Annexes

RÉPERTOIRE DES NOMS

Pour le confort du lecteur, les informations biographiques sur les personnages mentionnés dans l’Histoire de ma vie sont le plus souvent données en note. Ce Répertoire ne concerne que les noms qui exigeraient un développement excessif dans des notes de bas de page, en raison notamment des documents cités (extraits de la correspondance, témoignages de première main).

 

 

ADAM, père — Le jésuite Antoine Adam (1705-apr. 1786) trouve asile à Ferney après la dissolution de son ordre en 1762, avec le titre non officiel d’aumônier (l’évêque lui interdit de confesser et de dire la messe). Il excellait aux échecs et jouait quotidiennement avec Voltaire. Il quitta Ferney en 1776 dans des circonstances mal connues.

Bachaumont rapporte le mot d’esprit de Voltaire sur le « premier des hommes » dans ses Mémoires secrets, à la date du 15 mars 1768 : « Il passe pour constant aujourd’hui que M. de Voltaire est encore à Ferney, avec un secrétaire et le Père Adam, qu’il a recueilli lors du désastre de la Société, et duquel il disait plaisamment en le présentant à la compagnie : Messieurs, voilà le père Adam ; il est inutile de vous avertir que ce n’est pas le premier homme du monde. En effet, ce jésuite est, dit-on, très borné » (éd. C. Cave et S. Cornaud, Paris, Champion, 2009, t. II, p. 870). Casanova dit dans le Scrutinio qu’il a entendu raconter cette anecdote par un Genevois. Il écrit de même dans la Confutazione : « Ce même Genevois, qui me parla de la vigueur de cet antéchrist décharné, me disait, qu’il chassa de chez lui Madame Denis sa nièce, et avec elle tout le reste, et qu’il ne garde avec lui, qu’un jésuite qui s’appelle le Père Adam, qu’il ne présente jamais à l’assistance sans dire : Voici le Père Adam, qui n’est pas le premier Homme du Monde. Il s’amuse à jouer avec le pauvre Loyoliste au trictrac, mais il convient que le malheureux ait de la patience, quand le Divin Poète perd deux parties de suite ; cornet, tric-trac, la table, et tout ce qui lui tombe sous la main saute au visage de l’humble vainqueur » (t. II, p. 212, note de bas de page).

 

ALBERGATI-CAPACELLI, François — Poète comique italien né à Bologne, le marquis Francesco Albergati Capacelli (1728-1804) était sénateur héréditaire (quaranta). Traducteur de Voltaire et de Houdart de la Motte, il avait dans sa campagne un théâtre privé, pour lequel il écrivait des comédies en collaboration avec Goldoni. Dans ses Mémoires (publiés en 1787), Goldoni rapporte ainsi leur rencontre : « Nous allâmes tous ensemble chez M. le marquis d’Albergati Capacelli, sénateur de Bologne. Ce seigneur, très connu dans la république des Lettres par ses traductions de plusieurs tragédies françaises, par de bonnes comédies de sa façon et encore plus par le cas qu’en faisait M. de Voltaire, avait indépendamment de sa science et de son génie, les talents les plus heureux pour l’art de la déclamation théâtrale, et il n’y avait pas en Italie de comédiens ni d’amateurs qui jouassent comme lui les héros tragiques, et les amoureux dans la comédie. Il faisait les délices de son pays, tantôt à Zola, tantôt à Medicina, ses terres ; il était secondé par des acteurs et des actrices de société, qu’il animait par son intelligence et par son expérience. J’eus le bonheur de contribuer à ses plaisirs, ayant composé cinq pièces pour son théâtre […] » (Mémoires de M. Goldoni pour servir à l’histoire de sa vie et à celle de son théâtre, éd. P. de Roux, Paris, Mercure de France, coll. « Le temps retrouvé », 1988, p. 241).

Albergati s’adressa d’abord à Voltaire pour lui demander des indications sur la mise en scène de diverses pièces de théâtre qu’il voulait jouer sur sa scène personnelle. Ce fut le début d’une correspondance régulière entre les deux écrivains pendant vingt ans. Albergati fit découvrir à l’auteur de L’Écossaise le théâtre de Goldoni. Voltaire le remercia dans ses lettres dont certains passages font écho aux entretiens rapportés par Casanova :

« Il est vrai que, pour du plaisir, vous venez de m’en donner par votre traduction, et par votre bonne réponse à ce Caraccioli. […] Je remercie tendrement l’enfant de la nature Goldoni […]. Vous avez le génie et les saucissons, mais mes chers Genevois n’ont rien du tout » (5 septembre 1760, in Correspondance, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. V, p. 1090-1091).

« Je partage, Monsieur, mes remerciements entre vous et lui [Goldoni] ; dès que j’aurai un moment à moi, je lirai ses nouvelles pièces, et je crois que j’y trouverai toujours cette variété et ce naturel charmant qui font son caractère. Je vois avec peine en ouvrant le livre, qu’il s’intitule, poète du duc de Parme ; il me semble que Térence ne s’appelait point le poète de Scipion ; on ne doit être le poète de personne, surtout, quand on est celui du public. Il me paraît que le génie n’est point une charge de cour, et que les beaux-arts ne sont pas faits pour être dépendants » (1er mai 1761, ibid., t. VI, p. 367-368).

« Quand notre peintre de la nature honorera mes petits pénates de sa présence, il verra mon théâtre achevé, et nous pourrons jouer devant lui ; mais il faudrait jouer ses pièces ; je pourrais tout au plus faire le vieux Pantalon Bisognosi [dans la comédie La Femmina puntigliosa, 1750]. J’ai quelquefois deux ou trois heures de bon dans la journée, c’est à dire deux ou trois heures où je ne souffre pas beaucoup. Je les consacrerais à M. Goldoni ; et si j’avais de la santé, je le mènerais à Paris, avant de faire mon voyage de Lorette » (2 février 1762, ibid., t. VI, p. 786).

 

BONO, Giuseppe — Marchand de soie et banquier établi à Lyon depuis 1756. Il mourut en 1780. Sa correspondance avec Casanova permet de recouper plusieurs informations sur l’aventurier Passano, tenu à une vie discrète. Nous en citons quelques extraits en suivant la chronologie.

Le 11 février 1763, Bono écrit à Casanova à Milan : « Je vous prie de dire à M. Passano que je n’ai pas oublié sa commission des livres […]. S’il est à Milan avec vous et s’il avait du temps de reste, je voudrais avoir le portrait en miniature pour bague de ma nièce Appiani toutefois qu’il ait du temps de reste » (Archives de Prague, 10N 4).

Le 7 juillet 1763, Bono rapporte une conversation avec Passano, portant sur le complot pour dépouiller la marquise d’Urfé et sur les accusations d’empoisonnement : « [Passano] m’a parlé des treize mille lires que la marquise lui a données, de la robe de chambre, de l’habit de velours et de l’anneau que la marquise lui a donnés et qu’il s’est appropriés, je lui ai répondu que s’il n’avait pas été présenté par Melchissédec [Casanova], on ne lui aurait jamais fait de pareils cadeaux. […] Le poison qui sans cesse ronge ses entrailles le rend furieux contre vous ; je lui ai donné un bon antidote, et je m’efforce de le dissuader ; mais il me dit que dans deux lettres écrites à Mme la Marquise vous lui prédisez la mort de Passano, empoisonné par vous-même » (id., 10N 9).

En septembre 1763, Passano était encore à Lyon où Bono obtenait son silence en y mettant le prix. Le 28 septembre, ce dernier rapporte le résultat de la négociation à Casanova domicilié à Londres : « C’est à Milan où j’ai reçu la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire en date du 26 juillet, je ne pouvais pas exécuter vos ordres que à mon retour ici, et c’est ce que j’ai aussitôt fait, même j’avais déjà commencé à mon absence à disposer Passano pour terminer la guerre qu’il vous avait déclarée. Le reçu ci-joint du montant de la lettre de change que vous lui aviez faite sur M. Zappata de Turin, le billet qu’il vous écrit ce sont des armes pour détruire tout ce qu’il a écrit contre vous, ses horreurs m’avaient indigné, et je suis charmé qu’il soit parti. » Dans la même lettre figure un reçu de mille lires : « Lyon, 14 septembre 1763. Le soussigné déclare avoir reçu de Monsieur Giuseppe Bono, par ordre et pour le compte de Monsieur Seingalt, la valeur de mille lires piémontaises, montant de la lettre de change que le même m’a cédée sur le sieur Zappati, lequel billet a été payé par Monsieur Muralt sur mon ordre, et afin que ceci serve de quittance. Déclarant que cette somme m’a été accordée par pure bonne grâce et générosité. En foi de quoi, Giacomo Passano » (id., 10N 12).

 

CHAVIGNY, Anne-Théodore Chavignard (Chevignard), chevalier de — Conseiller et gouverneur de Beaune, où il était né vers 1689, il fut ambassadeur de France en Suisse de 1753 à 1762, en résidence à Soleure, après avoir fait sa carrière diplomatique dans la plupart des pays d’Europe (Amsterdam, Gênes, Madrid, Hanovre, Regensburg, Londres, Copenhague, Lisbonne, Munich et Francfort-sur-le-Main). Après le renvoi d’Amelot (1744), il dirigea les Affaires étrangères avec Dutheil. Il fut ambassadeur à Venise pendant un an (1750-1751). Casanova évoque brièvement sa rencontre avec Chavigny en 1760 dans une note de la Confutazione (I, p. 66-67).

Durant son séjour en Angleterre (1726-1729), Voltaire s’est montré satisfait de Chavigny, comme en témoigne sa lettre en anglais du 14 avril 1732 à Nicolas-Claude Thieriot : « I am not surprised you like M. de Chavigny, he is one of these men born to engratiate themselves every where, to humour the dull german, to sooth the haughty english, to converse with the french, to negociate with the subtle italian. I know he was highly beloved by the late King Georges, and all his court. T’is not my business to guess whether he is charges to day with so favourable a commission as he was formerly. But whatever will be the foot upon which he treats now with the english, sure I am his person will be very acceptable though his commission should not1 » (Correspondance, op. cit., t. I, p. 326-327). Par la suite, l’opinion du patriarche de Ferney sur le diplomate suisse devint plus mitigée, au point qu’il encourageait Ferriol à demander la démission de l’ambassadeur. Voltaire n’était donc plus en correspondance réglée avec Chavigny en 1760.

 

COSTA, Gaetano — Costa (v. 1734-1801) entre au service de Casanova de 1760 à 1762, après avoir été valet de chambre à Madrid. Il participe activement à la pseudo-régénération de Mme d’Urfé. Instruit par l’exemple, il dépouille son maître de 300 000 livres (plus de 3 millions d’euros) à Augsbourg, et gagne Rome où il épouse la fille du valet de chambre du pape, Thekla Righetti. Il prodigue rapidement les trésors volés et quitte sa femme dont il a eu un fils.

Da Ponte a donné dans ses mémoires une autre version, hautement douteuse, de l’aventure avec Mme d’Urfé et de la fuite de Costa. Tout le passage qu’il consacre à son compatriote est caractérisé par une évidente intention de dénigrement. Ainsi selon Da Ponte, Casanova, aidé par une « courtisane », prodigue un somnifère à Mme d’Urfé, fracture purement et simplement l’armoire où elle a rangé devant lui une petite fortune, s’empare du butin et rejoint son complice : « [il] courut retrouver dans la rue son domestique, Gioachino Costa, depuis longtemps à son service, et qu’il traitait en camarade, et en ami. Comme il avait pleine confiance en cet homme, il lui remit cette cassette, et lui désigna une hôtellerie où ils devaient se retrouver, à dix ou douze mille de Paris. [Casanova porte ensuite à la courtisane l’argent qu’il lui doit.] Pendant que tous deux se félicitaient de la crédulité de leur victime, son maître Jacques [Costa] s’enfuyait à l’étranger avec le trésor. Les cinquante louis de la courtisane étaient tout ce que Casanova avait prélevé de cet argent. Il restait donc sans un sou. Après avoir exploré vainement toutes les hôtelleries de la ville et des environs et perdu l’espoir de retrouver domestique et trésor, il maudit la vieille femme, la courtisane et lui-même, si habile à tromper les autres et assez maladroit pour s’être laissé duper par un homme qu’il avait toujours considéré comme un niais » (Mémoires de Lorenzo Da Ponte, librettiste de Mozart, trad. de M. C. D. de La Chavanne revue et complétée, Paris, Mercure de France, coll. « Le temps retrouvé », 1988, p. 207-208).

Casanova retrouve Costa en 1784 à Vienne, au service de Jean-Ferdinand, comte de Hardegg. De ces retrouvailles mentionnées au t. VI (p. 806 et 862), Da Ponte a donné une autre version dans ses Mémoires : « […] me promenant sur ce même Graben avec lui [Casanova], je le vois tout à coup froncer les sourcils, me quitter brusquement, puis, d’un pas précipité, s’élancer à la poursuite d’un homme qu’il saisit au collet en l’apostrophant de ces mots : “Je t’ai donc rejoint, assassin !” La foule, attirée par cette agression étrange, allait toujours grossissant. D’abord interdit, je restai un moment impassible mais, après deux minutes de réflexion, je courus à lui et, le prenant par le bras, je l’entraînai loin de la bagarre. C’est alors qu’il me fait la confidence que cet homme, qui se nommait Gioachino Costa, était ce domestique qui s’était enfui avec sa cassette et son trésor. Ce Costa, que la débauche et de mauvaises connaissances avaient achevé de perdre, était présentement dans la plus grande misère. Valet de chambre d’un grand seigneur de Vienne et cumulant avec ces fonctions subalternes le métier de poète, il était un de ceux qui m’avaient honoré de leurs diatribes pendant ma faveur sous Joseph II. Nous continuâmes notre promenade et nous le vîmes entrer dans un café, d’où bientôt sortit un garçon qui remit un billet à Casanova ; ce billet était conçu en quatre vers dont voici le sens : “Casanova, tu as volé, j’ai suivi ton exemple. Tu es mon maître, je ne suis que ton disciple. Point d’éclat ! c’est ce que tu as de mieux à faire.” Ce peu de mots produisit un grand effet ; Casanova se prit à réfléchir ; puis, éclatant de rire, il se pencha à mon oreille en me disant : “Le maraud a par ma foi raison.” Se rapprochant alors du café, il fit signe à Costa, qui vint le rejoindre, et tous deux, côte à côte, se mirent à marcher en causant aussi tranquillement que si rien ne s’était passé. Quelques instants après ils se séparèrent en se serrant la main à diverses reprises, comme deux amis intimes. Lorsque Casanova revint à moi, il avait à l’un de ses doigts un camée que je n’y avais pas encore remarqué et qui, par une coïncidence bizarre, représentait un Mercure, dieu des voleurs. Je suppose que ce camée est la seule épave qu’il aura pu recouvrer de cette ignoble escroquerie. Cette scène peint assez le caractère de l’homme pour me dispenser de tout commentaire » (op. cit., p. 209-210).

Dix ans plus tard, le prince de Ligne rencontra Costa comme il l’écrit à Casanova le 22 novembre 1794 : « Il y a quelques semaines que j’étais à Feldsberg à la chasse : et il y avait, comme de raison, le grand veneur Hardegg. Je vais le matin pour le voir dans sa chambre, il en était sorti, mais je trouve dans un fauteuil un grand nez, devant un miroir, et des yeux qui n’étaient pas faits peut-être pour être vifs et même presque spirituels, mais qui semblaient avoir été inoculés par quelqu’un qui a ceux de l’aigle et du génie. Je dis à ce grand nez : Bonjour, Monsieur Costa. Vous ne pouvez pas vous représenter son étonnement. – Comment diable savez-vous mon nom ? – Je sais plus : je sais vos aventures, vos malheurs, vos voyages, vos coups de poing avec Leduc, votre courage contre les voleurs en sortant de Cologne, etc. Il m’a cru sorcier. Je finis par lui dire, après l’avoir vu un peu embarrassé, que vous m’aviez dit beaucoup de bien de lui : de sa fidélité, valeur, esprit naissant, discrétion et attachement. C’était le moyen de lui faire dire du bien de vous : et comme j’aime à l’entendre, il m’a servi à merveille et n’a plus tari sur vos louanges. C’est ce que je fais sans être M. Costa » (Archives de Prague, 2-105).

 

HALLER, Albert de — Célèbre anatomiste bernois, Haller (1708-1777) fut aussi physiologue, botaniste, médecin, homme d’État et poète. Il étudia la médecine avec Boerhaave, puis s’initia à la botanique à Bâle en 1727. Il publia son poème Les Alpes en 1729, puis enseigna l’anatomie et la botanique à l’université de Göttingen de 1736 à 1753, année de son retour à Berne. En 1758 il fut nommé directeur des salines de Roche, poste qu’il occupa jusqu’en 1764, et devint membre de diverses sociétés savantes. Lorsque Casanova lui rendit visite en 1760, il était marié, pour la troisième fois, à Sophie-Amélie-Christiane, née Teichmeyer (fille d’un célèbre médecin d’Iéna), épousée en 1741. La famille comptait sept enfants, dont deux filles nées en 1742 et en 1743. Aucune n’épousa le précepteur Jacques Dick.

Aucune trace de sa correspondance avec Casanova ne subsiste, mais la Bibliothèque de Berne a conservé une lettre de Casanova à Muralt, dans laquelle il parle de sa visite à Haller. H. von Löhner l’a publiée dans l’Archivio veneto (t. XXIV, 1882) et Pierre Grellet l’a reproduite intégralement (Les Aventures de Casanova en Suisse, Lausanne, Spes, 1919, p. 95-96). En voici la traduction : « Lausanne, le 25 juin 1760. Très illustre Seigneur, Je me suis rendu à Roche et suis de retour ici aujourd’hui ; j’ai remis votre lettre à M. de Haller, et me sens si frappé du mérite incomparable d’un tel homme que je n’aurai de repos avant de vous avoir adressé mes remerciements les plus particuliers de m’avoir donné une lettre de recommandation pour ce grand philosophe. Je suis confus de m’être présenté chez lui avant midi, car je me suis trouvé dans l’obligation d’être traité magnifiquement à sa table. Si j’avais pu pressentir ce que mon peu de mérite me défendait de prévoir, je me serais rendu chez lui après le repas. Sa divine conversation est un repas si délicieux qu’on ne saurait, en conscience, désirer que cette bouche, dont la profonde érudition enchante tous ceux qui l’écoutent, se donne le temps de manger. Cela est si vrai que le savant Haller mange peu et ne boit que de l’eau, mais sa table est servie avec une largesse qui montre qu’il n’observe que pour lui-même la vertu de la sobriété. Quelle fortune ce serait pour moi de pouvoir vivre trois ans dans la compagnie d’un homme de cette trempe ! Non seulement je m’instruirais beaucoup, mais j’apprendrais à m’exprimer avec la bonne grâce, l’autorité, l’agrément et l’inimitable modestie de M. de Haller. C’est en souriant qu’il m’entretenait des choses les plus érudites et les plus savoureuses, et sa connaissance de l’Antiquité était si parfaite qu’il semblait se remémorer un temps où il avait vécu. On avait l’impression de causer avec un homme ayant vécu deux mille ans et qui avait été, fortuitement, le témoin oculaire des grands faits dont il parlait. Toutes ses questions semblaient des documents, et quand on lui répondait pour le renseigner, on avait l’impression qu’il cherchait à s’instruire, tellement sa manière était modeste. Il n’y a aucun artifice en lui : tout est nature. On lui pardonnerait aisément d’être ambitieux, mais un tel défaut est très éloigné de son caractère, et il est bien vrai que personne, je crois, ne se hasarderait à entrer en lice pour se mesurer avec lui. On fait l’éloge d’un grand homme en disant de lui qu’il a des notions de tout, mais on devrait dire de M. Haller qu’il sait tout. Il connaît tout ce que la terre a produit, et personne ne sait mieux que lui la structure de l’homme. Il connaît donc mieux que personne le divin architecte, et surtout il se connaît lui-même. Qui jamais eut au monde les bases d’une science plus grande ? Je porterai éternellement gravée dans mon cœur la mémoire de ce grand homme et me considérerai toujours comme l’obligé de ceux qui me l’ont fait connaître. Je ne lui ai adressé aucun compliment, craignant d’offenser une âme supérieure qui estime ne mériter aucun éloge. Je vous dirai encore que je n’ai cessé d’être en extase et dans l’enthousiasme. Je vous prie d’agréer mes excuses et de souffrir que je me range parmi vos admirateurs ; peut-être, avec le temps, pourrais-je mériter de ne pas compter parmi les derniers de ceux qui vous estiment. Son épouse m’a paru tout le contraire de la femme de Socrate, et sa fille m’a semblé aussi spirituelle que sage. Je vous prie d’excuser la longueur de ma lettre. Comme le portrait que j’ai tracé de ce seigneur est parfaitement conforme à l’idée que vous vous en faites, j’espère ne pas vous avoir ennuyé. En vous assurant de mon respect, je suis, de votre Seigneurie, le très dévoué et très obéissant serviteur. De Seingalt. »

La Bibliothèque de Berne a également conservé deux lettres des 16 et 19 mars 17612, dans lesquelles Muralt expose à Haller les démarches faites par Casanova, afin que le grand savant soit admis à l’Accademia dell’Aracadia : « À peine M. de Seingalt vous a-t-il proposé, que vous avez été reçu par une acclamation générale de toute l’assemblée qui espère que vous voudrez bien leur faire l’honneur d’être des leurs. […] Je dois [cette admission de Haller] à mon ami de Seingalt qui est tout-puissant en Italie et votre admirateur ; c’est lui qui m’a adressé votre patente. Il restera encore un mois à Turin et il sera bien flatté si vous lui faites l’honneur de lui écrire ; son adresse est à M. le comte de Seingalt, à poste restante à Turin » (P. Grellet, op. cit., p. 98-99).

Le jugement négatif de Haller sur Rousseau et sur son roman Julie, ou la Nouvelle Héloïse ne surprendra guère le lecteur de sa correspondance. Il écrit à Bonnet le 2 février 1761, soit un mois après sa publication : « Le roman de M. Rousseau fera plaisir. Il donne dans la caricature, mais il remue, il émeut. Il se contredit dans ses raisonnements parce qu’il s’abandonne à sa verve et qu’il écrit sans principes. » Le 8 juin 1761, il répond au médecin G. J. Zimmermann : « J’ai lu Julie. Il y a de fort beaux tableaux particuliers, le coloris en est d’une force peu commune. Point d’ordonnance générale ; le costume point observé et le poète parlant partout ; aucune variation dans les styles des personnages ; de la mauvaise morale en bien des endroits. » D’une manière générale, Haller désapprouvait les principes démocratiques de Rousseau qu’il estimait « destructeurs de tout gouvernement » (cité par P. Grellet, ibid., p. 93).

Dans l’édition de Gotha des Œuvres de Voltaire (1789, t. LX, notice préliminaire, p. 81), on trouve le mot de Voltaire sur Haller rapporté dans l’Histoire de ma vie (« Ah ah ! Il est très possible que nous nous trompions tous les deux ») : « Un étranger se présente chez M. de Voltaire et lui raconte qu’il a vu à Berne M. de Haller. M. de Voltaire le félicite sur le bonheur qu’il a eu de voir un grand homme. – Vous m’étonnez, dit l’étranger, M. de Haller ne parle certainement pas de vous de la même manière. – Eh bien, répliqua M. de Voltaire, il est possible que nous nous trompions tous les deux. » Dans les notes retrouvées à Dux, on peut lire à la fois la source de ce trait et l’identification de Casanova à l’étranger anonyme : « Dans le volume 60 p. 81 des Œuvres de Voltaire on lit la réponse que Voltaire me donna lorsque je lui ai dit que Haller ne le regardait pas comme un grand homme. On ne me nomme pas : on me désigne pour un étranger. Cela m’a fait plaisir » (Archives de Prague, 17A 50). Sur une autre fiche, il note, puis biffe (peut-être après avoir écrit le passage dans l’Histoire de ma vie) : « Volume LX, p. 81 / réponse que Voltaire me fit à propos de M. de Haller. » (16k 54). Il n’est cependant pas impossible que cette identification soit une construction a posteriori du Vénitien.

 

IVANOFF (pseudo-) — On a retrouvé dans les papiers de Casanova (Archives de Prague, 12-52) une note portant sur cet aventurier connu sous le nom de Charles Ivanov, qui a un temps suivi le même itinéraire que le Vénitien (Schaffhouse, Bâle, Soleure). Il s’agit de la traduction d’une ordonnance publiée en allemand, suivie d’un post-scriptum d’une main inconnue :

 

Gazette de Schaffhouse du 19 mars 1760, dont ci-joint l’original en allemand :

Avertissement. Le Gouvernement Imp. et Royal de Constance avertit le Public qu’un certain se soi-disant Comte Russien, nommé Charles Ivanoff, a trompé un marchand d’ici en lui fournissant une fausse lettre de change de 86 ducats, tirée de Vienne sur Venise, s’étant d’abord après esquivé. Il a passé par Fribourg-en-Brisgau pour Strasbourg, plus loin on n’en sait rien.

1o On prévient ainsi un chacun de cet aventurier, et qu’il n’est pas un Comte Russien, quoi qu’il soit titré, mais selon des avis, habitant de Danzig.

2o On prie tous les magistrats de l’arrêter, en donnant avis à notre Gouvernement militaire, on bonifiera volontiers les Frais.

Constance, 15 mars 1760.

Description du susdit Comte Charles Ivanoff.

Ce Comte Ivanoff est un grand jeune et bel garçon de 28 ans, porte en Hiver un habit de Velours noir ou de Peluche Canne Verde, de Tems en tems une Perruque brun foncé et ronde, de même que ses propres cheveux. Item une Épée d’acier à l’anglaise aussi une petite d’argent, des Boucles à Brillants qu’on a estimé ici deux mille Gouldes [gulden ou florins hollandais] soit florins : le plus souvent il est en Botte, selon des avis il doit être de Dantzig et un très grand aventurier, prend beaucoup de Tabac au nez et porte avec lui une ronde Tabatière d’Écaillé, dans laquelle il y a selon son dire le Portrait d’une Dame très connue de Paris.

P.S. Cet Ivanoff a été un couple de Jours avant cette Gazette ici, il s’en est allé pourtant un Jour avant qu’elle parût, disant à son Hôte (des trois Rois) qu’il ferait une promenade à Soleure, Berne et Granson, en attendant le Jubilée de l’Université soit de l’Académie de cette Ville. Aussitôt que cet Avertissement parut, on se mit à le poursuivre, on l’attrapa entre ici et Berne, des amis de la dernière Ville l’ont dit-on sauvé. – Pendant qu’il a été ici les premières maisons lui ont fait beaucoup d’Honneur, je l’ai côtoyé assez bien, parce que la renommée m’avait prévenu pour lui, autant que j’ai pu m’apercevoir, c’était un homme très versé dans quasi toutes les Sciences, il était grand connaisseur des Antiquailles et un personnage des mieux tournés ; on doit avoir fait beaucoup pour lui à Berne. L’on disait qu’il avait été arrêté à Versoy pour être conduit à Pétersbourg et que c’était un des Prétendants à la Succession du Trône Moscovite. Sans l’absence d’un Ami, je vous pourrais dire des plus solides Particularités, mais peut-être vous en savez le mieux ses circonstances. J’en conclus de lui que c’est un Personnage obligé à se masquer, comme bien d’autres Honnêtes Gens ; et selon une manière de penser mille fois plus estimable que ces Cœurs justes mais sans Passions et Sentiments, si les Occasions m’eussent été favorables, peut-être que j’aurai pu le servir, étant en cela au-dessus de la plus grande Façon de penser du Vulgaire.

 

MURALT, Johann Bernhard von — Issu d’une famille patricienne bernoise, Jean-Bernard de Muralt (1709-1780) fut membre du Grand Conseil en 1745. En 1760, il est avoyer de Thoune (dont il réforma l’administration), puis membre du Petit Conseil en 1768, et trésorier du Pays allemand de 1777 à sa mort. P. Grellet a retrouvé à la Bibliothèque de Berne une lettre de Muralt à Haller datée du 21 juin 1760 (elle est aussi répertoriée dans les Archives de Prague, cote 40-23), portant sur les circonstances du séjour de Casanova à Berne :

 

Monsieur mon très cher et très honoré Ami,

Nous avons eu ici pendant une couple de mois un étranger, logé à la Couronne, nommé chevalier de Seingalt, qui m’a été fort recommandé par le marquis de Gentils sur des recommandations que lui a remis en sa faveur une dame de considération de Paris. Il est parti d’ici avant-hier pour Lausanne où il s’arrêtera quelque temps, et d’où il se propose de vous faire une visite, étant envieux : 1o de vous voir, et 2o les salines. Il m’a demandé une lettre de recommandation pour vous, Monsieur et cher Ami, que j’ai été empêché d’écrire avant son départ et qu’outre cela j’ai mieux aimé vous envoyer par la poste. Cet étranger mérite que vous le voyiez et sera pour vous vraiment une curiosité, car c’est une énigme que nous n’avons su déchiffrer ici ni découvrir ce que c’est.

Il ne sait pas tant que vous, mais il sait beaucoup. Il parle de tout avec beaucoup de feu, paraît avoir prodigieusement vu et lu. On dit qu’il sait toutes les langues orientales, ce dont je ne juge pas. Il n’écrivit pour ici aucune lettre de recommandation directement pour personne. Il paraît qu’il ne voulait point être connu. Il recevait tous les jours de courrier beaucoup de lettres, écrivait tout le matin et m’a dit que c’était pour une affaire de curiosité, un plan de… [illisible] et une conception comme du salpêtre. Il parle le français en Italien ayant été élevé en Italie. Il m’a fait son histoire, trop longue pour vous la rapporter. Il vous la fera quand vous voudrez. Il me dit qu’il est un homme libre, citoyen du monde, qu’il observe les lois de tous les souverains sous lesquels il vivait. Il a mené ici une vie exactement réglée, son goût dominant, à ce qu’il m’a fait sentir, est l’histoire naturelle et la chimie ; mon cousin [Louis] de Muralt, le virtuose, qui fut fort attaché à lui et qui lui a aussi donné une lettre pour vous, s’imagine que c’est le comte de Saint-Germain. Il m’a donné des preuves de son savoir dans la Cabale, étonnantes si elles sont vraies et qui en feraient quasi un sorcier, mais je vous cite ici mon auteur, enfin bref, c’est un personnage très singulier. Il est nippé et habillé au mieux. Après vous, il veut aller dire poliment aussi à Voltaire bien des fautes qu’il y a dans ses livres. Je ne sais si un homme aussi charitable sera du goût de Voltaire ; quand vous l’aurez vu, faites-moi le plaisir de me dire ce que vous en pensez, mais ce qui m’intéressera plus, donnez-moi, je vous prie, de vos nouvelles et de votre santé, etc.

Je vous prie d’être persuadé qu’on ne peut rien ajouter au véritable attachement et à la considération distinguée avec lesquelles je fais profession d’être toute ma vie, Monsieur, votre très cher et très honoré Ami. Berne, ce 21 juin 1760. Votre très humble et très obéissant serviteur. B. D. Muralt.

 

MURALT, Louis de — Fils d’un conseiller de la république de Berne et cousin du précédent, Louis de Muralt (1716-1789) épousa en 1745 Sarah Favre, fille d’un membre des Deux-Cents de Genève. Le couple eut deux filles dont la plus jeune, Anne-Sarah, naquit le 31 août 1750. Muralt paraît ne s’être occupé que de belles-lettres et de sciences occultes. Il publie à Leipzig en 1757 une Histoire de Frédéric le Grand. En 1762 il fut nommé chargé d’affaires de Berne à Londres, où Casanova le retrouve fin 1763 et lui recommande l’aventurier Giacomo Passano. Le banquier Bono écrit le 10 novembre 1763 à Casanova que M. Muralt avait proposé à la marquise moyennant une lettre de crédit de 12 000 livres « un manuscrit précieux où il y avait le secret de vivre longtemps » (Archives de Prague 10N 6). Le Petit Conseil de Berne commença à enquêter sur ces affaires louches en avril 1763 et en septembre, Muralt est appelé à comparaître devant les magistrats de la ville. Il se réfugie à Calais et rentre à Berne le 10 octobre où il fut traité avec indulgence, grâce à l’influence de sa famille. Relevé de ses fonctions, il conserva ses appointements, et demeura membre du Conseil des Deux-Cents jusqu’en 1766. En 1769, Muralt achète la seigneurie de Thunstetten. Il rentre en faveur en 1787 et est nommé bailli de Zweisimmen. (P. Grellet, op. cit., p. 167).

Louis de Muralt adressa à Haller, tout comme son cousin Jean-Bernard, une lettre de recommandation en faveur de Casanova. Celui-ci la remit à Haller et en informa L. de Muralt en ces termes : « j’ai remis votre lettre à M. de Haller et me sens si frappé du mérite incomparable d’un tel homme que je n’aurai de repos avant de vous avoir adressé mes remerciements les plus particuliers de m’avoir donné une lettre de recommandation pour ce grand philosophe » (P. Grellet, op. cit., p. 95 ; Archives de Prague 40-9). Une épître en vers retrouvée à Dux (16 A 58) semble lui être adressée : « Dolce Luigi, dell’Elvezia onore [] E Figlio, è Sposo, è Padre fortunato » (« Doux Louis, honneur de la Suisse [] C’est un fils, un époux, un père fortuné »).

 

NATTIER, Jean-Marc — Fils d’un portraitiste, Jean-Marc Nattier (1685-1766) commença par peindre des batailles et des portraits à Amsterdam pour Pierre le Grand. Ruiné par la banqueroute de Law en 1720, il s’intègre à la cour de Lorraine et devient le portraitiste officiel de la famille royale en 1742. Casanova écrit, dans sa Critique de Bernardin de Saint-Pierre : « J’ai connu en France, il y a quarante ans, un peintre nommé Natier qui ne faisait que des portraits et qui à juste titre était devenu riche. Il avait le talent unique de saisir la ressemblance parfaite et de démontrer par la fidélité de sa copie que la dame qu’il avait peinte n’était pas laide, comme tout le monde l’avait cru jusqu’à ce moment-là, mais belle, ou jolie tant qu’on pouvait la désirer. Les femmes disaient que tous les autres peintres étaient des imposteurs et que le seul Natier était le peintre par excellence que la nature avait produit. […] J’ai vu les portraits de toutes les cinq filles de Louis XV faits par cet homme, que tout le monde croyait fort laides, mais le pinceau de Natier démontra que tout le monde se trompait et qu’elles étaient réellement belles jusqu’au droit d’inspirer l’amour aux marbres s’ils avaient eu des yeux. On voit à Versailles ces mêmes portraits, et par leur magie inconcevable Madame l’infante fut duchesse de Parme à la pomme, elle qui sans la toilette de Natier paraissait fort laide » (Archives de Prague, 28-3).

 

PASSANO, Giacomo — Aventurier génois mort vers 1772, portant aussi les noms anagrammatiques d’Ascanio Pogomas et de Cosimo Aspagona. Voir à l’entrée Bono les extraits de la correspondance Bono-Casanova, qui fournit la plupart des informations sur cette sorte de double maudit du Vénitien. Charles Samaran a publié des lettres de Passano à Mme d’Urfé (Jacques Casanova, Vénitien, p. 220-230), en conservant leur orthographe. Elles montrent la rancœur de leur auteur envers Casanova, surnommé « goulenoire ». Nous les reproduisons ici en respectant l’orthographe transcrite par Ch. Samaran et les éléments de description matérielle.

 

Lettre du 3 juillet 1763, envoyée de Lyon :

 

Ma adorable patronne, ne sachan trop faire de compliment, ni connoissant l’ortografe françoise, je viendrai avec la pureté de mon stile à vous faire part d’avoir reçu une lettre de Chambéri datée le 1er juillet, dans laquelle me donne avis du rosecroix. Il s’apelle le chevalier de Libusno, lequel a fait la confiance d’avoir dégià vécu deux cents année. Il ès droit comme une albarde, maigre comme un esquelette, beaucoup instruit de l’antiquité, sobre à toute preuve, jamais il fait semblant de rire. Pour moi, je croi qu’il soit Polaque, selon le nom susigné. J’ai de nouveau écrit all’ami pour faire en sorte de mieu découvrir l’affaire, é je suis persuadé qu’il ne soit un coquin comme il est Goulenoire. La probité de meurs sont opposée. L’un est portée à la sobriété, l’autre à la débauche : l’un tien son sérieus, l’autre donne dans le ridicule ; l’une vive du sien, l’autre vole cel des autres. Voilà ce que j’en pense.

J’ai veu un manuscrit dans lé main d’une personne, que son titre è : Sanctum regium Clavicule Salomonis, ou Clavicule Salomonis genuina, forcilis delucidaque declaratio. Jo Aure Caramiel. L’Arbs magique, science angelique expliqué sincèrement et sans énigme, requeillie de livre d’Agrippé, Arbatel et Pierre d’Apone et Jamblic, é de plusieur autres, avec différents secrets. La même personne tiene un talisman, que da un côté il y a le carré que je vous pouré lire le nombre qui li son. [Dans la marge est en effet collé une sorte de damier, dans les casiers duquel sont inscrits quarante-neuf chiffres.]

J’attend de vos nouvelles, é je vous souaite un oureuse séjours où vous ète, attendan votre désirable retour pour pouvoir par toujour vous donner des marques de ma fidélité et de mon obéissance.

Votre très unble et très obéissant serviteur, le comte Giacomo Passano, peintre.

[Adresse : « À Madame, Madame la marquise d’Urfé, à Montbrison en Forest. »]

 

Lettre du 7 juillet 1763 :

 

Madame, je vien de recevoir une lettre datée de Londres le 28 juin 1763. Je ne vous envoie l’original, parce que, étant écrite en gros et gran papié, vous cousteré trop, é je crois qu’un l’aye faite esprès pour mortifier ma petite bourse. Vous connoitrez mieu que moi de que il s’agit, surtout dans le dernier article, auquel vous pouriez répondre en françois. Goulenoire s’è plainte de moi auprez de monsieur Bono, banquier, concluand toujours que je morrai de rage. Avant de mourir, je voudrai avoir l’onneur de vous baiser la main é laisser mes os à ma patrie, et avec tout le respect je suis etc. comte de Giacomo Passano, peintre.

 

L’auteur de la lettre copiée et transmise à Mme d’Urfé n’est autre que Thérèse Imer, qui écrit à Passano une défense en règle de Casanova (transcription Ch. Samaran, ibid.) :

 

Monsieur, j’ai reçu deux lettres de vous adressée à madame Cornelys, une en datte le 6 juin et l’autre le 15, lesquelles mérite plus le silence que la réponce, mais j’aime à voir la fin et le but des personnes qui sont dans les deux extrémité, c’est-à-dire extrêmement bon ou extrêmement méchant. Je veux donc, avec votre permission, cartegé3 avec vous pour découvrir l’une ou l’autre qualité que je crois est en vous. Il faut véritablement, monsieur, que vous soiez très mal informé de la position de madame Cornelys, comme assurément vous le connaissez pas, car, si vous la saviez, vous ne feriez pas mention d’un mariage entre elle et M. de Seingalt. Par conséquant, comme vous m’avez promis un détail de son charactère, je vai là-dessus vous donner matière de tout ce que je connois de lui. Sachez donc que M. de Casanova a été connu de ma famille avant que je suis venu au monde, et par elle très bien reçu et chéri ; sa naissance aussi très bien connue de mon père. À l’âge de 4 à 5 ans, j’ai parvenu insensiblement à le connoître, à l’âge de 10 à 11 ans, je l’ai perdu de vue, m’étant mis à voyager. Dans l’année 45, je me suis mariée à Vienne, dans l’église de St-C [déchirure]. Dans l’année 54, je l’ai revu chez mon père, où je m’étais rendu pour faire voir mes enfants qui étoient dans leur plus tendre jeunesse. En 59, je l’ai rencontré en Hollande, où il me fit l’honneur de mille offres d’amitiez et de service. J’étois justement sur le point d’envoyer mon fils à Paris, et trouvant un tel occasion, il eut la bonté de l’emmener avec lui à Paris pour le mettre au collège que je l’avais destiné, le priant de tems en tems de me donner des nouvelles de son comportement, lequel M. de Casanova très gracieusement m’a fait part selon mon désir et selon sa généreuse promesse.

Mon fils ne m’écrivant pas si souvant comme je désirois, je me suis apperçu qu’il perdoit la tendresse qu’il devoit avoir pour sa mère, par conséquant j’ai cru qu’il étoit tems qu’il vinsent la reconnoître et lui payer ses justes devoir. Par cette même raison, j’ai priez M. de Seingalt, comme il venait à Londres, de me l’amener avec lui. L’ayant reposé à son soin, j’ai cru qu’il étoit juste qu’il me le remit tel comme il l’avoit reçu, ce qu’il a par sa grande bonté fait, et qui me donne bien du contentement d’être encore en tems de corriger ses grands defautez, et de lui donner connoissance de tout ce qu’il lui appartient, tant ici comme ailleurs.

Vous voiez donc, Monsieur, que je ne connois autre chose de M. de Casanova que des bontez, des politesses et des amitiez, lesquelles sont dues à une si longue connaissance, et je répète que je ne connois de lui que honneur et probité, et vis à vis de moi des actions (comme je ne doute à tout le monde) d’honnête homme.

Il est vrai que tous les hommes font des légèretés dans leurs vies, et ceus qui ne les font pas dans leur jeunesse lé font dans leur vielliesse, avec le malheur que quand on est vieux on les traite de sottise avec malice, mais quand en la jeunesse ont les nomment dé tours selon l’âge.

Je vous remercie de tous les avertissements que vous avez prétendeu me donner, mais croiez que je ne les prens pas comme adressés à moi.

« Il me reste à vous dire que la lettre qui a été écrite à mon fils donne des preuves assez authentiques que l’auteur est un homme qui a le malheur d’avoir un esprit rempli de malice et ennemi commun du bon sens.

N.B. Voilà de quoi me donner réponce. Ma demeure est toujours Carlisle House.

 

Passano poursuit sa lettre à Mme d’Urfé :

 

Pardonné-moi, Madame, é soiez contente de faire la réponce en français à la susdite lettre, envoié le moi et je la copierai, é je l’adresserai à la coquine. Faite moi cette grâce, vous savez le nom é les endroi é coman convaincre l’enfant, que assurément a nié de vous connoître, é le pendart de Seingalt lui a ensegné à mentir. Je vai, en attendant, à écrire en italien alla femme et à le chevalier d’industrie. Je voudrai savoir le jour de votre retour. Je sui à vos ordres.

P.-S. Je avois oublié de vous dire que Goulenoire a écrit à M. Bono que ne reviendra plus, é che paiera la calesse é sé dette avec une lettre de change.

[Adresse : « À Madame, Madame la marquise d’Urfé, à Montbrison en Forest »].

 

Lettre du 11 juillet 1763 :

 

Madame, monsieur le docteur Alfieri, de Milan, me fait savoir che le coquin de Seingalt a écrit que je me suis empoisonné, e que je suis mort.

De Turin on me fait savoir que il y ha un rabin fort savant, mais qu’il crain de être trompée, ne voulan s’exposer à dir mot, par appor à la Inquisition. Nous avons fait deux découvertes de ce côté, é j’espère réussir.

Monsieur de Maglyana, de Chambéri, vien de me faire offre de sa maison, et me donne bonne expérance dans Rosecroix. Il expère me voir aux bain proche de luy. Il a une très comode maison de campagne.

Mon estomac recomence encore à se bouleverser, é je n’ai plus de votre contrepoison. Je suive à prandre ce que me envoie le chirurgien. Peut-être que sera quelque residu du poisson. L’Apéti me serve, é je ne crain rien ; avec tou ça, je suis dan le danger.

Monsieur Bono doive envoier la note de combien d’argent a donné à Seingalt à comte dé billet d’Artois. Je serai d’avis de lui fer sequestrer, affin d’en tirer quelque partie. Qu’en dites-vous ? Le frère de cette banquier que se trouve à Milan tiene en ses main en gage la plus gran partie des byjou de Goulenoire, je pourrai aussi en aproffiter, si Madame l’estime bon ; com sa, je me rendré maître un autre foi de la bague que vous m’avez donné.

Je jugerai à propô d’écrire à M. Louis de Muralt à Londres de votre main, o faire écrire à votre nom por luy faire entendre l’affaire de l’enfant d’Altorphe, é comsa dementir le trompeur Goulenoire, que assurément a fait croire à sa coquine tout ce que luy a plu. Il vous répondra, é comsa nous averon quelque notion de l’enfant enghieusé.

Je voudrai avoir l’honneur de vous baiser la main avant que de murir, o de estre en besoin de quiter Lyon. Mon adorable patronne, vous pouvez me rendre heureux ; mais peut-être que mé crimes surpassent au point de me haïr au lieu de me rendre service.

Mille et mille excuses pour toujours je demanderai dou passé. Je suis coupable innosamment. Chatié moi avec la privation de votre aimable personne. Je le mérite. Goulenoire, dans une de ses lettres à M. Bono, m’appelle monstre. Il n’a pas raison de me donner un tel epithète. Vous, madame, que vous trouvez trompé da un misérable trompé, aves plus de raison de m’apeler monstre. É bien, je mérite la mort, et votre assassin a été mon borrò. Je quitterai le monde, é je le quitterai avec toute la rassignation é contenteman, ayan in partie coopéré à ne pas vu laisser sacrifié de ce monstre qui m’apele un monstre.

Je voudrai vous demander en grace en me écrivant de me faire le gracieus cadau dé billets que vous m’avez donnez l’année passée. Avec cette votre approbation, j’orai quelche espérance de me renre maître une autre fois de la bague che vous m’aves donnée. J’irai en Italie, je sequestrerai tout lé bijou du coquin, é je profitterai dou mien avec votre permission. Je vous ay toujours expérimentée genereuse, ne me abandonnez sur le point o de mourir o de me rendre chez moi.

Ici et ailleurs je ferai tout mon possible pour vous donner des marques de ma repentance et de mon devuuer. J’attend la sentence, ma divine patronne, é le moien de pouvoir à jammais me dire, madame, votre très umble et très obéissant serviteur.

Comte de Giacomo Passano, peintre

[Adresse : « à Madame, Madame la maquise d’Urfé, de present à Chazelle en Forets »].

 

Dans une lettre du 18 juillet 1763, Passano transmet à Mme d’Urfé une lettre de Louis de Muralt à la marquise datée du 3 juillet évoquant notamment l’art de prolonger la vie selon Roger Bacon, avant de poursuivre :

 

Madame, permetté-moi que, sur l’article de prolonger la vie, je vu dise qu’il y a della imposture. L’auteur d’un tel secret il seroit encore au monde. Peut-être qu’il y sera, ayant changé de nom. Je vien de recevoir la votre, é celon que vous me dites d’être ici mercredy au soir, je ne copieré toute la susdite lettre. Nous la lirons à votre arrivée, et avec tuot le respect que je vous doive je vous baise la main.

Comte de Passano.

[Adresse : « À Madame, Madame la marquise d’Urfé », à Souvigny]

 

Plus tard en 1763, Passano, dont la rage contre Casanova semble avoir diminué, abandonné par Mme d’Urfé, partit pour Livourne. Le Vénitien le retrouve à Barcelone en 1768 : d’après une lettre de Bono (Archives de Prague, 10N 1), Passano est alors responsable de l’emprisonnement de Casanova.

Sur Passano, voir également : Bruno Brunelli, Avventurieri minori del Settecento : Giacomo Passano, in Archivio Veneto, serie V, anno LXIII, Venise, 1933, p. 160 sq.

 

ROLL von Emmenholz, Marie-Anne-Louise (Ludovika), baronne — D’après les biographes de Casanova, elle serait la dame rencontrée à Zurich, et nommée « Madame  » dans le t. V. Fille de Louis-Hugo, baron Roll, officier au régiment d’Affry, et d’une comtesse espagnole, Claire-Marie de Escalante, elle fut mariée à l’un de ses parents le 29 juillet 1760 (le 25 juin de la même année, Casanova se trouvait déjà à Lausanne). La baronne Roll von Emmenholz occupa une position mondaine importante dans la société de Lugano, où elle meurt en 1825. S’il est prouvé que Casanova l’a rencontrée en 1760 (A. Ravà, Casanova a Lugano, dans Bolletino stor. della Svizzera Ital., 1911, nos 1-6), le récit de ses aventures avec Mme de Roll, la boiteuse et la belle Dubois semble relever de la féconde imagination du Vénitien, lequel continua par la suite à recevoir des nouvelles de la baronne. On a retrouvé aux Archives de Dux une lettre du comte Brezé, datée du 15 novembre 1769 (« Votre lettre, Monsieur, m’a fait un sensible plaisir, d’autant plus que j’ai reçu des nouvelles de Mme la baronne de Roll qui était un peu incommodée lorsque je partis du Lugan ; je vous prie de ne pas manquer de lui offrir mes respects, ainsi que mes compliments à M. le Baron son époux », Archives de Prague, 4-77) et une autre du baron Roll, datée du 6 février 1770 : « Mme de Roll prend au pied de la lettre les choses obligeantes que vous lui dites, les femmes croient facilement des choses qui les flattent, et ce qui est urbain ; elle me charge de vous dire : si elle est aimable, elle le désire fort de l’être pour vous […] » (Archives de Prague, 10H 2).

 

SANTIS, Giuseppe (pseudo-chevalier de) — Né vers 1724 à Spolète, joueur professionnel et escroc notoire, déjà connu pour tel à Rome avant de venir chercher fortune à Paris. Dès 1756, il a affaire à la police parisienne. Les frères Calzabigi l’emploient et l’envoient dans plusieurs villes lorsqu’ils songent à établir en Allemagne une loterie semblable à celle de l’École militaire. Casanova le connaît sans doute dès cette époque, et mieux qu’il ne le dit dans l’Histoire de ma vie ; il semble avoir été victime de ses parties de jeu truquées – au-delà même de ce que tolérait l’époque, pas toujours regardante sur ce sujet – et avoir été mêlé à son incarcération au printemps 1759 : peu après un dîner avec le Vénitien, Santis fut arrêté et bientôt envoyé à Bicêtre où il resta enfermé jusqu’à l’été 1760. Voir G. Capon, Casanova à Paris, p. 460 sq., et Ch. Samaran, Jacques Casanova, Vénitien, p. 322-329.

 

VOLTAIRE — L’unique témoignage probable de Voltaire sur la visite de Casanova tient en quelques lignes à la fin de sa lettre à Nicolas-Claude Thieriot du 7 juillet 1760 : « Nous avons ici un espèce de plaisant, qui serait très capable de faire une façon de Secchia rapita [poème héroï-comique d’Alessandro Tassoni, 1622], et de peindre les ennemis de la raison, dans tout l’excès de son impertinence. Peut-être mon plaisant fera-t-il un poème gai et amusant, sur un sujet qui ne le paraît guère » (Correspondance, op. cit., t. V, p. 985). Le même poème de Tassoni est mentionné au chapitre VII du tome V (p. 496) de l’Histoire de ma vie.

Casanova a écrit, en 1785, une version bien différente de l’échange avec Voltaire à propos de l’Arioste : « Monsieur de Voltaire cependant qui ne s’est jamais rétracté sur le faible jugement qu’il porta sur Homère, commença à l’âge de cinquante ans à dire à tout le monde qu’il fallait respecter le Tasse, et se mettre à genoux devant l’Arioste : c’est ainsi qu’il s’est expliqué avec moi à ses délices l’année 1761 en présence de M. Tronchin ; et ayant peur que je ne crusse que son admiration était feinte, il me récita tout d’une haleine le discours que S. Jean tint au duc Astolfe très bien, et très exactement prononcé. Je lui ai dit que ce morceau était beau, mais que ce n’était pas celui qui lui avait acquis le surnom de divin. Il donna alors dans un grand éclat de rire, qu’à la vérité je ne savais comment interpréter ; mais il ne me laissa pas dans l’incertitude, car il me récita d’abord le morceau qui effectivement déclara la divinité de ce grand poète. C’est l’endroit où Roland convaincu de l’infidélité d’Angélique devient fou » (Essai de critique sur les mœurs, sur les sciences et sur les arts, § XXVI, « Poème épique », p. 95).

En 1769, Casanova publie dans la Confutazione un premier résumé de ses entretiens avec Voltaire : « Le seigneur Marie-François Arouet de Voltaire ne m’a jamais offensé ni en actes ni en paroles ; et j’assure toute l’Europe que si j’avais eu quelque raison de me plaindre de lui directement, et s’il m’avait en quelque façon injurié, je me serais fait une véritable gloire de lui pardonner, et je n’aurais jamais écrit ce que j’ai écrit, de peur que le Monde ne dise que, guidé par la rancœur et la vengeance vile et basse, j’écrivis sous la dictée de la passion. Ce Monsieur de Voltaire me reçut même honnêtement quand Monsieur de Villars-Chandieu me présenta à lui ; et précisément parce que je n’ai pas eu à me plaindre de lui, j’ai cru pouvoir dire ouvertement mon sentiment, certain que les critiques ne pourraient s’appuyer sur mon ressentiment pour m’accuser d’être un écrivain esclave de la vengeance et non pas plutôt, comme je le suis, partisan et servant de la vérité » (Suppl., III, p. 15).

Tables de conversion des monnaies européennes au XVIIIe siècle suivant l’ordre chronologique des déplacements de Casanova de 1757 à 1763

Le détail des calculs figure dans les Annexes du vol. I de cette édition, p. 1543-1544.

Paris et royaume de France

Noms des espèces
et des monnaies de compte

Valeur
en monnaie locale

Valeur en livres 1750

Équivalent

approximatif en euros

Louis d’or

24 livres

24

250

Écu d’argent

6 livres

6

66

Demi-écu d’argent

3 livres

3

33

Livre ou franc (monnaies de compte)

1 livre = 20 sous

1

11

Le sou blanc désigne :

– soit le douzain (12 deniers)

– soit le dizain (10 deniers)

1 sou

0,05

0,5

Double sol (billon)

24 deniers

0,1

1

Sou ou sol (cuivre)

4 liards ou 12 deniers

0,05

0,5

Liard (cuivre)

3 deniers

0,012

0,12

Denier

Provinces-Unies (Amsterdam, La Haye)

Noms des espèces
et des monnaies de compte

Valeur
en monnaie locale

Valeur
en livres
1750

Équivalent approximatif en euros

Ducat (dukaat) d’or

5,13 florins

10,5

115

Florin de Hollande

(gulden- ou guilderflorin)

20 stuyvers

2

22

Daller d’argent

16-17 stuyvers

1,6

18

Stuyver (orth. stuiver, stüber)

16 pfennig

0,1

1,1

Pfennig ou pennins

0,06

Pays allemands (Bonn, Stuttgart)

Noms des espèces
et des monnaies de compte

Valeur
en monnaie locale

Valeur
en livres
1750

Équivalent approximatif en euros

Dukat

180 kreuzer

env. 10

110

Reichsthaler (= rixtdaler, richedaller)

4 shelling 8 deniers ou 100 kreuzer

5,28

55

Gulden (ou florin, monnaie de compte)

60 kreuzer

3,2

33

Groschen

3 kreuzer ou 10 pfennig

0,16

1,7

Kreuzer

4 pfennig

0,05

0,5

Pfennig

Suisse (Zurich, Berne, Soleure, Genève)

Noms des espèces
et des monnaies de compte

Valeur
en monnaie locale

Valeur
en livres 1750

Équivalent approximatif en euros

Patagon

Environ 70 creutzers

3

33

Florin

60 creutzers

2,5

27

Batz

10 rappes

0,15

1,65

Creutzers

4 pennins

0,04

0,45

Rappes

1,5 pennin

0,015

0,16

Pennins (pfennig)

Royaume de Piémont-Sardaigne (Savoie, Turin)

Noms des espèces
et des monnaies de compte

Valeur
en monnaie locale

Valeur en livres 1750

Équivalent approximatif en euros

Pistola di Savoia ou doppia di Piemonte

24 lires ou livres du Piémont

24-25 (1 louis)

250

Lira savoiarda ou livre de Savoie ou du Piémont (pièce d’argent)

20 soldi de Savoie

Environ 1 livre

11

Soldo di Savoia

12 denari

Environ 1 sou français

0,2

Denaro di Savoia (ou quartino)

Environ 1 liard

0,12

Duché de Toscane (Florence)

Noms des espèces
et des monnaies de compte

Valeur
en monnaie locale

Valeur en livres 1750

Équivalent approximatif en euros

Gigliato ou zecchino (sequin florentin)

24 lires

Environ 10

115

Pistola fiorentina

20 lires

8,3

90

Ducato ou scudo d’oro

(écu florentin)

7 lires

Environ 3

35

Testone

2 lires ou 3 julii

0,90

10

Lire

20 soldi

0,46

5

Julio (paolo florentine)

12 soldi

0,27

3

Soldo

12 denari

0,02

0,25

Denaro

République de Gênes

Noms des espèces
et des monnaies de compte

Valeur
en monnaie locale

Valeur en livres 1750

Équivalent approximatif en euros

Genovina d’oro

100 lires

Environ 67

740

Giorgino ou sequin d’or (zecchino di Genova)

13 lires et 10 soldi

9

Environ 100

Lira di Genova

20 soldi

0,67

7,4

Soldo

12 denari

0,03

0,33

Denaro

Rome et États de l’Église

Noms des espèces
et des monnaies de compte

Valeur

en monnaie locale

Valeur en livres 1750

Équivalent

approximatif en euros

Sequin (zecchino romano) d’or

2 écus romains

10

110

Ecu (scudo romano) d’or

16,6 pauls (paoli)

5

55

Quartino d’or

5 pauls (paoli)

2,5

25

Testone

3 pauls (paoli)

1,5

15

Giulio ou paolo (paul)

10 baiocchi

0,5

5

Baïoque (baiocchi) en cuivre

5 denari

0,05

0,5

Denaro

Duché de Milan

Noms des espèces
et des monnaies de compte

Valeur
en monnaie locale

Valeur en livres 1750

Équivalent approximatif en euros

Sequin ou zecchino (monnaie d’or)

15 lires

10-11

114

Filippo

8,5 lires

Environ 6

Environ 60

Lira milanese (monnaie d’argent)

20 soldi

0,7

6-7

Soldo

12 denari

Royaume de Naples

Noms des espèces
et des monnaies de compte

Valeur
en monnaie locale

Valeur en livres 1750

Équivalent

approximatif en euros

Once (monnaie de compte de Sicile)

60 carlins

24 (1 louis)

250

Sequin (zecchino napoletano)

18 carlins

7,2

75

Once (pièce d’or)

14 paoli

6,5

70

Ducat (ducati di regno ou del regno, pièce d’or)

10 carlins

4

42

Carlino

10 grani

0,4

4

Grano

3 quadrini

0,04

0,38

Quadrino

Lexique et règles des jeux

Divertissement favori des classes aisées qui jouent gros jeu, le pharaon et autres « jeux de commerce » occupent une place centrale dans la vie sociale de Casanova. Les cartes sont tout à la fois une ressource, une distraction, « un grand lénitif pour un homme amoureux » (voir vol. I de la présente édition, p. 940), mais aussi une activité compulsive aboutissant à des défis insensés, telle l’interminable partie de quarante-deux heures contre l’officier d’Entragues à Colmar (voir t. VI, chap. XIII voir ici).

Lexique

Biribi — « Nom d’un jeu qui a été fort à la mode, et dont les instruments sont un grand tableau ayant soixante-dix cases avec leurs numéros, et un sac contenant soixante-quatre boules qui ont autant de billets numérotés. Chaque joueur tire à son tour une boule du sac ; et si le numéro du billet répond à celui de la case du tableau sur laquelle il a mis son argent, le banquier lui paye soixante-quatre fois sa mise » (Littré).

 

Brelan — « Sorte de jeu de renvi, où l’on joue à trois, à quatre ou à cinq, et où l’on ne donne que trois cartes à chaque joueur. On dit à ce jeu : Avoir brelan, pour dire : Avoir trois cartes de même figure ou de même point. Avoir brelan d’as » (Acad. 1762). Règle : trois cartes sont distribuées à chaque joueur et une carte est retournée ; les joueurs misent selon la valeur estimée de leur jeu.

 

Capon — « Joueur rusé, fin et appliqué à prendre toute sorte d’avantage aux jeux d’adresse » (Acad. 1762). Synonyme de « Grec » (tricheur).

 

Cave — « Le fonds d’argent que chacun des joueurs met devant soi à certains jeux des cartes, comme au brelan, à la grand’prime. La première cave était de dix pistoles » (Acad. 1762).

 

Comète — Jeu de cartes qui se joue avec deux jeux de cinquante-deux cartes dont on a ôté les as. L’un des jeux est de couleur noire, l’autre de couleur rouge, et une carte est appelée « comète » (le neuf de carreau dans le jeu noir, le neuf de trèfle dans le jeu rouge).

 

Croupier — « Celui qui est de part au jeu avec quelqu’un qui tient la carte ou le dé » (Acad. 1762). Le croupier assiste le banquier, surveille le jeu, assure les perceptions et les paiements. Au pharaon, il est de moitié avec le banquier dans le partage des bénéfices. Il est ainsi appelé par analogie avec la personne qui monte en croupe (groppa en italien) derrière un cavalier, d’où l’orthographe « groupier » employée parfois par Casanova.

 

Débanquer — « Gagner tout l’argent qu’un Banquier a devant lui » (Acad. 1762).

 

Face — Au jeu de la bassette, on appelle face la première carte que découvre celui qui tient la banque.

 

Livret — À la bassette et au pharaon, main de treize cartes donnée à chacun des pontes.

 

Martingale — « Jouer à la Martingale, c’est jouer toujours tout ce qu’on a perdu » (Acad. 1762).

 

Paroli — Faire paroli, c’est miser le double de ce qu’on a joué la première fois. « On appelle Paroli de campagne un paroli qu’un joueur fait par friponnerie avant que sa carte soit venue, comme s’il avait déjà gagné » (Acad. 1762).

 

Piquet — Ce jeu se joue à deux avec trente-deux cartes (de l’as au 7). Le but est de réaliser les plus fortes combinaisons de cartes et d’arriver à un total de cent points. Les joueurs commencent par écarter les cartes qu’ils jugent défavorables, en prennent d’autres dans le talon et font les annonces correspondant aux meilleures séquences qu’ils ont en main. Une séquence (tierce, quarte…, huitième) est une suite de cartes de la même couleur, le nombre ne pouvant être inférieur à trois cartes. Le joueur qui ouvre les annonces énonce sa plus forte séquence par son nom et sa hauteur (par exemple, quinte au roi), l’autre répond « c’est bon » s’il n’a pas de séquence au moins égale, « égal » s’il a une séquence égale, ou « mieux » s’il en a une plus haute. Le joueur qui a la meilleure séquence en compte le nombre de points.

 

Ponte — « Se dit, au pharaon et à la bassette, de tout joueur différent du banquier, c’est-à-dire, qui ne taille pas » (Acad. 1762).

 

Quinze — Jeu de cartes « où celui des joueurs qui le premier a quinze par les points de ses cartes, ou qui en approche le plus près en dessous, gagne » (Acad. 1762).

 

Renvi — « Terme de certains jeux des cartes. Ce que l’on met par dessus la vade [mise]. Faire un renvi de dix louis. On le dit quelquefois au figuré en style familier pour renchérir » (Féraud).

 

Sonica — « Terme du jeu de la Bassette, qui se dit d’une carte qui vient ou en gain ou en perte, tout le plus tôt qu’elle puisse venir pour faire gagner ou pour faire perdre » (Acad. 1762).

 

Taille — « En termes de Jeu, se dit de chaque fois que le Banquier, qui tient le jeu à la Bassette ou au Pharaon, achève de retourner toutes les cartes » (Acad. 1762). Les deux cartes retournées s’appellent une « taille ».

 

Tailler — « Se dit en parlant de certains jeux des cartes, comme la Bassette et le Pharaon, où un seul, qu’on nomme le Banquier, tient les cartes et joue contre plusieurs » (Acad. 1762).

 

Trente et quarante — Jeu de cartes où « celui qui amène le plus près de trente points gagne. À trente et un, il gagne double. À quarante, il perd double » (Trévoux).

 

Trente et un — Même règle que le précédent : « celui qui a trente et un points en ses cartes, gagne » (Trévoux).

 

Tri — « Jeu de cartes. Sorte de jeu d’Hombre qu’on joue à trois : on n’y conserve de la couleur de carreau que le Roi. […] Il a été fort en vogue. On l’appelle à présent, Le vieux Tri » (Acad. 1798).

 

Trictrac — « Jeu qui se joue avec deux dés suivant le jet desquels chaque joueur ayant quinze dames, les dispose artistement sur des points marqués dans le tablier, et selon les rencontres gagne ou perd plusieurs points, dont douze font gagner une partie ou un trou, et les douze parties ou trous le tout ou le jeu. Il faut pour jouer au trictrac avoir quinze dames de chaque côté noires ou blanches, deux dés, trois jetons et deux fiches qui sont, comme nous l’avons dit à leur article, les marques qu’on met dans chaque trou pour compter les parties qu’on gagne. On ne joue ordinairement que deux au trictrac, et avec deux dés ; ce sont les joueurs eux-mêmes qui les mettent chacun dans leur cornet » (Encyclopédie).

 

Va ou vade — Mise, ce qu’on met au jeu à chaque coup. On dit « le sept et le va » pour annoncer « ce qu’on a mis au jeu, et sept fois autant » (Trévoux).

La bassette

La bassette se pratique avec deux jeux de cinquante-deux cartes entre un banquier (appelé « tailleur ») et un nombre de joueurs (appelés « pontes ») déterminé par le banquier. Celui-ci tient un jeu complet de cinquante-deux cartes, et joue seul contre les pontes qui tiennent chacun en main un jeu (ou livret) de treize cartes, allant de l’as au roi. Ces livrets sont constitués à partir du second jeu de cinquante-deux cartes, au dos différent du jeu du banquier (ce second jeu peut fournir quatre livrets de treize cartes). À la bassette, la couleur des cartes est indifférente, seule compte leur force.

Les pontes commencent par placer une carte de leur livret devant eux, face visible, en misant dessus une certaine somme. Les mises étant ainsi faites, le banquier mélange son jeu de cinquante-deux cartes et le coupe lui-même. Puis il retourne le paquet en le serrant dans ses mains de telle manière qu’il peut voir la première carte. Le banquier commence alors à tailler : il pose devant lui, faces visibles, un couple de cartes appelé « taille » qu’il dévoile aux pontes l’une après l’autre.

La première carte de la taille est pour le banquier. Le ponte qui a misé sur le même type de carte a perdu : il doit donner sa mise au banquier.

La seconde carte de la taille est pour les pontes. Le ponte qui a misé sur le même type de carte gagne.

Le banquier annonce à voix haute le résultat de la taille. Par exemple, si la taille est composée d’un dix puis d’une dame, il dit aux pontes : « Le dix perd, la dame gagne. » Si la taille est constituée de deux cartes de même force, par exemple deux valets, seul le banquier gagne par la primauté. La dernière des cinquante-deux cartes est nulle : elle ne fait gagner personne.

Un ponte qui gagne reçoit du banquier le montant de sa mise : il double donc sa mise initiale.

Le banquier qui gagne prend les mises des perdants. Pour la première des cinquante-deux cartes que l’on appelle « face », le banquier ne prend que les deux tiers de la mise des perdants.

Un ponte peut miser en cours de partie. Dans ce cas, la première carte de la taille qui suit sa mise est aussi considérée pour ce ponte comme une face. Lorsqu’un ponte perd contre une face, il est dit « facé ». Pour tenir compte de ces faces, la mise des pontes doit être un multiple de 3.

On peut miser sur plusieurs cartes du livret. Toute carte libérée de sa mise, par gain ou par perte, est reprise par le ponte et peut être réutilisée pour miser. Pour augmenter leurs chances de gagner, les pontes doivent mémoriser les cartes qui sont déjà sorties à mesure que le talon du banquier diminue.

Le banquier effectue ainsi vingt-six tailles jusqu’à épuisement de son jeu de cinquante-deux cartes. À la fin du paquet, il reprend les cartes, les mélange, les coupe et recommence à tailler comme précédemment.

Lorsque le talon du banquier est épuisé, les pontes ayant encore des mises sur des cartes doivent les laisser pour la suite de la taille.

 

La mise posée sur une carte est appelée « mas » (prononcer « mâsse »). Certaines manières de miser ont des appellations particulières.

La plus prudente est la petite paix : un ponte gagnant joue son gain sur la même carte en retirant sa mise. Ainsi il ne peut perdre que ce qu’il vient de gagner.

La grande paix : un ponte qui vient de gagner la petite paix laisse à nouveau son gain sur sa carte.

Plus risqué est le paroli (ou alpiou, de l’italien al più) : le ponte gagnant laisse sa mise initiale et plie un coin de sa carte pour signifier qu’il rejoue aussi son gain. S’il gagne le paroli, il emporte ainsi trois fois sa mise initiale.

Sept et le va (va désigne la mise) : après avoir gagné un paroli, le ponte laisse sa mise initiale et plie un autre coin de sa carte pour signifier qu’il rejoue tous ses gains. S’il gagne, il remporte sept fois sa mise.

Quinze et le va : après avoir gagné le sept et le va, le ponte laisse sa mise initiale et plie un troisième coin de sa carte pour signifier qu’il rejoue ses gains. S’il gagne, il remporte quinze fois sa mise.

Une manière de tricher consiste à corner sa carte à l’insu du banquier : cela s’appelle faire un paroli de campagne. Pour se garder des tricheurs, le banquier n’accepte une mise ou un paroli que si elle est clairement annoncée par le ponte sous la forme : paroli du valet. Si le banquier accepte, il répond : « Va pour le valet » ; s’il refuse, il dit : « Non va pour le valet. »

 

L’article le plus clair sur la bassette à l’époque de Casanova est celui de d’Alembert dans l’Encyclopédie (t. II, p. 122) :

BASSETTE, s. f. sorte de jeu de carte qui a été autrefois fort à la mode en France ; mais il a été défendu depuis, et il n’est plus en usage aujourd’hui. En voici les principales règles.

À ce jeu, comme à celui du pharaon le banquier tient un jeu entier composé de 52 cartes. Il les mêle, et chacun des autres joueurs qu’on nomme pontes, met une certaine somme sur une carte prise à volonté. Le banquier retourne ensuite le jeu, mettant le dessus dessous ; en sorte qu’il voit la carte de dessous : ensuite il tire toutes ses cartes deux à deux jusqu’à la fin du jeu.

Dans chaque couple ou taille de cartes, la première est pour le banquier, la seconde pour le ponte, c’est-à-dire que si le ponte a mis par exemple sur un roi, et que la première carte d’une paire soit un roi, le banquier gagne tout ce que le ponte a mis d’argent sur son roi ; mais si le roi vient à la seconde carte, le ponte gagne, et le banquier est obligé de donner au ponte autant d’argent, que le ponte en a mis sur sa carte.

La première carte, celle que le banquier voit en retournant le jeu, est pour le banquier, comme on vient de le dire : mais il ne prend pas alors tout l’argent du ponte, il n’en prend que les 2/3 ; cela s’appelle facer.

La dernière carte, qui devrait être pour le ponte, est nulle.

Quand le ponte veut prendre une carte dans le cours du jeu, il faut que le banquier baisse le jeu, en sorte qu’on voie la première carte à découvert : alors si le ponte prend une carte (qui doit être différente de cette première), la première carte que tirera le banquier sera nulle pour ce ponte ; si elle vient la seconde, elle sera facée pour le banquier ; si elle vient dans la suite, elle sera en pur gain ou en pure perte pour le banquier, selon qu’elle sera la première ou la seconde d’une taille.

M. Sauveur a donné dans le Journal des Savants en 1679, six tables, par lesquelles on peut voir l’avantage du banquier à ce jeu. M. Jacques Bernoulli a donné dans son Ars conjectandi l’analyse de ces tables, qu’il prouve n’être pas entièrement exactes. M. de Montmort, dans son Essai d’analyse sur les jeux de hasard, a aussi calculé l’avantage du banquier à ce jeu4. On peut donc s’instruire à fond sur cette matière dans les ouvrages que nous venons de citer : mais pour donner là-dessus quelque teinture à nos lecteurs, nous allons calculer l’avantage du banquier dans un cas fort simple.

Supposons que le banquier ait six cartes dans les mains, et que le ponte en prenne une qui soit une fois dans ces six cartes, c’est-à-dire dans les cinq cartes couvertes : on demande quel est l’avantage du banquier.

Il est visible que les cinq cartes étant désignées par a, b, c, d, e, peuvent être combinées en 120 façons différentes, c’est-à-dire en 5 fois 24 façons. Imaginons donc que ces 120 arrangements soient rangés sur cinq colonnes de 24 chacune, de manière que dans la première de ces colonnes a se trouve à la première place, que dans la seconde ce soit b qui occupe la première place, c dans la troisième, etc.

Supposons que a soit la carte du ponte, la colonne où la lettre a occupe la première place, est nulle pour le banquier et pour les pontes.

Dans chacune des quatre autres colonnes, la lettre a se trouve six fois à la seconde place, six fois à la troisième, six fois à la quatrième, et six fois à la cinquième, c’est-à-dire qu’en supposant A la mise du ponte, il y a 24 arrangements qui font gagner 2A/3 au banquier ; 24 qui le font perdre, c’est-à-dire qui lui donnent – ; 24 qui le font gagner, c’est-à-dire qui lui donnent ; et 24 enfin qui sont nuls. Cela s’ensuit des règles du jeu expliquées plus haut.

Or, pour avoir l’avantage d’un joueur dans un jeu quelconque, il faut :

1o. Prendre toutes les combinaisons qui peuvent le faire gagner, ou perdre, ou qui sont nulles, et dont le nombre est ici 120.

2o. Il faut multiplier ce qu’il doit gagner (en regardant les pertes comme des gains négatifs) par le nombre des cas qui le lui feront gagner ; ajouter ensemble ces produits, et diviser le tout par le nombre total des combinaisons ; donc l’avantage du banquier est ici :

(24 × 2/3A + 24 × (– A) + 24 × A) / 120 = 2/15 A

2/15A, c’est-à-dire que si le ponte a mis par exemple un écu sur sa carte, l’avantage du banquier est de 2/15 d’écu, ou de huit sous.

M. de Montmort calcule un peu différemment l’avantage du banquier : mais son calcul, quoique plus long que le précédent, revient au même dans le fond. Il remarque que la mise du banquier étant égale à celle du ponte, l’argent total qui est sur le jeu, avant que le sort en ait décidé, est 2 ; dans les cas nuls, le banquier ne fait que retirer son enjeu, et le ponte, le sien, ainsi le banquier gagne : dans le cas où il perd, son gain est 0 ; dans les cas facés, il retire A + 2/3 ; dans les cas qui sont pur gain, il retire 2 ; ainsi, le sort total du banquier, ou ce qu’il peut espérer de retirer de la somme 2 A, est :

(24 × A + 24 × 5/3A + 24 × 0 + 24 × (2A) + 24 × A) / 120 = A + 2/15 A

et comme il a mis A au jeu, il s’ensuit que 2/15 A est ce qu’il peut espérer de gagner, ou son avantage.

M. de Montmort examine ensuite l’avantage du banquier lorsque la carte du ponte se trouve, deux, ou trois, ou quatre fois, etc. dans les cartes qu’il tient. Mais c’est un détail qu’il faut voir dans son livre même. Cette matière est aussi traitée avec beaucoup d’exactitude dans l’ouvrage de M. Bernoulli que nous avons cité.

À ce jeu, dit M. de Montmort, comme à celui du pharaon, le plus grand avantage du banquier, est quand le ponte prend une carte qui n’a point passé, et son moindre avantage quand le ponte en prend une qui a passé deux fois ; son avantage est aussi plus grand, lorsque la carte du ponte a passé trois fois, que lorsqu’elle a passé seulement une fois.

M. de Montmort trouve encore que l’avantage du banquier à ce jeu est moindre qu’au pharaon ; il ajoute que si les cartes facées ne payaient que la moitié de la mise du ponte, alors l’avantage du banquier serait fort peu considérable ; et il dit avoir trouvé, que le banquier aurait du désavantage si les cartes facées ne payaient que le tiers. (O)

Le pharaon

Les principes de base et les règles des mises sont les mêmes qu’à la bassette. La taille est toujours de deux cartes, mais au pharaon le banquier dévoile les deux cartes simultanément, en plaçant la première à sa droite et la seconde à sa gauche. La carte placée à droite, appelée carte de face, fait gagner le banquier. La carte placée à gauche, appelée carte anglaise, fait perdre le banquier. La dernière carte du jeu est nulle.

Aucune carte n’est facée, pas même la première : le banquier gagnant emporte la totalité des mises. Lorsque les deux cartes d’une taille sont de même force, le banquier retire la moitié de la mise du ponte qui a joué sur ce type de carte. Le banquier perd ainsi l’avantage qu’il avait sur les paires à la bassette (où il remportait toutes les mises), mais il en regagne un autre sur les faces qui n’existent plus au pharaon.

 

L’article « Pharaon » de l’Encyclopédie, bien moins clair que celui de d’Alembert, cite les conclusions de Montmort :

Ainsi toute la science de ce Jeu se réduit pour les Pontes à observer les deux règles qui suivent :

1o. Ne prendre des cartes que dans les premières tailles, et hasarder sur le jeu d’autant moins qu’il y a un plus grand nombre de tailles passées.

2o. Regarder comme les plus mauvaises cartes celles qui n’ont point encore passé, ou qui ont passé trois fois, et préférer à toutes, celles qui ont passé deux fois.

En suivant ces deux règles, le désavantage du Ponte sera le moindre possible.

Histoire de ma vie
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