Max n’avait nul besoin des cris frénétiques de Kasim pour comprendre qu’une série d’explosions venait de frapper le Golden Dawn. Les gerbes d’eau écumante qui jaillissaient les unes après les autres le long du navire apparaissaient clairement sur l’écran principal du centre opérationnel de l’Oregon. On aurait pu croire à des tirs de torpilles, mais c’était impossible, les écrans radar étaient vierges, et le sonar aurait forcément détecté leur lancement.
Lorsque la fumée commença à se dissiper, Eric fit zoomer la caméra sur l’une des parties endommagées du navire. Le trou était assez grand pour qu’un homme puisse y passer, et l’eau s’engouffrait dans la brèche à une vitesse prodigieuse. Avec quatre impacts du même type et autant de compartiments de la coque inondés, le Golden Dawn était condamné, d’autant que les pompes de fond de cale n’étaient pas alimentées en énergie. Eric estima que le navire allait sombrer en moins d’une heure.
Max pianota sur sa console de communication.
— George, ramenez vite votre derrière à l’hélico, et filez vers le Dawn. Une série d’explosions viennent de se produire, sans doute un sabotage, et notre équipe est dans le pétrin.
— Compris, répondit aussitôt Gomez Adams. Vous voulez que je me pose ?
— Négatif. Restez en vol stationnaire et attendez les ordres. Oregon à Cabrillo, poursuivit Max après avoir changé de canal radio. Julia, vous êtes là ? Eddie ?
— Je suis là, répondit soudain une voix dans les haut-parleurs.
C’était Mark Murphy, qui bénéficiait d’une meilleure réception, car il était resté dans la timonerie du Golden Dawn.
— Que s’est-il passé ? On aurait dit des explosions...
— C’est bien ça, répondit Max. Quelqu’un essaie de couler le navire, et d’après ce que je peux voir d’ici, il est en train de réussir son coup.
— J’ai à peine commencé les téléchargements !
— Vous pouvez remballer vite fait. Gomez arrive. Dépêchez-vous de sortir.
— Et Juan ? Et les autres ?
— Vous êtes en communication radio avec eux ?
— Non. Je n’ai pas eu Juan depuis vingt minutes, lorsqu’il est descendu à la salle des machines.
Max réprima un juron. C’était le pire endroit où se trouver en cas d’explosion.
— Eddie et Julia ?
— J’ai perdu le contact quelques minutes plus tard. Je vais vous dire une chose, Max. Il va falloir remettre ces fichues radios à niveau dès que nous serons rentrés à bord.
— On verra ça en temps voulu, répliqua Max qui pensait la même chose.
Il étudia l’image relayée par l’écran et constata que le Dawn s’enfonçait rapidement. La rangée inférieure de hublots était à moins d’un mètre de l’eau, et le navire gîtait légèrement sur tribord. S’il décidait d’envoyer Murph à la recherche des autres, le spécialiste en armement risquait de se retrouver lui-même piégé. Le Golden Dawn s’enfonçait maintenant plus lentement, mais il pouvait basculer en avant à tout moment. Il ne lui restait plus qu’à espérer que les autres réussiraient à sortir par leurs propres moyens.
— Mark, appela-t-il, grimpez dans l’hélico dès que vous le pourrez. Ensuite, vous resterez en stationnaire pour être prêts dès que les autres atteindront le pont supérieur.
— Compris, mais je n’aime pas beaucoup ça.
— Moi non plus, mon gars, moi non plus.
Après un coup d’œil rapide sur un plan du navire placardé contre une cloison, Eddie Seng conduisit Julia sans la moindre erreur de parcours jusqu’au petit hôpital du Golden Dawn, au niveau DD, bien en dessous du pont principal. En chemin, Julia put recueillir avec son aide des échantillons du sang et des tissus de certaines des victimes.
— Tu tiens bien le choc, pour quelqu’un qui n’est pas médecin, commenta Julia alors qu’ils s’occupaient de la première victime.
— J’ai vu dans quel état les tortionnaires chinois laissaient leurs prisonniers après leur avoir soutiré ce qu’ils savaient ou étaient censés savoir, répondit Eddie d’un ton impassible. Plus grand-chose ne me choque.
Julia connaissait l’existence des missions secrètes menées par Seng en Chine pour le compte de la CIA. Il y avait vu des horreurs défiant l’imagination, elle n’en doutait pas une seconde.
Comme elle s’y attendait, ils découvrirent de nombreux corps le long de la coursive qui menait au dispensaire, des hommes et des femmes qui avaient juste eu le temps de partir vers le seul endroit où ils pouvaient espérer une aide. Là aussi, Julia préleva des échantillons. Il était possible qu’une particularité physiologique ait pu donner à ces passagers les quelques minutes dont avaient été privées les autres victimes. Ce serait peut-être un indice important pour déterminer la cause de l’épidémie, car les chances de découvrir des survivants étaient presque nulles.
Lorsqu’ils arrivèrent, la porte de l’hôpital du bord était ouverte. Julia enjamba un homme vêtu d’un smoking, étendu sur le seuil, et pénétra dans la réception, une pièce dépourvue de hublots. Les murs étaient ornés d’affiches de voyages et une plaque indiquait que le docteur Howard Passman était diplômé de l’Université de Leeds.
Julia balaya du faisceau de sa lampe la salle d’examens attenante et constata qu’elle était vide. Une porte à l’autre bout de la pièce menait à la salle d’hôpital proprement dite, constituée de simples box entourés de rideaux. Deux autres victimes gisaient dans la pièce, une jeune femme en robe noire moulante et un homme d’âge mûr vêtu d’un peignoir. Comme tous les autres, ils étaient couverts de leur propre sang.
— Tu crois que c’est le médecin du bord ? demanda Eddie.
— C’est probable. Il était sans doute dans sa cabine lorsqu’il a été frappé par le virus, et il s’est précipité ici aussi vite qu’il le pouvait.
— Pas assez vite.
— Personne n’est assez rapide pour ce virus, dit Julia en penchant soudain la tête. Tu as entendu ?
— Avec cette combinaison, je n’entends que ma propre respiration.
— On dirait une pompe, ou quelque chose de ce genre.
Elle tira le rideau qui cachait le lit le plus proche. La couverture et les draps étaient propres et bien lissés.
Elle passa au box suivant. Sur le sol, près du lit, elle aperçut un respirateur à oxygène fonctionnant sur batterie, semblable à ceux utilisés pour les patients souffrant de problèmes respiratoires. Des tubes de plastique transparent s’insinuaient sous les couvertures. Julia projeta le rayon de sa lampe sur le lit. Quelqu’un y était étendu, les draps ramenés sur la tête.
Julia s’élança en avant.
— Un survivant !
Une femme très jeune était là, profondément endormie, les tubes respiratoires enfoncés directement dans les narines. Une chevelure sombre, étalée sur l’oreiller, encadrait un visage pâle aux traits délicats. La jeune femme était excessivement mince, avec de longs bras et des épaules frêles. Sous son T-shirt, on pouvait distinguer ses clavicules saillantes. Bien qu’endormie, on voyait qu’elle était passée par des épreuves cruelles.
Elle battit soudain des paupières, et poussa un cri lorsqu’elle aperçut deux silhouettes habillées comme des cosmonautes penchées au-dessus de son lit.
— Tout va bien, murmura Julia. Je suis médecin. Nous sommes là pour vous secourir.
La voix étouffée de Julia ne suffit pas à apaiser les angoisses de la jeune femme. Ses yeux bleus étaient écarquillés par la peur, et elle recula contre la tête de lit en tirant les draps sur son visage.
— Je m’appelle Julia. Et voici Eddie. Nous allons vous sortir de là. Comment vous appelez-vous ?
— Qui... Qui êtes-vous ?
— Je suis médecin à bord d’un autre navire. Savez-vous ce qui s’est passé ici ?
— Hier soir... il y avait une fête.
La jeune femme se tut soudain, et Julia se dit qu’elle était encore en état de choc. Elle se tourna vers Eddie.
— Il faut lui donner un vêtement anticontamination. Tant qu’elle ne l’aura pas enfilé, on ne pourra pas lui ôter ses tubes d’oxygène.
— Mais pourquoi ? s’étonna Eddie en déchirant l’enveloppe en plastique d’une nouvelle combinaison.
— C’est sans doute grâce à cela qu’elle a survécu. Le virus doit se transmettre par l’air, mais elle respirait l’oxygène du système respiratoire de secours. Et lorsque celui-ci s’est arrêté, elle a utilisé cette unité portative. Comment vous appelez-vous, ma chérie ?
— Jannike. Jannike Dahl. Mes amis m’appellent Janni.
— Je peux vous appeler Janni, moi aussi ? demanda Julia en s’asseyant au bord du lit et en veillant à ce que le faisceau de sa lampe éclaire son visage à travers la visière de sa combinaison.
Janni hocha la tête.
— Très bien, Janni. Mon nom est Julia.
— Vous êtes américaine ?
Juste au moment où Julia s’apprêtait à répondre, un son profond et grave résonna dans la pièce.
— Qu’est-ce que c’est ?
Eddie n’eut même pas le temps de l’informer qu’il s’agissait d’une explosion ; une deuxième détonation, plus proche, retentit dans toute la structure du navire. Jannike hurla et enfouit sa tête sous les couvertures.
— Il faut partir, dit Eddie. Maintenant !
Deux autres déflagrations firent trembler le Golden Dawn, l’une d’elles dangereusement proche. Eddie fut projeté au sol et Julia dut faire rempart de son corps pour protéger Jannike. Une lampe accrochée au plafond tomba à terre et l’ampoule éclata avec un bruit sec.
— Reste avec elle, lança Eddie qui se relevait déjà et quittait la pièce en courant.
— Tout va bien se passer, Janni, ne vous inquiétez pas, dit Julia en ôtant les couvertures pour découvrir le visage de la jeune femme aux lèvres tremblantes, dont les joues ruisselaient de larmes.
— Que se passe-t-il ?
— C’est ce que mon ami va découvrir. Vous devez enfiler cette combinaison, ajouta Julia. Il faut y faire très attention, d’accord ?
— Est-ce que je suis malade ?
— Je ne le pense pas.
Julia ne pouvait en être certaine avant d’avoir procédé à des examens, mais ce n’était guère le moment d’en parler à la jeune femme, paralysée par la peur.
— J’ai de l’asthme, lui apprit Janni. C’est la raison pour laquelle j’étais hospitalisée. J’ai eu une mauvaise crise que le médecin ne parvenait pas à contrôler.
— Et c’est passé, maintenant ?
— Je crois. Je ne me suis pas servi de mon inhalateur depuis, murmura Janni d’une voix de plus en plus faible.
— Mais vous avez continué à respirer de l’oxygène ?
— J’ai vu ce qui était arrivé à mon amie Karin et au Dr Passman. Je me suis dit que c’était peut-être quelque chose qu’ils avaient respiré, alors j’ai continué à utiliser l’appareil à oxygène.
— Vous êtes une fille courageuse et pleine de ressources. Cette décision vous a probablement sauvé la vie.
Les propos de Julia contribuèrent à restaurer quelque peu la confiance de Jannike, et son espoir de quitter le navire en vie.
Eddie fit irruption dans la pièce.
— L’explosion a détruit la coursive, à une vingtaine de mètres d’ici. On ne pourra pas sortir par là où nous sommes venus.
— Il y a un autre chemin ?
— Il ne nous reste plus qu’à l’espérer. D’après le bruit, les œuvres vives sont en train d’être inondées.
L’eau s’engouffrait par la porte comme une marée montante et sans la protection de sa combinaison et de son système respiratoire, Juan se serait noyé. Il passa plusieurs minutes à essayer de libérer sa prothèse, puis s’étendit sur le dos et laissa le flot rouler sur lui et envahir la salle des machines. Le niveau de l’eau atteignait déjà plus de quarante centimètres, et s’élevait à chaque seconde.
Le seul réconfort pour Juan était l’idée que les autres pourraient s’échapper plus facilement que lui, car ils ne s’étaient pas aventurés aussi loin dans les profondeurs du Golden Dawn.
Au cours de son examen des locaux techniques du bâtiment, il n’avait découvert aucune victime, probablement parce que le navire fonctionnait en mode automatique. Combien de temps cet agent pathogène demeurerait-il présent dans l’air ? Julia aurait peut-être une idée à ce sujet, mais ce virus était à n’en pas douter nouveau, même pour elle, et elle ne pourrait émettre que des suppositions.
L’air conditionné devait être en panne depuis un bon moment déjà, et la poussière et les microbes s’étaient déposés, mais cela suffirait-il ? Juan ne pouvait que l’espérer, car en restant là, dans ce torrent d’eau, il ne faisait que retarder l’inévitable.
Il réussit à dégager son bras droit de sa manche et dirigea sa main, sous le tissu, vers sa jambe droite. Il saisit une poignée d’étoffe au bas de la jambe et la remonta par-dessus son membre artificiel pour accéder aux courroies qui le maintenaient en place. L’habitude aidant, ses doigts défirent les attaches et ouvrirent le système de ventouse qui maintenait la jambe contre son moignon. Il ressentit aussitôt une intense sensation de soulagement, mais le bas de sa combinaison restait coincé sous la porte.
Le plus dur restait à faire. Juan passa le bras par-dessus l’épaule pour augmenter le débit d’arrivée d’air et sentit le vêtement se gonfler aux coutures. Il ne se déplaçait jamais sans ses trois accessoires fétiches : un briquet, même s’il ne fumait qu’occasionnellement un cigare, une boussole, pas plus grosse qu’un bouton de veste, et son couteau pliant. Il sortit ce dernier de sa poche et ouvrit la lame d’une main. Il devait se mettre en position fœtale pour pouvoir atteindre le bas de sa jambe tout en luttant contre la pression de l’eau.
Le couteau était aussi affûté qu’un rasoir et il n’eut aucune peine à couper le tissu de protection. De l’air s’échappa de la déchirure, empêchant un temps l’eau d’entrer, mais très vite, la combinaison commença à se remplir. Juan accéléra ses mouvements, taillada le tissu pour se libérer avant d’être englouti. Il était étendu sur le côté, et l’eau qui se pressait contre son visage le forçait à tourner la tête et à se relever de quelques centimètres pour voir ce qu’il faisait.
Sa position ne lui permettait pas d’être d’une grande efficacité ; il respira à fond et se remit à plat, pressant la lame autour de son mollet pour continuer à découper l’étoffe de la combinaison. Ses poumons réclamaient de l’air, mais il se força à l’oublier et poursuivit sa tâche. Un moment, il tenta de se libérer d’une secousse, mais le plastique refusait de céder. Il fit une nouvelle tentative, infructueuse. Il lui fallait pourtant respirer ; il se redressa pour débarrasser son casque de l’eau qu’il contenait, mais la pression était trop forte.
Les poumons de Juan se convulsèrent et un filet de bulles s’échappa de ses lèvres. C’était comme s’il tentait de réprimer une quinte de toux, et la douleur dans sa poitrine lui rappela que son cerveau exigeait de l’air de toute urgence. Il était au bord de l’étourdissement. Il tira avec force sur la combinaison et l’entendit se déchirer, mais pas assez pour le libérer complètement. L’instinct de survie primait sur toute logique, malgré tous ses efforts pour rester calme. Il se pencha à nouveau et taillada cette fois avec l’énergie du désespoir, puisant dans ses dernières réserves de puissance musculaire.
Soudain, il bascula en arrière. Il avait dû réussir à détacher le pied de la combinaison, ou alors il avait seulement glissé. Il tomba à quatre pattes et se releva aussi haut que possible ; l’eau coulait de la combinaison par la déchirure. Craignant de s’exposer à la contamination, il ne s’autorisa qu’une faible inspiration, à peine suffisante pour dissiper les ombres qui envahissaient déjà son esprit.
Il parvint à se lever, laissant l’eau ruisseler le long de son corps avant de se disperser. Le flot coulait toujours sous la porte, et Juan ne pouvait rester stable sur une jambe, aussi sautilla-t-il jusqu’à un établi, à moins d’un mètre de lui. Il s’y appuya et noua l’extrémité déchirée de la combinaison, en serrant les nœuds aussi fort qu’il le pouvait. Lorsque le vêtement retrouva sa rigidité, il baissa le réglage de débit d’air. Compte tenu de la déchirure, il y aurait sans doute une fuite, mais grâce à la pression positive, rien ne pourrait pénétrer à l’intérieur. Il ne s’était en définitive que très peu exposé, et toujours sous l’eau, aussi n’était-il pas trop inquiet quant aux risques encourus.
Il se souvint soudain qu’il était prisonnier d’un navire en plein naufrage ; il lui était impossible de sortir ou de communiquer avec le reste de son équipe ou avec l’Oregon.
Il avança à tâtons dans l’obscurité, les mains en avant, ne se fiant qu’à son sens du toucher pour se repérer. Sans sa jambe artificielle, ses mouvements étaient pénibles et maladroits, mais il finit par trouver un autre établi qu’il avait remarqué plus tôt. Il ouvrit les tiroirs, en fouilla le contenu et finit par trouver ce qu’il cherchait.
La lampe n’était pas aussi puissante que celle qu’il avait perdue, mais sa trouvaille le réconforta. Au moins, il n’était plus aveugle. Il sautilla à travers la salle des machines, entravé par l’eau qui ne cessait de monter et lui arrivait maintenant aux genoux. Il dépassa les deux moteurs diesels, atteignit la porte étanche et tenta de découvrir un système d’ouverture manuelle, mais en vain.
Il sentit les premiers signes de panique surgir dans son esprit, et les réprima, impitoyable. Sans connaître l’étendue des dégâts, comment savoir si le Golden Dawn allait se maintenir à flot, et pour combien de temps ? Si le navire restait stable, la salle des machines mettrait deux ou trois heures à se remplir. C’était plus qu’il n’en fallait pour trouver un itinéraire de sortie ou pour qu’Eddie et les autres se portent à son secours.
A peine cette pensée lui avait-elle traversé l’esprit qu’un gémissement prolongé se réverbéra à travers la coque, le son du métal poussé jusqu’à l’extrême limite de sa résistance. Le navire fit une embardée du côté de la proue. L’eau forma une vague gigantesque qui alla s’écraser contre la porte, à l’autre bout de la salle. Elle reflua en force, et Juan dut s’agripper à une table pour éviter d’être écrasé contre une cloison. Il balaya la salle du regard et constata que le rythme de l’inondation était maintenant deux fois plus rapide. L’eau de mer jaillissait de sous les portes en geysers furieux, comme impatiente de se repaître de sa dernière victime.
Les heures de répit sur lesquelles comptait Juan allaient bientôt se réduire à quelques minutes.
Il éclaira les moindres recoins de la pièce à la recherche d’une voie de sortie. Une idée folle commença à germer dans son esprit, et il tourna le faisceau vers l’un des moteurs massifs et vers les conduits qui s’en échappaient. Le rayon s’éleva de plus en plus haut, et le regard de Juan suivait méticuleusement sa progression.
— Voilà qui me donne une idée...
Julia se tourna vers Jannike Dahl, et s’efforça de lui parler d’une voix aussi apaisante que possible.
— Janni, mon cœur, nous allons vous sortir d’ici, mais avant cela, il faut que vous passiez une combinaison de protection, comme celle que nous portons, Eddie et moi.
— Le bateau coule ? demanda la jeune femme.
— Oui, il coule. Il faut que nous partions.
Julia mit en marche le système de ventilation, les filtres à carbone, et ouvrit la fermeture Eclair au dos du vêtement. Elle omit de préciser à Janni que celui-ci était destiné à protéger l’équipage de l’Oregon plus qu’elle-même, au cas où elle serait contaminée déjà par le virus. Tout en s’assurant que l’air continuait à circuler dans les tubes reliés à ses narines, Janni glissa ses jambes peu assurées dans la combinaison, dont elle remonta la partie supérieure sur ses épaules étroites. Julia l’aida à faire entrer ses longs cheveux à l’intérieur du casque.
— Prenez une profonde inspiration par le nez, et retenez votre souffle aussi longtemps que possible, lui ordonna-t-elle.
La poitrine de Janni se gonfla tandis qu’elle aspirait l’oxygène. Julia ôta alors la canule qui faisait le tour de l’oreille de la jeune femme et mit de côté l’ensemble des tubes de plastique. Elle assembla les deux pans de la combinaison et remonta la fermeture Eclair. Il lui fallut encore quelques minutes pour colmater les coutures avec du ruban adhésif.
Julia était impressionnée par le comportement d’Eddie Seng. Malgré l’urgence, il ne montrait pas le moindre signe d’impatience. Il était conscient du fait que Janni était au bord de la catatonie, et qu’il fallait la traiter avec une grande douceur, comme une enfant. Janni ne s’en sortait d’ailleurs pas si mal, vu ce qu’elle venait d’endurer.
Au retour de sa rapide exploration, Eddie avait pris le temps de déposer une couverture sur les deux corps qui gisaient près du box de Janni. Celle-ci ne put s’empêcher de regarder les deux silhouettes tandis que Julia l’aidait à sortir de la pièce. Lorsqu’ils arrivèrent dans le couloir, Julia sentit la main de Janni se raidir à la vue des nombreux cadavres, mais la jeune femme parvint à se contrôler. De sa main libre, Julia tenait fermement sa valise à échantillons.
— Cet accès est bloqué, annonça Eddie en montrant la direction qu’ils avaient prise à l’aller. Janni, y a-t-il un autre moyen de rejoindre le pont principal ?
— Pas par ce couloir, répondit Jannike qui le regardait droit dans les yeux pour éviter de voir les corps. Mais les membres de l’équipage utilisent une porte métallique, de l’autre côté, lorsqu’ils doivent travailler au niveau inférieur. Peut-être y a-t-il une sortie ?
— Très bien, répondit Eddie. Ce doit être une écoutille d’accès auxiliaire.
Ils avancèrent le long du couloir, guidés par le rayon de la lampe d’Eddie, et trouvèrent bientôt une grande écoutille ovale encastrée dans la cloison métallique. Eddie la déverrouilla et jeta un coup d’œil à l’intérieur. Il lui fallut un moment pour comprendre à quoi correspondait l’enchevêtrement de tuyaux qu’il avait devant les yeux.
— La station de pompage de la piscine principale, annonça-t-il enfin. L’eau est pompée jusqu’ici, filtrée et renvoyée ensuite par le haut.
Le Golden Dawn émit un craquement soudain, comme si sa coque éclatait, et fit une embardée qui faillit projeter Jannike sur le sol. Julia l’aida à garder l’équilibre tout en échangeant un regard avec Eddie. Le temps leur était compté.
Eddie franchit l’écoutille et chercha une voie de sortie. Une autre ouverture, entourée d’un cercle de fer, était aménagée sur le sol. Il posa un genou à terre et souleva l’écoutille qui s’ouvrit dans un grincement de charnières. Une échelle descendait dans l’obscurité. Il commença à l’emprunter, mais l’espace était étroit et la combinaison gênait sa progression. Il se retrouva dans un local technique dont les cloisons étaient recouvertes d’armoires électriques. Une porte ouverte donnait sur une coursive plongée dans les ténèbres.
— Venez, descendez. Eddie était plutôt plus petit que la moyenne, mais il put sans peine encercler la taille de la jeune femme de ses mains, malgré la combinaison qui la faisait ressembler à un bonhomme de neige.
Julia descendit une seconde plus tard, et ils quittèrent ensemble la pièce.
— Vous reconnaissez cet endroit ? demanda Eddie à Janni.
— Je n’en suis pas sûre, répondit-elle après un instant. De nombreuses zones du navire sont interdites au personnel hôtelier, et je ne suis pas à bord depuis bien longtemps.
— Ça ne fait rien, dit Eddie d’un ton rassurant, car il sentait que la jeune femme éprouvait une grande frustration à se sentir si peu utile.
Sachant que le Golden Dawn s’inclinait vers sa proue, Eddie les dirigea vers l’arrière. La légère tension dans les muscles de ses cuisses indiquait qu’ils avançaient en pente. L’angle de montée était faible, mais plus il y aurait de compartiments inondés, plus la côte serait raide.
Sa combinaison l’empêcha de sentir le souffle qui déferlait derrière lui. Ce ne fut que lorsqu’il sentit le sol trembler sous ses pieds qu’il se retourna. Un mur d’eau de mer dévalait le long de la coursive à la hauteur de ses cuisses, une masse verte presque solide qui les heurta avant qu’il ait pu crier pour avertir les deux femmes. Pris dans le tourbillon, le trio fut emporté par la crête de la vague, secoué dans tous les sens jusqu’à ce que le raz-de-marée s’apaise enfin. La vague les déposa sens dessus dessous sur le sol, tandis que l’eau continuait à ruisseler autour d’eux.
Eddie fut le premier debout, et il aida Janni à se relever.
— Ça va ?
— Oui, je crois...
— Doc, ça va aussi ?
— Juste un peu cabossée ! Qu’est-ce qui s’est passé ?
— Une cloison a dû céder près de la proue et une vague s’est engouffrée dans la brèche. Il nous reste quand même un peu de temps.
A mesure de leur progression, Eddie vérifiait toutes les inscriptions sur les portes, dans l’espoir de trouver un escalier, mais la chance n’était pas de la partie. Ils découvrirent des entrepôts et des salles de stockage à sec. Une poutre en I qui traversait le plafond permettait à l’équipage de déplacer de lourdes charges, à l’aide de treuils, jusqu’à l’ascenseur le plus proche. Il songea que cela pourrait fournir une solution de rechange si les escaliers demeuraient introuvables. Il pourrait sans trop de mal se hisser le long d’un puits d’ascenseur, et Julia aussi, sans doute, mais il doutait que Jannike en ait la force. Malgré la combinaison, elle pourrait peut-être s’accrocher à son dos lors de l’ascension. Cela restait envisageable.
Il faillit manquer une porte sur sa droite ; il s’arrêta et en éclaira l’inscription : Hangar – Embarcations de loisirs.
— Bingo !
— Qu’est-ce que c’est ?
— Notre billet de sortie, répondit Eddie en poussant la porte.
A la lumière de la lampe, il distingua une rangée de jet-skis rutilants et deux runabouts à deux places, tous suspendus à des bers fabriqués sur mesure. Une grande ouverture pratiquée au plafond permettait de hisser les embarcations et un escalier circulaire conduisait au niveau supérieur. Il grimpa les marches, Julia et Jannike sur ses talons.
Ils se retrouvèrent à l’endroit où les passagers du Golden Dawn venaient louer des embarcations lorsque le navire était à quai. La cloison extérieure révélait une porte aussi vaste que celle d’un garage. Une rampe hydraulique, dirigée vers l’ouverture, y était repliée. Lorsqu’elle était déployée, une fois la porte ouverte, les passagers disposaient alors d’un véritable petit appontement. Eddie tapa du bout de sa lampe sur la porte, qui rendit un son mat. Il essaya un peu plus haut et obtint finalement le son creux qu’il espérait.
— Le navire s’est enfoncé de telle sorte que l’eau arrive à environ cinquante centimètres du haut de la porte, expliqua-t-il à Julia et Jannike. Lorsque j’ouvrirai, cette salle sera inondée.
— Est-ce que nous parviendrons à sortir ? demanda anxieusement Jannike.
— Aucun problème, la rassura Eddie en souriant. Une fois la pression extérieure et la pression intérieure équilibrées, nous pourrons sortir à la nage. Et la cerise sur le gâteau, c’est que nos combinaisons nous permettront de flotter !
— Je vais retourner au niveau inférieur et fermer la porte par laquelle nous sommes entrés, dit Julia.
Le médecin de l’Oregon avait compris que pour assurer le succès du plan d’Eddie, le hangar devait rester isolé du reste du navire ; sinon, rien ne pourrait plus arrêter l’inondation.
— Bonne idée, merci, répondit Eddie.
Il fit signe à Jannike de s’éloigner de la porte et de s’accrocher à un montant métallique pour se préparer au choc, lorsque l’eau s’engouffrerait dans le hangar.
La porte était actionnée par un petit treuil, mais une manivelle de secours pouvait la monter ou l’abaisser en cas de défaillance du système électrique. Lorsque Julia remonta et vint se placer près de Jannike, Eddie se pencha et empoigna la manivelle. Dès la première pression, la porte se souleva d’un demi-centimètre et une pellicule d’eau presque solide s’insinua aussitôt dans le hangar. Eddie s’était écarté de l’ouverture, mais il sentit le flot balayer le bas de sa combinaison tandis qu’il continuait à remonter la porte.
L’eau jaillit dans un grondement, avec la puissance d’une cascade.
La porte était ouverte d’un quart lorsque le mécanisme de la manivelle se grippa. Eddie tira plus fort, sans résultat. Il examina la porte et comprit alors ce qui s’était produit. La force de l’eau contre le bas de la porte avait déformé le métal et fait sortir les roulettes de guidage de leurs rails. Sous les yeux d’Eddie, la porte continua à se tordre et s’enfonça par le milieu, comme poussée par la main d’un géant.
Il hurla un avertissement à l’adresse de Julia et de Jannike, mais sa voix se perdit dans le rugissement de l’eau. La porte finit par céder. Elle s’arracha de ses montants et alla voler au milieu du hangar comme une simple feuille de papier. L’océan, libre de toute entrave, déferla dans le hangar.
Julia et Jannike, heureusement éloignées de l’ouverture, ne subirent pas de plein fouet le choc de l’assaut, mais le hangar se remplit presque aussitôt, et elles furent malmenées par la violence du reflux. Sans la présence de Julia, Jannike aurait été emportée dans la tourmente.
Lorsque le flot se calma enfin, Eddie put lâcher le montant auquel il s’était agrippé. Il se mit aussitôt à dériver en flottant jusqu’au toit. Il se retourna, le visage vers le haut, et arriva au plafond en y plaquant les genoux et les mains, sans lâcher sa lampe. Il ajusta l’arrivée d’air de la combinaison afin de réduire à la fois la pression et sa propre flottabilité. Sinon, il risquait de se trouver immobilisé, coincé contre la paroi.
A l’aide de sa torche, il put repérer Julia et sa jeune compagne, accrochées à une rampe métallique, les pieds vers le haut, les jambes de leurs combinaisons gonflées comme des ballons. Il nagea vers elles et tapota l’épaule de Julia pour lui faire signe de lâcher prise et de se laisser flotter. Il fit de même pour Jannike et réduisit le débit de son arrivée d’air. Il allait se diriger vers l’ouverture lorsqu’il sentit Julia le retenir. Elle lui tapa sur l’épaule et appuya sa visière transparente contre la sienne.
— J’ai perdu ma valise d’échantillons, cria-t-elle. Il faut que je la retrouve.
Eddie baissa les yeux vers le tourbillon de débris qui envahissait le hangar : des serviettes, des gilets de sauvetage, des ordinateurs portables, des flacons d’écran solaire, des bouteilles d’eau, des glacières... Il faudrait peut-être des heures pour récupérer la valise, et si elle avait été aspirée hors du navire, elle sombrait sans doute déjà vers le fond, à quelque trois mille mètres de la coque.
— Pas le temps, marmonna-t-il, le dos tourné.
— Eddie, nous en avons besoin !
Sans répondre, Eddie la prit par la main et la guida vers l’ouverture.
Le torrent d’eau qui venait de submerger le hangar avait déplacé le centre de gravité du Golden Dawn, qui gîtait plus lourdement que jamais. La pression exercée sur sa coque menaçait de la faire céder, et le métal qui cerclait le bas de la quille commençait à se déchirer. A travers l’océan, le glas sonnait pour le navire, obsédant comme le chant d’une baleine ou un hymne funèbre.
Julia et Eddie remorquèrent Jannike jusqu’à l’ouverture. Dès qu’ils eurent quitté le navire, Eddie augmenta l’arrivée d’air de sa combinaison et remonta à la surface.
L’Oregon semblait tout entier illuminé. Des projecteurs trouaient les ténèbres et balayaient le pont et la ligne de flottaison du Golden Dawn. Le Zodiac amarré près de la porte du hangar se balançait, le cordage tendu et la proue submergée par la force d’attraction du Golden Dawn. Au moment où Eddie, une fois grimpé à bord, décrochait l’amarre du piton fixé à la coque du Dawn, le faisceau de l’un des projecteurs de l’Oregon les dépassa, puis revint en arrière et les inonda d’un flot de lumière. Julia et Jannike agitèrent les bras avec frénésie. Le projecteur clignota pour les avertir qu’ils avaient été localisés.
L’hélico, arrivant de l’autre bout du navire, plongea vers eux. George Adams le maintint en vol stationnaire assez longtemps pour constater qu’ils étaient sains et saufs, puis s’éloigna pour leur épargner la pression écrasante de la rotation des pales.
Eddie se pencha sur le flanc du Zodiac et hissa Julia et Jannike à bord. Quelques secondes plus tard, le moteur était en marche et l’embarcation bondissait sur les vagues pour s’approcher de l’Oregon. La porte du hangar à bateaux, au centre du navire, était ouverte et des hommes d’équipage en tenue de protection les attendaient, leurs lances d’incendie prêtes pour l’opération de désinfection.
Eddie mit en panne tout près de la coque. La radio de sa combinaison, rendue muette par une immersion prolongée, ne lui servirait à rien, mais chacun à bord de l’Oregon savait ce qu’on attendait de lui. Des hommes lancèrent des tampons abrasifs vers le Zodiac et actionnèrent les puissantes lances. Eddie et Julia frottèrent avec ardeur la combinaison de Jannike avant de se désinfecter mutuellement.
Lorsque Julia fut convaincue que tout risque d’infection était éliminé, elle arracha le ruban adhésif qui recouvrait la fermeture et se libéra du précieux, mais oppressant vêtement. L’air ambiant, pourtant chaud et humide, lui parut d’une fraîcheur délicieuse.
— Mon Dieu, comme c’est bon !
— Mille fois d’accord avec toi, approuva Eddie qui ôta à son tour sa combinaison pour l’abandonner au fond du Zodiac.
Il guida ensuite Jannike, toujours vêtue de son vêtement protecteur, sur la rampe utilisée pour le lancement du canot d’assaut des Seals. Julia prit alors la relève. Elle allait l’emmener à l’infirmerie du bord, où la jeune femme subirait une batterie de tests en chambre stérile afin de déterminer si elle était ou non porteuse d’une infection. Alors seulement, Jannike pourrait se mêler à l’équipage de l’Oregon.
Max Hanley arriva juste au moment où Eddie se préparait à couler le Zodiac. Lorsqu’il vit son visage, Eddie comprit que tous n’avaient pas eu autant de chance que Julia et lui.
— Que s’est-il passé ?
— Mark est sain et sauf à bord du Robinson, mais nous avons perdu tout contact avec le Président.
— Bon Dieu ! J’y retourne. Il doit être quelque part dans les locaux techniques.
— Regardez vous-même ! lança Max avec un geste en direction du Golden Dawn en train de sombrer. On n’a pas le temps.
— Mais Max, c’est le Président, bordel !
— Vous croyez que je l’ignore ? s’écria Max, qui maîtrisait son émotion à grand-peine.
Le Golden Dawn, séparé d’eux par un mince bras de mer, vivait ses derniers instants. Sous le pont principal, la rangée de hublots disparaissait déjà sous la surface. Avec sa quille brisée, son centre s’enfonçait plus rapidement que sa proue et sa poupe. Les deux hommes contemplèrent le spectacle en silence tandis que le navire disparaissait peu à peu.
L’air piégé à l’intérieur de la coque commença à s’échapper en une série d’explosions. Soumis à une énorme pression, les hublots éclatèrent et les portes s’arrachèrent de leurs gonds. La mer se rua par-dessus le bastingage et monta à l’assaut des ponts supérieurs dans des geysers d’écume.
Lorsque l’océan atteignit la passerelle, il pulvérisa les hublots. Des débris commencèrent à flotter autour du navire – surtout des transats, mais l’un des canots de sauvetage s’était également décroché de son bossoir et dérivait, coque en l’air.
Max se frotta les yeux lorsque la passerelle disparut sous les eaux ; seuls les mâts de communication du Dawn et sa cheminée étaient encore visibles. Le souffle de l’air soulevait les vagues tandis que l’océan prenait possession de sa proie.
Eric Stone contrôlait les projecteurs de recherche depuis le centre opérationnel. Il garda le plus puissant d’entre eux braqué sur la cheminée du Dawn, où il soulignait les contours des pièces d’or du logo de la compagnie. La mer bouillonnait comme dans un chaudron tandis que l’hélico tournoyait autour du navire en détresse.
Max murmura le nom de Juan et se signa. Une explosion d’air comprimé éructa soudain de la cheminée, éjectant au passage, comme un boulet de canon, un objet de couleur jaune qui s’éleva de plusieurs mètres et s’agita comme un oiseau secoué par une tempête.
— Nom de D... grogna Max, incrédule.
L’objet jaune était une combinaison anticontamination, et les mouvements étaient ceux des bras et des jambes de Juan. Sa trajectoire le fit voler par-dessus le bastingage, de la cheminée jusqu’à la surface où il alla s’écraser. Il demeura groggy pendant quelques secondes, puis nagea pour s’éloigner du navire en perdition. Il se dirigea alors vers le canot de sauvetage renversé, suivi par le projecteur d’Eric, se hissa sur la coque, et s’agenouilla face à l’Oregon, auquel il adressa une longue et théâtrale révérence.
La corne de l’Oregon lui rendit aussitôt son salut.