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Ces personnages, ces anecdotes, ont été cités à cause de nombreux éléments qui sortent de l’ordinaire. Mais chaque homme vivant possède une histoire semblable, unique pour lui, de ce qui est en lui, de la manière dont il a été façonné par les forces qui l’entourent, et de son interprétation de ces forces. Ici, un homme voit une machine comme un dieu, et là, un autre voit Dieu comme un sujet de discussion ; un autre encore se sert des discussions des hommes comme d’un outil, d’une machine qui soit à lui. En dépit de son aptitude à travailler de concert avec ses semblables, et à provoquer une certaine sympathie en eux, l’homme reste isolé ; personne ne sait exactement ce qu’un autre ressent. Au summum même de la sensation, l’homme approche de l’inconscience… l’inconscience de quoi ? Voyons, de tout ce qui l’entoure, jamais de lui-même.
C’étaient des personnages, des anecdotes de la nuit où finit le monde ; c’était la nuit où les gens, dans le monde entier, pensaient leurs propres pensées et vivaient leur propre vie et finalement étaient enfin dans l’erreur en pensant que demain était la suite d’aujourd’hui, comme hier en était le commencement et que le chemin à suivre était de suivre le même chemin qu’avant.
C’était la nuit, et l’instant même, où Paul Sanders se leva du canapé, enleva Charlotte Dunsay dans ses bras et dit : « Si ce n’est pas maintenant, ce ne sera jamais. »
… Où le jeune Guido marchait à grand pas dans la Rome d’avant l’aube, avec un besoin de musique à en avoir mal jusque dans ses os, et une merveille sous le bras, attendant l’ardent assaut de son talent déchaîné. Aucun amant, aucun avare, aucun prêtre sur terre n’aimait plus l’argent ou une femme ou Dieu plus que Guido n’aimait ce violon, aucune renarde avec des petits, aucun buffle blessé n’était plus à l’aguet d’un ennemi…
… Où les cousins, Mbala et Nuyu, l’incrédule devenu croyant et le converti, entrèrent dans un jour nouveau et glorieux de foi et de patates douces en abondance…
… Où Henry qui avait cinq ans, était couché tout raide dans son lit et reniflait dans un cauchemar, de violence souriante, dans un ailleurs qui était tout à fait comme partout pour lui, et où il était méprisé…
… Où le fidèle réveil de Dimity Carmichael annonça l’aube et où elle se leva dans sa chemise de nuit modeste en coton et se prépara, les yeux détournés, à prendre sa douche matinale…
… Où Sharon Brevix, perdue, arriva à la nuit noire de son deuxième jour sans abri ni nourriture…
Ce n’étaient que des moucherons parmi des millions, cités pour ce qui, chez eux, était remarquable, et n’était pourtant différent que dans la mesure où chacun diffère extérieurement ou intérieurement de l’ensemble des qualités possédées par les deux milliards sept cent cinquante millions d’autres moucherons qui vivaient sous le soleil.