Je suis assise sur une branche...
… tout en haut d’un arbre. C’est l’arbre interdit, celui qui se trouvait dans la cour de mon école primaire. Devant moi, la route s’étend. Cette fois, j’en vois la fin, je distingue l’horizon, pas si lointain. Au bout, l’ombre majestueuse d’une reine tend les bras vers moi, auréolée de lumière et de gloire.
Mais sur la route, il y a des milliers de corps. Des corps qui forniquent, ou qui s’entretuent, ou qui sont morts ; putes et assassins ; junkies et voleurs ; partouzeurs et psychopathes ; milliers de corps enchevêtrés, grouillants, en sang ou en sueur ; des corps que je devrai enjamber si je veux me rendre au bout, des corps auxquels je devrai me mêler si je veux atteindre la reine…
Un klaxon, derrière moi. Je me retourne, toujours assise sur ma branche.
C’est Laurent Lévy dans sa voiture. Il me sourit par la vitre de la portière.
— Alors, tu viens ? Je t’aide à descendre, si tu veux…
Je regarde la route de nouveau. La Reine tout au bout…
En bas de l’arbre se trouve une femme. Je vois mal son visage, mais je sais qu’il s’agit de la concierge de ma petite école, cette concierge sur qui couraient tant de rumeurs…
— Tu vas encore sauter, Alice ? me demande-t-elle. À l’époque, tu avais eu le courage de le faire. D’en assumer les conséquences… Et aujourd’hui ?
La route devant moi. La voiture de Lévy derrière. La Reine au bout.
Je saute. J’atteins le sol avec force. Me casse le bras, comme quand j’étais petite. Ça fait mal. Mais est-ce si grave ?
Je me relève, mon bras cassé pend mollement. Je suis nue. La concierge a disparu. Mais pas la route. Ni les corps. Ni la Reine tout au bout.
Je fais un pas. Mon pied se dépose entre deux cadavres.
Quelque chose me coule le long des cuisses. C’est du sperme et du sang, mélange poisseux qui coule de mon sexe béant.
Je m’arrête. Les corps grouillent devant moi. Mon bras me fait de plus en plus mal. Mais le bout de la route est si près… Toujours le klaxon de la voiture, derrière moi…
Beeepppp… beeeppp… beeepppp…