Vers une prohibition numérique ?

Comme nous l’avons déjà montré et démontré dans ce livre, filtrer les contenus disponibles sur Internet n’aura absolument aucun impact sur l’avenir de la pédopornographie sur la toile, au contraire la Loppsi va jeter un voile noir sur la toile qui gênera considérablement le travail des forces de l’ordre, et donnera aux internautes qui cherchent cette pornographie les outils de plus en plus sophistiqués et simples d’emploi afin d’y accéder. Ces outils développés pour échapper aux filtres mis en place par les États ne serviront pas qu’aux pédophiles, ils serviront tout aussi bien - par exemple - aux terroristes désireux d’échanger discrètement des informations, aux groupes mafieux pour coordonner des affaires, ou plus terrifiant, à des adolescents qui chercheront des jeux vidéos « piratés » ou le dernier album à la mode.

Tous ces gens se retrouveront pêle-mêle dans le même bourbier de la noirceur humaine, certains par choix, d’autres sans le savoir.

Ne nous y trompons pas, on ne trouve sur Internet que ce que les hommes y ont mis, ni plus ni moins, avec toute son horreur ou toute sa beauté. Filtrer Internet revient donc à éteindre la télévision parce que des images de guerres deviennent insoutenables, cela n’a pas le moindre effet sur la guerre, bien au contraire...

Et l’histoire nous a déjà alerté sur les dangers de la censure, c’était il y a moins de 100 ans, au États-Unis, où l’objectif fut de censurer la consommation l’alcool, c’est la célèbre prohibition.

À la fin du XIXème siècle, les pasteurs qui souhaitaient moraliser la vie des plus pauvres, et des groupes de femmes qui associaient consommation d’alcool et violences conjugales, se sont organisés en lobbies pour interdire la consommation d’alcool, on créa donc en 1919 une loi l’interdisant. La prohibition était née. On l’amenda quelques temps après pour autoriser les boissons peu alcoolisées comme la bière. La mise en place d’un filtre juridique basé sur la teneur en alcool commença sa lente opération de décantation.

Et ce qui devait arriver arriva, en interdisant la consommation d’alcool les gens ne cessèrent pas de boire. Bien au contraire, ils cherchèrent - et trouvèrent - les moyens d’y parvenir en contournant l’interdiction et en se cachant. Les conséquences furent dévastatrices. Sans juger de la nécessité de réguler la consommation d’alcool, l’exemple de la prohibition met en lumière plusieurs phénomènes quand on tente de filtrer un « penchant » humain.

Tout d’abord l’être humain, têtu, opiniâtre et inventif trouve toujours un moyen de contourner un obstacle, même si cela doit lui faire courir de grands risques. Il trouve toujours le moyen de s’organiser et de mettre en place des contre-mesures :

(extraits de l’article Wikipédia) Les populations urbaines, en particulier dans le Nord-Est du pays, résistèrent à l’interdiction de l’alcool : à New York par exemple, on comptait plusieurs dizaines de milliers de speakeasies. [...] Les moonshines étaient des distilleries clandestines qui produisaient de l’alcool frelaté. En outre, on pouvait obtenir de l’alcool légalement par une ordonnance médicale (whisky médicinal).

Lorsque les honnêtes gens se tournent vers la clandestinité, sans la moindre idée de ce que les criminels sont capables de faire, ils finissent toujours par en payer un lourd tribut. On ne s’improvise pas malfrat.

La production d’alcool étant tombée dans des mains criminelles ou étant assurée par des fabricants clandestins échappant à tout contrôle, la qualité du produit final variait grandement. Ainsi, de nombreux cas de buveurs souffrant de cécité ou subissant des lésions cérébrales graves furent répertoriés après l’ingestion d’un « bath tub gin » concocté à partir d’alcool industriel et autres poisons chimiques. […] En conséquence, des dizaines de milliers de victimes ont souffert de paralysie des mains et pieds, très souvent de manière permanente. La distillation amateur de liqueur n’était pas sans danger pour le producteur lui-même, le matériel de distillation trop primitif explosant parfois, provoquant incendies et ravages.

 

Les grands criminels, eux, s’organisent très vite autour du besoin qui pousse le consommateur vers la clandestinité, et savent immédiatement rentabiliser cet afflux de nouveaux clients. Et ce sont toujours les petits consommateurs qui sont arrêtés et condamnés (à la fois clients et fusibles), rarement les producteurs ou les distributeurs.

La prohibition fournit une opportunité alléchante pour le crime organisé de mettre sur pied des filières d’importations, des fabriques ou encore un réseau de distribution illégal de boissons alcoolisées aux États-Unis, notamment au travers des speakeasies. À Chicago, les Genna, famille d’origine sicilienne et Al Capone furent à la tête de ces trafics d’alcool, renforçant grandement son empire criminel grâce aux profits des ventes illégales d’alcool. Eliot Ness s’opposera à Capone, dans un combat devenu légendaire. Il ne réussira cependant pas à faire tomber le criminel pour des méfaits graves (vente d’alcool ou meurtre), mais devra recourir à l’invocation des « privilèges indissociables au droit de la personne » pour faire tomber Al Capone sous le coup d’une loi fédérale, contournant les juridictions législatives (les juges corrompus protégeant Capone au niveau local). Celui-ci se verra imposer la peine maximale (10 ans) pour fraude fiscale. Au total, les lois de Prohibition furent peu appliquées.

 

Comparaison n’est pas raison, certes. Mais, comme nous le démontrons dans ce livre, filtrer Internet au motif de la pédopornographie aura le même type de conséquences, cela enrichira les groupes mafieux déjà existants et créera de nouveaux Al Capone qui, c’est cas de le dire, surferont sur la vague de l’invisibilité que chercheront les internautes en quête de pornographie infantile ou des simples films « piratés », en créant spécialement pour eux d’immenses portails de contenus accessibles par tous. Cela créera des dégâts psychologiques importants, pour tous ceux qui, pensant trouver simplement de la musique, se retrouveront confrontés à des images ou des vidéos choquantes qu’ils ne cherchaient évidemment pas. Tout étant désormais clandestin, le pire comme le meilleur.

 Cela rendra la tâche des forces de l’ordre extrêmement difficile, voire impossible : jusqu’à présent les policiers cherchaient une aiguille dans une botte de foin, pas évident mais faisable avec un bon détecteur de métaux, avec les conséquences de la Loppsi les policiers devront chercher une aiguille dans une botte d’aiguilles…