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Cahotant sur le pâturage défoncé, la Vega allait aussi vite qu'elle pouvait. Les roues rebondissaient sur les nids-de-poule, faisaient voler des cailloux, des brindilles mortes. Des rigoles de terre durcie martyrisaient au passage les amortisseurs autant que les passagers. Jillian avait bouclé sa ceinture et se cramponnait aux cages posées sur ses genoux. Les malheureux oiseaux étaient malgré tout ballottés contre les barreaux et battaient lamentablement des ailes.
Pour oublier la nausée que lui donnait cette randonnée mouvementée, Jillian parlait sans arrêt :
— ... Et la police a fait draguer toute la rivière. Je leur avais pourtant bien dit que Barry ne s'en était jamais approché, mais ils n'en ont fait qu'à leur tête. Ils ont fouillé toutes les maisons dans un rayon de dix kilomètres, ils ont regardé dans les réfrigérateurs, les piscines, les poulaillers ! Ils m'ont même demandé si j'avais remarqué des étrangers ou des rôdeurs dans le quartier, vous vous rendez compte !...
Roy écoutait à peine. Crispé sur son volant, il zigzaguait pour éviter les obstacles trop importants et faisait des prières pour que les pneus et la suspension tiennent au moins jusqu'à ce qu'ils arrivent au pied de la Tour du Diable. Il n'y avait toujours pas le moindre sentier en vue.
La montagne se profilait maintenant entre les échancrures d'une chaîne de collines qui, seule, les séparait de leur but. Derrière eux, en contrebas, on voyait l'interminable file des voitures de réfugiés qui serpentait sur la grand-route. Roy eut un pincement de cœur vite réprimé : l'un des automobilistes l'ayant vu défoncer la clôture pouvait avoir alerté le plus proche poste de la Garde nationale. C'était quand même peu probable. Dans une situation comme celle-ci, les gens ne pensent qu'à se sauver...
Enfin, quelque chose de plus engageant que le pâturage se présenta tout à coup. Un coup de frein, un passage en première : dans le même rugissement de moteur et le même claquement sec de corde qui saute, la Vega franchit une clôture et retomba sur un chemin en assez bon état, qui paraissait se diriger tout droit vers la Tour du Diable.
Quelques dizaines de mètres plus loin, Roy s'arrêta à l'ombre d'un pin parasol et examina les oiseaux. Les malheureux avaient incontestablement l'air groggy, sans qu'on pût dire s'ils souffraient, comme Jillian, des conditions de leur voyage, ou si l'effet du gaz G-M commençait à se faire sentir. Avec un haussement d'épaules fataliste, Roy remit la voiture en marche.
La route s'élevait en lacets, gravissait les collines en pente douce.
Ayant victorieusement résisté aux épreuves qu'elle venait de subir, la Vega prenait docilement les virages. Une ligne droite, un virage, une ligne droite, encore un virage, puis un autre...
Ils la virent tous les deux en même temps. D'instinct, sembla-t-il, la voiture s'arrêta toute seule devant la majesté du spectacle.
Sans un mot, Roy et Jillian descendirent et firent quelques pas dans l'herbe jusqu'au bord de la pente. Les dominant de sa hauteur, la Tour du Diable s'offrait tout entière à leur admiration.
— Mon Dieu ! murmura Jillian.
Roy hésita, humecta ses lèvres desséchées par l'émotion, les agita sans pouvoir proférer un mot.
— C'est ça... c'est ça..., balbutia-t-il enfin.
Ce qu'il ressentait, rien ne pouvait l'exprimer.
Aucun mot ne pouvait traduire le sentiment bouleversant d'avoir sous les yeux la preuve qu'il avait exactement réussi ce que son esprit lui avait dicté.
Côte à côte, en silence, ils contemplèrent longuement le spectacle grandiose, la réalité d'un rêve qui les avait tant hantés. La Tour était là, hautaine, unique, si parfaite dans son originalité que Roy en eut le frisson. Sans savoir qu'elle existait ailleurs que dans son imagination, il l'avait sculptée, l'avait reproduite dans le moindre détail.
Longtemps plus tard, il osa enfin se gratter la gorge et parla à voix basse, comme dans une église :
— Il vaudrait mieux repartir. Sinon, on risque de se faire repérer.
Jillian s'arracha à sa contemplation et regarda le paysage autour d'eux. Soudain, elle tendit le bras :
— Là-bas, regardez ! Ce ne serait pas un garage ou une station-service, par hasard ?
Quelques instants plus tard, Roy arrêtait la voiture dans une station-service abandonnée. A côté de la pompe, on voyait une baraque où, en temps normal, on devait vendre aux touristes des souvenirs et des sandwiches. Il décrocha le tuyau, fit basculer le levier de mise en route et poussa un soupir de soulagement en entendant le compresseur démarrer dans les entrailles de l'appareil. Il fit le plein de la Vega èt remit le tuyau en place.
— Neuf dollars ! remarqua-t-il distraitement. L'essence est chère, dans le coin.
— Roy ! coupa Jillian. Ecoutez !
C'était le bruit de machine agricole d'un rotor d'hélicoptère qui s'approchait. Il saisit Jillian par le bras et l'entraîna dans l'embrasure de la porte de la cabane aux souvenirs. Avec un peu de chance, ils passeraient peut-être inaperçus...
Un groupe compact de gros hélicoptères de transport les survola à très basse altitude. Au-dessous de deux des engins, on voyait pendre des grappes d'objets qui ressemblaient à des toilettes chimiques. Plus haut derrière eux, un escorteur léger de type
Cheyenne fermait la marche. Les appareils avaient tous des symboles militaires peints sur leurs flancs.
Avant que Roy et Jillian aient eu le temps de forcer la porte pour se dissimuler à l'intérieur, le Cheyenne fit une glissade latérale suivie d'une descente rapide et vint s'immobiliser au-dessus du toit de la cabane. Un des hommes d'équipage, le visage protégé d'un masque à gaz, se pencha au-dehors et braqua un Polaroid dans leur direction. Roy lui fit un sourire innocent, sortit un billet de sa poche et alla ostensiblement le poser sur la pompe en le calant avec une pierre. Le photographe prit encore une ou deux photos en gros plan.
— Ça va comme ça ? hurla Roy. Nous ne sommes pas des pillards
!
11 vit distinctement le pilote tapoter le bras de son coéquipier, l'appareil reprit de la hauteur et s'éloigna rapidement. Un instant plus tard, il avait disparu.
— Allons-nous-en, dit Roy. Pas la peine de s'attarder ici.
Accélérateur à fond, il dévala la petite route en prenant les virages sur deux roues, s'arrêtant sous un arbre à chaque fois qu'il le pouvait quand un hélicoptère se profilait à l'horizon.
Pendant un de ces brefs arrêts, tandis qu'il attendait que l'ennemi disparaisse, il vit un oiseau couché sur le dos, au milieu de la route. Ses pattes raidies étaient dressées vers le ciel. Sans un mot, il le montra à Jillian.
— Vous voulez qu'on fasse demi-tour ? demanda-t-il après avoir remarqué son frisson d'effroi.
— De quoi est-il mort, à votre avis ?
— Aucune idée. De vieillesse, peut-être... En tout cas, nos canaris sont en pleine forme. Pour moi, toute cette histoire de gaz est une fumisterie, un prétexte qui couvre autre chose.
— Alors, continuons.
Ils restèrent néanmoins immobiles pendant quelques instants.
Enfin, sans s'être concertés, ils tirèrent leurs mouchoirs et s'en couvrirent le bas du visage. Roy reprit la route en conduisant plus lentement, prudemment. Ils se rapprochaient de la Tour du Diable et ce serait idiot de prendre des risques si près du but.
Soudain, à la sortie d'un virage, Roy dut presque se mettre debout sur la pédale de frein : quatre fourgons kaki barraient la chaussée sur toute sa largeur. D'un réflexe inconscient, il passa la marche arrière malgré la bruyante protestation des pignons, se retourna sur son siège... Trop tard ! Il n'avait pas fait dix mètres que quatre autres fourgons kaki surgissaient derrière lui. Le piège était refermé.
D'un accord tacite, Roy et Jillian remontèrent leurs vitres et verrouillèrent leurs portières. Ils attendirent. D'abord, il ne se passa rien. Enfin, ils virent des hommes émerger un par un des véhicules et se diriger vers eux. Des hommes dorés.
Vêtus de combinaisons en plastique doré, la tête sous une bulle de plexiglas, ils portaient, pour parfaire leur accoutrement d'astronautes, une sorte de réservoir sur le dos. Il était impossible de se rendre compte, sous leurs uniformes identiques, s'il s'agissait de civils ou de militaires. Hermétiquement enfermés dans leurs costumes métallisés brillant sous le soleil, ils avaient une allure de jouets ou d'automates. Amusé malgré lui, Roy pensa qu'ils illustreraient parfaitement une publicité pour un nouveau modèle de feuilles à rôtir...
L'un des mannequins dorés se détacha du groupe et vint à quelques pas prudents pour se placer devant le capot de la Vega.
Il tendit vers le pare-brise une petite ardoise d'écolier où quelques mots étaient tracés à la craie, en grosses lettres majuscules : COMMENT VOUS SENTEZ-VOUS ?
Roy regarda sans comprendre. Enfin, l'incongruité de la question le désarma et il éclata de rire. Il baissa sa vitre et passa la tête :
— Nous, ça va très bien ! Et vous autres, les clowns, ça va ?
L'homme à l'ardoise leur fit un signe impérieux de descendre de voiture. Roy sentit la colère le reprendre.
— Pas question ! Tout ce qu'il y a de toxique dans la région, c'est vos conneries !
Un autre homme doré, arborant un brassard de la Croix-Rouge, s'était approché de la vitre de Jillian. Il passa le bras par la portière, prit la cage des canaris et retourna près de son compagnon, toujours planté devant le capot. Il brandit les cages sous les yeux des deux passagers : les oiseaux étaient étendus sur le dos, immobiles.
A ce spectacle, Roy et Jillian abandonnèrent la lutte.
Ils avaient à peine posé le pied par terre que les hommes dorés les entourèrent, les affublèrent d'un masque à gaz et les emmenèrent vers les fourgons. Roy eut beau protester, les autres étaient plus forts et plus nombreux. On les fit monter chacun dans un fourgon. Celui de Jillian démarra le premier, celui de Roy suivit peu après.
L'intérieur des véhicules était équipé de tout le matériel médical d'une antenne de premier secours. Pourtant, les hommes dorés qui accompagnaient Roy se comportaient plus en gardes qu'en infirmiers. La carrosserie n'avait aucune ouverture, et Roy ne put rien voir du chemin parcouru. Il sentait seulement qu'ils cahotaient sur un terrain presque aussi défoncé que le pâturage où il avait fait passer la Vega.
Le fourgon s'arrêta enfin et l'un des gardes ouvrit les portières.
Roy eut à peine le temps de voir, sous les rayons du soleil couchant, une sorte de vaste camp militaire avec des tentes kaki-olive, des caravanes, une flottille de fourgons identiques à celui qui l'avait amené. Un peu plus loin, des hommes s'affairaient au déchargement de gros semi-remorques civils. Déjà, d'une poigne déterminée, les gardes lui avaient fait parcourir les quelques pas le séparant d'une caravane.
Ils pénétrèrent d'abord dans un sas étanche où Roy se débarrassa de son masque à gaz. L'homme doré garda sa bulle de plexiglas et lui fit signe de s'asseoir à l'intérieur. Il y avait une table, deux ou trois chaises. Il s'assit, attendit. Son garde restait silencieux et Roy ne fit aucun effort pour engager la conversation. L'attente s'éternisait Roy regarda sa montre : elle marquait 19 heures.
Les doubles portes s'ouvrirent enfin devant deux hommes masqués. Tandis qu'ils enlevaient leurs masques, le garde doré se retira, laissant Roy seul avec les visiteurs. Sans se lever de sa chaise, il les dévisagea. L'un était grand, mince et avait des cheveux grisonnants. L'autre était plus jeune et plus petit. Ils lui rendirent son regard avec curiosité.
— Alors ? demanda Roy en brisant le silence. C'est vous le patron, ici ? Allez-vous enfin m'expliquer ce que signifie cette mascarade ?
L'homme mince et grisonnant fronça les sourcils et se tourna vers son compagnon en parlant rapidement dans une langue étrangère. Ce dernier se tourna alors vers Roy :
— Monsieur Neary, je suis l'interprète de M. Lacombe. Nous n'avons pas beaucoup de temps devant nous, aussi vous demanderai-je de répondre à nos questions aussi directement et précisément que possible.
— Tout à fait d'accord, répondit Roy sèchement. Où est Jillian ?
— Votre amie ne court aucun danger, dit Laughlin.
Lacombe, entre-temps, s'était assis en face de Roy, ses yeux bleu-vert pétillant d'un sentiment que Roy ne parvenait pas à définir : irritation, impatience, surprise, ironie ? Il reprit avec Laughlin son dialogue dans la langue que Roy ne comprenait pas et cela l'irrita : à qui devait-il s'adresser ? A ce Lacombe, qui paraissait détenir l'autorité, ou à l'autre avec qui il pouvait parler anglais ?
— Monsieur Neary, vous rendez-vous compte du danger auquel votre compagne et vous vous êtes exposés ?
— Quel danger ? demanda-t-il en s'adressant aux deux.
— Le secteur est plein de gaz toxiques.
— C'est faux. Il n'y a aucun gaz toxique dans l'air.
Le Français soupira avec lassitude, sortit un portemine de sa poche et suivit, de ic pointe, les lignes d'un formulaire photocopié.
— Je voudrais vous poser quelques questions, monsieur Neary, fit-il dire par Laughlin. J'espère que vous ne verrez pas d'inconvénients à y répondre ?
— Quel genre de questions ? rétorqua Roy, sur la défensive.
— Par exemple, souffrez-vous d'insomnies ?
— Non.
— De maux de tête ?
— Non plus.
— Avez-vous jamais été traité pour des troubles mentaux ?
— Pas encore ! dit Roy en ricanant.
Le crayon de Lacombe poursuivait sa descente le long du questionnaire.
— Troubles dermatologiques ?
— Non. C'est-à-dire...
— Oui ? Allez-y, dit Lacombe.
— J'ai attrapé un coup de soleil d'un seul côté du visage. Et je n'étais même pas au soleil à ce moment-là.
Lacombe le regarda pensivement, avec un intérêt renouvelé.
— Des cauchemars ? reprit-il
— Non plus. Ou alors... cette obsession qui m'a poursuivi...
— Veuillez être un peu plus précis, je vous prie.
— Non, rien. Une idée qui m'est passée par la tête.
— Avez-vous jamais entendu des voix ?
— Non. Ni de l'au-delà ni celle de petits hommes verts.
Lacombe fit une pause dans son interrogatoire et pesa ses mots avant de poursuivre.
— Dites-moi, monsieur Neary, vous est-il jamais arrivé de rencontrer des êtres ou des objets sortant de l'ordinaire ?
Roy sursauta et parvint à grimacer un sourire.
— Dites donc, que veulent dire toutes vos questions ? Et qui êtes-vous, au juste, tous les deux ?
Lacombe et Laughlin ne parurent pas autrement émus et firent comme s'ils n'avaient rien entendu.
— Avez-vous jamais entendu des sons, généralement agréables, formant une sorte de mélodie dont la source vous aurait paru impossible à localiser ?
— Allez-vous enfin me dire qui vous êtes ? explosa Roy.
Les deux hommes se penchèrent l'un vers l'autre et se mirent à parler à toute vitesse dans la langue étrangère, ce qui mit définitivement Roy en fureur.
— Alors ? C'est tout ? Vous n'avez pas d'autres questions à me poser ? Vous allez me laisser tomber comme ça ? Eh bien ! j'en ai, moi, des questions à vous poser, et par centaines encore ! Si c'est vous le patron de ce cirque, je vais porter plainte contre vous dès que j'aurai pu sortir d'ici ! Vous n'avez pas le droit de séquestrer les gens ! Vous n'avez pas le droit de les traiter comme des fous ou des demeurés ! Vous n'avez pas le droit de tromper le monde en répandant des mensonges sur des gaz asphyxiants qui n'existent pas ! Répondez donc à une question, une seule, voulez-vous ? Comment se fait-il que je sois venu ici, que je connaisse cette montagne dans ses moindres recoins sans y avoir jamais mis les pieds ? Hein ? Répondez !
Lacombe sursauta. D'un bloc, il se retourna pour le dévisager. Il ouvrait déjà la bouche pour répondre quand un homme doré frappa à la porte et fit un pas dans la pièce :
— Le Q.G. vous informe, qu'ils doivent être évacués sans délai pour être reconduits chez eux.
Lacombe le chassa d'un revers de main, comme une mouche importune, et se retourna vers Roy, l'air passionné.
— Ainsi, vous avez imaginé cette montagne sans connaître son existence ? Elle s'est imposée à vous par morceaux, jusqu'à ce que son image complète se forme à partir de ces éléments épars ?
C'est alors, monsieur Neary, que vous vous êtes senti progressivement attiré vers quelque chose d'inévitable, que vous vous êtes senti entraîné malgré vous sur une voie d'autant plus pénible, douloureuse même, que vous en ignoriez les raisons d'être ? Et tout cela jusqu'au moment où vous vous êtes écrié : «
C'est ça ! »
Roy se contenta de hocher la tête, trop ému pour parler. Enfin, on le comprenait !
— Alors, vous vous êtes senti obligé, forcé de venir ici ?
— C'est le moins qu'on puisse dire, approuva Roy.
Lacombe prit une enveloppe dont il sortit une douzaine de photos Polaroid en couleurs et les passa à Roy.
— Voici des gens qui, comme vous, se sont sentis forcés de venir à cette montagne. En connaissez-vous certains ?
Roy examina les visages et rendit les photos à Lacombe.
— Aucun, sauf elle, bien sûr, répondit-il en montrant Jillian.
— Et qu'espérez-vous donc trouver en venant ici ? demanda Lacombe après avoir tendu l'enveloppe à Laughlin.
Roy hésita longuement, cherchant quels mots employer. II ne savait même pas encore ce qu'il était venu faire, ni ce qu'il espérait trouver. Que répondre à la question ?
— Une réponse, dit-il enfin d'une voix mal assurée. La réponse...
Suis-je un fou pour penser ainsi?
Lacombe se leva lentement, l'air pensif.
— Non, monsieur Neary, dit-il enfin, vous n'êtes pas fou. Sachez désormais que vous n'êtes plus seul. Vous avez de nombreux amis. Et puis... je vous envie, monsieur Neary.
Il avait dit ces derniers mots avec une évidente sincérité, et Roy en fut profondément ému. Il se leva à son tour et emboîta le pas aux deux hommes. Dans le sas étanche, tandis qu'ils remettaient leurs masques, il vit deux canaris qui le regardaient, leurs petits yeux pétillant de vivacité. Etaient-ce les siens ? Difficile à dire...
En sortant de la caravane, il trouva le crépuscule traversé, vers l'ouest, de grandes traînées rouge vif. En levant les yeux, il vit des étoiles qui commençaient à scintiller. C'est alors qu'il se rendit compte que les deux hommes l'accompagnaient vers un hélicoptère qui semblait les attendre. On entendait les moteurs tourner au ralenti sous le rotor encore immobile.
— Non ! s'écria Roy avec l'énergie du désespoir. Ce n'est surtout pas maintenant que je vais me laisser évacuer !
De l'intérieur, il vit passer une main gantée qui fit coulisser la porte, dévoilant la présence de sept ou huit civils masqués, assis sur des bancs. Jillian était parmi eux et lui adressa, d'une main molle, un signe découragé comme si elle n'avait plus la force de protester. Neary grimpa dans l'hélicoptère et alla la rejoindre pendant qu'un des pilotes tendait à Laughlin un petit paquet oblong.
Celui-ci l'ouvrit, y trouva des feuilles de papier et des bristols de divers formats qu'il feuilleta rapidement.
— Tenez, dit-il en les tendant à Lacombe. Tous ces gens-là ont dessiné la Tour avant de venir ici.
Lacombe examina les dessins avec curiosité. Certains n'étaient que des griffonnages malhabiles, d'autres en revanche étaient soigneusement exécutés à l'encre ou au crayon. Il releva enfin la tête et regarda les passagers de l'hélicoptère, alignés sur les bancs. Il dit alors quelques mots rapides à Laughlin et s'approcha du pilote.
— Vous ne devez pas décoller, traduisit Laughlin.
— Je regrette, monsieur, mais j'ai reçu mes ordres du Q.G.
— Je vous donne le contrordre. Interdiction de décoller.
— Désolé, monsieur. Impossible.
L'air buté, le pilote avait fait sonner son « Désolé, monsieur »
comme une insulte mal déguisée envers ce civil qui se mêlait de ce qui ne le regardait pas.
— Je vous ordonne d'attendre cinq minutes, dit Lacombe sèchement.
Le pilote s'inclina et fit signe qu'il était d'accord.
Alors, Lacombe tourna les talons et suivi de Laughlin, s'éloigna à grandes enjambées vers le Q.G. à cent mètres de là.