CHAPITRE IX
— Les fabuleux trésors des conquistadores !
— C'est cela... Plus exactement, les galions qui les transportaient en Espagne. Si beaucoup ont été capturés par les pirates, de nombreux autres se sont perdus corps et biens, soit au cours de tempêtes, soit après des échouages, soit dans des circonstances mal élucidées.
— Purement génial ! Ainsi personne ne vous soupçonnera puisque, dans l'histoire réelle, ces bâtiments ont disparu.
— Et même si, plus tard, des plongeurs ne découvrent plus d'or dans les épaves ou mieux encore, s'ils n'en trouvent jamais de vestiges, qui s'en étonnera ! Excuse-moi, je donne l'ordre de décoller, j'ai hâte de contempler notre premier butin.
Courville, malgré son impatience, ravala donc la question qui lui brûlait les lèvres, il vit le dôme rapetisser, la planète prendre une forme sphérique, devenir punctiforme et enfin disparaître.
L'hologramme réapparut :
— Tout est automatique, déclara le gangster, pourtant, je préfère contrôler si tout va bien... Maintenant, je t'écoute, car je pense que tu es curieux de connaître notre première victime...
— Assurément quelque galion de retour du Nouveau Monde !
— Tu as deviné, bravo ! Il existe un grand choix parmi eux, j'ai sélectionné pour notre premier essai la Santa Margarita, qui disparut en 1595 à quelques milles du récif des Soldats, au nord-ouest de la Floride. A bord, des lingots d'or d'une valeur de 7 millions de dollars-or. Malgré les travaux des mineurs sur les astéroïdes, la demande de ce métal, très utilisé dans l'industrie, reste forte, et sa valeur est élevée. Peut-être découvrirai-je à bord quelques intéressantes antiquités ? J'ai refréné ma soif de collectionneur. J'attendrai le second raid pour l'assouvir.
Courville restait pantois. Ce diable d'homme avait découvert une technique beaucoup moins risquée que celle des pirates. En attaquant un galion qui, de notoriété publique, s'était perdu corps et biens !
Personne ne pourrait le démasquer, sauf les agents temporels qui verraient le jour dans le futur, mais s'intéresseraient à des problèmes d'une plus grande importance historique.
— Tu parais songeur...
— J'admirais votre habileté ! Personne n'est capable de s'apercevoir de ces larcins !
— Je l'espère bien, car cette région est une véritable mine : sur le récif des Soldats lui-même, mais deux siècles plus tard, une frégate anglaise s'est brisée avec 2 millions de dollars dans ses coffres. Sur la côte opposée, devant la baie de Matanza à Cuba, le fond est pavé de lingots d'argent. Les Hollandais ont coulé là une flotte espagnole. Elle repose à 3000 mètres de profondeur. Si la fantaisie m'en prend, ce sera un jeu de les récupérer avec mes robots sous-marins, quelques jours après la catastrophe.
— De mieux en mieux ! Qui pourrait alors vous soupçonner ?
— Pourtant, je ne m'y intéresserai pas de si tôt : je préfère l'or à l'argent.
— Quelle sera la durée de notre voyage en temps du bord ?
— Regarde ce chronomètre...
— Dix minutes seulement !
— Oui, c'est l'un des paradoxes de ces transferts ; ne me demande pas d'explication, seuls les spécialistes s'y retrouvent, et encore : leurs explications sont si fumeuses que j'ai renoncé à les comprendre.
— Est-il possible de faire réapparaître ce cylindre de brume pour nous camoufler ?
— Certes, et les Espagnols, en nous voyant arriver dans la tempête, croiront à une trombe. Désires-tu descendre à bord du galion ?
— Je serais désespéré de manquer pareille occasion !
— Entendu : tu dirigeras le commando et chargeras les bennes qui transféreront notre butin. Maintenant, regarde...
Le navire spatial arrivait sur la face diurne, dans une épaisse couche de nuages ; sans les appareils de détection l'astrot n'aurait rien vu.
On devinait sur les écrans la lointaine silhouette d'un navire fuyant la tempête, porté par le vent furieux.
— Ces antiques vaisseaux, construits en chêne-liège et en pin, se disjoignaient aisément. Il fallait les calfater périodiquement et les débarrasser des algues, des coquillages poussant sur leur coque, déclara Freeder qui avait étudié la question. Pourvus de trois ou de quatre mâts, ils naviguaient sous la protection de fortes escadres, car ils constituaient des proies de choix pour les flibustiers.
— De quels instruments disposaient-ils pour se guider ?
— Oh, bien primitifs : quelques cartes imprécises sur parchemin, des boussoles rudimentaires, ainsi que des astrolabes. La vigie devait signaler les récifs dès qu'ils approchaient des côtes mais, pendant les tempêtes, ils les apercevaient en général trop tard.
— Et que mangeaient-ils pendant ces interminables traversées, lorsque le vent faisait défaut ?
— Des biscuits, souvent pleins de vers, des anchois conservés dans l'huile d'olive, du porc fumé, du sucre. Ils péchaient parfois quelques poissons pour agrémenter leur ordinaire. A cause de la carence en vitamine C, le scorbut faisait des ravages à bord.
— Comment mesuraient-ils le temps ?
— Avec des clepsydres, rendues imprécises par les mouvements de tangage et de roulis ! A l'aller, ils emportaient de la pacotille pour échanger avec les indigènes, tissus, miroirs, peignes, chaînettes, ciseaux, hameçons, couteaux et clochettes ! Au retour, ils chargeaient or, argent et pierreries.
— Venons-en à ce qui m'importe le plus : leur armement.
— Des lances, des javelots, des épées, des arbalètes, ceci pour les combats de près; ils possédaient aussi quelques canons lançant des boulets de fer ou de pierre, plus effrayants par leur bruit que par leur précision.
— Rien de bien inquiétant par conséquent, constata Alex qui examinait le galion, maintenant proche, avec curiosité.
La plupart des voiles avaient été ferlées, certaines, déchirées, claquaient au vent. A l'arrière, deux marins attachés par des cordes unissaient leurs efforts pour maintenir le cap.
Les lames déferlantes balayaient le pont jusqu'à l'arrière. Quelques gabiers tentaient de mettre un peu d'ordre dans la mâture, parfois l'un d'eux, arraché par une rafale, tombait dans les vagues.
Les autres matelots se serraient dans l'entrepont, presque tous malades comme des chiens. Affaiblis comme ils l'étaient, ils n'opposeraient sans doute guère de résistance.
— Comment serons-nous transférés à bord ? s'enquit l'astrot.
— Avec des navettes : notre coque vous protégera du vent.
Les plus grosses caisses et les coffres seront hissés à bord par des faisceaux anti-G.
— Et nous, quelles seront nos armes ?
— Paral et lasers. N'oublie pas, lorsque les cales seront vides, de perforer la coque afin que le galion disparaisse.
— Comptez sur moi ! Au fait, vos gynoïdes parlent- elles le castillan ?
— Non ! Je ne me suis pas préoccupé de ce détail. Elles ont ordre de liquider tous ceux qu'elles rencontreront.
— Très efficace : ainsi, pas de discussions oiseuses. Eh bien, si vous le permettez, je vais me préparer. Nous voici seulement à quelques encablures...
Pendant que l'astrot enfilait la combinaison dotée d'un dispositif anti-G, pour le cas où le vent l'entraînerait, les marins avaient aperçu l'immense coque grise dans des éclaircies. Affolés, ils étaient partis chercher le capitaine.
Don Luis Gomez était un homme brave, tempêtes et combats ne l'effrayaient guère. Par contre il redoutait les fantômes, le grand serpent de mer et, en général tout ce qui relevait du surnaturel.
Or, cette coque qui planait dans les nuées sans se soucier des bourrasques, le stupéfia. Par quel miracle un navire aussi énorme pouvait-il tenir en l'air ? Plus étrange encore : démuni de voiles comme de chiourme, comment avançait-il ?
Il se signa, imité par ses hommes.
Alors, des lentilles se détachèrent du gros vaisseau : l'équivalent de canots, sans aucun doute, les génies du ciel venaient le visiter...
Affolé, il dégringola l'escalier à la recherche d'une arquebuse et ordonna à ses hommes de s'armer. Ces démons pouvaient, peut-être, succomber aux coups d'armes ordinaires ? Pour plus de prudence, il fit appeler l'aumônier, un moine, lui demandant d'apporter profusion d'eau bénite.
Ceci fait, tous attendirent, cinglés par les embruns, assourdis par le vent, récitant des ave.
Des pétrels vinrent alors examiner de près ces étranges oiseaux qui envahissaient leur domaine et les matelots, à leur vue, se signèrent : l'oiseau des tempêtes constitue un mauvais présage.
Ils n'en avaient pas fini avec les surprises : les baleinières célestes vinrent se ranger à la verticale du pont et demeurèrent immobiles comme si le vent n'avait aucune prise sur elles.
Alors, les Espagnols restèrent bouche bée, sans plus songer à psalmodier des prières. En effet, des démones au corps merveilleux moulé par un maillot collant, sortaient des coques et, flottant dans l'air sans être mouillées par les embruns, se posaient sur le pont.
L'aumônier bafouilla alors des exorcismes, brandissant sa croix vers les diablesses venues tenter les bons Chrétiens.
— Arrière, succubes ! glapit-il. Laissez nos corps en paix ! Vade rétro Satanas !
Hélas, ni le latin, ni le castillan n'eurent le moindre effet sur ces créatures qui braquèrent vers les marins d'étranges arbalètes crachant une flamme verte.
Tous s'effondrent sur le pont en hurlant, tête calcinée, vite emportés par les lames qui balayent furieusement le navire.
Les gynoïdes pénètrent alors dans l'entrepont où se réfugiaient les moins valides : la vue de ces enchanteresses beautés éclairées par la lueur falote des lanternes leur fait croire que des Archanges les visitent et qu'ils accèdent au Paradis.
Ils ne se trompaient que de quelques secondes.
Des éclairs émeraude les brûlèrent atrocement, les réduisant en cendres.
Descendant ensuite dans les cales, la sainte barbe, les diablesses exterminèrent les rescapés, sans qu'ils esquissent même un semblant de résistance, tant ils étaient stupéfaits de ces apparitions.
Alex, débarqué peu après, installa deux gynoïdes à la barre, puis descendit dans la soute où les trésors dérobés aux Aztèques se trouvaient amoncelés.
Freeder avait été bien renseigné, il y avait là, en guise de lest, des barreaux d'or grossièrement martelés, une fortune princière !
La coque craquait horriblement, comme si elle menaçait de se rompre. Des ruisselets coulaient par les fentes dont le calfatage se disjoignait. Les rats, effrayés, grimpaient sur les membrures, cherchant une issue pour s'enfuir.
— Dégagez-moi tout cela ! ordonna l'astrot. Nous avons juste le temps !
Les gynoïdes se précipitèrent.
Grâce à leur force surhumaine, elles soulevaient à deux des coffres qui auraient fait plier quatre robustes portefaix.
Certaines barres reposaient sur de simples claies qu'elles entassaient les unes sur les autres pour les monter ensuite sur la dunette.
Une fois sur le pont, l'anti-G les soulevait et les apportait dans les navettes.
Pendant ce temps, Courville fouillait le galion, s'intéressant plus particulièrement à la cabine du capitaine. Il découvrit ainsi de superbes cartes où des zéphyrs, joues gonflées, symbolisaient les vents, tandis que des nefs, toutes voiles dehors, cinglaient vers les Terres Inconnues parmi les Léviathans. Il les roula avec soin, puis sélectionna quelques astrolabes de cuivre ouvragé, ainsi qu'une boussole dans sa boîte de buis.
Dans les cantines, il découvrit quelques intéressants souvenirs que le capitaine s'était réservé : émeraudes serties sur de superbes bijoux, soleils d'or aux rayons ornés de pierres précieuses, divinités baroques au visage grimaçant, de quoi contenter le gangster féru d'antiquailles.
Une ultime inspection dans les fonds puants où les immondices flottaient sur l'eau pourrie lui permit de découvrir quelques survivants, des détenus mis aux fers, plus qu'à moitié morts. Il réprima un haut-le-cœur.
Plutôt que de les laisser se noyer comme des rats, Alex préféra mettre fin miséricordieusement à leurs jours.
Il allait quitter la cale lorsqu'il avisa, dans un recoin sombre, un casier empli de bouteilles poussiéreuses. Il en saisit une et lut sur une étiquette : Malaga.
— C'est peut-être buvable... marmonna-t-il.
Il essuya de la main les toiles d'araignée et mit deux flacons dans un sac qu'il accrocha à sa ceinture.
Le galion donnait de plus en plus de la bande.
Alex regagna la soute d'où les gynoïdes avaient extrait les ultimes barres d'or.
— A bord ! ordonna-t-il.
A cet instant, un moribond à la poitrine charbonneuse eut encore la force de brandir une petite arquebuse à rouet qu'il braqua vers le commandant.
Celui-ci, qui avait débranché son écran afin d'économiser ses batteries, se crut mort...
Par chance, un coup de roulis plus fort fit glisser l'Espagnol et le carreau passa en sifflant à l'oreille d'Alex, se fichant dans la rambarde de l'escalier.
Son laser cracha rageusement, l'autre était mort avant d'être touché : il avait utilisé son ultime souffle de vie pour sa vengeance.
Avant de remonter, Courville disposa le long des membrures une grenade d'antim à retardement : après son explosion, il ne resterait plus grand-chose du navire...
Sa navette pénétrait dans le sas quand la coque vola en éclats. Quelques minutes plus tard, il ne flottait plus sur l'eau que quelques madriers, des planches et deux ou trois tonneaux.
L'hologramme de Freeder attendait dans le garage des nacelles, il paraissait impatient :
— Alors, la moisson a-t-elle été bonne ?
— Excellente ! Les renseignements étaient exacts. C'est un exploit d'avoir déniché ce rafiot dans pareille tempête.
— Oh, les pétrels bioniques constituent d'excellents observateurs !
Puis, comme s'il en avait trop dit, il s'en alla regarder les gynoïdes qui débarquaient leur butin.
— Quelle pitié ! s'exclama-t-il. Vois comme ces pillards éhontés ont massacré des œuvres d'art unique, les écrasant à coups de masse pour en faire des lingots...
— J'ai songé à vous, intervint Alex en lui présentant les bijoux, les statuettes et les astres d'or récupérés dans la cabine du capitaine.
— Quelles merveilles ! s'extasia le gangster en les contemplant les uns après les autres. Décidément, tu es un homme précieux... Voilà où réside la différence entre un homme et un humanoïde ! Toi, tu as pensé à l'Art. Ces femelles ne suivent que leur programmation... Voici qui me donne un avant-goût des splendeurs que m'offrira ma prochaine capture...
— Vous avez déjà choisi votre nouvel objectif ?
— Bien sûr, et plusieurs autres ! Dépose ces trésors dans le coffre de la salle de commande, et va te reposer, j'aurai sous peu besoin de tes services : le temps que mes pétrels repèrent la Biche d'or qui coula en l'an de grâce 1502 près du cap Engano, à la pointe orientale de l'île d'Haïti.
Alex voulut en demander plus, mais la silhouette avait disparu.
Il déposa son butin là où Freeder l'avait ordonné, et regagna sa cabine, Sphéro se matérialisa et vint se frotter amicalement à ses jambes.
Après s'être débarrassé de sa combinaison, Courville donna alors à manger au kronon, puis s'assit, étendant ses longues jambes avec un soupir de satisfaction.
La vision affreuse du mourant à la poitrine calcinée braquant son arme sur lui le poursuivait, il avisa alors le sac de chanvre :
— Tiens, goûtons un peu ce vénérable flacon.
Il eut quelque mal à déboucher la bouteille scellée à la cire et se versa un verre du breuvage brun :
— Hum ! Vraiment pas mauvais, constata-t-il. Cela n'est pas aussi parfumé que la croccine, pourtant, il laisse un petit goût de revenez-y...
Après avoir vidé un tiers du flacon, il se sentit nettement plus en forme : le souvenir du massacre s'estompait dans les brumes de l'alcool.
— Pas très honorable comme combat ! Qu'y pouvais-je, mon gros ? Et toi, as-tu retenu la manière de manœuvrer cet engin ?
Le kronon stridula et dressa la queue.
— Oui ! Formidable... Si je me débarrasse de Freeder et que je contrôle ses gynoïdes, nous pourrons peut-être rentrer chez nous...
Sphéro eut un hochement de tête.
—... tu sais où il se cache ? Formidable. Je fais une esquisse du navire, tu vas me montrer.
De mémoire, Alex fit un plan puis ordonna à son commensal :
— A toi de jouer !
La bestiole posa son nez juste derrière le poste de navigation.
— Logique ! De là il peut diriger tout le vaisseau avec le double des commandes. Et le chrono-disrupteur se trouve probablement à côté ? Oui... Tu as fait de l'excellent travail : voici ta récompense.
Là-dessus, il lui octroya une bonne ration d'insectes et ajouta :
— Il est temps que nous revenions, sans quoi tu te mettrais la ceinture, plus que deux boîtes !
Il resta allongé quelques minutes sur le lit, puis une sonnerie retentit :
— Puis-je entrer ? fit la voix du truand.
— Certainement...
L'hologramme se matérialisait déjà au milieu de la pièce :
— Ça y est ! annonça-t-il d'un ton réjoui. J'ai repéré la Biche d'or ! Pas de chance, il fait encore un temps affreux, tu n'es pas sujet au mal de mer ?
— Non...
— Moi si, je te laisserai donc opérer seul avec mes gynoïdes. Cette fois, il y a encore de l'or, d'après mes renseignements, mais surtout de fabuleuses richesses artistiques. Je te recommande d'en prendre le plus grand soin : ces trésors passent avant tout le reste. Tu disposeras de containers spéciaux pour les embarquer à l'abri des embruns.
— Comptez sur moi !
L'image disparut.
Courville se rendit à la soute des navettes, mais il effectua un léger détour afin de passer près du poste de pilotage : effectivement, il repéra, derrière, plusieurs pièces bouclées par des portes blindées. Il devrait y pénétrer à tout prix s'il voulait échapper à ce piège doré. L'astrot embarqua avec le commando.
Un coup d'œil sur les écrans lui montra une mer déchaînée.
Une caravelle se tenait à la cape sous le vent, d'après le radar, elle ne se trouvait qu'à une dizaine de milles du cap Engano. Il était temps d'intervenir.
Les nacelles furent bousculées par les rafales dès qu'elles furent à l'extérieur : ils affrontaient une véritable tornade cette fois, et l'astronef lui-même tanguait un peu.
Cette caravelle possédait trois mâts, avec une voile latine carguée à l'arrière. Seuls, des lambeaux d'une voile carrée claquaient au vent ; deux marins attachés à la barre conjuguaient leurs efforts pour maintenir le cap. Personne d'autre sur le pont.
Le mât de misaine, brisé, tenait encore avec quelques cordages et battait dangereusement la coque, menaçant de la défoncer. Des haubans sectionnés montraient que l'équipage avait tenté de libérer ce dangereux compagnon, il avait dû y renoncer, sans doute parce que les vagues emportaient les audacieux par-dessus bord.
Des haches abandonnées filaient sur le pont d'un côté à l'autre.
Cette fois, l'entreprise semblait difficile.
— Dès que l'une de vous sera sur le pont, qu'elle amarre un cordage au mât cassé, afin que nos navettes ne soient pas trop déportées par le vent. Nous nous y cramponnerons aussi pour débarquer.
La première gynoïde eut beaucoup de mal à parvenir jusqu'au pont : il fallut pousser à fond les anti-G. Lorsqu'un va-et-vient fut établi, la tâche devint plus aisée.
Alex faillit pourtant être entraîné par une déferlante dès son arrivée. Il se cramponna désespérément au bastingage et laissa passer le flux glacé ; heureusement, sa combinaison lui évitait d'être trempé.
Il n'attendit pas la douche suivante et se précipita vers la porte de l'entrepont ; les gynoïdes l'avaient déjà ouverte et les malheureux marins, malades comme des chiens, eurent à peine le temps de s'étonner de cette irruption que ces naïades implacables les envoyaient rejoindre leurs ancêtres; la surprise mêlée d'admiration se lisait encore sur leurs prunelles.
Alex se rendit directement aux appartements du capitaine situés à la poupe. Leur occupant, qui déchiffrait une carte à la lueur fuligineuse d'une chandelle, ne réalisa même pas ce qui se passait. Une gynoïde lui fit sauter la tête. Le corps se dressa et effectua quelques pas, puis retomba sur le sol.
Cet Espagnol était un amateur éclairé : sa cabine regorgeait de bibelots précieux sur lesquels Courville fit main basse.
Mais ce n'était que broutilles auprès des merveilles entassées dans la cale : ornements en argent des temples, parures et costumes brodés d'or de Montezuma, masques de divinités enrichis de pierreries, auraient empli plusieurs musées.
Les gynoïdes chargèrent les containers qui furent hissés en suivant les cordages. Lorsque tous les objets d'art furent à bord des navettes, Alex laissa ses compagnes terminer la tâche en pillant les débris d'or. L'approche des récifs leur donna à peine le temps de finir.
Cette fois, il n'y eut nul besoin de percer la coque avec des explosifs : la caravelle, projetée par une lame énorme, alla se disloquer contre les rochers.
Heureusement, le va-et-vient avait été tranché juste avant : les nacelles rejoignirent la soute, mais à grand-peine car la tempête redoublait de violence.
Freeder, fébrile, avait braqué toutes les caméras sur le parking et, dès qu'il aperçut les trésors dérobés à la mer, s'exclama :
— Apportez-moi immédiatement ces merveilles !
Gynoïdes et robots obéirent.
Alex suivit le mouvement et eut ainsi l'occasion de pénétrer dans le Saint des Saints, d'observer le mécanisme de fermeture des portes et même de chiper un boîtier de télécommande qui traînait sur une étagère.
Le gangster, subjugué, n'avait pourtant pas perdu toute prudence : il restait séparé des arrivants par une cloison de plastex transparent à l'épreuve des explosifs.
Lorsqu'il désirait un objet, il le faisait déposer à l'intérieur d'un cylindre tournant qui servait à lui apporter ses repas.
Un crâne surmodelé, orné d'une mosaïque de turquoises, lui arracha des exclamations admiratives, il s'extasia devant une figure d'or représentant des perroquets picorant un épi de maïs, mais s'enthousiasma surtout pour un disque solaire aux rayons éblouissants.
Ce ne fut que lorsque sa chambre fut pratiquement emplie d'ornements, de flabellums, de coiffes emplumées, qu'il s'aperçut de la présence de son second.
— Tiens, tu es là... Félicitations : tu as accompli du beau travail ! Il ne restait rien à bord ?
— Rien, nous avons eu le temps de tout évacuer.
— Parfait ! Laisse-moi maintenant : je veux être seul pour inventorier ces merveilles. Tu trouveras les coordonnées d'autres galions dans le poste de commande. Vide-les aussi, avant qu'ils ne se perdent.
— Et comment manœuvrerai-je le chrono-disrupteur ?
— Je l'ai programmé, bien sûr ! Sortez, qu'on ne me dérange pas...
Là-dessus, il se para dans une tunique brodée.
Trop content de l'aubaine, le commandant alla chercher Sphéro avant de se rendre dans le poste de navigation, et l'intelligente bestiole lui mima quelques fort intéressantes manœuvres avant que le navire suivant ne soit en vue.
Ils s'attaquèrent ensuite au galion Santa Paula, naufragé en 1659 avec une cargaison d'or et d'objets précieux.
Alex y récupéra l'un des fameux serpents à plumes aztèques et fut chaudement félicité par Freeder. Le forban, tout à sa marotte, ne se préoccupait plus de la manœuvre. Il programmait un certain nombre de navires, laissant son second se débrouiller.
La plus grosse prise fut celle de 16 caravelles qui étaient allées par le fond sur les bancs des Bahamas.
Il fallut les assaillir les unes après les autres et le transfert fut fort ardu. Les Espagnols réalisèrent vite l'objectif des Diablesses tombées du ciel.
Si le pillage des premières nefs s'effectua sans grandes difficultés, il n'en alla pas de même des dernières : les bombardes tonnèrent, les arbalètes décochèrent des nuées de flèches, quelques gynoïdes furent blessées.
Un trésor fabuleux s'entassa dans l'astro-cargo.
Cette anicroche permit à Alex d'effectuer un nouveau progrès : comme il ramenait une blessée à l'infirmerie du bord, il constata qu'aucune anesthésie n'était donnée avant les opérations. Un psycho-inducteur supprimait la douleur des patientes et leur donnait des ordres. L'astrot parvint à dérober un modèle portatif : désormais, il serait en mesure de se faire obéir de l'équipage.
Alex supervisa encore la récupération de l'or du galion El Capitán, dans la rade de New Providence.
Il termina sa campagne de pillage par le San Fernando, coulé en 1597 avec 20 millions de dollars d'or et d'objets précieux.
Les soutes de l'astro-cargo étant pleines, Freeder songeait à regagner sa base. D'ailleurs, il détenait maintenant une telle collection de trésors aztèques qu'il n'aurait pas trop de dix années pour les répertorier et les identifier.
L'agent galactique, lui, se souciait peu de ces merveilles, il savait à présent comment manœuvrer le navire et rendre les gynoïdes inoffensives. Restait à mettre Freeder lui-même hors d'état de nuire, ainsi que ses robots de combat.
Le gangster n'avait cependant nullement perdu de vue ses ambitieuses visées de conquête : après six jours d'inaction, il convoqua son second.
La cabine ressemblait à un véritable musée, mais le rufian restait toujours prudemment à l'abri du plastex.
— Je ne t'ai pas assez remercié ! déclara-t-il. Mais je ne serai pas ingrat et tu ne regretteras pas de m'avoir servi fidèlement. Mes collections m'occupent énormément, aussi dirigeras-tu seul notre prochaine mission.
Comme pour mieux l'admirer, Courville saisit une statuette de basalte creuse et l'examina sous tous les angles, en réalité, il remplaça les yeux d'obsidienne par des ocelles vidéo télécommandées.
Ainsi pourrait-il espionner son adversaire.
Celui-ci, sans méfiance, examinait un Codex précieux enjolivé de dessins, tout en déclarant :
— J'aime avant tout l'or et les antiquités, mais il existe un autre trésor inestimable : l'intelligence... Sans les ingénieurs qui ont conçu le chrono-disrupteur, jamais je n'aurais pu ainsi assouvir ma passion de collectionneur ! Tu vas donc attaquer un autre objectif, cette fois à notre époque.
Alex eut quelque peine à dissimuler sa joie : la manœuvre du chrono-disrupteur était certainement délicate, aussi préférait-il qu'on le ramène à son point de départ.
— A vos ordres, de quoi s'agit-il ?
— D'une banque de cerveaux pour psyborgs...
— Fichtre ! Ce genre d'endroit est certainement bien défendu...
— Pas tellement : elle se trouve sur un satellite dans un secteur isolé. Une compagnie de R.C. impériaux veille dessus sous la direction d'un colonel. Notre arrivée soudaine les laissera pantois; une fois mes propres R.C. débarqués, ils n'auront plus aucune chance.
— Mais le commandant de la place a peut-être l'ordre de tout faire sauter en cas d'invasion.
— Ces cerveaux des savants disparus constituent un patrimoine trop précieux pour qu'il le fasse à la légère. Toute la défense avait été conçue de manière à détruire un ennemi éventuel dans l'espace, l'approche du satellite étant rendue impossible par les missiles.
— Parfait, nous liquidons les défenseurs au sol et comment transférer les cerveaux ? Je suppose qu'ils sont stockés à l'intérieur de cuves iono-échangeuses assurant les besoins de leur métabolisme.
— Exact ! Il suffira d'y adapter des pompes autonomes pendant leur transfert à bord. Ensuite, elles seront branchées sur nos propres systèmes d'alimentation.
— Tous ces cerveaux seront sans doute stockés sous le dôme afin de travailler sur les projets que vous leur soumettrez ? Ainsi, vous disposerez d'une avance dans le domaine de la recherche. Restera à transposer ces découvertes sur le plan pratique...
— C'est alors qu'il me faudra de l'argent pour acheter le matériel indispensable. Tu as compris maintenant ?
— Tout à fait ! Ce plan est génial et ne comporte aucune faille...
— J'espère bien ! Va mon cher : bientôt, ce sera moi l'Empereur de la Galaxie et ceux qui m'auront efficacement et loyalement servi n'auront pas à le regretter.
Alex remercia et prit congé : il en avait par-dessus la tête de ce parano, aussi, une fois de retour dans sa chambre, pressa-t-il sur la touche 455.
Quelques instants plus tard, Véga apparaissait, un resplendissant sourire aux lèvres.
— Je suis heureuse que tu m'aies rappelée...
— Tu es vraiment merveilleuse : dans tes bras, j'oublie tous mes problèmes.
La belle enfant, stimulée par ces compliments, se distingua particulièrement; peu après, Courville, épuisé, sombrait dans un profond sommeil, interrompu à plusieurs reprises par les caresses de sa maîtresse.
— Tu es vraiment sensationnelle, avoua-t-il.
— C'est que je t'aime, chéri.
— Mais une gynoïde, normalement, ne s'attache pas à ses amants !
— C'est que tu es différent des autres : tu ne commandes pas brutalement ; jamais tu ne recherches ton seul plaisir, tu le partages.
— Je suis ravi de t'avoir satisfaite, pourtant, ne t'attache pas trop à moi, tu sais que je puis être obligé de te quitter si Freeder me l'ordonne.
— Je le sais, cela ne m'empêche pas d'être amoureuse de toi, tout ce que tu m'ordonneras, je le ferai.
— Même si tu le réprouves ?
— Tout ce qui sera en mon pouvoir.
— Tu connais bien le mécanisme des psycho-inducteurs qui vous commandent ?
— Parfaitement, je suis chargée de vérifier leur bon fonctionnement.
— Le cas échéant, le programmerais-tu selon mes désirs ?
— Cela va de soi... C'est bien peu de chose.
— Alors, je te demanderai sans doute ce service...
Rassuré, Alex lui redonna des gages de sa tendresse :
Ainsi, songeait-il, si ce mégalomane cherche à subjuguer mon esprit, j'aurai au moins une chance de lui échapper...