CHAPITRE III

Bien que fort satisfait de la tournure des événements dans l'immédiat, le commandant des S.R.G. se posait de nombreuses questions : le plus irritant était l'impossibilité de prévoir la mise en marche du chrono-disrupteur et d'ignorer à quelle époque il allait le propulser. Si sa théorie s'avérait exacte, techniciens et appareil se déplaçaient simultanément : les indigènes avaient peut-être remarqué quelque phénomène intéressant lors de leur arrivée, ce qui lui permettrait de localiser ses adversaires.

Le sorcier détenait le monopole du surnaturel, quoi de plus normal ? Cela faisait partie de ses fonctions. Il faudrait se montrer diplomate pour ne pas être considéré comme un rival, peut-être obtiendrait-il alors des renseignements.

— Halex fâché ? Plus parler ?

— Pas fâché, penser...

— Pourquoi penser ? Nous heureux, nous manger avec tribu, nous faire amour, et nous dormir.

Un programme qui aurait séduit bien des hommes...

Courville, lui, avait une mission à remplir, ensuite il songerait au repos du guerrier.

— Moi pas mâle ordinaire : moi sorcier, moi vouloir retrouver méchants sorciers, eux vouloir faire mal à tribu.

Naïra le contempla bouche bée, elle ne concevait pas qu'il pût exister autre chose que son petit monde : la savane, les Amils, l'orage, la chasse, l'amour.

— D'où venir sorcier ? s'enquit-elle.

Difficile question métaphysique...

Alex balaya le ciel d'un geste vague :

— De là-haut, des étoiles.

— Allons donc ! Les étoiles feux de camp des tribus sur nuages, si tomber, brûler et faire boum !

Il y avait donc des étoiles filantes sur cette planète : était-ce celle où Véro l'attendait ou une autre ?

— Toi dire vrai ! Petits sorciers devenir flammes, puissants comme moi pas s'enflammer, rester vivants !

— Alors toi dire comment pays des étoiles : beaucoup grands brasiers ? Faire froid ?

— Petite futée, voilà bien la curiosité féminine...

— Beaucoup froid : neige former nuages, parfois petit morceau nuage tombe, alors donne la pluie.

— Alors pas gibier là-haut ? insista-t-elle.

— Si, seulement pelage tout blanc.

— Et où habiter tribu ? Eau glacée tuer vite !

Dans huttes rondes construites avec blocs glace, un trou pour fumée.

— Et les grands brasiers ? Quoi brûler si pas arbres ?

— Ah ! Pas arbres, seulement grande prairie bleue : le ciel. La nuit faire grands feux pour guider chasseurs avec pierres noires qui brûlent.

— Moi connaître ! Sorcier montrer nous.

— Maintenant, moi besoin parler avec gri-gri, lui dire à moi comment parler. Après plus besoin de lui, moi parler directement à toi.

A nouveau, Naïra ouvrit de grands yeux : la fréquentation d'un sorcier s'avérait pleine d'enseignements. Ainsi, ce talisman qui prononçait des phrases pourrait apprendre son propre langage à son compagnon.

Alex posa la tête de lion et s'assit irrespectueusement dessus, puis il tira deux fils du boîtier et les fixa à deux électrodes reliées à son cerveau, il resta ainsi deux minutes, les yeux fermés, puis débrancha l'appareil. Désormais, il lui suffirait d'un recyclage périodique pour effectuer de foudroyants progrès.

— Tribu encore loin ? s'enquit-il alors.

Elle montra le soleil à mi-chemin du zénith, puis abaissa le bras presque jusqu'à l'horizon.

— Nous arriver un peu avant nuit, répondit-elle.

Ils repartirent d'un bon pas.

La chaleur accablante aurait été difficilement supportable sans l'eau contenue dans les grosses noix formant d'excellentes gourdes que Naïra portait accrochées à sa ceinture. De temps à autre, ils s'arrêtaient et buvaient à longs traits, puis reprenaient leur marche.

Soudain, la sauvageonne s'arrêta et désigna du doigt des traces de pas :

— Moi passer ici ce matin.

— Tant mieux, nous sommes sur bonne route !

— Pas si bon : regarde là...

— D'autres empreintes.

— Oui, et orteils cassés : Arnils venir.

— Et où se cacheraient-ils ? Il n'y a que des arbustes secs.

— Suffire Arnils. Creuser et mettre branches sur tête, alors difficile voir eux.

— Experts en camouflage... songea Alex. Je vais leur réserver quelques surprises ! Il poursuivit à haute voix : Ne crains rien, sorcier voir même fantômes, Arnils pas nous surprendre, moi surprendre eux !

La belle enfant ne protesta pas, une nouvelle magie venait de faire irruption dans son univers, elle éprouvait une immense admiration pour son beau sorcier qui faisait si bien l'amour, ce qui ne gâchait rien !

L'agent galactique avait été doté, grâce à la bionique, d'une vision thermique dans l'infrarouge, comme le crotale, il n'avait nul besoin de placer des lunettes spéciales sur son nez pour sélectionner ces radiations et les emplacements plus chauds apparaissaient en blanc sur fond gris ou noir.

Les buissons proches ne présentaient aucune anomalie.

Par contre, huit Arnils se dissimulaient derrière d'autres bosquets, ils n'avaient pas pris la peine d'effacer leurs empreintes, une fille seule, même du gabarit de Naïra ne leur résisterait pas longtemps...

Avant de décider de leur sort. Alex demanda :

— Quoi faire chef ta tribu aux prisonniers ?

— Chef pas manger eux, nous civilisés ! Eux travailler dans campement. Si pas travailler assez, pas manger.

Cela offrait donc le choix de l'arme à utiliser : le laser mettrait le feu aux branches, forçant les chasseurs à se démasquer, ensuite, inutile de les tuer, le paral suffirait.

— Suis-moi, ordonna-t-il. Et il se dirigea délibérément vers les hommes à l'affût.

Naïra ne tarda pas à découvrir leur présence, faisant ainsi preuve d'une acuité visuelle remarquable.

— Arnils cachés... murmura-t-elle.

— Je sais ! Aie confiance, moi sorcier !

Bien que persuadée des capacités surnaturelles de son amant, la sauvageonne progressait maintenant comme sur des œufs, prête à tout moment à s'enfuir.

Les chasseurs, eux, jubilaient de la stupidité de leur gibier qui venait tout bonnement se jeter dans leurs bras !

Alors, l'astrot tira son laser de sa poche et en balaya les buissons : des flammes s'élevèrent immédiatement en crépitant, tandis que les embusqués se dressaient et couraient à toutes jambes, ne comprenant pas comment Zss avait pu ainsi frapper leurs cachettes. Ils ne se tarabustèrent pas longtemps,

Courville, en effet, en paralysa quatre et s'amusa ensuite aux dépens des autres.

Dès qu'ils changeaient de direction, un éclair s'abattait à leurs pieds.

Ils stoppaient, puis repartaient dans un autre sens.

Nouveau flash !

Très vite, ils réalisèrent que le maître des éclairs n'était autre que ce Grud qu'ils avaient cru piéger avec sa compagne.

Dès lors, ils renoncèrent à fuir et se prosternèrent en tremblant de tous leurs membres.

— Tu parles leur langage ?

— Un peu !

— Ordonne-leur de ramasser les corps de leurs compagnons et de marcher devant nous. Ce disant, Alex avait évidemment branché son analyseur, il aurait peut- être besoin d'utiliser ce dialecte plus tard.

Naïra lança quelques phrases sèches.

Les guerriers ennemis se prosternèrent de nouveau devant le grand sorcier blanc, bras dressés, puis chargèrent les corps inertes sur leurs épaules.

Le couple reprit alors son chemin.

Ils parvinrent au campement des Gruds peu avant la nuit.

Le village se trouvait installé sur une éminence d'où la vue portait au loin, aussi l'approche du petit groupe fut- elle vite repérée.

Les guetteurs avaient une bonne vue, car ils reconnurent Naïra et constatèrent qu'elle semblait libre de ses mouvements. Plus encore, elle paraissait avoir fait neuf prisonniers !

Au fur et à mesure de son approche, les Gruds modifièrent leur estimation : elle n'avait fait « que » huit prisonniers, le neuvième la précédait, il était libre. Lorsque Groudir, le chef, réalisa ce que l'homme tenait à la main, il ressentit pour lui un profond respect : c'était une tête de roar aux immenses canines ! Peu de chasseurs pouvaient se vanter d'en avoir tué ! Naguère Groudir en avait mis un à son tableau de chasse, par un coup de chance le monstre, en bondissant, s'était perforé le cœur sur la lance pointée en l'air. Ce qui ne l'avait pas empêché de griffer sauvagement son tortionnaire qui avait mis une lunaison à s'en remettre.

Cet exploit cynégétique constituait un lien.

Il pouvait aussi annoncer un dangereux rival...

Graad, le sorcier, n'avait pas encore émis d'avis : il attendait le rapport de la chasseresse et ne se doutait pas que, lui aussi, jalouserait bientôt le nouveau venu.

Le couple franchit le pont lancé sur le fossé à sec d'eau, mais empli d'épineux, puis passa sous la porte permettant de franchir la palissade de pieux aigus.

Ils marchèrent jusqu'à la place centrale, précédés des notables qui prirent place sur de grosses pierres, devant le foyer où grésillait une antilope embrochée.

— Bienvenue Naïra ! Bonne chasse ?

— Bonne chasse ô Groudir : du gibier et huit prisonniers.

— Qui est le neuvième ?

— Un grand sorcier venu du pays des étoiles...

Là-dessus, elle effectua un récit circonstancié des exploits de son amant, ce qui fit dresser l'oreille à Graad.

Elle conclut :

... sans Halex, je serais morte. Naïra appartient donc à Halex.

— Parle-t-il notre langue ?

Il l'ignorait lorsque je l'ai rencontré, son talisman lui a appris à s'exprimer presque parfaitement.

— Alors, dis-moi Halex. Cette fille est-elle folle ou bien a-t-elle mangé trop de baies fermentées ? Son récit est incroyable !

Naïra dit vrai !

— Comment ? Tu prétends pouvoir lancer à ta guise Zss et embraser ce qu'il atteint !

— Vois plutôt...

Ce disant, il dirigeait son laser vers un tas de bois destiné à alimenter le feu, le jet émeraude enflamma sans peine les bûches qui se mirent à crépiter joyeusement.

La plupart des Gruds s'enfuirent en piaillant, seul le chef et le sorcier, après un geste de surprise, essayèrent de faire bonne contenance.

— Exc... excuse-moi étranger... bredouilla Groudir. Certes, ta puissance est étonnante, tu es un grand, un très grand sorcier et je m'honore de t'accueillir dans notre village. Hélas, nous n'avions point été avertis de ta venue — ce disant, il fulgura Graad du regard — aussi ne t'avons-nous point réservé l'accueil qui t'était dû... Accepte nos excuses.

— Pourquoi en serais-je offensé ? Ma venue a été soudaine et imprévue. Graad, qui sonde comme moi les arcanes des génies du ciel, n'a pu en être prévenu à temps. On ne saurait donc lui en tenir rigueur.

Le sorcier se rengorgea : il ressortait de ce discours que son collègue le traitait avec considération et lui prêtait des pouvoirs auxquels il savait n'avoir jamais eu accès. Peut-être serait-il possible de s'entendre avec lui ? Si seulement il acceptait de lui apprendre quelques-uns de ses tours, son prestige s'accroîtrait considérablement...

Il approuva donc avec dignité :

— Nous autres sorciers devons faire preuve de mansuétude à l'égard des ignorants qui n'ont point, comme nous, accès au savoir divin ! Sois le bienvenu, Halex !

Ce en quoi il empiétait sur les prérogatives de Groudir, mais celui-ci était trop stupéfait pour relever l'insolence.

— Je te remercie ! proféra l'étranger. Six de ces prisonniers sont offerts à votre chef valeureux. Les deux autres te reviennent, ô subtil sorcier.

Rien à redire dans cette répartition : les paralysés commençaient à se relever, ils feraient de bons esclaves.

— Quelle est donc le motif de ta venue ? s'enquit alors le chef.

— Une telle information ne doit être connue que de toi et de Graad, si tu le veux bien, allons dans ta case.

Groudir ne pouvait qu'accepter, tous trois pénétrèrent donc dans la hutte puante où dominait l'odeur des peaux mal tannées.

Ils s'assirent sur des pelleteries empilées; Halex reprit :

— Le chef de mon peuple des étoiles m'a envoyé ici afin de rechercher et de mettre hors d'état de nuire des démons animés de fort mauvaises intentions qui se sont glissés dans votre sphère...

Les deux sauvages écoutaient, bouche bée.

... ils peuvent se livrer à de dangereux enchantements, aussi dois-je à tout prix les démasquer. Avez- vous récemment observé des rideaux de brume en plein soleil ? Des chasseurs se sont-ils heurtés à un mur invisible ? Ou encore, avez-vous observé des dragons volant dans le ciel ?

Groudir gratta sa chevelure crasseuse grouillante de poux, il contempla ses ongles noirs, saisit une de ces pestilentielles engeances et la croqua d'un air satisfait.

Le cerveau stimulé, il grommela :

— Hier, j'avais envoyé deux chasseurs surveiller la route menant au territoire des Arnils. Quand ils sont revenus, ils m'ont déclaré qu'ils n'avaient vu aucun ennemi. Leur regard fuyant m'intrigua, aussi les ai-je pressés de questions, leur octroyant même quelques coups de bâton. Ils m'ont alors déclaré en geignant qu'à proximité des premiers arbres, une sorte de brouillard leur avait coupé la vue. Impossible de passer à travers malgré leurs efforts ! Se croyant ensorcelés, ils avaient décidé de me cacher la vérité. Du coup, j'ai appelé Graad...

— Et je les ai aussi interrogés avec soin : la brume ne s'est pas dissipée au soleil et, lorsqu'ils sont revenus au village, elle barrait toujours la route.

— Alors, les Arnils ne peuvent retourner chez eux ?

— Probable...

— Fais donc venir un prisonnier.

Quelques instants plus tard, l'un des captifs se présentait, mains entravées, pieds reliés par une solide corde.

— Depuis combien de temps épiais-tu Naïra ? Ne mens pas, car nos sorciers le sauraient et te feraient alors bouillir vivant.

Roulant des yeux effrayés, l'Arnil répliqua :

— Depuis ce matin.

— Et tu es sur notre territoire depuis plus longtemps sans doute ?

— Oui, grand chef ! Trois soleils se sont couchés depuis notre venue.

— Et pourquoi donc n'as-tu point regagné la forêt ?

— Nous avons tenté de le faire, ô puissant Groudir ! Impossible ! Et par ma vie, je jure de dire la vérité entière... Un rideau de nuées impénétrables s'est levé, nous empêchant de repartir chez nous. Même nos flèches ne peuvent le franchir. Questionnez mes frères, ils confirmeront mes dires ! Espérant qu'il finirait par disparaître, nous avons décidé de nous cacher. Ainsi, nous avons vu votre chasseresse passer devant nous. Elle n'a point été attaquée car nous avons jugé préférable d'attendre qu'elle ait tué du gibier, ainsi nous faisions d'une pierre deux coups...

— Nous te croyons ! déclara Halex, pour le plus grand soulagement du malheureux. Avez-vous souvenir que pareil événement se soit produit ?

— Non par Zss ! Jamais de mémoire d'Arnil.

— Et vous n'avez observé rien d'autre ?

— Il m'a semblé... commença un second.

— Parle ! N'aie aucune crainte.

— Mes compagnons prétendent que j'ai rêvé, pourtant j'en mettrais ma main à couper : j'ai bien vu, juste avant l'apparition de cette brume magique, un immense galet surgir des nuages, descendre et se poser au loin dans une clairière de la forêt.

— Avais-tu auparavant observé un tel objet volant ?

— Jamais...

— Tu as dit vrai ! assura Halex. Les malfaisants génies des nuages sont arrivés sur cette terre afin d'y perpétrer leurs méfaits. Désormais, tous les sorciers, toutes les peuplades doivent s'unir afin de les combattre.

— Si tu nous prêtes les armes puissantes dont tu disposes, nous combattrons à tes côtés, assura Groudir.

— Tu as bien parlé, mon ami ! Toutefois, il convient que ces talismans soient maniés par des sorciers accoutumés aux pratiques magiques, c'est pourquoi, dans l'immédiat, je confère au seul Graad la faculté de déchaîner les éclairs... ce disant, il glissait un mini-laser à charge limitée à son acolyte en murmurant :

— Dirige le point rouge vers ta cible et presse le bouton.

Le sorcier, tout fier de la confiance de son puissant collègue, visa le foyer où rougeoyaient des braises.

Le rayon vert fit jaillir de hautes flammes qui s'échappèrent par le trou du toit conique.

Les captifs se prosternèrent.

Groudir, visiblement mal à l'aise, gronda :

— Qu'on emmène ces pleutres !

Graad, lui, un peu dépassé par les événements, se demandait s'il devait jeter cet ustensile démoniaque et s'enfuir à toutes jambes ou faire bonne contenance, ce qui impliquait d'autres inquiétantes expériences avec ce puissant magicien, mais ferait de lui le maître de la tribu.

Il opta pour la seconde solution et posa sur une pelleterie l'inquiétant objet.

— Quant à toi, grand chef, il sied que tu puisses aussi te défendre contre tes ennemis : voici une amulette qui paralysera ceux qui auront le malheur de te déplaire...

Il lui en indiqua discrètement le mode d'emploi et Groudir, tout heureux de son nouveau jouet, se hâta d'en faire l'essai sur un esclave qui apportait des boissons, une espèce de genièvre, ainsi que des cornes pour boire.

L'infortuné resta planté là comme une statue, pour la plus grande joie des deux Gruds, tout guillerets d'avoir été ainsi distingués par la divinité qui les honorait de leur présence.

— Buvons à ta visite, puisses-tu demeurer longtemps parmi nous ! s'écria le chef en se versant une copieuse ration.

Le sorcier l'imita, et Halex ne voulant pas être en reste porta une santé :

A la prospérité des Gruds. Que leurs femmes leur donnent une nombreuse progéniture !

Tous burent force rasades, puis le chef proposa :

Si Grand Magicien le désire, je lui donne en gage d'amitié Naïra la chasseresse !

— Sois-en remercié...

Graad, qui ne voulait pas être en reste, ajouta :

— Moi, je bénirai ton union afin qu'elle soit féconde !

Alex n'y tenait pas tellement, il l'assura pourtant de sa reconnaissance.

Le niveau de la liqueur contenue dans le crâne d'aurochs avait considérablement baissé et le ton de la conversation s'était inversement élevé de plusieurs tons.

Groudir avait passé son bras autour du cou d'Alex qui voyait avec épouvante les poux choir sur sa combinaison, et il tonitrua :

— Sorcier, tu as bien fait de venir chez les Gruds. Toi et moi mènerons de grands combats dont parleront longtemps nos descendants autour des feux de camp !

— J'en suis persuadé ! répliqua l'astrot en soufflant sur les plus entreprenantes bestioles pour les chasser.

— Veux-tu franchir ce brouillard magique ?

Du coup, le commandant cessa de lutter contre l'envahisseur, laissant ce soin aux insecticides qui imprégnaient le tissu.

— Certes ! Seulement, tous mes talismans s'avèrent impuissants à le faire.

— Eh bien, je t'y mènerai cependant... Vois-tu, la forêt pousse dans une vaste dépression qui, du temps des ancêtres, était emplie d'eau. Il en reste juste assez pour que les arbres puissent y croître.

— Je le conçois, mais il ne suffit pas de sauter pour franchir cette barrière.

— Laisse-moi terminer ! Donc, des falaises entourent la forêt, en haut se trouve un plateau de pierres tendres que les torrents ont jadis percé de mille orifices, pratiquant sous terre d'immenses cavernes où les Arnils n'osent point s'aventurer dans la crainte des monstres qui — dit-on — y dévorent les créatures tombant dans les trous de cette éponge. Moi, je tiens de mes ancêtres le plan des souterrains qui permettent de pénétrer sans être aperçu en territoire Arnil. Ainsi ai-je réussi à délivrer ma première épouse que ces chiens avaient capturée et revenir sain et sauf. A vrai dire, il s'en est fallu de peu que les démons de la terre ne nous dévorent, seul le feu de nos torches les a repoussés.

— Je comprends, tu espères passer en dessous de la barrière de brume.

— C'est exact !

— On peut essayer, bien que le succès ne soit nullement certain, car ce mur peut fort bien exister aussi dans les profondeurs du sol.

— Alors, demain, à l'aube, sois devant ma hutte.

— J'y serai ! Eh bien je vais me coucher : il faut prendre des forces pour cette exploration.

— Que des songes prémonitoires accompagnent ton sommeil ! souhaita Graad.

— Qu'il en soit de même pour toi.

Là-dessus, Alex s'extirpa de la hutte en titubant légèrement : cette liqueur primitive était plus forte qu'il ne l'avait pensé.

Naïra l'attendait devant un grand feu, Sphéro perché sur son épaule.

Maintenant, les étoiles scintillaient dans le ciel.

Elle le saisit par la main et l'entraîna.

L'astrot remarqua qu'elle avait peigné ses longs cheveux et qu'une guirlande de fleurs fraîches ornait son front.

Ils quittèrent le centre du village et arrivèrent à une cabane dont les murs tressés comportaient de nombreux interstices.

— C'est la demeure réservée aux hôtes du chef, annonça la sauvageonne. Demain, tu feras partie de la tribu, nous aurons une case pour la nuit de noces, j'ai déjà commencé à l'aménager.

A part lui, Alex songea que le chef devait aimer s'assurer que ses hôtes honoraient comme ils le devaient ses présents et ne fit aucun commentaire.

En réalité, une bonne partie des Gruds défilèrent silencieusement devant les visées : Naïra avait fait part des exploits du nouveau venu et tous tenaient à contempler les ébats d'une divinité pour en faire leur profit.

L'astrot, tout à son plaisir, ne remarqua rien au début, d'ailleurs sa partenaire faisait tout son possible pour le distraire et prouver à ses compatriotes qu'elle constituait une partenaire digne du puissant magicien.

Ce ne fut que lorsque la lune se leva que l'agent galactique aperçut les prunelles luisantes qui le contemplaient. N'étant nullement exhibitionniste, il s'enroula dans une peau d'aurochs et s'endormit.

Le délicat fumet d'une viande grillée l'éveilla.

Naïra, souriante, lui apportait une calebasse pleine de lait et un cuissot de sanglier rôti à point.

L'astrot se régala sans se demander la provenance du lait et se gratta furieusement. Apparemment, quelque pernicieuse engeance avait échappé à l'insecticide.

Les civilisations primitives n'avaient pas que des avantages... Il avait bien du mal à l'expliquer aux aspirants lorsque, parfois, au retour d'une mission, il se laissait aller à des confidences.

Groudir et Graad l'attendaient, il eut à peine le temps d'étreindre sa belle et de déposer un baiser furtif sur ses lèvres douces.

— J'ai envoyé un chasseur en exploration cette nuit, annonça le chef. La barrière magique n'a pas disparu. Et l'aven que nous utiliserons se trouve juste devant.

Parfait ! Allons-y...

Les deux hommes prirent une allure soutenue,, comme des coureurs de fond, trottant souplement sur la pointe des pieds, presque sans bruit.

Dans l'air frais du matin, cette excursion était agréable et Alex appréciait les senteurs variées dégagées par l'humus et les herbes diverses.

Le soleil se leva, tel une énorme montgolfière écarlate distordue de mirages.

Quelques oiseaux traversèrent le ciel.

La journée promettait d'être chaude.

Alex passa la main sur son épaule pour s'assurer que Sphéro se trouvait bien là, puis il ressentit quelques tiraillements aux cheveux. La brave bestiole était tout bonnement en train de l'épouiller et se régalait de ses trouvailles.

Une véritable bénédiction !

En se retournant, l'astrot crut apercevoir une silhouette furtive derrière eux. Sur le moment, il pensa être le jouet de son imagination, mais en tournant brusquement la tête, il acquit la certitude que Naïra les suivait.

Les grottes constituaient sans doute un tabou inaccessible aux femmes, il ne formula aucune remarque et poursuivit sa progression pas mécontent, à tout prendre, que quelqu'un connaisse l'endroit où ils s'enfonceraient sous terre.

Ses yeux ne repéraient aucune créature à sang chaud aux infrarouges et son radar infra-sonique ne signalait rien d'inquiétant dans le ciel.

Que se passerait-il si le mur ne s'étendait pas dans les profondeurs ? Avec deux guerriers primitifs comme alliés, comment s'emparer d'un astronef doté de puissants moyens de défense ? Sans doute, ses gadgets permettraient-ils de les leurrer, et puis le commandant Courville ne se posait jamais ce genre de question.

S'il existait une chance de réussite, aussi faible fût- elle, il fonçait et se préoccupait ensuite des impondérables existentiels.

Dans les centres d'entraînement du S.R.G., on fournissait de charmants computeurs portables, imitant des montres-bracelets, que l'on programmait afin de fournir à l'agent en mission le pourcentage de réussite de telle ou telle de ses décisions.

Alex n'avait jamais voulu recourir à leurs services, se fiant par-dessus tout à son intuition, à sa chance et... à sa séduction. Ces trois atouts, il faut le reconnaître, l'avaient souvent tiré de situations fort compromises...

De toute manière, quel intérêt d'évaluer cette foutue probabilité de réussite ? Une seule chose comptait : le succès, en cas d'échec une engueulade l'attendait et, si d'aventure il se faisait coincer, Vilar ne risquerait jamais ses galons pour le sortir de taule...

Donc, Courville agissait selon ses idées. Et, jusqu'alors, il n'avait pas eu trop à s'en plaindre.

Cette fois encore, tout se passa bien : quelques loups marsupiaux montrèrent le bout de leur nez à l'entrée du plateau ; le laser leur roussit les babines et ils n'insistèrent pas.

Groudir et Graad couraient toujours d'un trot soutenu, ils avalaient les kilomètres sans fatigue. Alex manquait d'entraînement et, malgré sa musculature dopée par la bionique, commençait à aspirer au repos.

Par bonheur, ils arrivaient à leur objectif : la savane faisait place à un plateau rocailleux, la pente s'accusait et les coureurs ralentirent leur allure, pour bientôt prendre le pas.

Maintenant, des épineux égratignaient leurs jambes car le sol poreux comme de la ponce avalait toute l'eau, comme le sable du désert.

Groudir ne marquait aucune hésitation, se repérant sur le soleil. Ils passèrent auprès d'assez vastes excavations mais ne s'arrêtèrent pas.

Enfin, alors que l'astre du jour atteignait presque le zénith, ils parvinrent sur le rebord d'un large aven.

Alex se pencha. Au fond, un cône d'éboulis sur lequel reposaient quelques squelettes d'animaux pourchassés par les lycodons et qui avaient préféré sauter dans l'inconnu plutôt que de se laisser déchirer par les fauves.

Il fit la grimace : sur la paroi lisse, pas la moindre anfractuosité pour y placer le pied ou accrocher les doigts.

— Nous y sommes ! annonça le chef. Le plateau se termine à une centaine de pas, ensuite, c'est la vallée des Arnils.

— Très bien, acquiesça Alex, comment descend-on ?

Le Grud eut un sourire rusé.

— Moi aussi, je connais quelques tours magiques...

Il suivit le rebord jusqu'à un gros rocher, là, il souleva quelques pierres qu'il jeta, découvrant une longue fosse dans laquelle se trouvaient plusieurs perches polies par l'usage.

— Très bien, seulement, elles ne sont pas assez longues, objecta l'astrot.

— Sois patient mon ami !

Chacun d'eux porta une perche jusqu'à l'à-pic.

Groudir chercha quelques repères, puis laissa prendre la longue pièce de bois qu'il ficha dans un trou foré dans un roc faisant légèrement saillie. D'en haut, l'orifice était presque invisible.

— Bravo ! Nous descendons jusqu'au support, mais ensuite ?

— Il suffit d'ôter la perche et de la placer dans un autre trou, plus bas ! Ainsi personne ne peut nous suivre...

— Astucieux ! Bel exercice d'équilibre, j'espère me montrer à la hauteur et que mon squelette n'ira pas blanchir avec les autres...

Graad eut un rictus sardónique et l'agent galactique se demanda si l'affaire n'avait pas été concertée pour se débarrasser de lui sans danger.

— Bah ! songea-t-il. Un homme prévenu en vaut deux...

Afin de minimiser les risques, il s'arrangea pour repérer l'emplacement de la cache en laissant dépasser une extrémité du bois. Naïra les suivait toujours : elle comprendrait vite la technique utilisée.

Brandissant bien haut son morceau de bois, il fit semblant à plusieurs reprises de le ficher en terre et de le retirer, cela aiderait la sauvageonne à comprendre.

Graad avait pris les devants. Une fois la première plate-forme franchie, il fit signe de le suivre.

Alex s'effaça, mais Groudir grommela :

— Va, je dois effacer nos traces afin que personne ne sache où nous sommes.

L'astrot obtempéra et fixa sa perche.

En toute franchise, il se sentit plutôt inquiet au début. Chaque fois qu'il repoussait la paroi, le support s'en écartait, faisant retentir de sinistres craquements.

Alex apprit à se laisser glisser lentement, évitant ainsi de se brûler les paumes, et tout se passa fort bien, jusqu'au moment où il fallut changer de plate-forme.

La roche plate, à peine plus large que ses deux pieds, offrait un support malaisé, et il fallait viser juste dans la pénombre. Enfin, le bois se ficha dans le trou, reposant en haut contre la saillie, la seconde descente s'avéra plus aisée, et Courville parvint au troisième étage.

Il fallut ainsi en descendre six, et le quatrième faillit lui être fatal : en effet, lorsqu'il mit le pied sur le rocher, une tête triangulaire jaillit d'un trou et frappa sa botte...

Un serpent, furieux d'être dérangé, manifestait ainsi son mécontentement. Le plastique à toute épreuve ne fut pas perforé, mais le commandant eut un brusque mouvement de recul et faillit tomber de vingt mètres !

II se redressa d'un coup de reins désespéré et se rattrapa de justesse...

Un jet de laser mit fin aux jours de ce peu accueillant voisin, et Alex rejoignit sain et sauf Graad sur le cône d'éboulis. Avait-il ou non repéré la venimeuse engeance et omis de la signaler à son allié ? L'avait-il placée là volontairement ?

Le commandant ne chercha pas à élucider la chose, mais se promit de redoubler d'attention.

Groudir, agile comme un singe, les rejoignit rapidement.

Tandis que Graad se dirigeait vers une autre cache contenant des résineux, ramenant une dizaine de morceaux de bois, il s'amusa à zébrer d'éclairs les rochers, réjoui comme un gosse, ce en quoi il avait grand tort, car sa charge se trouvait volontairement limitée.

Brandissant leurs torches, les trois compères s'engagèrent dans l'un des orifices qui s'ouvraient au bas de l'entonnoir.

Courville y pénétra avec un petit serrement de cœur : quelles monstrueuses créatures hébergeaient ces failles enténébrées ? Quel mauvais tour lui réservaient ses compagnons ?