CHAPITRE XII

Les vaisseaux tirèrent et le Faucon Millenium trembla sous l’impact. Mais ses boucliers résistèrent.

— Ils rompent leur formation ! cria Spray.

Yan et Chewbacca l’avaient vu sur leurs écrans de visée. Le pilote fit pivoter les canons jumelés vers la poupe pour se verrouiller sur une première cible – l’ennemi de tête.

Le Wookie choisirait la sienne en fonction de sa ligne de mire. Les deux amis avaient souvent fait équipe sous le feu d’un ennemi. Chacun avait son domaine de responsabilité et savait comment l’autre réagissait.

L’ordinateur de visée afficha le bâtiment à abattre sous la forme d’une flèche lumineuse. Expérimenté, Yan répartit son attention entre le modèle informatique, sur son écran, et le viseur optique. Il ne se fiait jamais entièrement aux ordinateurs ou aux machines, préférant voir de ses yeux sur quoi il faisait feu.

La cible se rapprochait à toute allure. C’était bien ce qu’il avait craint, une chaloupe de combat…

Nos amis les esclavagistes nous ont une fois de plus dans le collimateur…

Il lâcha de courtes salves pour s’aligner sur une cible décidément trop mouvante. Il la tint une seconde à portée de tir… et la perdit de nouveau.

Yan entendit le vrombissement des canons ventraux et le hurlement de frustration de Chewbacca, qui venait aussi de rater une première occasion.

Au lieu d’une flèche lumineuse, sur son écran de visée, Solo en vit soudain deux. Il activa ses canons jumelés et se cala dans son siège.

Le Faucon frémit sous les tirs d’une chaloupe. Se trouvant directement sur la trajectoire, Yan ne put s’empêcher de lever un bras pour se protéger…

Les boucliers tinrent bon.

La chaloupe rejoignit les deux autres et se prépara à un nouveau passage.

Ces engins faisaient environ deux fois la taille de la nacelle de sauvetage volée par Yan et Fiolla. Rapides et lourdement armés, ils étaient quasiment aussi maniables que des chasseurs. Sans hyperdrive, les distancer serait hors de question.

Le Faucon n’avait pas le choix : il fallait se battre.

Spray se lança dans une manœuvre d’évitement. Gêné pour viser, Yan brailla dans le micro de son casque :

— Pas de fantaisie, mon gars !

Le Tynnien obéit.

Deux chaloupes bifurquèrent à bâbord et à tribord, le troisième prenant de l’altitude en vue d’une nouvelle offensive.

Les ennemis étaient momentanément hors de portée de tir. Prudent, Spray s’enfonça dans la région montagneuse.

La chaloupe de bâbord plongea soudain sous le ventre du Faucon.Aussitôt, les quatre canons pivotèrent et se braquèrent sur elle.

Yan tenta de se verrouiller sur la cible, puis ouvrit le feu et fit mouche. Hélas, les boucliers adverses encaissèrent le choc.

Puis Solo entendit une explosion assourdie suivie par un rugissement de victoire.

Chewbacca venait de marquer le premier point.

La troisième chaloupe passa comme une flèche, presque à angle droit par rapport à celle que Yan avait encore dans son collimateur.

Les boucliers du nouveau vaisseau tinrent également bon. Et ceux du Faucon menaçaient de lâcher, à force d’encaisser des coups au but.

— Chewie ! Il y en a un sur l’Avenue du Fric !

À cause de la forme du Faucon, et de la position de ses batteries principales, l’angle de tir des deux tourelles se chevauchait à un endroit. Yan et son second avaient baptisé ce couloir « l’Avenue du Fric ». Les tirs réussis, dans cette zone, avaient plus de valeur. Tout vaisseau abattu apportait le double de points à son auteur. Ainsi fonctionnait le concours permanent visant à déterminer le meilleur artilleur du vaisseau…

Pour l’heure, Yan se moquait de savoir qui marquerait des points.

Chewbacca rata d’un cheveu la chaloupe qui traversait l’Avenue du Fric.

— Spray, surveille les capteurs à longue portée, dit Yan dans son micro. Si le vaisseau-mère se pointe, tes chers patrons n’auront plus rien à vendre aux enchères, à part un nuage de gaz !

La chaloupe ratée par Chewbacca entra dans la ligne de mire de Yan, qui ne la lâcha plus. Mais le pilote adverse, particulièrement vif, se défila avant que ses boucliers lâchent.

Il tira et toucha la proue du Faucon.

Une odeur de câbles brûlés flotta jusqu’aux narines de Yan.

— Capitaine Solo, un grand vaisseau arrive du sud-ouest ! Avec notre cap actuel, il nous rattrapera dans quatre-vingt-dix secondes !

Trop occupé pour répondre à l’agent de recouvrement, Yan entendit le grognement de frustration de son coéquipier, qui venait encore de rater sa cible.

Il vit la chaloupe que le Wookie avait manquée changer de trajectoire quand son pilote s’avisa qu’il entrait dans une seconde ligne tir.

Délaissant l’ordinateur de visée, Yan suivit sa cible à l’œil nu, et tira à l’instant où elle était forcée de ralentir pour virer de bord…

La chaloupe disparut dans une boule de feu.

La troisième changea de cap pour éviter la déflagration, partit dans un tonneau… et se retrouva dans l’Avenue du Fric. Yan et Chewie firent feu simultanément, la désintégrant proprement.

Inquiet de l’arrivée du vaisseau-mère, Yan quitta son poste. Chewie le rejoignit et rugit triomphalement.

— Comment ça, « crache la monnaie » ? s’indigna Solo, amusé malgré lui. C’est moi qui ai fait mouche dans l’Avenue du Fric ! Tu n’as même pas effleuré la cible !

Chewbacca grogna de dépit.

Son ami et lui retournèrent en trombe dans le cockpit. L’heure n’était pas aux chamailleries. Une fois le Wookie installé, Spray soupira de soulagement et laissa le siège du pilote à Yan.

— Ce vaisseau arrive sur le vecteur un-deux-cinq-un-six-zéro, annonça le Tynnien.

Yan avait déjà vu l’information s’afficher sur sa console.

Spray avait pris trop d’altitude à son goût. L’hyper-drive toujours en panne, l’affaire se résumerait à une question de vitesse pure. Et le mieux, pour empêcher l’ennemi de mettre dans le mille, serait de placer une planète entre eux et le vaisseau…

Yan accélérait encore quand le Faucon fut secoué par une explosion. Consultant les relevés tactiques, il constata que le vaisseau-mère tirait à l’extrême limite de sa portée. Dans ces conditions, les rayons avaient très peu de chance de pénétrer les boucliers du cargo.

Les poursuivants étaient bel et bien les esclavagistes qui avaient arraisonné le Dame de Mindor.Quel rôle jouait Fiolla dans tout ça ? Après tout, ces types voulaient aussi sa peau…

Mais l’heure n’était plus aux questions…

Le vaisseau-mère se rapprochait inexorablement. Trois fois plus grand que le Faucon Millenium, il était diablement rapide…

Si nous avions eu le temps de recalibrer les moteurs ! ragea Yan. Nous serions déjà en train de leur fausser compagnie…

Une voix rauque familière sortit de la console com :

— Rendez-vous, Faucon Millenium, ou nous faisons feu pour de bon !

Yan régla son micro en mode transmission.

— Allez vous faire voir, Magg !

L’ancien assistant de Fiolla n’insista pas.

Les tirs se rapprochaient et les boucliers du Faucon donnaient leurs premiers signes de défaillance.

Le vaisseau ennemi étant encore hors de portée de tir de son armement, Yan fit de son mieux pour éviter d’être désintégré.

Mais il savait que ce n’était plus qu’une question de minutes… Son seul espoir : piloter mieux que jamais, avoir une chance insolente et parvenir à endommager suffisamment l’ennemi avec une salve bien placée…

Il évita des rayons qui frôlèrent le Faucon à tribord, le manquant de peu.

Nous pouvons encore nous en tirer, sauf si…

À cet instant, le cargo vibra. Les instruments de bord confirmèrent qu’un rayon tracteur s’était verrouillé sur le Faucon.

Cette fois, c’était fichu !

Sa proie immobilisée, le navire ennemi se rapprocha très vite.

Yan fit le vide dans son esprit. Il avait besoin d’une concentration maximale. Ses mains volant sur les consoles, il ne prit pas le temps d’expliquer son idée à son copilote.

Les moteurs faillirent exploser. Par miracle, ils résistèrent, et le rayon tracteur dut se résoudre à lâcher prise.

Avant que le pilote adverse comprenne ce qui se passait, le Faucon vira de bord, et, comme propulsé par une fronde, plongea sous la poupe du vaisseau-mère.

Les esclavagistes tirèrent, mais la soudaineté de sa manœuvre conféra à Yan l’avantage de la surprise.

Filant sous le navire adverse, il le canarda au passage… tout en redoutant l’instant où ses propres boucliers lâcheraient…

Contre toute attente, ils tinrent bon.

Le Faucon fut quand même salement secoué. Consultant les relevés tactiques, Chewbacca grogna d’inquiétude.

Yan accéléra de nouveau. Libre aux esclavagistes de tenter de le rattraper s’ils en avaient les moyens !

— Spray, certains équipements que nous venons d’installer ont dû être touchés. Je n’ai plus de relevés sur leur état. Va à la station technique et vois si tu peux découvrir ce qui se passe.

L’agent de recouvrement obéit. Dans le compartiment avant, il trouva Bollux et Fiolla, toujours assis sur la couchette d’accélération.

Il étudia les écrans en se grattant nerveusement la main.

— Elle vous fait encore mal ? demanda Fiolla.

— Non, c’est simplement que… (Le Tynnien sursauta.) Je voulais dire…

— Les traitements régénérateurs laissent toujours des démangeaisons, pas vrai ? continua la jeune femme. Depuis que nous sommes là, vous n’arrêtez pas de vous gratter… Yan m’a dit qu’il avait mordu la main de son agresseur, dans le hangar du spatioport de Bonadan. C’était vous, n’est-ce pas ?

À l’évidence, Fiolla connaissait déjà la réponse à cette question.

Spray resta très calme.

— J’avais oublié à quel point vous êtes maligne, Fiolla. Oui, en fait, j’ai…

Le Faucon trembla de plus belle. L’ennemi gagnait du terrain.

— Et vous avez aussi laissé l’émetteur de la nacelle ouvert, bien entendu… Mais comment ? Yan a raison, vous ne vous en êtes jamais approché !

— Ce n’était pas moi. Vous pouvez me croire. Et je n’aurais pas imaginé que les choses iraient si loin… Je déteste cette violence inutile. Mais ce sera bientôt fini. Votre ancien assistant aux dents longues se rapproche…

— Vous savez que je répéterai tout à Yan, n’est-ce pas ?

Se demandant s’il pouvait les laisser seuls quelques instants pour courir prévenir le capitaine Solo, Bollux fit mine de se lever.

Un autre tir de barrage secoua le Faucon.

— Je serais surpris que ça fasse une différence, à ce stade, dit calmement Spray. Et vous auriez tout intérêt à coopérer avec moi, Fiolla. Vous êtes à un tournant critique de votre vie…

Yan et Chewbacca n’avaient plus le choix. Les esclavagistes les tenaient de nouveau dans leur rayon tracteur. Et torturer les moteurs ne suffirait plus à les surprendre. Presque à coup sûr, les salves suivantes traverseraient les boucliers et pulvériseraient le Faucon.

Soudain, Chewbacca désigna les capteurs en braillant d’excitation. Bouche bée, Yan faillit se frotter les yeux pour s’assurer qu’il n’avait pas de visions.

Mesurant près d’un kilomètre de long, un destroyer espo de classe Victoire approchait rapidement. Une véritable forteresse volante !

Le rayon tracteur cessa d’emprisonner le Faucon.Apparemment, les esclavagistes étaient pressés de filer… Mais la Police de Sécurité disposait de ses propres rayons tracteurs – plus puissants encore.

Le cargo et ses poursuivants furent vite immobilisés.

Un esclavagiste eut la mauvaise idée de tirer sur le nouveau venu. Bien entendu, les rayons s’écrasèrent contre les boucliers de l’Espo.

Une tourelle de turbolasers riposta, transperçant la coque du navire des bandits et pulvérisant une bonne partie de ses générateurs.

Abattus, les esclavagistes renoncèrent à toute velléité de résistance.

La console com du Faucon diffusa un message général :

— Aux personnels des deux navires captifs, restez où vous êtes ! (La voix désincarnée avait quelque chose de familier.) Coupez les moteurs et verrouillez tous les systèmes, sauf la console com.

Le vaisseau des esclavagistes ayant été tracté dans la soute du destroyer, le Faucon fut poussé vers la surface de la planète, sous l’ombre titanesque du grand vaisseau.

Se résignant à l’inéluctable, Yan sortit le train d’atterrissage. Le cargo ne pourrait jamais se libérer. Obéissant aux ordres, son pilote coupa les moteurs puis désactiva l’armement, les boucliers et les divers générateurs.

— Chewie, arme ton arbalète. Une fois dehors, nous pourrons peut-être tenter de nous évader.

S’ils s’en tiraient, le Mor Glayyd embaucherait peut-être deux bons pilotes…

Sinon, Yan aurait bientôt un seul souci : à quels magazines s’abonner, en prison ?

En attendant, il se jura d’en faire voir de toutes les couleurs à ses ennemis.

Le destroyer espo vint léviter à cinquante mètres du Faucon.En se penchant, alors que les portes de la soute se fermaient, Yan aperçut l’autre vaisseau arraisonné.

Alors, Magg… heureux ?

Une petite satisfaction, au milieu de tant de contrariétés et de déconvenues. Mais c’était déjà ça !

Une cage de haute sécurité, lentement abaissée par un rayon tracteur, sortit d’un autre sas du destroyer. À l’intérieur, où Yan s’attendait à voir un bataillon d’Espos prêts à tirer, il y avait un seul homme – celui qui donnait les instructions un moment plus tôt.

Gallandro, le fameux tueur !