L’AUMONYME
1923
« C’est une fâcheuse aventure : créer le mystère autour de nos amours. Pas si fâcheuse que ça.
« Je l’aime, elle roule si vite, la grande automobile blanche. De temps à autre, au tournant des rues, le chauffeur blanc et noir, plus majestueusement qu’un capitaine de frégate, abaisse lentement le bras dans l’espace qui roule, roule, roule si vite, en ondes blanches comme les roues de l’automobile que j’aime.
« Mais le mystère qui se déroule concentriquement autour de ses seins a capturé dans son labyrinthe de macadam taché de larmes la grande automobile blanche qui vogue plutôt qu’elle ne roule en faisant naître autour d’elle dans l’espace les grandes ondes invisibles et concentriques du mystère. La cible aérienne que les hommes traversent sans s’en douter se disloque lentement au gré des amants et la sphère, cerclée de parallèles comme ses seins crève ainsi qu’un ballon. Dirigeables et ballons, aéroplanes et vapeurs, locomotives et automobiles, tout est mystère dans mon immobile amour pour ses seins. »
Après avoir parlé, je regardai :
Le désert qui s’étendait autour de moi était peuplé d’échos qui me mirent cruellement en présence de ma propre image reflétée dans le miroir des mirages. Les femmes qui tenaient ces glaces à mains étaient nues, honnis leurs mains qui étaient gantées, leur sein gauche, gainé de taffetas moiré noir à faire hurler mes gencives de volupté, hormis aussi leurs cheveux dissimulés sous une écharpe de fine laine jaune. Quand ces femmes se retournaient je pouvais tout voir de leur dos merveilleux, tout hormis la nuque, la colonne vertébrale et cette partie de la croupe où la cambrure prend naissance, cachées qu’elles étaient par les pans de l’écharpe. Cette nudité partielle et savamment irritante pour moi a-t-elle causé ma folie ? Dites-le-moi, vous dont le mystère est la fin, le but.
Ne vous enfuyez plus, passagères de première classe, quand l’amant clandestin lié a l’hélice pour faire à peu de
frais la traversée, vous appelle le soir à l’heure où, penchées près de la hampe, vous cherchez à identifier vos cheveux, l’ondoiement de l’étendard et les flots. Vos visages et le reflet de vos visages se présentent tour à tour au-dessus et au-dessous de lui : comment voulez-vous que son imagination, qui gravite au gré de l’hélice, autour de l’arbre d’acier sans racine, ne confonde pas votre réalité et votre image, fruits de l’arbre à hélice,
belles passagères érotiquement vêtues, et pourquoi vous enfuir quand vous l’entendez dire dans la nuit, à l’heure où la Croix du Sud et l’Étoile Polaire se heurtent sur le tapis bleu des salles de bridge :
« Elles sont mystère, mystère. Leurs cheveux sont des reflets de mystère… le mystère est leur but, leur fin… leur faim c’est le mystère. Elles ont bu, mais elles ont faim, la fin du mystère est-elle le but de leur faim ? »
Pitié pour l’amant des homonymes.
* * *
21 heures, le 26.11.22
dans l’Aumonyme, 1923
À André Breton
En attendant Breton
en nattant l’attente
Sous quelle tente ?
nos tantes
ont elles engendré
les neveux silencieux
que nul ne veut sous les cieux
appeler ses cousins
en nattant les cheveux du silence ?
six lances
percent mes pensées en attendant
Breton
* * *
À Benjamin Péret
Notre paire quiète, ô yeux !
que votre « non » soit sang (t’y fier ?)
que votre araignée rie,
que votre vol honteux soit fête (au fait)
Sur la terre (commotion).
Donnez-nous, aux joues réduites,
notre pain quotidien.
Part, donnez-nous, de nos œufs foncés
comme nous part donnons
à ceux qui nous ont offensés.
Nounou laissez-nous succomber à la tentation
et d’aile ivrez nous du mal.
* * *
Exhausser ma pensée
Exaucer ma voix.
* * *
* * *
Cataracte des flots cataracte des yeux
aux cheveux roux des roues
feues nos mains, feus nos yeux furent maître des feux.
Dans nos vaisseaux battus par un sang sans globule
voguent de grands vaisseaux portant dans des cellules
les grands forçats sanglants qui burent nos cellules.
Au bout du môle blanc les sirènes sont molles.
Sirène des vapeurs, avez-vous vu Méduse aux cheveux
de méduse :
Mes pupilles sont devenues ses amoureuses pupilles.
Jetez le lest vers l’est, lestes ballons. Volez jusqu’au soleil
pour voler quoi ?
La peine des regards, yeux au pêne hermétique,
Offre un calme de reines antiques.
Coupez les rênes. Laissez-les galoper, les rennes !
Chœur des cœurs :
Le corps des prunelles est le fruit de jouir
Goûtez les prunelles avant de mourir,
Aux arbres des forêts le marbre des forts est.
Cent nageurs ont plongé dans le sang des prunelles,
Cent nageurs ont péri du désir des cruelles, sens, nageur
le sang des sans-cervelle.
Pitié pour le désert où des airs sans pitié sur les aîtres
du cœur ont renseigné les hêtres.
Cent hiers ont fléchi sur l’herbe des sentiers qu’ont
foulé cent aimées en secret de nos êtres.
Faire du fer pour panser nos pensées avec la mousse du
vin, avec la mousse du vain,
Du vin pour les mousses quand souffle la mousson
Et que nous dormons sur la mousse, levain du vin.
Sous quel manteau trouble dérober nos troubles mentaux
Je mens aux multiples consciences.
* * *
Les moules des mers
aux moules des mères
empruntent leur forme d’œil.
Homme – houle d’aimer.
* * *
Ail de ton œil,
je t’aime à cause de cela.
* * *
Nos tâches tachent
tour à tour
les tours
d’alentours.
* * *
Vers quel verre, œil vert, diriges-tu tes regards chaussés de vair ?
* * *
Maître des pals, ô mâle !
le mal ne rend pas ta face plus pâle ;
que les opales fassent naître dans tes malles
des cours d’eau.
Mais ils seront si courts
que les chanteurs des cours,
baissant le dos, perdront le do.
Ah ! cours, maître du mal et du pal
* * *
Plutôt se perdre aux pins,
s’éprendre des yeux peints,
que de gagner son pain
où les fleuves vont s’épandre
* * *
Mords le mors de la mort Maure silencieux
Cils ! aux cieux
dérobez nos yeux
Non, nous n’avons pas de nom.
* * *
Plus que la nuit nue
la femme vient hanter
nos rêves pareils à Antée
antés des désirs renaissants
Nos pères ! C’est parce que vous n’aviez pas les yeux
pers.
Changez vos cœurs au pair avec les dollars,
Change ton cœur, opère sans douleur.
* * *
J’aime vos cous marqués de coups,
maîtresse des fauves
(mes tresses défaut)
j’aime des dessins, non des seins,
j’aime les dents des dames.
Pis, j’aime les pieds, non les pies non les pis.
mais l’épée ?
* * *
Mais chants sont si peu méchants
Ils ne vont pas jusqu’à Longchamp
Ils meurent avant d’atteindre les champs
Où les bœufs s’en vont léchant
Des astres
Désastres.
* * *
L’an est si lent.
Abandonnons nos ancres dans l’encre,
mes amis.
* * *
De si haut les eaux tombent-elles sur nos
os ?
Voici haut les oiseaux
la voie des tombes : voix os.
* * *
Un à un
les Huns
passent l’Aisne.
Nos aines confondent nos haines,
Henri Heine.
Un à un
les Huns
deviennent des nains.
Perdez-vous dans l’Ain
et non dans l’Aisne.
Hein ?
* * *
Tant d’or.
Passez les patries à l’épreuve du tan
et du temps
et encore des taons.
* * *
L’art est le dieu lare
des mangeurs de lard
et des phares dévoilent le fard
des courtisanes du Far-West qui s’effarent.
* * *
Dormir.
Les sommes nocturnes révèlent
la somme des mystères des hommes.
Je vous somme, sommeils, de
m’étonner
et de tonner.
* * *
BLANC SEING
dans l’Aumonyme, 1923
Hommes mangés aux mythes
il est trop tard pour soupeser vos tares
aux cinq blancs seins si saints de n’être pas sains
nous sommes soumis.
L’appeau ? La peau, peau-pierre.
Aimez-vous la paupière des seins ?
Ces pots de peau simulent la pierre blanchie par les flots.
Pour mesurer ces seins pi r est inutile.
Ces pots de lait sont laids, je les abandonne aux faiseurs de lais.
Moi, j’aime l’épaule de la femme
les pôles de l’affame
et ses reins froids comme les cailloux du Rhin.
(27 novembre 1922)
* * *
Vingt fois buvez ce vin.
L’or est hors de nos mains
qui demain
palperont les cinq seins
d’une femme plus belle que
la qui bêle.
Timide {
{à nos portes
humide {
on la porte en ville
(la beauté est vile)
civile.
Mille grains de mil
pour les gringalets
ricochez sur la vie.
* * *
Les chats hauts sur les châteaux
d’espoir
Croquent les poires d’angoisse
la nuit
l’ennui
l’âme nuit.
Et puis il y a le puits
qui s’enfonce dans la terre
où s’atterrent
les faibles
que brise le brise.
Poète venu de Lorient
que dis-tu de l’Orient
l’or riant ?
* * *
Les mûres sont mûres le long des murs
et des bouches bouchent nos yeux
Les porcs débarquent dans les ports
d’Amérique
et de nos pores
s’enfuient les désirs.
* * *
Vos bouches mentent,
vos mensonge sentent la menthe,
Amantes !
Cristaux où meurt le Christ,
reflétez la froide beauté
de Kristiana.
Nos traditions ?
Notre addition !
* * *
Les ponts s’effondrent tous
au cri du paon qui pond
et les pans de ponts
transforment les rivières.
Aux lacs des lacs
meurent les paons
enlisés dans la gomme laque.
AUTANT POUR LES CROSSES
dans l’Aumonyme, 1923
Autant pour les crosses, Évêques caducs qui baptisez les Èves aux aqueducs.
Autant pour les crosses, gens qui associez à l’amour votre aorte.
Flexible, Flexible, ma chère Flexible,
Est-ce ma chair, ma chère, sont-ce des crossesque vous
cherchez ?
Autant pour
Autant dire.
Ici c’est Charles Cros.
Jamais plus pour Charles Cros.
* * *
Dans la paume de vos mains
que font ces pommes ?
Un jour les échos
nous paierons leur écot.
Voici l’homme le plus beau, il a un pied bot,
Les hommes sereins s’enrhument sous le serein,
Synonymes assassinonimes au moins,
Sinon mime l’homme au nid (me).
Gaieté guetter épiler et piller épier raser racer r’assez mare flac harasser étalonner frôler fatiguer autre foi effleurer et talonner et fatiguer. |
Joie j’ois j’entends j’antan jadis jà dix ? Jade Ys
autrefois
hérésie errez y (ne vous garez pas !) Et Gare Ève où ? Égarez-vous
|
P’OASIS
dans l’Aumonyme, 1923
À Louis Aragon.
Nous sommes les pensées arborescentes qui fleurissent
sur les chemins des jardins cérébraux.
Sœur Anne, ma Sainte Anne, ne vois-tu rien venir… vers Sainte Anne ?
Je vois les pensées odorer les mots.
Nous sommes les mots arborescents qui fleurissent
sur les chemins des jardins cérébraux :
De nous naissent les pensées.
Nous sommes les pensées arborescentes qui fleurissent
sur les chemins des jardins cérébraux.
Les mots sont nos esclaves
Nous sommes
Nous sommes
Nous sommes les lettres arborescentes qui fleurissent
sur les chemins des jardins cérébraux.
Nous n’avons pas d’esclaves.
Sœur Anne, ma sœur Anne, que vois-tu venir vers Sainte Anne ?
Je vois les Pan C
Je vois les crânes KC
Je vois les mains DCD
Je les M
Je vois les pensées BC et les femmes MÉ
et les poumons qui en ont AC de l’RLO,
poumons noyés des ponts NMI.
Mais la minute précédente est déjà trop AG.
Nous sommes les arborescences qui fleurissent
sur les déserts des jardins cérébraux.
Art rythmé tic
Lit temps nie
dans l’Aumonyme, 1923
Prenez vos 16 litanies
n’italie
Inde œuf, un deux, la muscadence
Troie, qu’âtre neuf dans les seins (les siens) sise les seins, cet étui pour le 9
Troie m’Ilion
zéro
rosée rose si 12
réseau
navigateurs traversez les 2-3
à toute 8-S
11 ondes jusqu’à vos bouches portent l’odeur marine
des 13 fraises
Par nos amours décuplées nous devenons vains
mais 10-20-2-20
quand je vins vous mourûtes
dans vos cerveaux
trop pour boire le 100 du
En somme, F M R F I J
sommes-nous des cow-boys de l’Arizona dans un labo
ratoire
ou des cobayes prenant l’horizon pour un labyrinthe ?
RROSE SÉLAVY, ETC.
dans l’Aumonyme, 1923
Rose aisselle a vit.
Rr’ose, essaie là, vit.
Rôts et sels à vie.
Rose S, L, have I.
Rosée, c’est la vie.
Rrose scella vît.
Rrose sella vît.
Rrose sait la vie.
Rose, est-ce, hélas, vie ?
Rrose aise héla vît.
Rrose est-ce aile, est-ce elle ?
Est celle
AVIS
* * *
S. E.
E. C.
(10 décembre 1923)
DIALOGUE
dans l’Aumonyme, 1923
— Rien ne m’intéresse.
— Rie en aimant Thérèse.