse de ses origines, des combats qui s’y déroulaient, des misères qui en résultaient pour le peuple de France.
Je lui narrais la seule bataille à laquelle j’avais participé. Je lui vantais la fougue du chevalier de Montfort qui tranchait les Godons en rondelles lors de l’assaut anglais dans les faubourgs de la Madeleine, près la ville de Bergerac.
Nous récitions des poèmes. Elle m’en apprit de forts beaux. Je lui en appris d’autres que j’avais composés ou que j’avais retenus en écoutant les nombreux troubadours qui venaient souvent les chanter en pays d’oc et qui étaient toujours accueillis avec grand plaisir par le baron de Beynac.
Elle me posa moult questions sur mon maître, sur les chevaliers, les écuyers, les pages qui résidaient au château de Beynac (je ne les connaissais point, le baron ayant simplement évoqué son intention de les soudoyer après notre départ), sur les bonnes gens des villages du Pierregord. Sur le temps qu’il faisait en ces contrées, sur les us et coutumes locaux, sur notre façon de vivre en ces temps troublés par la folie des hommes.
Nos sujets préférés demeuraient les poèmes, la musique et les chansons courtoises. Il nous arrivait souvent de nous accompagner au luth dont elle m’enseigna les rudiments, ou à la vielle. Il nous arrivait aussi d’esquisser quelques pas de danse, gente carole ou estampie endiablée.
Un beau jour, nous fîmes étalage de nos connaissances en matière de poésie courtoise. Je découvris, fort surpris, qu’elle connaissait le roman du Chevalier de la Charrette, de Chrétien de Troyes. Et toutes les œuvres de ce trouvère. Elle m’en récita plusieurs versets de mémoire.
Je ne résistai pas à la tentation de lui décrire en quelles circonstances, à la suite de quelles aventures, le baron de Beynac l’avait porté à ma connaissance et m’avait encouragé à le lire. Elle fut très émue par mon récit. D’autres souvenirs récents voilèrent son regard et assombrirent son beau visage d’un voile passager.
Nous disputâmes de nombreuses parties d’échecs dans la splendide librairie du château. De superbes psautiers, moult grimoires, des romans, des recueils de poèmes et de nombreux traités d’alchimie s’empilaient sur des étagères. À côté desquels ceux de la librairie du château de Beynac me parurent alors bien ternes et bien chiches en enluminures.
Elle jouait parfaitement aux échecs. Elle m’apprit des débuts, des milieux et des fins de parties que j’ignorais mais qu’elle avait elle-même disputés ou auxquels elle avait assisté, consignant sur un recueil de parchemins reliés entre eux les déplacements des pièces, les erreurs commises, les traits de génie.
Elle était passée maîtresse en cet art. Mais je parvins à gagner peu à peu les parties que nous disputâmes. Sans qu’elle en montre la moindre contrariété. Bien au contraire, nous étudions les coups et discutions de la stratégie.
Elle m’initia aussi à certains jeux où nous avions dans la main plusieurs cartes aux figurines tantôt élégantes, tantôt grotesques, représentant des valets, des dames, des rois, de cœur, de carreau, de trèfle et de pique.
Lorsqu’elle fut complètement rétablie des sévices qu’elle avait subis, nous chevauchâmes pendant des heures par tous les temps. Il est vrai que le temps était très clément et la pluie, peu fréquente.
À l’approche de la Saint-Jean, nous fûmes informés que les deux écuyers qui l’avaient forcée avaient été convaincus de culpabilité par les jugeurs de la Haute Cour. Ils seraient empalés en place publique, le lendemain même. Nous étions conviés au supplice.
Elle refusa tout de gob d’y assister, ce que le roi comprit et accepta de bonne grâce. N’avait-elle pas déjà dû supporter la confrontation avec les inculpés devant les jugeurs de la Haute Cour lors du procès en sodomie qui s’était déroulé à huis clos quelques jours plus tôt ?
Le comportement d’Échive changea soudain. Ses yeux se durcirent, ses lèvres se pincèrent, son enjouement s’évanouit Elle souffrait dans son corps et dans son âme. En souvenir de ce qu’elle s’était vue infliger. Ou pour d’autres raisons que je n’osais espérer. Des raisons plus chastes et plus pieuses.
En revanche, et bien que j’eusse décidé depuis longtemps de ne point assister moi-même à cette triste exécution si elle devait avoir lieu, le chevalier de Montfort me fit prier de regagner le monastère.
Nous dûmes ainsi nous séparer quelques jours, avec grande tristesse. Elle me fit promettre de revenir aussi tôt que possible. Si le chevalier de Montfort me le permettait. Je la rassurai et lui déclarai que seul notre embarquement me retiendrait loin d’elle.
Mais l’embarquement n’était pas prévu avant la période des vendanges. Elle s’apazima et me posa un baiser furtif sur les lèvres avant de disparaître dans son logis.
Le chevalier de Montfort leva la consignation d’Arnaud, le jour du supplice des écuyers. Foulques exigea, non sans cruauté, qu’il assistât à leur empalement. Pour lui servir de leçon, lui dit-il d’un ton sans réplique. Il m’en dispensa en revanche, si je ne souhaitais pas moi-même y assister.
Arnaud, à son retour, me parut désespérément joyeux. Il voulut me conter le supplice des deux malheureux écuyers, par le menu : le mécanisme qui permettait au treuil de libérer la descente des sièges, les cris effroyables que les suppliciés poussèrent lors de la pénétration des pieux dans leur cul, les hurlades de la foule en proie à une épilence collective, l’indifférence du bourreau…
Je l’interrompis séante tenante et le priai de s’accoiser. En lui précisant que j’avais déjà parfaitement imaginé, le jour de l’ordalie, toutes les horreurs dont il souhaitait faire étalage.
Je ne voulais pas ouïr plus avant les détails sordides et sanguinaires du supplice auquel nous avions échappé grâce au courage du chevalier de Montfort. Arnaud en parut surpris et contrit. Redressant le chef, il me morgua de haut :
« Je te croyais plus fort et plus courageux face à l’adversité, me lança-t-il, narquois, en m’affrontant.
— Face à quelle adversité ? Face au supplice de deux gentilshommes dont je ne sais, au demeurant, s’ils étaient coupables de ce crime ? répliquai-je tel un loup acculé.
— Tu sais bien qu’ils ont avoué !
— Sous la torture ! Oui, je le sais. Lorsqu’ils furent soumis à la question extraordinaire !
— Oui, bien sûr. Mais s’ils avaient été innocents, ils n’auraient point avoué !
— Arnaud, je te souhaite de ne jamais connaître les effets sur la chair et sur ton esprit des instruments utilisés par les tourmenteurs !
— Ah ? Parce que toi, les connais-tu peut-être ?
Je ne les connais pas. Pas plus que toi. Et pourtant, j’ai bien failli les connaître pour des crimes dont j’étais innocent.
— Il n’y a jamais de fumée sans feu. »
Je regardai Arnaud, interdit. Une telle réflexion de sa part me clouait au pilori. Je fus à deux doigts de lui balancer une claque. je le fixai. Je crus qu’il regrettait ses paroles. Il n’en était rien :
« De toute manière, tu as fait preuve de faiblesse, ce jourd’hui. Je te souhaite de ne jamais commettre récréance si la peur d’une issue fatale te saisit un jour face à l’adv… »
Cette fois, il n’eut pas le temps d’achever sa phrase. Sa tête bascula sur le côté sous la violence de la gifle que je venais de lui administrer :
« Ne m’accuse plus jamais d’être capable de récréance ! » éructai-je, la bouche agitée par un tremblement nerveux.
Je bloquai son poignet au moment où il s’apprêtait à me rendre la pareille. Il me fixa d’un regard noir et cruel, les yeux plissés en amandes, et glapit, le souffle court et haletant :
« Et toi, ne recommence jamais ! Sinon, sinon, je te… je te…
— Je te poignarde ? Je t’occis ? Aie au moins le courage d’achever tes phrases ! Distille ton venin, espèce de vipère ! »
Arnaud soutint mon regard un long moment. Puis il me tourna le dos et s’éloigna d’un pas décidé.
Lors du dîner pris en compagnie des frères, Arnaud fit bonne ripaille (la mangeaille était abondante) comme si de rien n’était, puis il regagna sa cellule sans nous attendre. La parole n’était pas autorisée pendant les repas.
Le chevalier de Montfort me jeta un regard interrogateur. Je haussai les épaules avec une moue dubitative. Je touchai la nourriture qui nous fut servie, du bout des lèvres, sans parvenir à en avaler plus d’une bouchée. Décidément, la qualité de nos relations chauffait la main et la joue, mais se refroidissait de jour en jour. J’étais fortement troublé, sans savoir comment y remédier. Une longue traversée nous attendait encore.
J’espérais profiter de cette occasion pour provoquer une explication et une réconciliation avec celui qui demeurait bien naturellement mon meilleur ami. Pour tenter de retrouver le chemin d’une amitié que je savais forte et inaltérable, quelle qu’ait été la violence de certains de nos propos. Quels que soient les accidents du parcours.
Le soir même, je regagnai la forteresse de Saint-Hilarion à brides avalées, jusqu’à ce que je fusse parvenu à l’approche des contreforts montagneux.
Durant tout l’été, la princesse Échive et moi parcourûmes au pas, au trot ou au galop, d’immenses champs où, après les fenaisons, le blé venait d’être moissonné. Nous ne nous quittâmes plus. Parfois nous attachions nos chevaux pour nous promener à pied à travers les champs d’oliviers, la main dans la main.
Un beau jour, elle décida de m’apprendre à nager ! Je n’en crus pas mes oreilles : elle savait se mouvoir sur l’eau, sans couler à pic !
Nous nous rendîmes dans la baie de Kyrenia où le sable était chaud et doré. Nous étions seuls, à l’abri de regards indiscrets. Elle se dévêtit sans aucune pudeur, et m’invita à en faire de même. Alors que j’hésitai, fort gêné, elle me rappela que tous les hommes et toutes les femmes étaient faits de la même manière par le Bon Dieu.
De la même manière, oui, enfin à quelques différences près tout de même… pensais-je in petto, en contemplant ses mamelles lourdes et charnues, ses fortes hanches, ses fesses callipyges, sa taille fine. Isabeau de Guirande serait-elle aussi belle ?
Ses cheveux, lorsqu’elle les dénoua, lui tombèrent jusqu’au bas du dos. Ses jambes, ses bras, ses poignets et ses chevilles, sans être d’une fragile finesse, étaient en parfaites proportions avec l’ensemble de son corps.
Mon regard découvrit avec fascination un discret triangle noir et soyeux qui fleurissait sous son nombril, au pli de ses cuisses.
J’avais déjà soupçonné l’existence d’une pilosité étonnante à cet endroit lorsque je m’apprêtais à m’emmistoyer avec ma jolie Marguerite, ma petite lingère, sans avoir pu jouir pour autant par la vue de cette particularité-là. Je découvris ce jour qu’elle était d’un attrait terriblement charnel et excitant.
En constatant la spectaculaire montée en puissance de l’instrument que je portais naturellement entre mes jambes, je tentai incontinent de cacher cette vigueur juvénile et monstrueuse de mes mains. Je n’y parvins pas complètement.
Elle y jeta un coup d’œil distrait, puis s’esbouffa en disant que l’eau me rafraîchirait les esprits. Joignant le geste à la parole, elle me prit le bras, puis la main, m’obligeant à découvrir ainsi ce que je tentais désespérément de cacher. Et elle m’entraîna dans l’eau en courant.
Emporté par son élan, je trébuchai et m’étalais tout du long avec un “plouf !” magistral, en l’éclaboussant de toutes parts. Elle rit, battit des mains, rugit comme une lionne et m’entraîna plus avant jusqu’au moment où l’eau me parvint à la hauteur du torse.
La mer était agréablement tiède comparée à mon corps en ébullition. Mais trop chaude pour dégonfler une ardeur incontrôlable et honteuse. Je bus la tasse. Six fois de suite. L’eau salée m’étouffa et me fit violemment toussir. Mon instrument se recroquevilla dès lors rapidement. Je tentais de me maintenir à la surface. Je battis des mains, des jambes, des bras, me débattis dans l’eau, coulai, toussis, crachai, retoussis, recrachai, récidivai. Elle riait à geule bec.
Avec un cri de joie, je réussis enfin à faire quelques brasses sans couler. Elle m’apazima et me conseilla des mouvements plus lents. L’eau salée de la mer portait mieux le corps que l’eau de rivière, me dit-elle. Elle était non seulement belle. Elle était savante.
Elle m’apprit, à partir de ce jour, moult façons de se déplacer dans l’eau que j’ignorais : sur le ventre, sur le côté et sur le dos. Elle m’avoua se livrer à cet exercice pendant les six mois de l’année. Lorsque la mer était calme et suffisamment chaude. Bien réchauffée par le sable et le soleil. L’eau purifiait le corps et l’esprit, me dit-elle non sans malice.
De longs mois de calme et de bonheur s’écoulèrent ainsi pendant lesquels je jouissais de son corps dénudé et de son esprit délié sans jamais effleurer l’un ou choquer l’autre par quelque geste ou par quelque propos déplacé.
Je pensai au jour où, par la grâce de Dieu, il me serait permis de mignonner le corps d’Isabeau de Guirande. Après l’avoir longtemps muguettée. Avant de la marier.
Un beau soir d’été, au retour d’une après-midi que nous avions passée sur la plage de Kyrenia, nous bûmes, contrairement à nos habitudes, une demi-pinte de vin de la commanderie avant le souper.
L’esprit quelque peu échauffé, j’osai lui montrer le minuscule coffret que j’avais acquis et qu’un orfèvre de Nicosie avait finement ouvragé. Nous avions décidé d’utiliser le tutoiement lorsque nous étions seuls. Et nous étions seuls la plupart du temps.
« Ne trouves-tu pas que le travail de cet orfèvre est de belle tournure ? lui demandai-je non sans inquiétude.
— Cette boîte est un petit chef-d’œuvre ; elle est admirablement ciselée et les émaux sont remarquablement champlevés et cloisonnés », me dit-elle après l’avoir prise entre ses doigts et l’avoir longuement et attentivement examinée sous tous les côtés.
« Tu as de la chance. Bien des artisans n’offrent que de la clicaille. Les chalands de passage à qui ils proposent leurs soi-disant chefs-d’œuvre ont rarement cette finesse et cette qualité. Ce sont plus souvent des objets en ferblanterie qu’ils cèdent à un prix exorbitant. À prix d’or. Tu es bien tombé. Ton jugement est sûr. »
Peu expert en orfèvrerie, je m’en réjouis vivement. Échive observait le couvercle avec grande attention, les sourcils froncés.
« De qui sont ces armes ? me demanda-t-elle, les sourcils froncés. Car il s’agit bien d’un blason armorié, n’est-il pas, Bertrand ?
— Tu as raison. Ce sont les armes d’Isabeau de Guirande, répondis-je, un peu gêné.
— Ces armes ne sont pas celles de ta famille, me déclara-t-elle avec malice en me prenant la main et en montrant le sceau qui figurait sur ma bague. Seraient-ce les armes d’une mie que tu muguetterais en pays d’oc ?
–……
— Veux-tu me parler d’icelle à qui tu destines un aussi beau présent ? Ou préfères-tu garder le silence ? Si tel est le cas, sache que je le comprendrais et le respecterais. Et ne t’en voudrais point, Bertrand. Nous avons tous quelques secrets enfouis au plus profond de notre jardin que nous ne souhaitons révéler à quiquionques.
— Oui, tu as raison. Ce sont les armes d’une gente damoiselle à qui je voue un grand amour. Isabeau de Guirande. »
Elle vit mon regard se voiler et mes traits se fermer. J’hésitai un instant, puis lui en livrai l’histoire.
Je lui racontais tout. Le songe que j’avais fait, en plein hiver, deux ans et demi plus tôt, mes recherches demeurées vaines, les quolibets d’Arnaud et bien d’autres choses que je croyais enfouis dans ma mémoire et qui se déversaient à présent comme un torrent boueux dans une rivière, en plein hiver, par temps de crue.
À la différence d’Arnaud, elle ne sourit pas, ne se moqua pas de mes chimères. Bien au contraire, elle m’écouta avec gravité sans m’interrompre à aucun moment.
Lorsque j’eus achevé mon récit, à bout de souffle, la gorge sèche (il est vrai que je clabaudais comme un vrai moulin à paroles), elle me resservit elle-même un godet de vin, me prit la main et me posa la seule question d’importance :
« As-tu songé à interroger le héraut qui a présenté les chevaliers lors… lors de l’ordalie ? Il voyage parfois en pays d’oc. » Je marquai le coup. Comment n’avais-je pas pu y penser ? Sur des terres si lointaines, l’idée ne m’était pas venue à l’esprit.
Surtout eu égard aux circonstances dans lesquelles j’avais fait la connaissance du héraut d’armes. Or donc, fallait-il que le service que je devais au chevalier de Montfort m’ait conduit en ces terres lointaines pour que je reçoive réponse à la question qui me hantait de façon lancinante depuis plus de deux ans ? Alorsqu’en la baronnie de mon maître, on ne n’avait opposé qu’arrogance, mépris ou simple mutisme dans le meilleur des cas ?
Échive connaissait peu de choses en matière de science des blasons. Elle requit de deux pages portant la livrée du roi Hugues, qu’ils se rendent sans attendre à la commanderie hospitalière de Châtel-Rouge pour solliciter une audience auprès du héraut d’armes.
Dès le lendemain, les pages nous apprirent que le chevalier hospitalier, avec qui nous souhaitions prendre langue, avait présentement accompagné le commandeur pour se rendre près le nouveau grand maître de l’Ordre, en l’île de Rhodes. Ils ne seraient pas de retour avant trois bonnes semaines. Décidément, ces moines-soldats voyageaient beaucoup, pensai-je.
Un mois plus tard, le héraut d’armes, ce chevalier de l’Ordre de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem qui avait dirigé l’ordalie, était de retour à Châtel-Rouge en sa commanderie hospitalière. Il nous fit savoir par un chevaucheur qu’il nous recevrait bien volontiers le surlendemain vers sexte, la princesse Échive et moi.
Le jour venu, je demandai à ma princière mie si elle ne verrait point ombrage à ce que je revêtisse mon surcot aux armes de mon maître, le baron de Beynac. Il n’était point dans nos usages de se présenter en simple pourpoint.
Je vis son visage se fermer au souvenir de ce que ces habits représentaient pour elle dans le logis où elle avait été violentée. Ils avaient bien failli coûter la vie de trois innocents aussi.
Je lui affirmai avec tendresse que, si elle devait y voir quelque souffrance, je ne le revêtirais point. Son visage s’adoucit. Elle m’en remercia et me dit :
« Le chevalier de Montfort a arboré ses propres armes, le jour du jugement de Dieu. Et non celle de son suzerain. Arbore donc les tiennes !
— Mais, m’amie, je n’ai point de cotte à mes armes ! »
Échive s’éclipsa un instant, puis revint avec deux pièces de tissu dans les bras.
« En voici, mon doux ami : j’ai fait confectionner icelles par mes lingères, le mois dernier », me précisa-t-elle en dépliant et en me tendant deux surcots magnifiques. Mes armes étaient brodées avec d’élégants fils de soie sur une solide trame dans le caslin le plus pur, sobrement, sans fioriture, d’une couleur écarlate du plus bel effet.
J’en fus terriblement confus et ne sus comment la remercier Je l’accolai. Elle me prit la tête dans les mains, se hissa sur la pointe des pieds et m’offrit un nouveau présent.
Nos lèvres se collèrent l’une à l’autre, sa bouche s’entrouvrit, son ventre se pressa contre le mien. Nous échangeâmes un tendre baiser pendant lequel nos langues s’effleurèrent un trop bref instant.
Lorsqu’elle sentit se roidir à son contact une partie intime de mon personnage, elle s’écarta aussitôt, me repoussa doucement et me pria de revêtir l’une des cottes d’armes qu’elle venait de m’offrir. Incontinent et devant elle. Sinon elle se fâcherait, me dit-elle en riant.
Je m’exécutai, le geste gauche, fortement troublé. Sans savoir si mon trouble provenait du somptueux présent dont elle venait de me gratifier, du contact charnel de son corps souple, de la douceur de sa bouche ou de la fragrance entêtante de ce nouveau parfum de musc et d’Alep dont je humais les effluves Ou des quatre à la fois.
« La mesure et la confection en sont parfaites, me confirma-t-elle en s’écartant pour admirer le travail de ses lingères. Le blason armorié est-il fidèle ?
— La copie en est parfaitement conforme. Comment as-tu pu en retenir les détails alors que tu m’avouas, il y a quelques jours, ne rien savoir de la science des blasons ?
— Je l’ai observé attentivement sur le sceau que tu portes à ton annulaire, mon doux ami.
— Mais il est en or ! Les couleurs n’y sont représentées que par des symboles d’héraldique. Comment as-tu réussi à faire reproduire d’aussi belles armes ?
— J’ai dû prendre quelques conseils auprès de mon entourage… avant d’ordonner ce travail de broderie.
— M’amie, ce travail est émerveillable. Mais je n’en suis pas digne. Sais-tu que seuls, les chevaliers peuvent arborer leurs armes sur leurs surcots ?
— Je me suis renseignée sur ce sujet aussi. Tu as tort. Bien des gentilshommes les portent, en Orient et en Occident, sans avoir été armés chevaliers. Certes, tu ne les porteras pas quand tu seras à nouveau au service de ton baron. Peu importe d’ailleurs, je sais que tu seras armé chevalier, me déclara-t-elle soudain d’un ton péremptoire. Tu le seras avant cinq ans ! Mais pas par qui tu crois. »
Cette fois, je gloussai comme une oie bien gavée, puis ris à gueule bec :
« Comment peux-tu en être aussi sûre ?
— J’ai fait un songe dont je ne t’ai point parlé. Je lis souventes fois l’avenir. Ils se réalisent toujours. Ils sont parfois tristes. Icelui est heureux. Ne me pose pas d’autres questions, s’il plaît à toi. »
Armé chevalier avant cinq années ! Je n’en crus pas un mot, mais me gardais bien de le lui dire. Et pourtant l’avenir devait lui donner raison. Je serai armé chevalier avant cinq ans. Pour grande vaillance et grands faits d’armes. En présence de moult magnifiques chevaliers. Comment aurais-je pu imaginer ce jour ce qui n’arrivait qu’à d’aucuns écuyers ? Mes pensées s’assombrirent lorsque je songeai aux débours qu’un adoubement occasionnerait. Je n’étais qu’un pauvre gentilhomme sans fortune.
Les deux nuits qui précédèrent notre visite au héraut d’armes de la commanderie hospitalière, je ne pus trouver qu’un sommeil fort agité. Je me tournais et me retournais entre mes draps de soie. Les chances de retrouver Isabeau tenaient à un fil. Un fil de soie. Un fil que j’avais été tenté de rompre à moult reprises. Sans y parvenir.
Je voyais en songe la princesse Échive de Lusignan me tendre la main pour me présenter à Isabeau de Guirande. Le chevalier Gilles de Sainte-Croix bénissait notre mariage avant d’être lâchement occis par… par… Non, ce n’était point imaginable ! Un rêve peut aisément virer au cauchemar.
« Vous dites, messire Brachet : d’argent et de sable, écartelé en sautoir, le chef et la pointe partis ? N’avez-vous pas eu l’occasion d’interroger le baron de Beynac ? » me questionna le héraut de la commanderie.
Il fit preuve de délicatesse en semblant ne pas reconnaître, sous ma nouvelle cotte d’armes, le jeune écuyer dont l’allure était moins fière, un certain jour. Le samedi saint, veille du dimanche de Pâques.
« Non, messire, murmurai-je d’une voix mal assurée.
— Vous en êtes-vous ouvert au chevalier de Sainte-Croix ?
— Que nenni, messire. Au moment où j’envisageais de le faire, ce noble chevalier a été occis par traîtrise. En la chapelle de votre maison forte, à Cénac », avouai-je en me gardant bien de narrer les accusations qui pesaient sur moi lorsque je fus soupçonné d’avoir commis ce crime.
« Messire Brachet, je connais ces armes. Le baron de Beynac les connaît aussi, bien sûr. Il pourra vous renseigner lui-même. S’il le désire », trancha-t-il sèchement.
L’entretien était clos. Il s’était à peine mieux déroulé qu’au château de Castelnaud. Le chevalier nous servit lui-même de ce vin de la commanderie qu’un échanson venait d’apporter sur un plateau dans une aiguière de cristal au bec d’argent.
Je trempai le bout des lèvres dans la coupe qu’il m’avait tendue, bien qu’il fût d’une autre qualité que la pisse de chat dont j’avais gardé un sinistre souvenir. J’eus un malaise. Une sorte de d’étourdissement, de vertigine.
Le chevalier me pria de prendre place séant sur un faudes-teuil à dossier haut. Échive m’aida à l’atteindre. Ainsi, le baron de Beynac, mon maître, savait à qui appartenaient ces armes. Il savait certainement aussi où résidait la famille d’Isabeau de Guirande.
Trente mois de recherches folles et infructueuses. Pour apprendre que les réponses à mes lancinantes questions étaient connues de la seule personne que je n’avais jamais osé questionner, messire Fulbert Pons de Beynac, mon compère !
Certaines paroles du baron de Beynac me revinrent en mémoire. Celles qu’il avait prononcées la veille de notre départ pour la bastide royale d’Aigues-Mortes : “Un jour viendra où tu auras réponse aux questions que tu te poses… Un temps pour tout. L’heure n’est pas encore venue. Elle viendra bientôt. Probablement plus tôt que tu ne le penses. La patience est la fille de la sagesse, messire Brachet !”
Le baron devait savoir qui je cherchais. Il devait savoir où résidait la Dame de cœur. Ma gente fée aux alumelles. Celle que j’avais vue apparaître dans un songe, par une nuit enneigée en plein hiver de l’an de grâce 1345, à cinq jours des ides, le 8 janvier.
Accepterait-il pour autant de m’apporter réponses ? Les réponses étaient là, debout, devant moi. Sous un surcot à la croix de sable, symbole de l’Ordre de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem.
Mais le héraut d’armes s’accoisait. Il ne manifestait aucunement l’intention de me révéler sa science. Je devrai encore patienter de longs mois pour espérer des réponses qui ne me seraient certainement pas données.
Le chevalier Gilles de Sainte-Croix connaissait aussi la réponse. Sa vie aurait-elle été écourtée pour cette raison ? Qui « donc aurait pu avoir si grand intérêt à occulter ce secret ? Au point de verser le sang ? Au point d’occire lâchement un aussi grand chevalier ? Un homme aussi bon ?
Une seule chose était sûre : ma fée aux alumelles prenait vie. Quelque part. Plus exactement, ses armoiries existaient bel et bien. Mais lui appartenaient-elles ? Étaient-elles portées par ma haine de cœur ? Existait-elle en chair et en os ? Les idées se bousculaient dans ma tête.
La princesse de Lusignan s’approcha du chevalier hospitalier. Ils échangèrent des paroles à voix basse. Perdu dans mes pensées, je n’y prêtai qu’une attention distraite. Au bout de je ne sus combien de temps, quelqu’un s’adressa à moi. Je relevai le chef, surpris :
« Messire Brachet, la princesse Échive me prie de vous faire connaître la vérité. Elle m’a dit quel gentilhomme vous êtes. Par la grâce de son intervention en votre faveur et pour lui être agréable, je puis seulement vous dire ceci : les armes de celle que vous recherchez avec une telle opiniâtreté, sont arborées par une des branches cadettes de la famille des Guirande. Une famille qui vient de l’Albigeois et qui connut bien des malheurs. Ces armes sont portées par une orpheline, Isabeau de Guirande.
« Le chevalier de Sainte-Croix la connaissait. Malgré son jeune âge, elle l’a souvent accompagné dans les maladreries qu’il visitait, dans le service qu’il vouait aux lépreux. Au décès de ses parents, elle fut recueillie par sa tante, dame Éléonore de Guirande.
« Elles vivent, l’une et l’autre au château de Commarque qui, ainsi que vous ne pouvez l’ignorer, est l’un des fiefs du baron de Beynac. Je vous prierai, messire, de ne jamais révéler quiquionques de qui vous tenez ces informations. Votre parole d’écuyer me suffira », conclut-il.
Un coup de tonnerre éclata dans mon crâne. Je ne saurai décrire les sentiments que j’éprouvais alors, tant était grand mon émeuvement. Nous nous contentâmes de remercier le chevalier hospitalier pour la noblesse de son geste, lui promîmes le secret et prîmes congé incontinent.
Ainsi ma gente fée aux alumelles, Isabeau, existait en chair et en os. Elle logeait au château de Commarque ! À trois ou quatre lieux de la forteresse de Beynac ! Dans la vallée de la Beune ! Isabeau de Guirande était décrite comme étant, en outre, de grande vertu.
Je ne m’étais jamais rendu en ces lieux. Si ce n’était en songe, par une nuit d’hiver. Et lors des leçons que Marguerite m’avait données dans les cavernes de la vallée de la Beune.
Nous étions parvenus à Saint-Hilarion à la tombée du jour Nous avions chevauché en silence. Des pensées contradictoires se bousculaient dans ma tête au point que je réalisai que je n’avais toujours pas remercié la princesse pour son intervention insistante auprès du chevalier hospitalier.
Sans elle, j’eus dû attendre encore longtemps pour connaître la vérité. Quelques fragments de vérité, essentiels à mes yeux. Je lui pris les mains avec affection, les serrai dans les miennes. Ses yeux brillaient d’un éclat inhabituel.
« Grâce à toi, je sais maintenant. Je sais que ma quête n’avait rien d’une chimère. Une fois de plus, je te dois tant, m’amie ! Pourquoi n’ai-je pas rêvé de toi, cette nuit-là ? Pourquoi mon cœur est-il pris par cette inconnue ? Tu es grande princesse et damoiselle émerveillable. Jamais de ma vie je ne pourrais m’acquitter de mes dettes envers toi, m’amour.
— Chut, ne prononce pas ces mots et détrompe-toi. Le jour viendra où tu songeras à moi.
— Serait-ce le fruit d’un autre songe ? lui demandai-je en souriant. Ne serais-tu point un peu fagilhère ?
— Un peu sorcière ? Est-ce bien là le sens de ce mot en votre langue d’oc ? J’opinai du chef. Peut-être, peut-être… Sait-on jamais ? insinua-t-elle, non sans équivoque. Carpe diem.
« Sache profiter de l’instant présent, comme moi. Ton parcours guerrier et courtois ne fait que commencer. Un temps pour tout. Réjouis-toi et ne te pose pas des questions si tu ne peux répondre à icelles. Tu as tout pour être heureux. Jouis de ton bonheur. »
Du bonheur, j’en avais plein la tête. Sans parvenir à en jouir. Le baron de Beynac permettrait-il que j’en jouisse un jour, dans quelques mois ? Ou y ferait-il obstacle ? Trop de doutes, trop d’incertitudes, trop d’impatience me hantaient pour que je fusse en état de crier ma joie.
Le temps des vendanges approchait. L’heure du départ aussi. Je me laissai bercer par une douce mélancolie. Tantôt j’avais hâte de regagner ma terre natale, tantôt je redoutai le moment de notre séparation. Sans esprit de retour.
Le temps était plus doux, les soirées plus courtes, et les parfums qui se dégageaient de cette terre d’Orient, moins enivrants, plus délicats. Mais mon esprit vagabondait sur d’autres terres. Des terres aux senteurs inconnues.
« À quoi penses-tu, mon doux ami ?
— Au temps qui passe, m’amie. Au moment où je devrai te faire mes adieux. La mort dans l’âme.
— Je pensais t’avoir appris bien des choses. Viens et suis moi avant que le jour ne tombe. Tu vas découvrir la baie de Kyrenia comme tu ne l’as encore jamais vue. »
Après avoir attaché nos montures, nous nous dirigeâmes vers la plage sablonneuse, lentement, par un raidillon très escarpé Sans éviter pour autant les cailloux qui glissaient sous nos pieds.
Le soleil se coucherait bientôt. Il caressait le sable, d’or et de pourpre, découpait les cyprès et, plus haut, plus loin, la forêt de pins d’Alep qui surplombaient la baie. La mer était d’huile. Pas une vaguelette ne léchait notre plage. Le temps avait suspendu son vol.
Nous nous dévêtîmes avant de nous avancer dans l’eau. Elle était un peu fraîche, ce soir. Nous fîmes quelques brasses vigoureuses, puis Échive me prit la main et me guida vers une petite anfractuosité dans le rocher.
Le sol était recouvert d’une épaisse couche d’un sable très fin. Les abords de la grotte étaient illuminés de tous les feux du soleil couchant. Une légère odeur d’herbes séchées s’en dégageait.
Seuls, quelques oiseaux chantaient. Le reste n’était que silence. Pas même le bruit d’un ressac. Cette fois enfin, je jouissais pleinement de l’instant présent. Je sentais ma respiration soulever ma poitrine de plus en plus régulièrement, de plus en plus calmement.
En peu de mots, la princesse Échive m’invita à m’allonger sur le dos. Je fermai les yeux, m’étirai pour mieux sentir le sable étonnamment chaud mouler mon corps dénudé et mouillé. J’ouvris les yeux.
« Garde les yeux fermés ! » m’ordonna-t-elle. Je lui obéis Quelques grains de sable se collèrent sur mes jambes.
« N’ouvre point les yeux pour l’amour de moi et du Ciel, me chuchota-t-elle. Promets-le-moi ! Laisse-moi bercer ton cœur. » Je lui souris, paupières closes. Elle me prit les mains dans ses paumes encore fraîches et les appliqua tout à plat contre ma tête
« Ne bouge plus à présent. Surtout, ne bouge plus, mon doux ami. »
Une onde de chaleur envahit mon corps lorsqu’elle se pencha sur ma poitrine pour me mordiller doucement le lobe de l’oreille et déposer de petits baisers sur mes lèvres, sur mon col, sur mon torse, puis plus bas sur mon ventre dont tous les muscles se bandèrent incontinent.
Tel un ruban de soie caressé par la brise, je respirai son souffle sur moi, doux, chaud et terriblement charnel.
Sans les voir, je sentais les pointes humides et dures de ses tétines, tantôt effleurer et glisser sur ma poitrine, tantôt s’y abandonner tandis que ses genoux s’enfonçaient dans le sable de part et d’autre de mes hanches. Le contact de ses jambes le long de mes cuisses, le toucher de sa peau satinée enflammèrent mes senS à la vitesse de la foudre.
Ma respiration s’accéléra. Mon cœur battit de plus en plus fort. J’ouvris la bouche, les yeux toujours fermés. Je sentais à présent ma poitrine se soulever et se relâcher en un mouvement de plus en plus rapide.
Elle m’étreignit les mains, les serrant de plus en plus fort. Elle se pencha pour me rappeler ma promesse de ne pas ouvrir les yeux avant qu’elle ne me l’ordonnât. Je hochai la tête en signe d’acquiescement. Elle posa sur mes lèvres un nouveau baiser. Pour me remercier du plaisir immense qu’elle me donnait.
Puis je sentis, à la pression de ses mains, qu’elle s’était redressée au-dessus de moi. Son corps m’effleurait à peine. Il ondulait à présent, me caressait avec lenteur, exacerbait mes sens, embrasait mon esprit.
Des vagues de plaisir me submergeaient de la tête aux pieds. Cloué au sol, je planai dans l’air plus sûrement que sous l’effet de quelque plante hallucinogène que le barbier de Beynac savait administrer à ses sujets les moins calmes. Je n’avais pas encore eu le triste privilège de bénéficier de sa farmacie, mais j’éprouvais céans une bouleversante jouissance.
Sous mes paupières toujours closes, je devinais, par un jeu d’ombres et de lumières, ses tétines se balancer au rythme d’une danse étrange et envoûtante. Le feu dévorait mon corps sans que je ressentisse la moindre morsure. Ma douleur était d’une tout autre nature.
Ses cheveux, qu’elle avait dû rejeter en arrière après qu’elle m’eût ordonné de clore les yeux, effleuraient à nouveau ma poitrine plus délicatement qu’un duvet d’oie.
Ma tête oscillait de tous côtés. Je commençais à haleter.
Après un long moment qui n’en finissait pas et qui me parut pourtant trop court, l’une de ses mains abandonna la mienne. Ses doigts glissèrent sur mon corps avec lenteur, de plus en plus bas, avant de se refermer sur ma virilité pour me guider en elle avec douceur et précision.
Au contact de la partie la plus intime et la plus douce d’elle-même, je me raidis aussi violemment que si j’avais été frappé par la foudre. Mes reins se soulevèrent puissamment pour tenter de pénétrer plus profondément ses chairs les plus douces.
Elle poussa un petit cri et me rappela d’une voix blanche et rauque que je ne devais ni agir ni ouvrir les yeux. Mais la laissa faire. Elle dominait la situation et entendait en garder maîtrise pour notre plus grand plaisir.
Si je me cambrais trop rapidement, elle relevait légèrement son bassin puis replongeait sur moi, lentement, très lentement. J’étais sur les rives d’une jouissance charnelle que je craignais de ne pouvoir maîtriser encore longtemps.
Par sa patience, elle sut ralentir mes pulsions, me calmer, réveiller mon ardeur, m’apazimer à nouveau pour me porter au bord du gouffre et m’entraîner toujours plus près d’un abîme de délices.
Jusqu’au moment où je sentis sa respiration s’accélérer, ses muscles intimes se contracter et se relâcher. Son bassin plongeait, remontait, plongeait, se retirait à nouveau, puis replongeait de plus en plus profondément, de plus en plus rapidement. Je l’entendais gémir et haleter.
À l’instant précis où son corps fut parcouru par une série de spasmes violents, un éclair éblouissant me déchira les reins, me traversa les yeux. Des étoiles scintillèrent puis illuminèrent mes paupières. Je connus sur l’heure les délices d’une petite mort.
Son corps s’arc-bouta contre le mien. Elle poussa un feulement rauque et prolongé. Je hurlai mon plaisir. Dès lors nous ne fîmes plus qu’un, ococoulés l’un contre l’autre, l’un dans l’autre.
Nos corps ondulèrent encore longtemps à l’unisson. De plus en plus doucement. Lorsque j’ouvris les yeux à son invitation, ses cheveux inondaient ma poitrine. La princesse de Lusignan me souriait béatement.
Elle m’avait tout donné pour ne prendre que mon pucelage et m’offrir le sien. Avec grande et magnifique adresse : le petit cri qu’elle avait poussé lorsque j’avais déchiré ses chairs, le sable qui avait rougi sous mes fesses…
Je venais de découvrir ce jour-là ce qu’était le plaisir charnel. Et je pris conscience que, pour l’atteindre, certains êtres sans foi ni loi pouvaient être capables de se comporter comme des bêtes sauvages. Sans chercher à le partager.
« Tu ne seras pas venu à Chypre pour rien. Te rends-tu compte de tout ce que tu as vécu ? De tout ce que tu as appris ? Toutes ces expériences nouvelles devraient te servir. La dernière aussi : tu n’en seras que plus adroit avec Isabeau… me dit-elle, enjouée, en me fixant de ses yeux de jais aux pupilles dilatées. Il y a tellement de cuistres et des rustres en ce bas monde ! »
Le jour de notre séparation, le roi Hugues venait d’ordonner le banvin. Nous nous rendîmes dans les somptueuses écuries du château. De nombreux valets s’y affairaient.
Certains étrillaient des chevaux plus racés les uns que les autres, d’aucuns remplissaient les abreuvoirs, d’autres encore changeaient la paille de leurs litières, leur apportaient de grandes brassées de foin ou remplissaient leurs mangeoires d’avoine.
Un palefrenier s’avança. Il tenait à la longe un superbe étalon noir. Un pur-sang arabe, me précisa-t-elle avant de me chuchoter a l’oreille :
« Il est à vous, messire Bertrand. Je vous l’offre (nous étions convenus de nous vouvoyer en présence d’autres gens).
— M’amie, je ne puis accepter pareil cadeau. Vous m’avez déjà comblé. C’est là présent royal que je ne puis recevoir.
— Ne soyez point chattemite, messire Bertrand. Refuser un présent princier serait commettre grande chatonie. Vous pourriez navrer votre donatrice et susciter son ire royale. N’avez-vous donc pas appris ce qu’il pouvait vous en coûter à l’affronter ?
— Vous êtes émerveillable, m’amie, mais vous m’emburlucoquez toujours ! Ne craignez-vous pas que le chevalier de Montfort ou le mestre-capitaine refusent de faire monter ce superbe étalon à bord ?
— Restez quiet, messire Bertrand. J’ai déjà réglé ces menus détails. Il sera emmené à bord avant votre embarquement Prenez-en grand soin. Prenez garde toutefois. Il est haut à la main. Il n’a que deux ans et n’a guère été travaillé à la longe. Il n’est point débourré. Faites-lui servir de l’orge cuite et des graines de lin avant de le monter. Ce mélange de fagilhère rafraîchit les chevaux trop fougueux, me dit-elle, l’air fétot.
« Mais vous êtes un cavalier averti. J’ai pu en juger. En vérité, vous ne courrez qu’un risque : celui de susciter la jalousie de votre compain Arnaud. Je doute que la jeune Raïssa ne l’ait gratifié d’autre chose que de quelque maladie honteuse… »
Elle me sourit tendrement et me déclara tout de gob que l’affaire était entendue. Je lui posai une délicate poutoune sur la joue et la priai instamment de me dire de quel présent pourrais-je la gratifier.
Elle éclata de rire : « Messire Brachet, je suis de sang royal mais n’attends rien en retour. Je suis certes la fille de mon père mais n’en partage pas toujours les exigences pour autant ! »
Le soir même, nous regagnâmes la librairie qui jouxtait son logis et je grattai moult parchemins pour lui offrir finalement le seul présent que ma bourse me permettait de bailler : le texte de tous les poèmes que je lui avais récités ou chantés pendant qu’elle m’accompagnait de son luth ou de sa vielle.
Après bien des hésitations, je ne lui en remis qu’un seul. Celui qui l’avait le plus émue, un certain soir :
Ô vous tous chevaliers des temps jadis,
Vos cœurs ne sont point froids, ils vivent encore.
D’outre-tombe, ramenez-nous le divin calice,
Quand vos bras se lèvent, le vent souffle plus fort.
Ô vous tous chevaliers des temps jadis,
Vous qui savez le silence du désert,
Dites-leur de se battre pour la lumière
Et que vivre sans amour est un supplice.
Ô vous tous chevaliers des temps jadis,
Dites-nous si un homme peut vivre heureux
Sans ces cercles de feu qui dansent dans vos yeux ?
En armure de chair, revenez seuls contre dix.
Ô vous tous chevaliers des temps jadis,
Vos châteaux sont ruines, mais l’esprit demeure
Dans ces temples intérieurs que sont nos cœurs.
En armure de chair, revenez seuls contre dix.
Elle s’approcha de moi et me posa sur les lèvres un baiser d’une exquise délicatesse..
« Bertrand, le cadeau que tu me fais céans est le plus beau cadeau que tu pouvais m’offrir. Un cadeau royal. Le cadeau que seul un Roi de cœur peut offrir à une Dame de trèfle.
« Tu es mon roi de cœur et mon troubadour préféré. J’ai grande estime pour toi et jamais ne t’oublierai. Si ton chemin te conduit un jour à nouveau sur nos terres d’Orient, tu y seras toujours le bienvenu et jouiras de ma protection pleine et entière. »
Quelques larmes perlèrent sur nos yeux que nous écrasâmes gauchement, riants et pleurant à la fois. Quelques hoquets s’étouffèrent dans nos gorges.
Nous nous accolâmes une dernière fois. Pendant notre étreinte, nos lèvres se collèrent violemment l’une à l’autre. Nos bouches s’ouvrirent, nos langues se caressèrent longuement et passionnément. Je la serrai très fort dans mes bras, par la taille. Trop fort.
Elle poussa un petit gémissement et je relâchai la pression de son corps contre le mien, une grosse boule dans la gorge.
Elle tourna les talons sans plus me jeter un regard, m’adressa un baiser de la main, de dos, sans se retourner et elle disparut.
Je pensais ne plus jamais la revoir. Il ne me restait d’elle, ce soir-là, que moult délicieux souvenirs et un évanescent parfum de bois de santal.
Le lendemain à la première heure, je galopai à brides retenues vers la ville de Nicosie. Il bruinait. Le sol était glissant Mon coursier trébucha à plusieurs reprises et je faillis bien verser cul par-dessus tête.
Parvenu au monastère, le chevalier de Montfort nous informa que nous levions le camp pour Famagouste, dès le lendemain. Le mestre-capitaine lui avait fait savoir que les deux nefs et la sienne, avec lesquelles nous devions naviguer de conserve, étaient radoubées et prêtes à appareiller dans les deux jours après avoir embarqué de nouvelles cargaisons de produits d’Orient.
Nous prîmes congé des frères mineurs qui nous avaient accueillis si généreusement en leur monastère. Arnaud les remercia particulièrement et non sans hypocrisie, pour lui avoir apporté dans des moments pénibles, paix et sérénité au cours de ces mois. Il les complimenta pour la qualité de leurs offices et de leurs chants. J’y vis toutefois là de belles dispositions pour me réconcilier prochainement avec lui, bien que je doutasse forte ment de la sincérité de ses propos.
Foulques de Montfort leur bailla de généreuses aumônes pour leurs pauvres, dont ils le remercièrent avec chaleur, non sans nous avoir bénis en retour.
Pendant que le chevalier de Montfort s’affairait à régler les derniers préparatifs de notre embarquement qui avait été retardé de cinq jours, Arnaud vint vers moi. Il me mit le bras autour des épaules et m’entraîna à l’écart. Il resta un long moment silencieux. Il avait quelque chose à me dire.
« Pardonne-moi, Bertrand, je reconnais tout à trac avoir eu quelques paroles malheureuses à ton endroit. Au fond, j’avais mérité la gifle que tu m’as administrée. Bien qu’il m’en cuise encore. Me pardonnes-tu ?
— Oui, Arnaud, bien sûr. Mais reconnais qu’il me sera difficile d’oublier certains mots.
— Qui pardonne sans oublier, ne pardonne point.
— Je ferai tout pour les oublier, je te le promets. Laisse-moi un peu de temps. Tu sais bien que tu es mon seul ami et que je t’aime comme un frère. Comme un compain d’armes aussi. N’avons-nous pas combattu les Godons côte à côte dans les faubourgs de la Madeleine à Bergerac, puis à Auberoche ?
— Oui, et tu as fait preuve de grande vaillance, je le reconnais.
— Or donc, évitons dorénavant de lancer des traits qui blessent plus mortellement qu’un carreau d’arbalète, rétorquai-je, les muscles du col plus noués que les racines d’un vieux chêne.
Même sous l’effet de la colère. La colère est une drolasse qu’il est difficile de maîtriser. Mais elle est toujours mauvaise conseillère.
— Les mois pendant lesquels Montfort m’a reclus m’ont paru durer une éternité. Je lui en veux beaucoup, une aussi longue punition, à mon âge ! Pour un déguisement ! Une espingale ! Une farcerie ! dit-il avec outrecuidance.
— Par Saint-Denis ! Une farcerie qui a bien failli nous coûter la vie à tous trois !
— La princesse Échive, ta mie, aurait bien fini par nous innocenter.
— Peut-être. Probablement trop tard.
— Oublions cette affaire sans intérêt
–……
— Les meilleurs souvenirs que je garderai de notre séjour sur cette île sont ceux de nos chevauchées, au printemps. T’en souviens-tu, Bertrand ? »
Ces mots me réchauffèrent le cœur que j’avais froid et sec. Le réchauffèrent sans l’enflammer. Serait-ce parce que je doutais au fond de moi de l’amitié que me portait Arnaud ? De ce trop rapide changement d’attitude à mon égard ?
L’avenir le dirait. En vérité, je n’allais pas tarder à être fixé
« Au fait, as-tu pris du bon temps avec Échive ? Une baise royale ! J’aurai bien aimé être à ta place…
— Ne parle pas en ces termes de la princesse, je te prie. C’est une gente damoiselle. Courtoise et savante.
— Moi, vois-tu, je n’ai pas eu besoin de mugueter Raïssa pendant des lustres pour la biscotter. Tiens, le jour où Montfort nous avait invités au supplice de ces deux coquardeaux d’écuyers, j’ai profité de mon après-midi de liberté pour la paillarder.
« Elle était bien un peu réticente au départ, mais le temps pressait. Je lui ai fait avaler quelque élixir de jouvence sans qu’elle ne s’en rende compte ; pour qu’elle s’abandonne plus rapidement sans me faire perdre un temps précieux.
« Elle s’en est trouvée plus détendue et plus avenante. Rassure-toi, elle était non seulement consentante, mais chaude et avenante, cette bagasse chypriote ! Ah, la fine garce ! Elle m’a épuisée !
— Arnaud, reste courtois, je te prie. Ne me conte pas tes fredaines avec les filles de cuisine. Un gentilhomme doit savoir garder ces choses-là secrètes et ne point faire étal de ses propres turpitudes. Même devant son meilleur ami. C’est contraire aux règles de la chevalerie.
— Tu me dis cela parce que tu n’as pas réussi à t’emmistoyer avec Échive. Tu as eu grand tort de ne pas en profiter. Elle avait pourtant de grosses mamelles. Après des mois passés en sa compagnie ! Moi, à ta place, je…
— Tu n’étais pas à ma place, Arnaud. »
Arnaud recommençait à me tabuster et à me porter sur les nerfs que j’avais derechef à fleur de peau. Pour lui geler le bec, je changeai de sujet de conversation et lui dis tout de gob :
« Ne t’es-tu pas souvent moqué de moi au sujet d’Isabeau de Guirande ?
— Ah non ! Bertrand, tu ne vas tout de même pas remettre cette chimère sur le plat ! Tu es capable de raison, que Diable ! Tu sais bien, si tu as encore quelque bon sens, que ce n’était qu’un rêve. Un rêve qui aurait pu tourner en cauchemar en nous éloignant l’un de l’autre.
— La chimère existe. En chair et en os.
— Décidément, tu as l’esprit plus dérangé que je ne le craignais, mon garçon !
— Je sais qui est Isabeau de Guirande. Je sais où elle vit. Elle séjourne depuis plusieurs années au château de Commarque. À quelques lieux de nous, à peine. À quelques pas de notre forteresse de Beynac, lâchai-je de plus en plus inconsidérément. Je me mordis aussitôt les lèvres de ne pas pas avoir su retenir ma langue. »
Arnaud s’arrêta de marcher et me regarda fixement. Il demeurait interdit, le visage décomposé. Je comprenais son émoi. Il avait tant douté de mon équilibre mental depuis plus de deux ans.
« C’est impossible ! Qui a osé te conter de pareilles sornettes ? Est-ce un nouveau fantasme de la Lusignan ?
— Non, je ne tiens pas l’existence d’Isabeau de Guirande de la princesse Échive. Et ce n’est pas un fantasme. Ni une nouvelle chimère. La personne qui m’en a parlé est digne de foi. Mais je ne puis révéler son nom. Elle m’a fait jurer le secret. Peux-tu comprendre mon silence ?
— En as-tu parlé à Montfort ? Ou à quelqu’un d’autre ?
— Non, bien sûr. À personne d’autre qu’à toi.
— Ne crains-tu pas, si cette… cette personne existe vraiment, qu’elle ne soit plus vile qu’un boudin ? Somme toute, tu ne l’as parée de moult qualités que dans ton rêve, dans tes fantasmes. Si ça se trouve, elle est biscornue, d’une laideur repoussante, les jambes arquées, boiteuse et possède un esprit plus revêche que celui d’un âne mal bâté !
— Elle m’a été décrite comme étant d’une grande beauté. Et de grande morale. Peu m’importe d’ailleurs. L’amour que je lui voue l’embellira et lui donnera un esprit plus fin et plus délié que le tien. Au fond, ne serait-ce pas plus facile et plus agréable que de t’instruire en l’éducation que ton père a tenté de te donner sans y parvenir, semble-t-il ?
— Tu es toujours aussi naïf, mon pauvre Bertrand ! Mon père a passé les pieds outre. Et si elle ne veut point d’époux ?
— Je n’en marierai point d’autre. Je resterai en célibat. Comme le chevalier de Montfort (il croyait son père défunt).
— Foulques ! Tu rêves encore, Bertrand. Ce n’est point un ermite. Je le soupçonne d’être bellement paillard. Quoi qu’il en soit, tu ferais bien de t’accoiser sur le sujet. On ne sait quelles pourraient être les réactions du baron de Beynac ou de Montfort si tu t’en ouvrais à eux…
–……
— Pour l’heure, gardons ce secret, me recommanda-t-il. Ce sera notre secret à tous deux. Que personne ne partagera.
— Je n’ai pas l’intention de le crier sur les toits. Enfin, pour l’instant…
— C’est inimaginable ! Alors, ta chimère existe vraiment ! C’est incroyable ! Tu as gagné. Enfin, presque. J’espère de tout cœur que tu pourras mener cette nouvelle bataille jusqu’au bout Vois-tu, je regrette tellement d’avoir joué au turlupin avec toi. Tu as le caractère bien trempé. Sais-tu qu’à la parfïn, je serais presque jaloux ? » suggéra-t-il avec audace.
Les yeux d’Arnaud s’étaient plissés en amande, ne laissant filtrer que deux éclats pétillants de malice. Son attitude à mon égard venait de changer du tout au tout.
Ce jour-là, mon corps était calme, mon esprit serein. Mais mon cœur était baigné d’une tristesse infinie. Je regardai, sans la voir, la baie de Famagouste s’éloigner, baignée par les rayons du soleil levant.
Le corps du père Louis-Jean d’Aigrefeuille, aumônier général de la Pignotte, reposait dans un cercueil, dans une chambre mortuaire improvisée, sous le pont. Il avait rendu son âme à Dieu. Dans mes bras.
Nous déportions sa dépouille en Avignon. Ses viscères et son cœur avaient été prélevés avant que son corps ne soit embaumé. Son cœur gisait dans une urne. Il serait remis à son frère, monseigneur Guillaume d’Aigrefeuille, dès notre retour en terre pontificale.
J’avais été le témoin passif des circonstances dans lesquelles l’aumônier général de la Pignotte avait été assassiné.
La veille de notre embarquement sur la Santa Rosa, le père Louis-Jean avait été mandé par le vicaire en la cathédrale de Famagouste pour donner le sacrement de l’absolution à quelques fidèles qui avaient entendu parler de sa présence dans la cité. Ils souhaitaient être confessés par icelui, et par icelui seulement. Le père Louis-Jean s’y était prêté de bonne grâce.
Nous avions profité de l’occasion pour passer à confesse. Je savais en avoir grand besoin. Arnaud aussi. Le chevalier de Montfort et Arnaud venaient de me précéder dans le confessionnal.
Arnaud devait réciter ses pénitences dans la chapelle de la Vierge dont l’autel se trouvait du côté opposé au confessionnal, à l’autre bout du transept. Le chevalier de Montfort quittait la cathédrale par une travée latérale.
Lorsque vint mon tour, je m’étais présenté devant le confessionnal. Au moment où je m’apprêtais à me rendre dans l’espace réservé aux pénitents, la porte du confessionnal s’entrebâilla doucement. La moitié d’un corps chut à mes pieds. Une tête tonsurée, suivie d’une robe de bure blanche maculée de sang. Sur le coup, j’en demeurais interdit, frappé de paralysie.
J’allais hurler au secours lorsque le mourant leva la main vers moi et tenta de redresser sa tête. Elle retomba sur les marches.
Cédant à la supplique que m’adressait le père d’Aigrefeuille, effroyablement bouleversé mais reprenant mes esprits, je m’étais agenouillé pour lui soutenir la tête.
Ses lèvres balbutièrent quelques mots dont je ne pus saisir le sens. Sa main grippa le revers de mon pourpoint pour m’attirer à lui Je penchai mon oreille près de sa bouche. Dans un souffle, in articulo mortis, il prit le courage de me chuchoter ces quelques paroles :
« Messire Bertrand, il ne me reste que peu de temps. Inutile d’appeler à mon secours. Les mires ne peuvent plus rien pour mon enveloppe chamelle. Il est trop tard. Le bon Dieu m’ouvre les bras et me sourit.
« Lorsque vous serez rendu en Avignon, voyez mon frère Guillaume. Dites-lui simplement : “sustine et abstine” ; il vous répondra : “mors ultima ratio Il saura que vous venez de ma part. C’est un homme puissant. Très écouté de notre Saint-Père… un futur cardinal. Si vous êtes un jour dans le besoin, il vous viendra toujours en aide… pour moi. »
Une bave sanguinolente sortit de sa bouche et coula sur sa lèvre. Il toussit, expulsant un nouveau flot de sang qui macula mon pourpoint. Sa vue se brouillait. Ses yeux devenaient vitreux. Ses doigts s’agrippèrent à moi. Il m’attira plus près de sa bouche et murmura de façon quelque peu décousue :
« Prenez ma boîte à malices… je vous en confie la garde. Celui qui m’a occis a volé une des fioles qu’elle contenait. Je crois que dans sa précipitation il n’a pas eu le temps de s’emparer du parchemin… de la lettre pour l’Aumônerie des pauvres Je ne sais si ces fioles contiennent l’eau et le sang du Christ. Frère Joseph le prétendait. Je crains qu’elles ne referment qu’un terrible poison. Je redoute le pire… le pire des poisons, le Mal noir… la pestilence !
« Mais ce sont peut-être aussi les reliques les plus sacrées que nous ayons de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Je ne sais. Je vous confie le tout. Prenez, prenez vite, messire Bertrand ! Et mettez-les en lieu sûr…
« … Ayez grande vigilance, messire Bertrand. Le diable rôde autour de nous. Je le sens. Soyez béni, mon fils. »
Dans un dernier effort, le père d’Aigrefeuille fit le signe de la Croix sur mon front, puis sa main retomba. Je lui secouai stupidement la tête :
« Père ! Père d’Aigrefeuille, ne partez pas. Tenez bon ! Les secours arrivent ! »
Un dernier spasme d’agonie secoua son corps, fit gicler un flot de sang. Les traits de son visage s’étaient relâchés. Un sourire de béatitude illuminait son visage.
Le père Louis-Jean d’Aigrefeuille avait atteint, dans la mort, la sublime beauté d’une âme en paix. Ses yeux me fixaient Grands ouverts. Je les fermai. Mes larmes se mêlèrent à son sang.
Je défis avec difficulté la courroie qui reliait la boîte à messages à sa ceinture. La boîte portait des traces de sang. La clef en forme de croix papale était engagée dans le fermoir du couvercle, et le couvercle entrouvert. La boîte du messager pontifical ne renfermait plus qu’un rouleau de parchemin et… deux fioles.
Je me saisissais de l’ensemble lorsque j’entendis des bruits de pas marteler les dalles de la cathédrale. Arnaud accourait. Il se précipita vers moi, m’aida à extraire la partie du corps qui se trouvait encore dans le confessionnal et à l’étendre avec moult précautions sur le sol.
« Mon Dieu ! Qu’as-tu fait ? Que s’est-il passé, Bertrand ?
Le père d’Aigrefeuille a été occis pendant qu’il entendait quelqu’un en confession. C’est tout ce que je peux te dire.
— T’a-t-il parlé avant de mourir ? Que t’a-t-il dit ? Parle !
— Il a eu juste le temps de me confier sa boîte à messages.
En me recommandant d’en prendre grand soin. C’est tout. Ses lèvres s’agitaient mais plus aucun son n’en sortait. Puis il a rendu son dernier soupir », lui mentis-je.
Ne t’a-t-il pas parlé d’icelui ou d’icelle qui l’aurait poignardé ? L’a-t-il vu ? L’a-t-il reconnu ? Tu n’aurais pas… unis ce crime, dis-moi ?
Comment veux-tu qu’il ait pu reconnaître son meurtrier ? À supposer même qu’il l’ait connu, il ne pouvait voir son visage à travers le moucharabieh qui sépare le pénitent de son confesseur. Et cesse de me soupçonner, je te prie ! Tu es fol, mon pauvre ami ! Je tenais le père d’Aigrefeuille en grande estime. »
Un sacristain se précipita en beuglant, lorsqu’il nous vit : « Mon Dieu ! mon Dieu ! » Il enfilait une aube à la hâte. Alerté par ces bruits, le chevalier de Montfort accourut, l’épée à moitié desforée. Il devait nous avoir attendus sur le parvis de la cathédrale.
La justice avait besoin d’un coupable. Le sacristain fut arrêté incontinent par les gardes qu’Arnaud avait alertés. La justice ecclésiastique requérait un coupable. Son bras était roide. Le malheureux fut soumis à la question avant notre départ. Il s’était penché, comme moi, sur le corps du défunt. Son aube était couverte de sang. Comme mon pourpoint qui en était maculé Mais mon vêtement n’était point blanc. Il était rouge. Teinté de rouge depuis sa confection. D’un rouge couleur de sang…
Adossé au bastingage du château de proue de la Santa Rosa, je réalisai que le père d’Aigrefeuille avait été lâchement et mortellement poignardé en un lieu de prière. Un lieu sacré entre tous. Comme le comte Philippe de Montfort l’avait été en la cathédrale de Tyr, au siècle dernier. Comme le chevalier Gilles de Sainte-Croix, plus récemment, en la chapelle de la maison forte de l’Ordre de l’Hôpital à Cénac.
Pourquoi avoir attenté à leur vie ? Pour quelles raisons ? Troublantes coïncidences. Étranges faits dus au hasard ? Qui pouvait avoir eu intérêt à faire passer le père d’Aigrefeuille de vie à trépas ? Un sacristain ? Un serviteur qui avait eu la malchance de déambuler là où il n’aurait pas fallu ?
Pour faire main basse sur une lettre qui ne serait changée qu’en la cité papale d’Avignon par le trésorier général de la Cour pontificale, et probablement après bien des litanies ? Pour se saisir d’une fiole dont nous étions seuls, le chevalier de Montfort et moi, à pouvoir soupçonner les effets mortels ? Ce n’était point imaginable.
La baie de Famagouste n’était plus qu’un mirage, loin à l’horizon. Un cheval hennissait sous le pont de la nef. C’était sans doute la seule façon, pour le fier pur-sang arabe que la généreuse princesse Échive m’avait offert, de clamer sa détresse.
Son désarroi me toucha. Je sortis aussitôt de la méditation attristée qui m’avait envahie et m’apprêtai à lui rendre visite lors qu’un mousse d’une douzaine d’années s’approcha de moi. Sans dire un mot, il me remit un parchemin enroulé autour d’un ruban de soie rouge. Je le remerciai et m’en saisis. Le sceau était celui des Lusignan. Je le brisai avec une impatience fébrile.
Mon doux Ami, mon étranger de simple passage.
Tu es mon Roi de cœur.
Mais un Roi de cœur ne peut marier qu’une Dame de cœur.
Je ne suis qu’une Dame de trèfle.
Mais sache que la Dame de trèfle t’a aimé au-delà de tout ce que tu peux imaginer et que jamais elle ne t’oubliera.
Porte nos armes, celles d’Isabeau de Guirande et les miennes.
Et onques n’oublie, que la Dame de cœur n’est pas toujours celle à laquelle pense le Roi de cœur, qu’il devra se garder de la Dame de pique et se défier de la Dame de carreau.
Adieu, m’amour.
À l’intérieur du parchemin, deux longues pièces de soie blanche. L’une portait les armes des Lusignan, l’autre, celle d’Isabeau de Guirande. À dextre, sur l’une, était brodée une dame de trèfle. Sur l’autre, une dame de cœur.
Je serrai dans la main les deux pièces de soie. À m’en rompre l’articulation des doigts. Sans bien saisir encore sur l’heure la signification profonde de ce qui m’apparut comme une manière mystérieuse d’écrire. Un jeu subtil d’arcanes dont la princesse Échive de Lusignan avait le secret. Devais-je y voir une dernière prémonition de la dame de trèfle ?
Un coup de vent, aussi fort qu’inattendu, m’arracha le parchemin des doigts. Je lançai la main pour tenter de le rattraper. En vain.
Le parchemin vola, plana, virevolta, monta, descendit, revint vers moi, s’éloigna et se coucha tout doucement sur la crête écumeuse d’une vague. Avant de disparaître de ma vue. Il ressurgit un bref instant avant d’être englouti par les flots. Je ne quittai pas des yeux ce point qui s’éloignait dans le sillage de la nef, dans le fol espoir de le voir ressurgir.
Ainsi s’envolait une tranche de vie. Une tranche qui resterait gravée dans les profondeurs de ma mémoire. À tout jamais.
Le Mal noir avait pris ses racines dans le cœur d’un homme Dans le cœur d’une femme, aussi. Des racines profondes et sournoises.
Pour parvenir à leurs fins, ils seraient prêts à tout. À commettre le plus terrible des crimes sans en maîtriser les conséquences. Des conséquences dignes de l’Apocalyse.
Lorsque le Mal noir éclaterait au grand jour, les ténèbres envahiraient la terre, de l’Occident à l’Orient. Du Sud au Nord Des terres d’Espagne à la lointaine Écosse. Du royaume de France aux confins du Saint Empire romain germanique. Au-delà même des rives des fleuves Danube et Volga. Le Mal fauchera il près de la moitié des habitants de l’Occident en moins de deux ans.
L’Apocalypse de saint Jean. Le dernier Jugement de Dieu. Miserere nobis !
En partant à la quête d’Isabeau de Guirande, j’avais soulevé le couvercle de la boîte de Pandore. Sans le savoir. Sans le vouloir.
Seule restait au fond, invisible à mes yeux, l’Espérance.