En 1311 Raymond Fosca devient prince de Carmona, cité ducale d'Italie. Il ambitionne ardemment, pour sa petite principauté, Bonheur et Gloire – mais comprend vite que limités dans le temps et l'espace, les moyens de son action déforment, voire anéantissent les fins par lui visées. Pour maîtriser le destin de Carmona il faut, de proche en proche, dominer l'Italie entière, et pour cela, diriger la vaste Chrétienté, c'est-à-dire élargir sa prise à la totalité du monde connu. Alors son action retrouvera sens et portée. Ambition démesurée pour un homme mortel, mais pour un immortel ? Quand donc l'occasion lui est offerte de boire l'élixir d'immortalité, c'est-à-dire d'échapper aux bornes mesquines et frustrantes de la condition humaine, Fosca n'hésite qu'à peine : « Je pensai : “Que de choses je pourrai faire !” ».

Le roman est l'histoire de sa lente mais inexorable désillusion. Car, le lecteur en prend progressivement conscience avec Fosca, il y a illusion tragique à croire qu'une existence humaine aurait tout à gagner en acquérant la dimension d'immortalité.

Fosca se jette dans la réalisation de ses amours comme de ses projets politiques : avec enthousiasme. Il travaille à la grandeur de Carmona, mais ne réussit qu'à favoriser les entreprises du roi de France. Délaissant l'Italie envahie et déchue, il entre au service des Habsbourg, devient l'éminence grise de Charles Quint. L'Ancien monde cependant ne lui suffit bientôt plus et à la fin du XVIe siècle il traverse l'Océan et découvre en Amérique des terres nouvelles en compagnie du Malouin Pierre Cartier. Revenu en France deux siècles plus tard, il fréquente les milieux éclairés proches des Encyclopédistes. En 1830, en 1848, il participe aux Révolutions parisiennes.

Mais l'indifférence l'accable ; dérisoire, puisque toujours relatif, le sens de tout acte se dilue sous son regard immortel, l'ambition, l'espoir ne signifient plus rien, ses amours successives se confondent, ses amitiés meurent faute de la complicité vivante et unique qui leur donnerait un contenu. En perdant ses limites temporelles, son existence a perdu son humanité : l'immortalité qui paraissait un tel privilège se révèle une malédiction. Elle a rejeté à jamais Fosca hors de la condition humaine.

« Son regard dévaste l'univers : c'est le regard de Dieu, tel que je le refusai à quinze ans, le regard de celui qui nivelle et transcende tout, qui sait tout, peut tout et change l'homme en ver de terre. L'immortalité de Fosca équivaut à une damnation pure et simple : aussi étrangère en définitive au monde humain qui l'entoure qu'un météorite chu des espaces sidéraux, elle est condamnée à ne jamais saisir la vérité de ce monde fini : l'absolu de toute conscience éphémère. A travers cette rêverie sur une immortalité hors d'atteinte, ce qui est également mis en cause c'est le mythe de l'Humanité enfin une et réalisée légué par Hegel au marxisme. »