CHAPITRE VIII
Cette fois, Courville disposait d'un avantage sur son adversaire, persuadé de s'être débarrassé de lui...
Seulement, il n'avait toujours aucune possibilité de capturer l'astro-cargo sans aide extérieure et Véro se trouvait Dieu seul savait où, avec son astronef.
Restait Sphéro et... la chance !
Le paysage qui l'entourait était pour le moins stupéfiant ; une nouvelle fois, l'astrot restait admiratif devant les performances du chrono-disrupteur qui transférait ainsi un navire spatial comme par magie.
Le cylindre brumeux enserrait un dôme d'où émanait une lumière douce, impossible de savoir s'il faisait jour ou nuit. Tout autour, des bacs géants évoquaient une usine, mais d'un genre très particulier.
De monstrueuses créatures émergeaient de ces cuves bioniques : mygales, scorpions géants, scolopendres. Tous portaient sur leur tête une cabine de commande permettant de loger à l'aise deux humains.
Dans des tubulures emplies d'eau, évoluaient des créatures marines analogues aux ichtyosaures.
Plus loin, des oiseaux géants pareils à des condors, également dotés d'un système de pilotage.
A côté de ces monstres, d'autres cuves produisaient des robots de combat, androides chitineux, siliconés, bipèdes ou quadrupèdes, certains de petite taille pouvaient forer des tunnels comme des taupes, tous dotés d'un armement sophistiqué.
Plus loin, reposaient aussi de superbes gynoïdes à la musculature d'athlète, aux sens aiguisés, des nains cuirassés, des géants filiformes aux longues jambes de gazelle.
Aucune de ces créatures n'était activée.
Sorties de leur cuve, elles se dirigeaient vers un tunnel au bout duquel elles subissaient d'ultimes vérifications.
Le commandant procéda à une inspection minutieuse des alentours. Pas trace d'Albrought ; pourtant, il avait certainement été transféré...
Dissimulé derrière un scorpion immobile, l'astrot cherchait toujours son adversaire, en vain ! Il pensa alors à profiter au maximum de la situation.
Tout d'abord une question : les pirates avaient-ils volontairement amené leur vaisseau à proximité de ce centre bionique, afin d'y embarquer une cargaison de combattants qui leur donnerait une supériorité incontestée, s'ils se matérialisaient sur n'importe quelle planète ?
Car ces engins atteignaient une perfection telle que ni les Albions, ni les Impériaux ne les concurrençaient dans ce domaine.
Peut-être s'agissait-il d'un hasard ?
De toute manière, il était d'autant plus capital maintenant de récupérer ou de détruire ce chrono-disrupteur et pour ce faire, le problème restait le même : comment pénétrer dans le navire spatial ?
Sphéro, qui commençait à se sentir à l'étroit, gratta la combinaison.
— D'accord, mon gros, tu peux sortir mais ne t'éloigne pas. Tu vois, je choisirais volontiers ce scorpion, mais il est un peu trop voyant et surtout fort encombrant dans un vaisseau spatial. Evidemment, il a l'immense avantage de se trouver juste à côté, nous y pénétrerions sans être repérés. Et ma foi, peut-être pourrions-nous l'échanger contre un autre. Après tout, il y a plus de place pour nous y cacher.
L'agent galactique se faufilait déjà dans l'habitacle.
Les commandes conçues pour des mains humaines paraissaient aisées à manipuler et un écran lumineux montrait la silhouette de l'arachnide géant.
Etait-ce le dispositif permettant d'apprendre rapidement le fonctionnement de l'engin ? Ou bien de détecter et de réparer les avaries ?
Alex n'hésita pas longtemps, il poussa le bouton placé en dessous et le tableau de bord apparut avec les vidéogrammes indiquant le mode d'emploi : ainsi, le bouton situé sur le sommet du palonnier servait au démarrage. Celui de droite, en dessous, déclenchait un lance-flammes ou un laser, celui de gauche lançait des projectiles explosifs.
Un paral ou un tétaniseur stoppait net les androides et un système de fusées permettait de se protéger contre les monstres volants.
Il y avait aussi un hémisphère énergétique, assez efficace pour protéger des lasers et des missiles. Les pinces du scorpion pouvaient sectionner un arbre et sa queue projeter un assortiment de venins et d'acides.
Une petite perfection pour le combat dans la jungle !
A tout hasard, Courville appuya sur le bouton de démarrage, il introduisit même une plaquette dotée d'une puce, trouvée sur le tableau de bord, dans la fente du démarreur ; rien ne se produisit.
En observant sur l'écran les robots voisins, l'astrot conclut que les vérificateurs télécommandaient les appareils par lots de cinq.
Trois autres scorpions se trouvant devant le sien, Alex décida qu'il avait le temps d'explorer le grand corps et passa par un clapet, dans son abdomen. La paroi, d'une seule pièce, comportait des arceaux, un peu comme une trachée. Il n'existait au centre qu'un passage exigu, car les réservoirs et les pièces de rechange occupaient une grande place. Ces pièces permettaient un usage pratiquement indéfini de l'engin car, dès que l'une d'elles avait été retirée de son support, une cuve biotique disposée en dessous mettait immédiatement en fabrication sa remplaçante.
— Je ne tiens pas à me faire coincer dans les entrailles de cette monstrueuse bestiole ! déclara Alex à son commensal. Retournons dans le cockpit : au moins, on peut voir l'écran et savoir où l'on se trouve.
Ils regagnèrent donc la cabine et, derrière les deux sièges, l'astrot découvrit un coffre assez vaste pour contenir son grand corps. Sphéro, lui, préféra rester au- dehors, invisible.
Maintenant, quatre scorpions étant achevés, celui de Courville s'ébranla et l'astrot formula une prière afin que son robot restât dans les limites du cylindre de brume. Celui-ci était nettement visible, et comme il ne se trouvait pas sous terre, le scorpion ne pourrait donc pas le traverser.
L'examen du nouveau-né fut rapide.
Un instrument fonctionnant selon le principe banal de la résonance magnétique nucléaire, sonda les propulseurs et les diverses commandes.
Le fonctionnement des appareils fut ensuite testé par un robot qui pénétra dans l'habitacle, tandis que le cœur d'Alex battait la chamade...
Les pattes terminées par des doigts arachnéens coururent allègrement sur les diverses touches. Le coffre ne faisait pas partie de sa programmation. Tout le reste fonctionnant, le vérificateur s'en alla.
Courville, sur l'écran décodeur, avait noté une intéressante particularité des gynoïdes : leur corps d'albâtre aux formes irréprochables était revêtu d'une combinaison moulante dotée d'une propriété remarquable : elle les rendait invisibles non seulement aux rayonnements normaux, mais aussi au radar, au sonar, aux U. V. et aux infrarouges !
— Mon vieux, murmura Alex, il faut que tu m'en procures une, ensuite, tu pourras prendre ta retraite...
L'entreprise n'avait rien d'extraordinaire pour le kronon qui, n'étant pas détectable, put s'approcher de la pile de survêtements et en dérober un qu'il rapporta à son maître.
Aussitôt récompensé par une boîte d'insectes au goût particulièrement faisandé, il manifesta sa grande satisfaction en stridulant, mais Alex le fit taire...
L'astrot entreprit ensuite d'enfiler la précieuse combinaison. Les gynoïdes, par bonheur, étaient de bonne taille. Seulement, il lui fallut inverser son havresac et le disposer sur sa poitrine afin d'en clore la fermeture.
Les entrepôts occupaient tous les étages inférieurs : androïdes et robots y descendaient par une large spirale. L'ensemble restait circonscrit dans le cylindre de brume.
Nouvelle question : les fabricants d'armes étaient-ils complices ou bien s'étaient-ils emparés du chrono- disrupteur pour travailler à leur propre compte ?
Un seul moyen d'y répondre : se rendre sur place.
L'agent galactique quitta donc sa cachette en compagnie de Sphéro, tout étonné de constater que son maître, lui aussi, était invisible.
Au lieu de suivre les scorpions, ils remontèrent la rampe, espérant parvenir, à la base du navire, au poste de commandement des trafiquants.
Ils croisèrent ainsi bon nombre de robots, tous plus effrayants les uns que les autres : cette armée aurait, sans aucun doute, donné du fil à retordre à n'importe quelle garnison impériale. L'affaire se corsait : quelle mafia affrontait-il ?
La technologie utilisée ne surclassait en rien celle de son époque, aussi Alex en déduisit-il que cette fois il était revenu à son temps d'origine, sur quelque planète isolée.
L'étage supérieur se trouvait occupé par des systèmes électroniques, les logiciels, tout un appareillage chargé de contrôler les machines situées en dessous.
Par chance, il y avait seulement là quelques robots chargés de la maintenance et du nettoyage. Pourtant de nombreuses caméras et des détecteurs indiquaient que le local se trouvait étroitement surveillé.
Le dispositif d'invisibilité constituant une protection efficace, ainsi que les systèmes absorbant les diverses ondes de sa combinaison ; tout cela sécurisait un peu Alex.
La spirale s'arrêtait là ; les robots de combat n'avaient pas accès au sommet du dôme. Pour l'atteindre, il fallait utiliser des puits anti-G. Dispositifs familiers : à droite de l'entrée on montait, à gauche on descendait. Le tout était de savoir s'il y avait un système de contrôle...
Alex préféra donc attendre qu'un rob arrive avec un chariot chargé de caisses, il s'installa dessus et poursuivit son exploration comme en palanquin, avec Sphéro sur ses genoux.
Le porteur ne s'arrêta qu'au dernier étage; sur la gauche, un sas s'ouvrait sur l'extérieur; à droite, débouchaient des corridors menant sans doute à des bureaux.
Le commandant préféra inspecter d'abord ces pièces où se trouvaient peut-être les dispositifs contrôlant l'ensemble du dôme et, qui sait ? l'entité dirigeant l'ensemble.
Par les vitrages, il aperçut effectivement des appareils de télétransmission. Enfin, au bout du couloir, un anti-G menait à la calotte du dôme, d'où l'on devait avoir une vue panoramique sur l'édifice et ses environs si, par chance, la brume ne les masquait pas.
— Au point où nous en sommes, mon gros, autant aller jusqu'au bout, murmura-t-il à son kronon. Imagine que je capture le maître des lieux... Avec son aide, nous parviendrons peut-être à sortir de ce merdier.
Sphéro ne désapprouva pas ces propos, aussi le suivit- il en cabriolant joyeusement.
Ils débouchèrent dans un vaste bureau désert, d'où l’on apercevait l'ensemble de l'hémisphère transparent surmonté d'une plate-forme percée d'un trou central. Sur son rebord, l'astro-cargo était posé à côté d'une dizaine d'autres vaisseaux de toutes tailles.
Le rond ménagé au-dessus du dôme permettait d'observer le ciel en temps normal, mais la brume masquait tout.
Alex dégaina son laser : la scène lui paraissait extrêmement étrange... on n'accède pas aussi aisément, en général, à un bureau directorial contenant des informations confidentielles.
Car il y avait sur le bureau tout un arsenal informatique et des écrans donnant accès à la mémoire de l'ordinateur central. De quoi se pourlécher les babines pour un agent de renseignement.
Fait curieux, le siège vide, situé derrière le bureau, semblait conçu pour une forme humaine. Quel pouvait être le maître de ces inquiétantes installations ?
L'astrot s'avança, un fauteuil se matérialisa alors devant lui... Quelqu'un l'observait-il ? S'agissait-il d'un dispositif automatique destiné aux visiteurs ?
De plus en plus nerveux, il fit quelques pas sur l'épaisse moquette...
Une voix se fit alors entendre, parlant en dialecte impérial ; il sursauta.
Ne soyez donc pas aussi stupide, commandant Courville ! Rengainez cette arme inefficace et prenez place dans ce fauteuil.
Alex hésita, puis haussa les épaules avec fatalisme et obtempéra.
— Otez donc ce dispositif d'invisibilité ! poursuivit son mystérieux interlocuteur. Je le fabrique, par conséquent il est bien normal que je possède le moyen de le rendre inefficace. Voyez-vous, votre présence ici m'est connue depuis votre apparition, curieusement synchrone, avec celle de l'astro-cargo.
Un petit homme replet se matérialisa alors dans le siège faisant face à Courville, un hologramme, évidemment, pas question de tirer dessus...
— Mon sort, il est vrai, semble curieusement lié à ce navire qui m'a fait parcourir pas mal de chemin. Mais vous avez oublié de vous présenter, à qui ai-je donc l'honneur ?
— Don Freeder... laissa tomber le curieux personnage.
— Quel honneur ! L'Empereur de la pègre galactique recherché par toutes les polices planétaires... Pourtant, si ma mémoire est bonne, vous n'aviez nullement cet aspect sur les dernières projections que j'ai vues. J'avais le souvenir d'un garçon blond, grand, élégant.
— Que voulez-vous... les crustacés changent de carapace lorsque cela s'avère nécessaire, je dois me travestir afin d'échapper aux sagaces limiers de l'Empire.
— Ne me dites pas que vous êtes un psyborg ! s'étonna Alex.
— C'est pourtant le cas ! Je puis à volonté transférer mon cerveau dans le crâne d'une vingtaine d'enveloppes charnelles et même d'androïdes bien plus performants.
— Je comprends maintenant pourquoi on ne vous a jamais repéré ! Félicitations ! Mais en quoi puis-je vous être utile ? Vous connaissez mon identité, par conséquent ma spécialité ; je ne fais pas partie de la police impériale, mais du service de renseignement et ne suis nullement chargé de vous appréhender...
— Toujours facétieux ! J'aime la plaisanterie... Vous seriez incapable de me capturer : en ce moment, il semble que les atouts soient plutôt de mon côté, n'est-ce pas ?
— Certes ! Je désirais simplement vous informer par cette formule que nos intérêts ne s'opposent pas forcément.
— Ah ! Vous voulez parler de cet astro-cargo.
— Entre autres... Curieux n'est-ce pas qu'il ait fini par atterrir en plein sur votre repaire !
— Il n'entre aucune part de hasard dans cette affaire ! assura Freeder d'un ton de reproche. Je dispose d'un excellent service de renseignements dans la pègre galactique : on m'a informé que des minables préparaient un coup intéressant, beaucoup trop pour ce menu fretin. Des hommes à moi se sont donc infiltrés dans leur équipe et, lorsqu'ils ont été capables de manœuvrer le chrono-disrupteur, ils ont liquidé ces pauvres types et m'ont apporté ce joujou avec les techniciens chargés de sa maintenance.
— En quoi donc est-il susceptible de vous intéresser ?
— Allons donc, mon cher Alex ! Vous permettez que je vous appelle par votre prénom, n'est-ce pas ? Même avec les robs perfectionnés dont je dispose, les affaires intéressantes se font rares à notre époque. Les Albions, comme les Impériaux défendent farouchement leurs trésors ! Sauf celui-ci...
— Et pourquoi ?
— Tout bonnement parce que le génial savant qui en a découvert le principe violait deux ou trois théories bien établies : vos académiciens n'ont pas toléré pareille impudence. Les universités lui ont été interdites et il a dû œuvrer seul, en vendant tout ce qu'il possédait. Bien sûr, quelques mécènes ont fini par l'aider.
— Vous ?
— Je n'en rougis pas : il m'arrive parfois de dilapider mes fonds : je suis joueur... De temps en temps, je mise sur un bon cheval, là, j'ai failli me faire coiffer sur le poteau.
— Eh bien, vous avez gagné ! Maintenant, vous n'avez que l'embarras du choix : les galions du Mexique au temps de Cortez, la banque d'Angleterre sous l'impératrice Victoria, à moins que vous ne préfériez piller quelque Maharadjah ou l'impératrice Tseu-Hi.
— J'ai plaisir à vous entendre, mon cher Alex ! Quelle classe auprès des minables qui m'entourent. J'ai eu connaissance de vos précédents exploits, j'en ai conclu que je ne pouvais avoir qu'un second valable : vous !
— Ou Albrought !
— Bonne remarque... Seulement, la nacelle de cet agent albion s'est matérialisée en même temps que le cargo. Aussitôt repéré et capturé, il s'est refusé à toute collaboration, je l'ai donc hiberné pour le garder comme monnaie d'échange.
Pas un mot de Sphéro là-dedans, j'ai peut-être encore une chance, songea Alex qui poursuivit à haute voix :
— Proposition honorifique et sans doute aussi lucrative ?
— Certes : je vous offre un cinquième du bénéfice de nos opérations.
— Une somme considérable étant donné vos possibilités. J'avoue être très tenté ! Dois-je fournir une réponse immédiate ?
— Non, rien ne presse vraiment : j'aimerais pourtant préparer notre première expédition avec vous et le chrono-disrupteur ne nous a pas encore livré tous ses secrets. Pourtant, j'apprécierais une décision rapide.
— Vous l'aurez demain au plus tard !
— Parfait ! Eh bien, afin de vous fournir tous les éléments, nous allons passer en revue mes installations, regardez l'écran de gauche...
Une étoile entourée de cinq planètes apparut : elle était noyée dans un gaz diffus.
— La nébuleuse América, annonça Freeder. Ses méandres sont difficilement accessibles, aussi ai-je niché mon repaire sur une planète dépourvue d'atmosphère qui ne risque pas de tenter les colons. Cette coupole protège la fabrique de robots de combat qui a fait ma fortune. Tous mes avoirs ont été investis dans cette entreprise et les connaisseurs apprécient la qualité de ma production. Comme je suis le seul fournisseur, puisque la vente des R.C. est interdite, mon chiffre d'affaires est devenu considérable, ma fortune aussi. Et puis, mon ambition a grandi : à quoi bon disposer de domaines planétaires, alors que je pouvais régner sur des constellations entières ? Avec de l'argent, on peut tout acheter. Chaque homme a son prix, il peut être très élevé, les femmes peuvent l'attirer, ou les astronefs, ou encore les palais.
— J'ai eu l'occasion de m'en rendre compte et, jusqu'à présent, personne ne m'avait offert un prix suffisant.
— Eh bien, c'est chose faite ! Grâce aux scorpions bioniques, aux condors, aux crabes, aux carnosaures et, bien sûr, aux armes classiques, je puis liquider n'importe quelle place forte de notre époque, et a fortiori, des temps passés.
— Assurément, bien des garnisons planétaires envieraient votre matériel !
— Venons-en à cet astro-cargo. Son apparence débonnaire, ses diverses immatriculations lui ont permis d’échapper à la police spatiale. C'est ainsi que sous couvert d'une banale opération de ravitaillement, j'ai pu m'en approcher sans être repéré, et mes hommes m'ont confirmé la présence à bord du chrono-disrupteur. Rassuré, j'ai laissé le gang filer, certain de récupérer tôt ou tard ce précieux appareil.
— Quelle habileté d'avoir réussi à infiltrer des espions dans cette bande !
— Je l'ai déjà dit : des techniciens travaillaient pour moi, le gang qui les a capturés avait besoin de leurs connaissances. Pourtant, certains détails restaient à préciser, d'où ces essais de transfert à différentes époques...
— Qui ont provoqué la mort d'un certain nombre d'innocents, mais quelle importance a la perte d'une Naïra pour un magnat du crime ? songea Alex.
Cependant, Freeder poursuivait :
—... cette persistance d'un cylindre temporel s'avère gênante, puisqu'elle transfère les êtres vivants et certains objets de petite dimension, comme la nacelle de cet Albion. En outre, le calcul directionnel reste encore délicat. A part cela, l'appareil fournit toutes satisfactions.
Un grésillement retentit à cet instant.
— Excusez-moi, un appel !
L'image disparut. Alex profita de ce répit pour réfléchir : une acceptation trop rapide aurait attiré les soupçons du magnat, un délai trop long l'irriterait, il devrait donc donner rapidement son accord.
L'image réapparut :
— Eh bien, voici une bonne nouvelle : mes spécialistes ont supprimé ce cylindre dont nous parlions, un effet de rémanence, paraît-il... Je n'y connais rien, mais peu m'importe du moment que je dispose de personnes sûres pour manœuvrer. Le guidage a fait aussi de gros progrès, si bien que nous envisageons pour demain notre première expédition lucrative. Serez-vous des nôtres ?
On aurait cru qu'il l'invitait pour une banale partie de chasse...
Comptez sur moi ! J'apprécie d'être enfin rétribué à ma juste valeur. Vilar exagérait vraiment...
— Ah ! Voici la troisième raison de nous réjouir : trinquons en l'honneur de mon nouveau second. Votre boisson préférée est la croccine du commandeur, si je ne m'abuse ?
— Parfaitement exact !
Un verre se matérialisa sur l'accoudoir du fauteuil.
Freeder leva une coupe de champagne rosé :
— A nos succès !
— A mon nouveau patron !
Tous deux burent une gorgée, et Courville apprécia la qualité exceptionnelle de la liqueur.
— Apparemment, vous avez une dent contre l'amiral Vilar, ironisa le gangster.
— Lui ? Je le hais... Un être monolithique pour qui toujours prévaut le Service ! Incapable de comprendre les plaisirs de l'existence.
— Et cette Véro avec laquelle vous avez accompli pas mal d'exploits ?
— Une fille intelligente : cela vaudrait la peine de la recruter. Comme elle est amoureuse de moi, elle accepterait sans peine. Actuellement, elle se morfond en orbite auteur de Lyrna 3, la planète-jungle d'où le cargo m'a arraché en premier.
— Nous verrons cela plus tard. Dans l'immédiat, je dois mettre la dernière main à mes préparatifs.
— Quel sera notre objectif ?
— Mystère ! Je vous laisse la surprise... Une gynoïde va venir vous chercher : elle vous montrera vos appartements. Si vous êtes amateur, testez-la donc, son comportement est tout à fait remarquable.
L'image disparut sur un léger rire.
— Eh bien voilà, je suis enrôlé, pas plus difficile que cela lorsqu'on possède de bonnes références ! Pas de contrat ! A quoi bon ? Au premier faux pas, je suis liquidé, sans indemnité à ma pauvre famille, ni explications ! N'empêche, j'aurais aimé avoir Véro avec moi, ce type paraît drôlement fortiche et ne prend aucun risque...
Les réflexions d'Alex s'arrêtèrent là, une superbe brune aux yeux verts venait de faire son entrée.
L'agent galactique se leva et s'inclina :
— Alex Courville, pour vous servir, belle dame ! A qui ai-je l'honneur ?
— Appelle-moi Véga 455 ou Véga tout court ! répliqua-t-elle avec un éblouissant sourire. Si tu veux me suivre...
— Avec joie, ma charmante, je suis ton homme !
Tout en se laissant porter par le tapis roulant, Alex détaillait ses charmes voluptueux, songeant que si Freeder avait utilisé les talents de ses gynoides dans des maisons spécialisées, il avait dû, effectivement, faire rapidement fortune...
La suite qu'il découvrit au bout du couloir le laissa pantois : située presque au sommet du dôme, elle dominait une plaine couverte de cristaux géants mordorés ou azurés d'une limpidité extraordinaire où les rayons de l'étoile se reflétaient en mille éblouissantes éclaboussures.
Le mobilier, d'un goût douteux, comportait d'innombrables gadgets amusants comme un lit rond à l'ancienne mode entouré de miroirs et de fleurs parfumées.
Des bibelots marquant une touche personnelle, révélaient que les lieux avaient été récemment occupés.
— Quel était le précédent locataire ? s'enquit Alex.
— L'ancien second du boss...
— Ah ? Ils ont eu des mots ?
— Perfection ou déconnection ; telle est la loi...
— Je vois... Eh bien, ma mignonne, voyons si tu es aussi experte qu'aguichante...
La démonstration s'effectua sous les yeux de Sphéro caché dans un placard, elle s'éternisa à tel point que le kronon affamé commença à striduler plaintivement.
Rappelé à l'ordre, son maître poussa un profond soupir et relâcha son étreinte :
— Mazette ! assura-t-il. Freeder sait vivre, c'est un plaisir de travailler pour lui dans ces conditions...
— Es-tu satisfait ? roucoula Véga.
— Pleinement... Seulement, si je veux être en forme pour ma première mission, je dois être raisonnable.
La gynoïde sourit et se rhabilla sans commentaires. Avant de sortir elle ajouta seulement :
— Si tu as besoin de moi, touche 455. Si tu désires quelqu'un d'autre, essaie n'importe quel numéro commençant par un quatre.
— J'en prends note.
Dès qu'elle fut partie, Alex alla quérir une boite d'insectes et fit mine d'en déguster quelques-uns, un exploit étant donné leur odeur de charogne, puis il abandonna le reste dans le placard. Sphéro n'en fit qu'une bouchée. Ensuite, le commandant s'allongea sur le lit afin de récupérer et de faire le point : il allait atteindre son objectif, mais dans quelles conditions ! Incapable de manœuvrer le chrono-testeur, il devrait subir les caprices de ce gangster qui rêvait d'étendre son champ d'action à travers les siècles.
Evidemment, il faudrait aussi se rendre maître de l'astro-cargo, mais avec quels moyens ? Sphéro et quelques gadgets... Pour un peu il en aurait regretté Albrought !
Toute rébellion s'avérant impossible dans l'immédiat, il convenait de filer doux et de donner satisfaction à son nouveau patron. Accumuler des renseignements, ensuite il serait temps de contre-attaquer ! Sinon déconnection...
Ses pensées s'estompèrent petit à petit et il sombra dans un profond sommeil.
Une voix tonitruante le fit sursauter :
— ALORS, CHER COLLEGUE, AVEZ-VOUS PASSE UNE BONNE NUIT ?
Courville s'assit et se gratta le cuir chevelu : devant lui, l'hologramme de Freeder souriait.
— Excellente ! Un peu fatigante. Véga 455 est formidable.
— Et j'ai affaire à un connaisseur ! Merci du compliment, j'ai personnellement veillé à la formation de ces petites. Eh bien mon cher, nous partons dans une heure exactement : préparez-vous, on viendra vous chercher dans une demi-heure.
— A vos ordres !
L'agent galactique fit sa toilette et revêtit sa précieuse combinaison, puis un rob lui servit un copieux breakfast auquel il fit honneur, partant du principe que dans son métier, on ignorait toujours quand aurait lieu le prochain repas.
A l'heure dite, le rob vint le chercher. Sphéro avait pris place dans la combinaison, invisible.
Utilisant les tapis roulants et les anti-G, Alex quitta le dôme et pénétra par un sas à l'intérieur du précieux astro-cargo. Il nota au passage la dimension inusitée de la salle des machines qui se trouvaient mises à rude épreuve par le chrono-disrupteur.
A l'extérieur, toute trace du brouillard avait effectivement disparu, ainsi qu'il le constata sur les écrans de contrôle montrant le fantasmagorique paysage entourant la base du gangster.
A bord, les gynoïdes montaient une garde vigilante. Elles menèrent d'abord l'astrot dans sa cabine où il déposa son havresac. Alex en profita pour ordonner à Sphéro d'observer avec soin le fonctionnement des commandes dans le poste de pilotage où ils se rendirent ensuite. L’hologramme de Freeder les y attendait. Assurément, il se trouvait à bord, mais semblait avoir pour règle absolue de ne jamais exposer sa précieuse personne lorsqu'il pouvait l'éviter.
Cet indice laissait supposer qu'il ne possédait pas de clone de son cerveau pour remplacer le sien en cas de destruction. Rien d'étonnant à vrai dire, car cette technique délicate, jalousement réglementée, était réservée aux grands de ce monde, comme l'Empereur et son Premier ministre. Le souverain avait d'ailleurs été heureux de posséder un double lorsqu'il avait été pris en otage avec sa famille ({2}).
Vilar lui-même n'en possédait peut-être pas.
— Alors, content de te trouver enfin à bord de ce cargo ? s'enquit familièrement Freeder.
— Ma foi, ce sera une expérience nouvelle ! assura l'astrot. Attaquer des banques ou piller des trésors dans le passé devrait s'avérer passionnant... Surtout si nous utilisons des robots de combat comme le scorpion !
— Tu me déçois un peu... Comment envisager pareil raid ?
L'histoire noterait ces ingérences anachroniques et, lorsqu'il existera un service temporel, des agents iront mettre le nez dans mes affaires et s'apercevront de mon existence, ainsi que des moyens dont je dispose. Ils s'empresseront de supprimer mes agissements intempestifs pour ramener l'histoire dans le bon chemin !
— Très juste ! J'avoue manquer d'expérience dans ce domaine : vous avez raison, la discrétion s'impose, malgré l'effet de surprise dont nous bénéficierons ; nos pillages devront passer inaperçus aux yeux des historiens, ce qui ne facilite point la tâche.
— Oh, bien des trésors ont disparu au cours des siècles sans qu'on sache exactement comment ! Et l'emploi de robots de grande taille n'est pas totalement exclu, à condition que ceux qui les auront vus meurent avant de pouvoir les décrire. Je m'en tiendrai pourtant, de préférence, à mes gynoïdes qui ont une formation de commando et disposent d'armes extrêmement efficaces. Comme elles ont un aspect humain, si d'aventure quelqu'un les observait de loin, il ne s'étonnerait pas de leur présence.
— Cela limite nos interventions, car les trésors volés devront se trouver dans des emplacements peu fréquentés.
— Cette fois, tu as compris ! Ajoute à cela que j'ai une marotte, la collection d'antiquités provenant des civilisations aztèques ou incas, et tu devrais découvrir sans peine notre prochain objectif...