CHAPITRE VII

Rapport d’Atlan

— Ils sont en vie, Amiral, ils sont en vie ! dit Miko Shenon d’une voix forte.

— Je suis tout à fait prêt à croire que votre hypothèse reflète la réalité, Miko, répondis-je. Ma raison me dit pourtant que nous aurions dû clairement et distinctement détecter le Krest depuis longtemps. Un vaisseau si imposant, émettant de plus un rayonnement propre de haute intensité, ne peut passer longtemps inaperçu dans cette région sans relief. Même les appareillages radar…

— Ils sont en vie ! m’interrompit l’ex-major.

Icho Tolot, un peu à l’étroit avec son corps monumental dans le cockpit du vaisseau discoïdal, préférait rester assis pour analyser encore une fois les calculs mathématiques.

Il avait divisé la planète, qui mesurait 13 812 kilomètres de diamètre, en degrés de longitude et de latitude. Tolot avait pris pour méridien zéro un endroit caractéristique de la zone polaire.

À partir de cet agencement géographique, Tolot avait déterminé des carrés de recherche encore nettement visibles à une hauteur de vol de soixante-dix kilomètres.

Shenon était aux commandes de l’aviso. Celui-ci, songeait-il, était assez petit pour pouvoir naviguer en toute discrétion.

Je m’occupais du système de repérage et de la radio. Nous n’avions jusqu’à présent pas détecté le moindre appel.

Je ne m’étais, pour l’instant, pas risqué à atterrir. Cela aurait été inutile. Après avoir effectué neuf orbites autour de la planète, j’ordonnai à Shenon de se rapprocher de la surface, pour essayer de découvrir des traces du Krest II. Mais les capteurs d’énergie et de masse n’avaient, une fois de plus, rien détecté.

Ensuite, nous retournâmes sur notre orbite à soixante kilomètres de distance de la surface du Monde de l’Horreur.

Si le Krest II avait atterri, nous aurions dû le détecter cette sphère de mille cinq cents mètres de diamètre devait se distinguer nettement sur la surface plane de ce monde.

Nous n’avions pourtant rien trouve. Je commençais à perdre espoir, mais Miko Shenon restait optimiste.

Tolot ne disait pas un mot. Peut-être avait-il découvert que le vaisseau amiral avait été détruit, et il se taisait pour ne pas nous décourager.

Miko Shenon explorait avec une extrême minutie chaque carré de recherche délimité par les méridiens qu’avait fictivement tracés Icho Tolot. Il les survolait plusieurs fois et préférait revenir, plutôt que de passer au-dessus d’un carré sans l’avoir consciencieusement examiné. Peut-être espérait-il y trouver au moins un débris de la coque du Krest II.

Je pensais en même temps aux mutants que Rhodan avait à son bord. S’il était encore en vie, L’Émir, qui connaissait ma fréquence individuelle, serait entré en contact avec moi par télépathie. Pourquoi ne donnait-il aucun signe de vie ? Une simple impulsion m’aurait suffi.

Pourtant, rien ne se passait. Mes amis terriens avaient dû disparaître dans un accident.

Shenon ne se laissait pas gagner par le désespoir. Il continuait inlassablement à survoler la planète. Les blocs-propulsion de notre vaisseau discoïdal fonctionnaient parfaitement. Si le Monde de l’Horreur présentait un danger, celui-ci avait dû disparaître avec l’engloutissement de la station du pôle nord. Le Krest II avait apparemment eu le temps de prendre sa revanche avant de sombrer.

— Nous allons être forcés d’explorer également l’hémisphère sud de la planète, en essayant de passer outre le danger que représente la station du pôle, dit l’Halutien. Si nous partons de l’hypothèse que le Krest s’est écrasé au sol et a effectué un atterrissage de fortune après avoir été grièvement touché, il ne nous reste pas le choix.

— Évidemment, nous allons survoler l’hémisphère sud, insista Shenon. Avez-vous des objections, Amiral ?

Il me fixa du regard. J’inspirai profondément avant de donner ma réponse

— Vous avez tous les deux perdu la raison. Oui, vous aussi, Tolot ! Comment un scientifique de votre trempe peut-il prendre de tels risques inutiles ?

— Inutiles ? s’écria Miko, hors de lui. (Les traits de son visage se crispèrent.) Amiral, je ne me suis encore jamais rebellé contre un supérieur, mais si vous…

— Taisez-vous et ayez une attitude moins outrageante ! rétorquai-je, d’un ton qui ne tolérait pas de réponse. Je suis déjà venu à bout de plus forts que vous. Vous avez oublié une chose, expliquai-je. Nous devrons être présents lorsque le Prométhée II apparaîtra. J’ai l’habitude, plus que d’autres, d’anticiper sur les événements qui vont se produire. La vie de l’humanité tout entière est en jeu dans cette affaire où nous avons à combattre un ennemi que nous ne connaissons pas encore. Il faut que quelqu’un reste pour prévenir le Prométhée II des risques que comporte l’approche de cette planète. Revenez à la raison ! Je…

— Repérage ! s’écria soudain Shenon. Surveillez vos écrans de détection. Le système vient de détecter quelque chose !

Je tournai sur mon siège. En effet, sur l’écran sensoriel du détecteur de masse apparaissait un minuscule point qui se déplaçait rapidement vers l’ouest.

Je n’eus pas le temps de dire à Shenon que ce point ne pouvait représenter le Krest II qu’il changea subitement de cap en faisant tourner les machines à plein régime.

L’aviso monta à la verticale pour redescendre avant de prendre la direction de l’ouest.

Après quelques instants, Shenon arrêta les blocs-propulsion. L’aviso était à nouveau immobile dans l’espace. Le point lumineux vert était toujours visible sur l’écran.

Je me penchai et regardai par les vitres transparentes du cockpit. Les flammes plasmatiques bleues qui jaillissaient de l’anneau central du vaisseau discoïdal maintenaient l’astronef en suspension dans le cosmos.

Icho Tolot s’était relevé : sa tête touchait à présent les conduites de la climatisation. Il fixait l’écran de ses yeux gros comme des poings.

Shenon perdit bientôt à nouveau contenance.

— Bon, si maintenant vous refusez de vous poser sur le Monde de l’Horreur pour une simple expédition de reconnaissance, alors, alors…

Il serra les poings, sans finir sa phrase.

— D’accord, sergent, posez-vous devant la chaîne de collines, nous avons le temps, après tout.

Aussitôt, Shenon se détendit. Il fit tomber l’aviso en chute libre jusqu’à mille mètres au-dessus de la planète, puis laissa lentement glisser le vaisseau vers la surface du Monde de l’Horreur.

Je sortis le train d’atterrissage. Nous nous posâmes sur une vaste plaine coupée à quelques centaines de mètres de là par une formation de dunes, dont les plus hautes n’atteignaient toutefois pas plus de douze mètres. Nous découvrîmes çà et là quelques flaques d’eau.

L’atmosphère de la planète avait depuis longtemps été analysée par les capteurs sensoriels automatiques très riche en oxygène et tout à fait respirable par des humains. À la latitude où nous nous trouvions, la température était d’environ 30 °C.

Avant de sortir, Icho Tolot contrôla son radiant combinateur : il assurait la fonction d’un désintégrateur de molécules sur une base purement thermique. Mais il pouvait également servir de détonateur nucléaire, qui permettait de faire éclater les atomes à distance.

L’Halutien quitta le premier l’aviso.

Miko Shenon refusa opiniâtrement de rester de garde dans l’astronef comme je tentai de l’en persuader.

Finalement, nous nous retrouvâmes tous les trois sur le sol de ce monde étrange et quelque peu inquiétant. Les trois soleils brillaient haut dans le ciel.

Le terrain était recouvert d’une végétation dense : des herbes vertes et ligneuses ressemblant à de petits arbres comme je n’en avais encore jamais vu. Tolot avança de quelques pas en faisant craquer la végétation sous ses pieds de géant. Puis il s’accroupit.

— Voulez-vous monter sur mes épaules ? proposa-t-il.

Je refusai. Nous pouvions avancer à pied sur les quelques centaines de mètres qui nous séparaient de la chaîne de collines. Nous nous délasserions ainsi un peu les jambes.

Shenon portait en bandoulière un radiant lourd tandis que je me contentais d’un petit radiant à la ceinture. Dans cette région déserte, je tenais une attaque pour impossible.

Icho Tolot accéléra soudain le pas. Il disparut bientôt dans un tourbillon de poussière derrière les collines.

Avant que nous ayons atteint celles-ci, il réapparut de notre côté de la plaine.

— Aucun danger, dit-il. Les dunes s’étendent environ sur trois kilomètres et ne dépassent jamais douze mètres d’altitude.

Une fois son rapport fini, je commençai à gravir la première colline. D’à peine cinq mètres de haut, elle était recouverte de rochers. On ne voyait toujours pas trace de l’objet métallique repéré par nos détecteurs.

Nous observâmes un moment ce champ de collines. Lorsque nous redescendîmes, la végétation craqua à nouveau sous mes pieds et sous ceux de Shenon.

Je me baissai pour toucher ces herbes. Elles étaient fibreuses, un peu comme du bois, et formaient un tapis dense dans lequel nous nous enfoncions jusqu’aux chevilles.

De minuscules rigoles irriguaient le terrain. Shenon indiqua un décrochement entre deux hautes collines.

— L’objet que nous avons détecté doit se trouver au-delà de ces « cols ».

Tolot escalada un versant escarpé, puis se figea un moment sur la crête, fixant un point en contre-bas.

— A-t-il découvert quelque chose ? demanda Shenon avec impatience.

— C’est ce que nous allons voir. Suivez-moi ! Miko s’arrêta un moment et sortit son paquet de cigarettes. Je le regardai d’un air réprobateur.

— Ne pouvez-vous vous en empêcher ?

— Ce sont les nerfs, commandant.

Lorsque nous nous remîmes en route, il était 22 h 30, selon l’heure terrienne. Mais les trois soleils brillaient toujours avec autant d’intensité. Sur le Monde de l’Horreur, la nuit ne tombait jamais.

Shenon, tenant son radiant thermique d’une main, sa cigarette de l’autre, se dirigeait vers le col que nous avions repéré entre les collines.