CHAPITRE X

Lorsque la bombe à gaz était tombée au sol, à l’endroit précis où devaient se trouver Don Redhorse et ses hommes, Rhodan s’était relevé. Tremblant, il fixait le nuage de fumée. Soudain, il commença à chanceler comme s’il avait été touché par un projectile.

Melbar Kasom soutenait le Stellarque pour qu’il ne tombe pas. Suffisamment éloigné, Rhodan pouvait distinguer l’objet cylindrique dans toute sa longueur.

Juste après la partie incandescente de la bombe, Rhodan put distinguer des lettres géantes.

— A. c. a. p. u. l. c. o. G. o. l. d., épela Rhodan, pour ensuite s’écrier Acapulco Gold ! C’est la marque de cigarettes de Shenon ! Kasom. Lisez vous-même. Il s’agit bien d’une Acapulco Gold du sergent Miko Shenon.

Quelques secondes plus tard, les Terriens avaient compris ce qui leur était arrivé. Rhodan regarda leurs visages, sur lesquels se lisaient l’horreur et l’incrédulité.

— À présent, je comprends…, dit-il avec un calme impressionnant.

Il était blême, mais maîtrisait parfaitement ses émotions.

— La surface était effectivement aussi lisse qu’une boule de billard. Notre repérage ne nous a pas induits en erreur. C’est nous qui nous sommes laissés tromper. Après avoir perdu connaissance, nous avons été soumis à un processus que je ne saurais décrire, mais un fait est certain les quelques légères ondulations de terrain que nous avions vues avant d’être attaqués sont devenues, pour nous, de gigantesques montagnes. Pour nous rendre compte de la réduction à laquelle nous avons été soumis, il nous manquait un point de comparaison. Avec nous, tout notre vaisseau s’est rétréci. Je crois deviner pourquoi tous les appareils basés sur un principe quintidimensionnel du Krest II ne fonctionnent plus, et pourquoi les générateurs ont peu à peu perdu de leur puissance. Nous n’avons pas été simplement comprimés. Chaque atome en nous, dans l’enceinte de l’astronef, de chacun des objets qui s’y trouvent a été attaqué dans sa structure. Les atomes n’ont pas été comprimés, mais toute leur structure a été modifiée : protons, neutrons et électrons ont été réduits dans les mêmes proportions. Nous avons été mis en échec par une technique incroyablement sophistiquée !

Rhodan avait surmonté le choc. Ses hommes avaient porté leur regard vers les trois géants, dont les visages rappelaient aux lilliputiens des régions de cratères qui étaient en fait les pores de leur peau. À présent que les Terriens étaient au courant, ils leur semblaient reconnaître par instant leurs congénères et l’Halutien, rendu plus monstrueux encore par sa taille démesurée.

L’un des géants leva la jambe et reposa son pied dans le fleuve. Il déclencha un raz de marée, en dépit de précautions qu’il avait manifestement prises pour éviter tout désastre. Puis il s’accroupit, déclenchant à nouveau une tempête.

— Kasom, préparez les fusées de signalisation, vite ! ordonna Rhodan, hors de lui.

Son visage était rouge de colère. Il savait qu’Atlan était arrivé et qu’il avait également analysé l’ampleur de la situation : le Krest II restait heureusement d’une dimension suffisante pour être vu par des yeux normaux de Terrien.

Au même instant, l’amiral Atlan ordonnait à Miko Shenon de retourner vers l’aviso pour aller chercher des lunettes grossissantes. Shenon avançait centimètre par centimètre à travers les dunes qui étaient pour Rhodan et ses compagnons de gigantesques chaînes de montagnes.

Lorsqu’il fut de l’autre côté des petites collines, le sergent alla rejoindre son vaisseau au pas de course. Les lilliputiens entendirent à nouveau de terribles ondes de choc sous leurs pieds.

Les spationautes, formés à rude école, ne se laissèrent pas gagner par le désespoir et s’adaptèrent rapidement à la nouvelle situation. Atlan était donc finalement arrivé sur le Monde de l’Horreur ! Il n’avait pas été touché par le processus de réduction, ce qui confirmait la théorie de Rhodan. Avec la destruction de la station du pôle nord, la terrible arme dont ils avaient été victimes, et qui allait être bientôt désignée sous le nom de compresseur potentiel, avait été anéantie également.

À bord du Krest II, la situation avait aussi été analysée avec justesse. Le colonel Cart Rudo s’était rendu compte du processus de réduction auquel l’astronef était soumis grâce à la prise de vue au grand angle d’Atlan, dont il avait su tirer les conclusions qui s’imposaient.

Une voix tonitruante retentit soudain dans la vaste plaine qui n’était pour l’Arkonide qu’une cuvette de sable :

— Rhodan ! Donnez-nous un signe de votre présence. Ici Atlan. Faites un signe pour que nous puissions vous localiser.

Le Stellarque entendait l’Arkonide, tout comme Redhorse, et le Krest II enregistra également le message d’Atlan.

Les trois supérieurs en charge des commandos de reconnaissance lancèrent presque en même temps dans les airs les fusées rouges de signalisation. Elles explosèrent à environ un mètre au-dessus de la tête de l’Arkonide, avant de retomber en une pluie d’étincelles.

Tous les techniciens de l’astronef reçurent l’ordre de commuter les haut-parleurs extérieurs et les amplificateurs sur le microphone de la centrale de commandement.

Lorsque Rudo commença à parler, les haut-parleurs rugirent d’autant plus que l’Epsalien s’efforçait de parler le plus fort possible dans son micro :

— Atlan, ici Rudo. Nous avons bien reçu votre message. Pouvez-vous m’entendre et me comprendre ?

Atlan ne percevait qu’un chuchotement.

Il se pencha, posa les mains au sol pour s’approcher du Krest II encore d’un mètre, c’est-à-dire d’un kilomètre pour les lilliputiens du Krest II.

L’Arkonide put alors comprendre les paroles prononcées. Il sourit et soupira de soulagement en déclenchant malgré lui un vent de tempête dans la vallée.

— Message bien reçu, Rudo. Avez-vous envoyé des commandos de reconnaissance à la surface du Monde de l’Horreur ?

Sur le Krest II, ces mots furent à nouveau compris de façon intelligible, bien que résonnant comme le tonnerre dans la carlingue du vaisseau.

— Compris, Atlan. Que proposez-vous ? Quatre de nos commandos sont actuellement au sol.

— Demandez-leur de regagner le Krest II immédiatement. Nous allons essayer de dégager votre vaisseau.

— Message reçu, répondit Rudo. Un frisson d’effroi lui parcourut le corps quand il songea que des Terriens allaient peut-être porter le vaisseau amiral de la flotte solaire sur leurs épaules pour tenter de lui faire reprendre son envol.

Quelques minutes plus tard, d’autres signaux lumineux fusaient dans les airs de la coupole supérieure du Krest II. Ce qui était parfaitement superflu : les hommes des commandos de reconnaissance battaient déjà en retraite vers l’astronef, courant aussi vite qu’ils le pouvaient. Ils savaient qu’ils se trouvaient dans une situation critique, mais avec l’arrivée de l’Arkonide, une solution semblait en vue. Les Terriens n’abandonnaient jamais, même réduits à une taille d’à peine deux millimètres