AMNÉSIE

Un jour qu’au Palais elle nettoie la volière des princes, une vieille esclave tombe en arrêt. Elle se rappelle, dit-elle, ça y est, elle se rappelle ! En hiver, dans le pays où elle est née, il pleut des plumes blanches, un duvet de tourterelle qui couvre le sol… Tout le monde rit : on ne la croit pas.

Sauf Diotélès, qui assure avoir lu, dans Xénophon, que cet étrange phénomène s’appelle « neige ».

L’esclave gauloise reste hésitante, presque honteuse. « Neige », dites-vous ? Forcément, dans son pays, ce n’était pas ce mot-là. Elle a marché si longtemps. Elle a eu beaucoup de maîtres. Et beaucoup d’enfants. Les maîtres l’ont vendue. On lui a pris les enfants. « Neige » ? Peut-être…

Du passé, il ne lui reste rien. Pas un mot, pas un amour, pas un objet. Même pas l’un de ces débris dérisoires, amulettes, épingles, petite monnaie, babioles de bazar que, vingt siècles après, des archéologues ramasseront avec respect. On ne conserve pas le duvet de l’oiseau, le souffle du vent, un flocon de neige… Qui se souviendra de l’esclave qui ne se rappelle rien ?