EN MÉMOIRE DE LUI
Césarion… En grec, on dit Kaïsariôn – un nom de roi, dur et tendre à la fois, que Séléné devait prendre plaisir à prononcer, à répéter. Kaïsariôn, le doux Kaïsariôn assassiné a laissé peu de traces dans la pierre : un bas-relief sur le mur d’un temple à Dendera – on l’y voit, vêtu à l’égyptienne, offrant un sacrifice aux dieux en compagnie de sa mère. Une représentation si conventionnelle que les Romains ne l’ont pas remarquée, ils ont oublié de la marteler…
Rien d’autre pendant vingt siècles. Puis, tout à coup, tirée de la mer, une tête colossale en granit gris : un bel enfant d’une douzaine d’années, mi-Romain, mi-Égyptien ; il porte la coiffe de lin pharaonique, mais, sur le front, ses cheveux épais et souples forment une frange typiquement romaine. Portrait métissé d’un roi « métis ». Beauté poignante d’un être entre deux mondes, entre deux âges : les rondeurs de l’enfance (joues pleines, bouche charnue), et la gravité du monarque (regard triste, mâchoires serrées). Le visage, aux traits réguliers, ne sourit pas, mais sa chair sourit pour lui. Quand on l’a exposé à Paris, j’ai eu tout de suite envie de le toucher. Si je n’avais craint de déclencher les alarmes du musée, j’aurais suivi du doigt le contour des lèvres boudeuses, glissé ma paume contre la tempe pour épouser la courbure de la joue – le granit appelait les caresses comme une peau.
Moi qui ne crois guère aux portraits tardivement identifiés, aux suppositions homologuées, je reconnaissais ce buste-là au besoin que j’avais de l’effleurer, de le frôler, de l’étreindre. « Kaïsariôn, murmurerait un jour Séléné dans la solitude de son “Jardin de cendres”, Kaïsariôn, jamais je n’ai cessé de t’aimer. »