Joyeux était un vrai professeur. Pas un de ces enseignants qui entraient dans la peau de Monsieur tout le monde une fois qu’ils avaient quitté leur classe. Michel Joyeux était professeur jusqu’au fond de son être et, à ce titre, il considérait que la vie était simple à appréhender puisqu’il suffisait de l’écrire à grands coups de craie blanche sur un tableau noir. Quand il poussa la porte de la chambre d’hôpital où était soigné Le Bihan, celui-ci savait qu’il devait s’attendre à une distribution de bons et de mauvais points.
— Pierre ! Tu peux te vanter de nous avoir fait peur. Quelle histoire ! En tout cas, ne recommence plus jamais ça. Tes amis ont le coeur fragile, tu sais ? On a tout lu dans le journal. Tu verrais la tête du proviseur. Tu passes pour un véritable héros dans toute la ville. Regarde.
Il sortit un numéro de Paris-Normandie au titre évocateur.
— Un professeur du collège Saint-Remacle de Rouen déjoue un vaste complot d’anciens nazis avec l’aide d’un résistant du Languedoc.
Comme il semblait attendre une réponse, Le Bihan ne voulut pas le décevoir.
— C’est ce qu’on appelle un titre factuel.
— Pardon ?
— Oui, enfin, je veux dire que toute l’information est contenue dans le titre !
— Et le fameux soir, personne ne s’est rendu compte de rien ? Même dans le village sous le château ?
— Von Graf n’avait rien laissé au hasard. Il avait prévenu le maire que son association folklorique travaillait sur une reconstitution historique.
— Pas bête, conclut Joyeux.
Après les bons points arriva la distribution des prix. Son visiteur lui sortit une bouteille de calva, mais il comprit au regard noir de l’infirmière qui apportait ses médicaments à Le Bihan que l’initiative n’était pas la bienvenue. Un peu calmé, il s’assit sur un siège destiné aux visiteurs et interrogea son ami.
— Comment tu vas ?
— Ben, tu le vois. Pas trop mal ! La brûlure était superficielle. Quant à la blessure, elle n’a touché aucun organe vital, mais j’ai perdu beaucoup de sang. D’après le docteur, c’est ce qui explique ma longue convalescence. Mais je devrais sortir d’ici quelques jours.
— Et la police ?
Le Bihan attendit que l’infirmière qui s’en allait ait fermé la porte pour lui répondre.
— Pour te parler franchement, je dois dire que je m’en tire bien. L’affaire a fait tellement de bruit qu’ils ne m’ont pas trop reproché d’avoir joué cavalier seul.
— Pourquoi tu ne leur as pas tout dit depuis le début ?
— J’enquêtais. Mais j’enquêtais sur une histoire vieille de sept siècles et sur un type mort depuis quinze ans. J’étais plongé dans le passé et le présent m’a rattrapé en cours de route. Et puis, ils avaient assez de pain sur la planche : les membres de l’Ordre et tous ceux qui leur avaient apporté leur soutien.
— Tu parles ! s’exclama Joyeux. L’arrestation de l’abbé a fait du grabuge au collège. Pour une fois, le proviseur s’est abstenu de tout commentaire !
Le Bihan parut soudain songeur.
— Oui, je crois que certains s’en tireront mieux que d'autres. Comme toujours dans ce genre d’histoire, il y a les vrais teigneux et puis ceux qui suivent, le plus souvent par peur ou par lâcheté.
Cette fois, c’était au tour de Joyeux de réfléchir.
— Si tu le permets, il y a une chose que je ne comprends pas. C’était quoi cette histoire de trésor qu’ils cherchaient tous ? Tu l’as trouvé ou pas ? Si tu es riche et que tu ne veux pas que cela se sache, je peux comprendre. Mais tu peux quand même faire confiance à ton vieux copain, non ?
— Il n’y a jamais eu de trésor, répondit Le Bihan sans marquer de temps d’hésitation. Les hommes ont toujours eu besoin de s’inventer des trésors pour donner un sens à leur vie. Je crois que s’ils les trouvaient vraiment, leur existence perdrait beaucoup de son sel.
Joyeux ne s’attendait pas à une réponse aussi philosophique. Il regarda sa montre et s’écria :
— Bon, c’est pas tout ça... Il faut que j’y aille ! Je donne cours, moi, demain. Tiens, à propos, j’ai oublié de te dire. Ils nous ont dégoté une nouvelle prof de mathématiques. Tu ne seras pas déçu, c’est le genre de pépé qui t’en professe une bonne paire ! À te donner envie de te remettre aux tables de multiplication avec gourmandise.
Le Bihan sourit. La vie normale semblait déjà reprendre ses droits.