CHAPITRE VIII

Même sur un vaisseau militaire, l’appel aux postes de combat ne se passait pas toujours facilement. Alors, sur un navire de ligne comme le Dame de Mindor, où les exercices d’alertes étaient rarissimes, la confusion se révélait totale.

Yan n’accorda aucune attention aux ordres embrouillés et souvent contradictoires lancés par les haut-parleurs publics. Tirant Fiolla, il fonça dans la coursive au milieu des passagers terrorisés, des membres d’équipage inquiets et des officiers indécis.

— Qu’allons-nous faire ? demanda Fiolla.

— Prendre le reste de tes espèces, dans ta chambre, puis trouver la nacelle de sauvetage la plus proche.

Yan entendit des sas se fermer un peu partout. Il essaya de se souvenir du plan de ces vieux vaisseaux de classe M. Se laisser enfermer derrière ces obstacles aurait signé leur perte.

— Yan, arrête ! cria Fiolla. J’ai tout mon argent sur moi. Sauf si tu veux donner un pourboire au valet-droïd, nous pouvons partir…

Une fois de plus, le pilote fut impressionné par la jeune femme.

— Parfait ! Continuons vers l’arrière. Il devrait y avoir une nacelle ou un module de sauvetage un peu avant le générateur des systèmes vitaux.

Yan se souvint que ses macrobinoculaires étaient restées dans sa cabine. Tant pis ! Devant eux, un sas de sécurité commençait à se fermer. Ils passèrent juste à temps. Fiolla y laissa une partie de l’ourlet de sa robe.

— Cette tenue m’a coûté un mois de salaire, gémit la jeune femme. Et maintenant, on se bat ou on file ?

— Un peu des deux… L’abruti qui commande ce vaisseau doit avoir déclenché la fermeture de tous les sas intérieurs. Et il veut que ses hommes rejoignent leurs postes comment ?

— Il n’a peut-être pas l’intention de se battre. Je doute que l’équipage d’un vaisseau de ligne puisse faire grand-chose contre des pirates…

— J’espère qu’ils résisteront… Les pirates sont rarement tendres avec leurs prisonniers.

Ils découvrirent enfin un module de sauvetage encore arrimé dans sa baie. Yan brisa le sceau du levier de dégagement et le tira, mais le sas du petit navire ne s’ouvrit pas. Il essaya plusieurs fois en maudissant l’équipe de maintenance du foutu rafiot.

— Écoute, dit Fiolla.

Le capitaine semblait avoir retrouvé un peu d’assurance.

— Pour la sécurité des passagers et celle des membres de l’équipage, annonça-t-il dans les haut-parleurs, j’ai décidé d’accepter les conditions de nos agresseurs. On m’a assuré que personne ne serait maltraité si nous ne résistons pas et ne tentons pas de lancer des modules de sauvetage. En conséquence, j’ai désactivé toutes les nacelles du navire. Notre vaisseau est endommagé, mais nous ne courons aucun danger. J’ordonne aux passagers et aux membres d’équipage de coopérer quand les pirates monteront à bord.

— Comment sait-il qu’ils tiendront parole ? marmonna Yan. Ce type se fait du lard depuis trop longtemps sur un vaisseau de ligne !

Pour être franc, il y avait des lustres que les pirates n’avaient plus attaqué un vaisseau dans l’espace de l’Autorité.

— Yan, regarde !

Fiolla désigna un sas ouvert qui donnait sur une tourelle d’artillerie.

Le canon à ions n’avait pas de servant. L’équipage n’était-il pas arrivé jusque-là, ou le capitaine l’avait-il rappelé ?

Yan prit place sur le fauteuil de l’artilleur, et Fiolla dans celui de son assistant.

À travers la tourelle de transpacier, ils virent le navire pirate, peint en noir, approcher du vaisseau de ligne. Il semblait vouloir s’aligner sur un des sas ventraux du Dame de Mindor, un peu à l’avant de la tourelle.

Le canon était chargé à bloc. Yan se pencha vers le capuchon de visée et saisit les commandes de tir.

— Que comptes-tu faire ? demanda Fiolla, inquiète.

— Si nous manœuvrons la tourelle, ils s’en apercevront. Mais si nous attendons, ils arriveront tôt ou tard à portée de tir. Nous aurons une chance de les neutraliser.

— Et de mourir si ça rate ! Yan, tu ne peux pas faire ça !

— Au contraire, c’est la seule solution ! Tu crois qu’ils tiendront leur promesse ? Eh bien, pas moi… Nous ne pouvons pas fuir, alors, battons-nous !

Il consulta l’écran de visée. La forme menaçante du vaisseau pirate s’y affichant, il attendit de pouvoir toucher un endroit vital. Car il n’aurait pas de seconde chance…

La passerelle de contrôle n’entra pas dans sa ligne de mire. Il laissa passer les quartiers de l’équipage, supposant qu’ils étaient vides, puisque les pirates devaient être dans le sas, prêts à aborder leur proie.

Grâce à la couardise du capitaine, ils n’auraient même pas besoin de se battre.

Yan soupira et se leva.

— Partons, dit-il à Fiolla.

— Tu deviens raisonnable ?

— L’inspiration, voilà ma spécialité ! Espérons que je me souviendrai correctement du plan de ces vieux vaisseaux de classe M. Voilà longtemps que je n’avais pas voyagé à bord d’un de ces navires.

Fiolla le regarda étudier les plaques techniques, sur les parois, en marmonnant à voix basse.

Puis ils entendirent le bruit sourd émit par le navire pirate quand il se connecta à la coque du vaisseau de ligne.

Yan s’immobilisa soudain et tira Fiolla à l’abri relatif de la coursive.

Devant eux, un groupe de passagers, ignorant les ordres du capitaine, s’était rassemblé près d’un sas. Fiolla reconnut le prêtre de Ninn, un superviseur de l’Autorité et une dizaine d’autres personnes avec qui elle avait parlé.

Tous reculèrent en entendant le sas s’ouvrir.

Ils s’égayèrent comme une volée de moineaux quand les pirates déboulèrent en brandissant des blasters, des disrupteurs et des vibro-haches.

Une équipe fonça vers la passerelle du Dame de Mindor. Ces hommes étaient équipés de grenades à fusion, de torches à plasma et de charges explosives, au cas où le capitaine changerait d’avis.

Quelques pirates poussèrent les passagers vers le salon. Les autres formèrent des petits groupes qui entreprirent de vérifier les lieux.

Solo conduisit Fiolla dans une autre coursive et ils repartirent vers l’arrière du vaisseau.

Yan continua à lire les indications, sur les parois, jusqu’à ce qu’ils entrent dans une petite pièce de rangement. À l’intérieur, un sas donnait accès à un couloir de maintenance qui courait tout autour du vaisseau. Normalement, ce tunnel était verrouillé, mais il pouvait être ouvert manuellement en cas d’alerte.

Yan débloqua le sas et entra dans le couloir de maintenance bourré de conduits d’alimentation et de câbles.

— À quoi bon nous cacher ? demanda Fiolla. Nous risquons de rester coincés à bord d’une épave…

— Nous avons une réservation sur le prochain vaisseau qui part d’ici. Entre vite, ça fait des courants d’air !

La jeune femme obéit, sa robe tenue d’une main. Puis elle se poussa pour le laisser fermer le sas. À cette occasion, Yan remarqua qu’elle avait une très jolie paire de jambes…

Dans le couloir surchauffé, ils ne tardèrent pas à être couverts de poussière.

— Pourquoi la vie est-elle si compliquée, avec toi ? haleta Fiolla. Les pirates m’auraient pris mon argent et laissée tranquille. Mais ça ne convient pas au grand Solo !

Yan desserra les vis d’une grille qui leur barrait le chemin.

— Tu n’as pas compris que ce n’est pas une attaque de pirates ?

— Comment le saurais-je ? Je ne suis pas invitée souvent à ce genre de réjouissances…

— Fais-moi confiance : ce n’en est pas une. De vrais pirates auraient trouvé des cibles plus intéressantes dans les zones frontalières. Arraisonner un vaisseau si près des patrouilles espos est un très gros risque. Et pourquoi ont-ils empêché le capitaine de lancer les nacelles de sauvetage ? Ces types cherchent quelqu’un. Nous !

Ils avancèrent dans la pénombre, se cognant souvent la tête contre des conduits plus bas que les autres.

Après ce qui lui parut une éternité, Yan trouva l’ouverture qu’il cherchait.

— Où sommes-nous ? demanda Fiolla.

— Au-dessous et à l’arrière du sas bâbord. Le Dame de Mindor est probablement plein de faux pirates, à l’heure qu’il est.

— Alors, que fichons-nous ici ? Quelqu’un a-t-il jamais mis en doute tes qualités de chef, Yan ?

— Pas une seule fois…

Le pilote s’engagea sur une échelle et Fiolla le suivit, l’air dubitatif. Quand il essaya d’ouvrir le sas, au sommet des marches, il s’aperçut que le volant magnétique était coincé. Il le poussa avec son épaule et faillit tomber.

Mais rien n’y fit.

— Essaie avec ça, dit Fiolla.

Elle lui tendit un morceau de métal – un des échelons qu’elle avait descellé.

— Dommage que tu perdes ton temps à faire un travail honnête ! dit Yan, admiratif.

Il passa l’échelon dans les rayons du volant, poussa et rugit de satisfaction.

L’accès entrouvert, Yan regarda de l’autre côté et découvrit ce qu’il espérait : la petite pièce de rangement située à côté du sas principal. On y stockait les combinaisons spatiales et les harnais à outils de l’équipe de maintenance.

Yan tira Fiolla dans la pièce.

— Il devrait y avoir un garde ou deux dehors, dit-il. Je doute qu’ils s’attendent à une contre-attaque…

— Alors, que fait-on ?

— Nous ne pourrons pas nous cacher très longtemps. S’ils y sont obligés, ils scanneront tout le vaisseau. Et je vois un seul endroit où trouver un moyen de fuir.

Fiolla comprit ce qu’il voulait dire… et elle ouvrit la bouche pour protester. Mais Yan lui posa un doigt sur les lèvres.

— Ce sont des esclavagistes, pas des pirates. Et ils ne font pas tout ça pour nous laisser survivre. Ils veulent savoir ce que nous avons appris, puis nous tuer. J’ignore comment ça tournera, mais si tu rejoins le Faucon sans moi, récupère la datacarte de Zlarb. Dis à Chewie qu’elle est dans la poche de poitrine de ma combinaison thermique, et il te laissera faire.

Fiolla voulut parler, mais il l’en empêcha.

— On se bat et on file, tu te souviens ? Voilà ta mission…

 

Le garde qui surveillait le sas principal suivait les événements sur son comlink. Le vaisseau investi, les équipes de recherche le passaient au peigne fin.

Un bruit, dans la pièce de rangement, le fit sursauter.

Brandissant son arme, l’homme ouvrit le petit sas et entra. Il crut d’abord que la pièce était vide. De plus, elle avait déjà été fouillée. Puis il aperçut la silhouette accroupie derrière une combinaison de maintenance.

Une jeune femme terrifiée, vêtue d’une robe de soirée sale et froissée.

Le garde vérifia le reste de la pièce et vit seulement des outils et des combinaisons.

— Sortez de là, et je ne vous ferai aucun mal ! lança-t-il.

De fait, il n’eut pas le loisir de malmener la passagère. Une barre de métal s’abattit sur son casque. Malgré son armure, il sentit son cou et son épaule s’engourdir. Tombé à genoux, il chercha à tâtons les commandes de son comlink, mais l’appareil avait été écrasé par la barre.

La femme se jeta sur lui pour lui prendre son arme. Le garde voulant s’y accrocher, un autre coup sur la tête l’en dissuada. Il tomba face contre terre, étourdi, son casque en partie défoncé.

Toujours dans la combinaison où il s’était caché, Yan se jeta sur le type et lui attacha les poignets avec un harnais à outils. Puis il fit pareil avec ses jambes.

Fiolla le regarda faire, l’arme à la main.

Il se releva, lui prit le pistolet et s’aperçut qu’il était chargé de munitions antipersonnelles inoffensives face à un homme en armure, mais très efficaces contre les passagers et les membres de l’équipage.

Solo aurait préféré un blaster…

— Nous ignorons s’il est censé faire un rapport régulier, dit-il d’une voix étouffée par son casque. Donc, on se bouge ! D’accord ?

Fiolla esquissa un sourire qu’il lui rendit pour l’encourager.

Puis ils traversèrent le tunnel de connexion et entrèrent dans le vaisseau pirate.

Ses coursives étaient vides.

Ils sont tous occupés à nous chercher, pensa Yan.

Se représentant mentalement la coque du vaisseau pirate, qu’il avait aperçue au moment de son approche, il partit vers la proue, en direction de la baie de lancement des nacelles de sauvetage. Le détail qui l’avait incité à ne pas tirer, un peu plus tôt…

Poussant Fiolla, il lui enfonça le pistolet dans le dos comme si elle était sa prisonnière.

La combinaison éviterait peut-être qu’on le démasque trop vite. Ça valait la peine d’essayer…

La baie de lancement ne devait pas être loin.

— Vous, là, arrêtez ! cria une voix.

Yan fit mine de ne pas avoir entendu. Mais la voix insista.

— Arrêtez !

Yan se retourna, leva son arme et découvrit un visage qu’il connaissait : celui de l’homme aux cheveux noirs qui aurait dû rencontrer Zlarb.

Le type et son compagnon, tous les deux en armure, portèrent la main à leurs blasters. Mais ils étaient équipés de holsters de type militaire, conçus pour durer, pas pour dégainer rapidement.

Autant garder leurs armes dans un tiroir, à la maison ! pensa Yan en visant.

Fiolla lui cria quelque chose, mais il n’avait pas le temps d’écouter.

Les deux hommes comprirent qu’ils ne pourraient pas tirer plus vite que lui. Ils se jetèrent en arrière, se protégeant le visage à l’instant où il faisait feu.

Le pistolet cracha une volée de fléchettes. Les deux esclavagistes ne semblaient pas blessés. Pourtant, ils restèrent allongés sur le sol.

Yan tira une autre salve et prit Fiolla par l’épaule.

Ils coururent vers la baie de lancement, ouvrirent le sas de la première nacelle qu’ils trouvèrent et y entrèrent.

— Accroche-toi ! cria Yan.

Il ajouta une bordée de jurons à cet ordre. Ils étaient dans une nacelle légère, pas une chaloupe d’abordage blindée.

Un rayon de blaster illumina le couloir. Yan s’accroupit et riposta, vidant le chargeur de son arme.

Après avoir fermé les deux écoutilles, il prit place sur le siège de pilotage et activa la séquence de décollage.

Dès que la nacelle de sauvetage se détacha de son support, il accéléra à fond.

Yan zigzagua pour éviter la coque du vaisseau de ligne. Puis il poussa les gaz à fond et plongea vers la surface d’Ammuud.

— On peut les semer ? demanda Fiolla, allongée dans la couchette d’accélération.

— Ce n’est pas la seule question, répondit Yan, sans quitter les commandes des yeux. Ils ne se lanceront pas à nos trousses avant d’avoir fait remonter tout le monde à bord. Et s’ils veulent envoyer des vaisseaux de sauvetage derrière moi, ils ont intérêt à avoir d’excellents pilotes !

Il entendit un bruit. Malgré la poussée de l’accélération, Fiolla s’était levée et s’approchait de lui.

— Si j’avais été en train de manœuvrer ou de décélérer, tu serais collée contre les parois, en plusieurs morceaux !

Voyant qu’elle était encore sous le choc, Yan s’inquiéta. D’habitude, la jeune femme avait des nerfs d’acier…

— Qu’est-ce qui cloche ? À part que nous risquons d’être désintégrés à tout instant…

— L’homme sur qui tu as tiré…

— Le type aux cheveux noirs ? C’est lui qui a laissé le message dont je t’ai parlé. C’était le contact de Zlarb. Pourquoi me parles-tu de lui ?

— C’était Magg, dit Fiolla, livide. Mon assistant, choisi avec tant de soin !