CHAPITRE X

 

À deux reprises, nous nous sommes égarés, et nous avons passé un mauvais moment lorsqu'un avion vola très bas au-dessus de nous. Regelin, dont l'ouïe était si fine, l'avait entendu de loin, et nous nous étions réfugiés sous des arbres. Mais il s'éloigna.

Nous arrivâmes au pavillon de Hansen avant le lever du jour. Il ne restait plus que quelques gouttes d'essence dans notre réservoir.

— Voilà une voiture avec laquelle nous ne roulerons plus, dit Regelin.

Kitty admirait un grand arbre dont le vent agitait le feuillage et respirait à pleins poumons l'air venu du lac.

— La voiture, dit-elle, je ne la regretterai pas.

Il y avait un bosquet dans lequel nous dissimulâmes ce véhicule inutile. Puis, à l'aide des clefs que Hansen nous avait confiées, nous entrâmes dans le pavillon. C'était une maison de quatre pièces, propre et bien meublée. Regelin et moi, nous surveillâmes Radeef tandis que Kitty dormait comme un enfant exténué.

Le soleil parut, dans une gloire de lumière. L'herbe longue était étincelante de rosée et le lac, couvert de petites vagues, s'étalait derrière un rideau de sapins et de hêtres. Une odeur de forêt, de verdure et d'eau flottait dans l'air. Après avoir pris le petit déjeuner, j'examinai les alentours, notamment le hangar à bois. Il était aussi solidement construit que le pavillon même auquel il s'adossait. On y avait accès par l'extérieur et aussi par la cuisine. Il aurait fallu un bélier pour en enfoncer les murs et même la porte. Le sol était cimenté. J'y transportai un matelas et quelques autres objets mobiliers, puis j'y menai Radeef.

Elle s'assit et modifia son visage pour sourire.

— Si je dois être emprisonnée, dit-elle,. cela pourrait être pire...

— Nous ne pouvons pas passer notre temps, lui dis-je, à vous tenir sous la menace d'un revolver. Nous vous nourrirons et prendrons soin de vous jusqu'à l'arrivée de Yueth, ce qui demandera sans doute une semaine. Voulez-vous quelques livres ? Il y a une petite bibliothèque dans le pavillon.

— Non, dit-elle. Nous, les Tahowwas, nous pouvons fort bien nous contenter de rester assis et de méditer. Mais je vous remercie...

— J'aurais aimé que vous n'eussiez pas un esprit aussi conquérant, dis-je avec quelque gaucherie. Vous n'êtes probablement pas foncièrement mauvais... Si vous étiez venus à nous ouvertement, nous aurions peut-être pu arranger quelque chose pour vous...

— Oui, dit-elle avec amertume. Un asile de nuit, par exemple.

— Mais vous avez choisi une autre solution... Tant pis pour vous... Et je crains que cela n'aboutisse à votre destruction à tous. J'ajoute toutefois que la plupart d'entre-vous pourraient survivre si vous vous rendiez avant que la lutte ne prenne fin.

— Mais elle n'a pas pris fin de sitôt, croyez-moi.

— Peut-être, hélas ! êtes-vous dans le vrai. Avez-vous encore quelque chose à me dire sur vous-même et sur ceux de votre race, Radeef ?

— Non. Je n'en ai que trop dît. Laissez-moi seule, je vous prie.

Je bouclai la porte et retournai dans le pavillon Je voulais dormir, mais mes nerfs étaient encore trop tendus. Regelin, plus calme que moi, s'était déjà allongé sur un divan plus court que sa longue personne et d'où ses jambes dépassaient. II dormait paisiblement. Kitty venait de se lever. Ensemble nous mimes un peu d'ordre dans le pavillon, puis nous sortîmes pour aller nous baigner dans le lac.

Nous nous avançâmes sur une petite langue de terre.

— Je prendrai ce côté, dis-je. Et vous prendrez l'autre.

Elle redressa la tète.

— Dave, fit-elle, vous êtes un affreux puritain, le savez-vous ?

L'eau était froide, transparente comme du cristal. Elle glissait sensuellement le long de votre peau, vous mettait des picotements dans le corps. Nous sortîmes en riant — pour la première fois depuis longtemps — et nous nous couchâmes sur la rive herbue pour nous laisser caresser par les rayons du soleil. Il me semblait étrange de ne pas avoir à me dissimuler dans l'ombre.

— Je me demande comment va Alice ? murmura Kitty.

— Elle va bien, -j'en suis sûr. Vous devez lui manquer, naturellement. Mais Hansen est un vieil homme charmant. Avec de la chance, Kitty, vous reverrez votre fille dans une semaine ou deux.

— Ou jamais, lit-elle. Mais je préfère ne pas y penser.

Elle fit rouler sur ses épaules ses boucles dorées. Je posai ma main sur les siennes. Puis je l'embrassai. Elle me rendit mon baiser avec une soudaine ardeur.

Au cours de l'après-midi, Regelin et moi nous sortîmes le bateau de son hangar sous le pavillon et nous nous éloignâmes sur le lac, emportant l'attirail de pèche du docteur. Le lac était immense et désert, environné de forêts et sans autre témoin que le ciel. Tout était calme. Nous avons pris un beau brochet et quelques autres poissons plus petits. Kitty, de son côté, avait cueilli tout un panier de framboises. Notre dîner fut donc copieux et gai. Le lendemain matin, Kitty nous dit qu'elle avait mal dormi. Maintenant que l'alerte était passée, sans que nous fussions toutefois à l'abri du danger, elle avait des cauchemars. Je l'emmenai faire une longue promenade à pied autour du lac. Nous passâmes auprès d'autres pavillons, mais ils étaient tous déserts. L'endroit était trop éloigné de tout centre civilisé pour être maintenant facilement accessible. Assis à l'ombre des beaux arbres, nous parlâmes de toutes sortes de choses. Finalement, Kitty me dit :

— Pourquoi attendre, Dave ? Peut-être serons-nous morts demain. Pourquoi attendrions-nous encore ?

Le soir tombait lorsque nous rentrâmes. Regelin était assis sous te porche et lisait un livre. Il nous jeta un regard à la fois grave et perçant tandis que nous approchions en nous tenant par la main. Puis il sourit.

— La Terre, nous dit-il, est actuellement sous la loi martienne, et il existe un article du code dont vous n'avez sans doute jamais entendu parler. Nos officiers sont habilités à célébrer les mariages. Cela ne vous intéresserait-il pas ?

Je me tournai vers Kitty et lui demandai en riant :

— Est-ce que cela nous intéresse ?

Pour toute réponse, elle me sauta dans les bras.

Tout fut réglé séance tenante. A défaut d'un prêtre, nous récitâmes, Kitty et moi, les prières qui nous parurent les plus appropriées à la circonstance. Puis Regelin se mit en devoir de nous unir. Il prononça les paroles consacrées, et les traduisit à mesure pour nous. Il était étrange d’entendre ces bizarres syllabes sous le ciel et parmi les décors verdoyants de notre planète, mais elles avaient une austère beauté païenne que je ne puis oublier. Après quoi, nous eûmes noire repas de noces, débouchant à cette occasion la bouteille de vin que Hansen avait glissée dans une de nos caisses. Quand le soir fut venu, Regelin nous dit qu'il avait toujours rêvé d'aller pêcher au clair de lune, et il disparut discrètement.

Ce fut une singulière lune de miel que la nôtre. Le fait que nous la vécûmes au bord même, du danger et des ténèbres la rendit plus douce encore. Je crains bien que nous n'ayons quelque peu négligé Regelin pendant ces admirables journées Mais n'était-ce pas un peu sa faute ? Il savait d'ailleurs se rendre invisible.

Kitty, mon adorée, si jamais tu lis ces pages, souviens-loi de ces jours et de ces nuits. Et sache que je t'aimerai toujours.

* * *

Je m'étais trouvé quelques occupations occasionnelles. En particulier, je me livrai à un examen minutieux de l'arme venue de Sirius qui était en notre possession. Je l'examinai, bien entendu, avec la plus grande prudence. Elle semblait correspondre à I hypothèse que j'avais formée. Elle constituait une version — en beaucoup plus puissant et beaucoup plus perfectionné — du résonateur Colson et de son projecteur d'un champ de force. Sa charge était faite d'une bobine composée de fils d'une nature que je n'ai pas déterminée et qui alimentait la chambre de projection; je suppose qu'il s'agit d'un alliage se trouvant dans un état énergétique anormal, bien qu'il fût produit et maintenu dans cet état instable par un procédé que j'ignore. L'engin comportait aussi un bouton permettant de régler la largeur du faisceau. Large, mais d'un effet moins puissant, il doit pouvoir permettre, par exemple, de tuer à faible distance un homme sans bruit, en disloquant les noyaux de ses cellules et sans laisser de marques extérieures sur le corps: étroit, il doit avoir une portée plus grande et dissocier littéralement les atomes sur une petite surface, sans rien toucher d'autre en dehors de ce cercle de destruction. Un engin magnifique et aux usages variés, qui pourrait trouver une foule d'emplois dans les industries de paix, me disais-je avec un regret cuisant.

Nous nous demandions parfois si le messager de Hansen n'avait pas eu d'ennuis en cours de route. Tant de choses fâcheuses pouvaient survenir, et nous apporter la mort... Par mesure de précaution, nous mîmes les lieux en état de défense, afin de pouvoir au moins résister d'une façon honorable si nous étions attaqués. Nous installâmes devant l'entrée la mitrailleuse lourde qui était dans la voiture que nous avions volée, et nous construisîmes devant elle un rempart de sacs de terre et de caisses. Les fenêtres étaient munies de grillages et de solides contrevents de fer à l'épreuve des voleurs. Nous perçâmes dans ceux-ci des trous pour pouvoir observer l'extérieur. Il était convenu que si nous étions attaqués, l'un de nous défendrait avec la mitrailleuse l'entrée principale donnant sur le lac. Un autre, à l'arrière de la maison, couvrirait les deux chambres à coucher. Quant au troisième, il occuperait la cuisine, préparerait les repas et donnerait l'alarme si quelque chose se passait dans ce secteur.

Je dénichai dans un meuble un stylo et ce vieux cahier. A-t-il appartenu autrefois à un enfant de Hansen ? Je l'ignore, et peut-être ne le saurai-je jamais. Depuis lors je passe quelques heures par jour à noter ce qui m'est arrive depuis que cette aventure a commencé. Si nous devons échouer dans notre lutte, j'aurai peut-être encore le temps de cacher ce cahier, et si par hasard quelqu'un le trouve plus tard, peut-être permettra-t-il à d'autres de reprendre la lutte. C'est là, je le crains, une pensée stupide. Mais...

* * *

Depuis que j'ai écrit 1es phrases qui précèdent, il s'est passé bien des choses.

Je viens d'achever mon tour de garde, et si j'étais sage, je devrais dormir. Mais je ne peux. J'écris cela avec beaucoup d'amertume, car j'ai vécu, il n'y a pas si longtemps, des jours heureux. Maintenant, il me faut revenir un peu en arrière et achever ce récit.

Cela commença neuf jours après notre arrivée ici. J'étais assis au bord du lac, jouissant du beau soleil de l'après-midi, lorsque la grande silhouette de Regelin apparut.

— Hello, vieil ami, me dit-il, où est votre femme ? Pas avec vous ?... Vous l'abandonnez ?...

— Vous avez lu trop de romans anglais, lui dis-je. En fait, c'est elle qui m'a chassé de la maison. Elle m'a dit que ses cheveux étaient dans un état indescriptible, qu'il fallait qu'elle s'en occupe, et qu'elle ne voulait pas se montrer à moi ainsi...

Il s'allongea à côté de moi dans l'herbe. Et il devint soudain sérieux.

— Je me demande, dit-il, ce qui retarde Yueth.

— Je n'en sais rien. Mais j'imagine qu'il n'a peut-être pas pu partir toutes affaires cessantes. Pour venir secrètement, il faut sans doute qu'il prenne quelques dispositions afin de ne pas attirer les soupçons sur lui.

— Au fond, je préférais ne pas trop penser à ces choses.

— Oui, fit Regelin. Mais, même dans ce cas...

Il se leva soudain, l'oreille aux aguets.

— Qu'est-ce que c'est ?...

Je n'entendais rien d'autre que le bruit du vent dans les arbres et celui des petites vagues sur le rivage.

— Un avion... Vite, cachons-nous...

Nous courûmes vers la maison. Au moment où nous disparaissions sous le porche, j'entendis au-dessus de moi la clameur déchirante des réacteurs. L'avion, un appareil martien d'observation, passa très bas, rasant presque le lac. L'instant d'après, il disparaissait à l'horizon.

Kitty arriva et me prit dans ses bras.

— Qu'est-ce que c'est ? murmura-t-elle. Qu'est-ce qu'ils nous veulent ?

— Rien, sans doute, ma chérie.

Mais j'échangeai un regard chargé de crainte avec Regelin. Il n'y avait aucune raison pour que les avions des forces d'occupation survolent la région d'Arrowhead, et Yueth n'aurait certainement pas envoyé un éclaireur. Le Martien me prit à part.

— Voilà qui ne me plaît pas beaucoup, me dit-il. Je me demande si un ou deux d'entre nous ne feraient pas mieux de quitter la maison, pour le cas où...

Je secouai la tête.

— Cela ne servirait pas à grand-chose, Reggy... Si c'est Yueth qui arrive, c'est inutile. Et si, au contraire, c'est l'ennemi, ceux qui partiraient seraient pris en chasse comme nous l'avons déjà été. Je suis las de courir. Si nous devons avoir à nous battre, mieux vaut que ce soit ici...

Je serrai les poings de colère. Regelin hocha la tète pour m'indiquer qu'il était d'accord. Je retournai auprès de Kitty. Nous restâmes assis sous le porche, nous tenant par la main, sans parler beaucoup. Le soleil déclinait à l'horizon, les ombres s'allongeaient. Regelin s'était éloigné. Il ne revint qu'au bout d'un long moment, sortant des bois.

— Je viens d'entendre une voiture qui approche, nous dit-il.

Je me levai brusquement.

— Eh bien, dis-je, celte fois ce sera la lin, d'une manière ou d'une autre...

Je passai ma main, tendrement, dans les cheveux de Kitty, et je rentrai avec elle dans la maison. Regelin resta sous le porche, l'arme à la main.

L'auto surgit d'une haie d'arbustes et s'arrêta. C'était un lourd et rapide véhicule, solidement armé, un véhicule du même modèle que celui que nous avions pris à Alandzu, mais plus puissant. Regardant par le trou que nous avions fait dans une persienne métallique, je vis qu'il était occupé par une demi-douzaine de Martiens. L'un d'eux en sortit, un militaire de haute taille, dans son uniforme noir. Il appela :

— Regelin ! Regelin dzu Coruthan !

— C'est Yueth, nous dit notre ami.

Mais sa voix ne semblait pas très assurée. Il lança alors, en « vannzaru », la phrase sur laquelle nous nous étions mis d'accord :

— Je suis heureux que vous soyez venu, mon cher camarade. Mais nous ne pouvons montrer qu'à vous seul ce que nous détenons ici. Avancez-vous, tout seul, et entrez dans la maison...

Il y eut une sèche réponse. Et Regelin nous expliqua :

— Il refuse. Il dit qu'il doute de la véracité de notre histoire et qu'il n'est pas sûr que nous ne le tuerons pas. Il veut que ce soit nous qui sortions.

— Pas cela ! s'écria Killy. N'acceptez pas...

Les Martiens discutèrent quelques instants. Finalement, Regelin nous dit :

— J'ai accepté de le laisser entrer avec deux de ses compagnons. Tenez-vous prêts... Prêts à n'importe quoi...

— Va dans la chambre, Kitty, murmurai-je. Laisse la porte entrouverte. Surveille ce qui se passe et interviens si c'est nécessaire.

Elle fit un signe d'acquiescement et disparut. J'attendais. Je tenais caché derrière mon dos le manche à balai muni de fils électriques reliés à la batterie.

Regelin entra, suivi des trois Martiens. Ils regardaient autour d'eux d'un œil méfiant, le revolver à la main. Quand ils constatèrent que j'étais sans arme et que Regelin avait posé son pistolet, ils se détendirent un peu. Regelin, tout en leur parlant, les guidait vers la cuisine, puis vers le hangar à bois qui se trouvait derrière.

Yueth me frôla en passant. D'un mouvement rapide, j'amenai devant moi le bâton et touchai sa main avec les deux fils dénudés. Il poussa un hurlement, son visage instantanément se modifia. Mais déjà je bondissais sur lui.

Nous roulâmes à terre, et tandis qu'il se débattait en grognant, Regelin fit un saut sur le coté, ce qui permit à Kitty de tirer sur les deux autres. Ils tombèrent, les mains crispées sur leurs armes. Kitty avança sur eux, tirant encore pour être bien sûre qu'ils ne se relèveraient pas.

J'avais pris à la gorge le faux Yueth. Son corps, pour le moment, était à demi-martien, à demi tahowwien. Je le frappai violemment, derrière l'oreille, puis en plein mufle. Il cracha du sang. Au même moment, j'entendis une explosion sourde. C'était Regelin qui venait de faire feu avec le pistolet atomique, désintégrant la voiture de nos ennemis.

Un genou sur le ventre du faux Yueth, je lui cognais la tête contre le plancher. Au bout d'un moment, il ne bougea plus, et je me relevai, aspirant l'air à pleins poumons. Des coups de feu éclatèrent de nouveau. J'entendis des balles siffler, à travers la pièce. Je me jetai sur le sol. Kitty se précipita vers moi.

— Dave ! Dave ! Tu n'es pas blessé, Dave ?

— Tout va bien, dis-je, m'appuyant contre elle pour me redresser.

Le visage de Regelin apparut dans la fenêtre.

— J'en ai démoli un, ainsi que la voiture, nous dit-il. Mais il en reste deux qui se sont cachés derrière les haies. Allons vite aux postes de défense.

Je tirai le pseudo-Yueth, qui commençait à reprendre conscience et à grogner, jusque dans la cuisine. J'ouvris la porte du hangar où était déjà Radeef. Je l'y jetai, verrouillai de nouveau la porte et allai prendre une arme.

Le soleil était maintenant très bas, et le lac ressemblait à une coulée d'or fondu. J'entendis des oiseaux, que notre fusillade n'avait pas effrayés, chanter dans les arbres. L'ennemi ne donnait pas signe de vie.

Kitty fouilla les cadavres et retira les armes. Trois revolvers et deux désintégrateurs tahowwiens vinrent s'ajouter à celles que nous avions déjà. Cet arsenal pourrait nous être utile. Nous prîmes aussi l'argent.

Kitty secouait la tète. Elle semblait soudain accablée par une énorme fatigue.

— Nous avons échoué, dit-elle. Malgré tous nos efforts, nous avons échoué. Qu'allons-nous faire maintenant ?

— Continuer la lutte, dit Regelin.

— Et quelque chose se produira peut-être, dis-je, s'il nous est possible de tenir assez longtemps.

Nous montâmes la garde, tandis que la nuit tombait. Puis Kitty me remplaça à mon poste pour que j'aille voir ce que devenaient nos deux prisonniers. J'ouvris la porte du hangar. Dans l'ombre, les deux Tahowwas s'avancèrent vers moi. Cette porte était leur seul moyen d'évasion, car nous avions solidement barricadé celle qui donnait sur l'extérieur. J'agitai mon pistolet pour les faire reculer. Je demandai au plus récent des deux captifs :

— Quel est votre vrai nom ? Car nous ne tenons pas à vous appelez Yueth. Ce Yueth était l'ami de Regelin.

— Je m'appelle Naseer, fit le monstre d'une voix sourde et renfrognée. Et je vous conseille, de renoncer à ce jeu, car votre situation est sans espoir.

— Pas encore... Mais puis-je vous demander, à titre de curiosité, comment vous nous avez découverts ?

— Il était clair que vous tenteriez de communiquer avec quelqu'un. Et Yueth était connu comme l'ami le plus intime de Regelin. Nous avons intercepté le message que vous lui avez envoyé. Puis nous nous sommes rendus chez Hansen, et nous l'avons questionné en nous servant de drogues pour le faire parler.

— J'imagine que Yueth et Hansen sont maintenant morts tous les deux ?

— Naturellement, fit Naseer sur un ton d'indifférence. Et vous le serez vous-mêmes bientôt, à moins que. vous ne vous rendiez rapidement.

— Et... l'enfant ? La fillette qui était avec Hansen ? L'avez-vous tuée ?

— Non. Nous n'avions aucune raison de lui faire du mal, car elle ne sait rien.

— Merci pour ce renseignement, dis-je.

Je refermai la porte sur eux. Je retournai auprès de mes compagnons et je leur fis part de ce que je venais d'apprendre.

— Il faut maintenant, dit Regelin, que nous tentions de fuir avant qu'ils ne nous aient encerclés.

— Je jurerais que c'est déjà fait, dis-je. Il devait y en avoir d'autres dans le voisinage. L'affaire est trop grosse pour qu'ils n'aient pas pris toutes leurs précautions. La seule issue que nous puissions envisager est de nous bagarrer comme des forcenés quand ils attaqueront, afin de tenter de fuir à la faveur de la confusion que nous aurons créée.

Nous attendîmes donc. Vers minuit, une autre voiture s'approcha de la maison. Elle était suivie par un tank léger. Je vis le blindage luire vaguement au clair de lune. Kitty s'éveilla, sortant d'un mauvais cauchemar pour entrer dans un autre. Nous nous glissâmes jusqu'aux fenêtres, pour guetter. Un Tahowwa — ils ne se souciaient plus maintenant de prendre une autre forme — descendit de l'automobile et s'avança sur le gazon en portant un drapeau blanc. Regelin sortit sur le perron pour parlementer.

Si vous ne vous rendez pas, dit l'étrange créature, nous allons être obligés de vous détruire. Un unique obus tiré par ce tank fera sauter votre pavillon.

Dans ce cas, demanda Regelin, pourquoi n'avez-vous pas bombardé immédiatement ?

— A cause de la prisonnière —- ou des deux prisonniers — que vous détenez. Nous sommes prêts à discuter. Votre vie en échange des leurs.

— Même si vous deviez tenir votre promesse, dit Regelin, la prison perpétuelle ne nous sourit pas. Vous pouvez vous retirer.

Le Tahowwa s'éloigna. J'avais pris le désintégrateur, et je tirai. Les véhicules étaient hors de portée avec le large faisceau. Je rétrécis celui-ci au maximum et tirai de nouveau. Cette fois, je fis une coupure dans le haut du tank. Ses moteurs ronflèrent et il se mit à reculer. Mais j'eus encore le temps d'atteindre son gros canon dont le long tube s'effondra.

Je poussai un cri de triomphe sauvage.

— Maintenant, ils peuvent toujours essayer de nous bombarder !

— Attention ! nous cria Regelin dans l'ombre. Il y a des soldats qui approchent !