LE POÈME À FLORENCE

 

 

Comme un aveugle s’en allant vers les frontières

Dans les bruits de la ville assaillie par le soir

Appuie obstinément aux vitres des portières

Ses yeux qui ne voient pas vers l’aile des mouchoirs

 

Comme ce rail brillant dans l’ombre sous les arbres

Comme un reflet d’éclair dans les yeux des amants

Comme un couteau brisé sur un sexe de marbre

Comme un législateur parlant à des déments

 

Une flamme a jailli pour perpétuer Florence

Non pas celle qui haute au détour d’un chemin

Porta jusqu’à la lune un appel de souffrance

Mais celle qui flambait au bûcher quand les mains

 

Dressées comme cinq branches d’une étoile opaque

Attestaient que demain surgirait d’aujourd’hui

Mais celle qui flambait au chemin de saint Jacques

Quand la déesse nue vers le nadir a fui

 

Mais celle qui flambait aux parois de ma gorge

Quand fugitive et pure image de l’amour

Tu surgis tu partis et que le feu des forges

Rougeoyait les sapins les palais et les tours

 

J’inscris ici ton nom hors des deuils anonymes

Où tant d’amantes ont sombré corps âme et biens

Pour perpétuer un soir où dépouilles ultimes

Nous jetions tels des os nos souvenirs aux chiens

 

Tu fonds tu disparais tu sombres mais je dresse

Au bord de ce rivage où ne brille aucun feu

Nul phare blanchissant les bateaux en détresse

Nulle lanterne de rivage au front des bœufs

 

Mais je dresse aujourd’hui ton visage et ton rire

Tes yeux bouleversants ta gorge et tes parfums

Dans un olympe arbitraire où l’ombre se mire

Dans un miroir brisé sous les pas des défunts

 

Afin que si le tour des autres amoureuses

Venait avant le mien de s’abîmer tu sois

Et l’accueillante et l’illusoire et l’égareuse

La sœur des mes chagrins et la flamme à mes doigts

 

Car la route se brise au bord des précipices

Je sens venir les temps où mourront les amis

Et les amants d’autrefois et d’aujourd’hui

Voici venir les jours de crêpe et d’artifice

 

Voici venir les jours où les œuvres sont vaines

Où nul bientôt ne comprendra ces mots écrits

Mais je bois goulûment les larmes de nos peines

Quitte à briser mon verre à l’écho de tes cris

 

Je bois joyeusement faisant claquer ma langue

Le vin tonique et mâle et j’invite au festin

Tous ceux-là que j’aimai. Ayant brisé leur cangue

Qu’ils viennent partager mon rêve et mon butin

 

Buvons joyeusement ! chantons jusqu’à l’ivresse !

Nos mains ensanglantées aux tessons des bouteilles

Demain ne pourront plus étreindre nos maîtresses.

Les verrous sont poussés au pays des merveilles.