CHAPITRE VIII
Robi mit les mains en porte-voix.
— Ohé, Helge ! cria-t-il. Ouvre la porte, qu’on s’entende !
Au travers des parois transparentes de la bulle, il vit qu’Helge secouait farouchement la tête.
— Vous n’avez rien à craindre désormais des Êtres, reprit-il. En outre, tu peux le remarquer, ils n’osent s’approcher de la vallée noire. Ouvre donc ! Il faut aviser à vous tirer de là.
Helge ne bougea pas. Mais Karel se tournait vers la porte placée de son côté. Son compagnon gesticula, essaya de paralyser ses mouvements. Il y eut une lutte très brève et, tout à coup, la porte s’ouvrit.
— Eh bien ! fit Robi à voix normale… Comme je vous l’avais dit, aucun Être ne vous menace. Bravo, Helge, pour avoir pensé à manœuvrer les pinces.
— Simple réflexe, fit Helge, maussade. Et ça ne nous sert pas à grand-chose. Impossible de sortir d’ici.
— Y a-t-il une corde dans la bulle ?
— Sans doute, dans le coffre arrière. Mais même si nous descendons au fond de ce fossé, nous ne pourrons en remonter !
— Il n’est pas question de ça, dit Robi souriant. Lancez-moi la corde, voilà tout. Mais d’abord, attendez. Mieux vaut que je passe de l’autre côté…
Avec une inimaginable agilité, il sautait sur le toit de la bulle et, de là, sur la terre ferme, à l’entrée de la vallée noire.
— Maintenant, la corde.
— J’aimerais savoir ce que tu vas faire, grogna Helge, bourru.
— Tu le verras.
Karel avait ouvert un coffre, au fond de la bulle, et fouillait parmi divers objets.
— Tu ne disposes d’aucun point d’attache, reprit Helge défiant. Et d’ailleurs, si nous infligeons trop de secousses à la bulle, elle risque de tomber au fond.
— Envoie la corde !
— Pas avant de savoir ce que tu…
Helge jura, furieux. Profitant de son inattention, Karel venait de lancer un rouleau de corde en direction de Robi. Celui-ci se pencha, commença à dérouler la corde.
— Maintenant, reprit-il, remets le moteur en marche, rentre les pinces articulées, et laisse l’engin descendre au fond du fossé.
— Tu es fou !
— Si tu préfères rester là pendant une semaine, dit Robi impatienté, libre à toi. Mais pense un peu à Karel. Ne comprends-tu pas que je vais dérouler la corde jusqu’au fond, et vous hisser tous deux jusqu’à moi ?
— Je te répète que tu n’as aucun point d’appui !
— Inutile, répondit Robi avec orgueil. Je suis capable de vous sortir de là tous les deux avec un seul bras s’il le faut. Allons, descendez…
Dompté, Helge mit en marche les moteurs à pleine puissance, rentra les pinces. La bulle tomba brusquement mais, à mi-hauteur, le coussin d’air joua son rôle d’amortisseur et elle se posa doucement au fond du fossé.
— Attachez-vous sous les aisselles, Karel et toi, dit Robi.
En quelques instants, il les tira de leur fâcheuse situation. Tous trois regardèrent alors la bulle abandonnée au fond du fossé, et Helge fit avec hargne :
— Du beau travail ! Nous voilà privés de cet engin qui pouvait nous rendre de grands services !
— Tu l’auras, ton engin, Helge, affirma Robi, souriant. Ce fossé est un piège tendu par les gens de la vallée noire, et ce n’est certainement pas la première bulle qu’ils y prennent. Ils savent comment l’en sortir. Si d’ailleurs ils ne le font pas, je te promets, moi, de le faire.
Helge sursautait.
— Toi ? Mais le poids de l’appareil…
— N’as-tu pas vu comment je renversais les bulles ? fit Robi sans cesser de rire.
Il devinait la fureur d’Helge, réduit à l’état de petit garçon sans force devant celle qu’il prétendait aimer.
— Ma parole, gronda Helge… Tu te prends pour un demi-dieu !
— Hé, hé ! répondit Robi. L’idée ne l’en avait pas encore effleuré, mais après les paroles d’Helge il y pensait tout à coup. Sur la planète dont il était originaire, de très vieilles légendes relataient les exploits de « demi-dieux » doués de qualités physiques surhumaines. Tout à coup, il se demandait si certains de ces demi-dieux n’étaient pas des robots comme lui… Et pourquoi pas lui ? La singulière faculté qu’il possédait de voyager, non seulement dans l’espace mais dans le temps, faisait que, à son prochain saut dans l’inconnu, il pouvait fort bien se retrouver dans le lointain passé de quelque planète ! Et y jouer le rôle d’un demi-dieu de légende… Quoi d’impossible ? L’être herculéen qui avait étouffé un lion, tué une hydre, pris vivant un sanglier, atteint à la course une biche, dompté un taureau (nda : Hercule, bien entendu). C’était lui, Robi-robot !
Brusquement, il s’éveilla de son rêve. Chose extraordinaire, il venait de revivre ces exploits alors qu’il ne les avait pas encore accomplis ! Mais désormais, il savait que, au cours de son existence pratiquement sans fin, cela serait ainsi, il ignorait sur quelle planète. Parce que le temps n’est qu’illusion (le quotient de l’espace par la vitesse, la meilleure preuve en est que pour un être rigoureusement immobile, intérieurement aussi bien qu’extérieurement, le temps n’existe pas).
D’ailleurs, peut-être, dans quelques milliers d’années, quand la légende aurait suffisamment déformé la vérité, les descendants d’Helge et de Karel se montreraient-ils le fossé dans lequel était tombé la bulle, pour affirmer que, certain jour, un demi-dieu (ou un dieu entier, pourquoi pas ?) était descendu là afin de sauver Adam et Ève.
Il fallait peu de chose à Robi pour attiser sa gaieté, aussi se reprit-il à rire en pensant qu’il ferait figure de divinité. Lui, une machine !…
— Ne ris pas ainsi ! gronda Helge. Ou tu es stupide, ou tu es inconscient.
— Non, répondit Robi. Je m’amuse. Voyons, que crains-tu ?
Helge tendait le bras, montrant l’Être immobile à quelques centaines de mètres :
— Lui, d’abord ! S’il s’approche…
— Il ne s’approchera pas. Il y a eu…, heu !… un malentendu. Désormais les Êtres ne seront plus un danger pour les humains, et vous pouvez abandonner vos bulles. N’est-ce pas déjà un résultat appréciable ?
— C’est merveilleux, souffla Karel.
— Oui, murmura Helge… Si c’est vrai.
Robi allait répliquer vertement (parce qu’il avait des réactions humaines, l’attitude d’Helge l’irritait depuis le départ de la cité-dôme), mais il n’en eut pas le temps.
Une voix au timbre de bronze, magnifique mais menaçante, disait derrière eux :
— Ainsi donc, voleurs de femmes, vous avez osé revenir ! Si vous avez des armes, pas un geste vers elles. Et laissez-vous capturer sans résistance, je vous le conseille. Nous n’hésiterons pas à tirer s’il le faut.
Robi, lentement, se retourna.
— Ne bougez pas, dit-il à Helge et à Karel.
A l’entrée de la vallée noire, à vingt pas d’eux à peine, trois humains étaient debout, arc à la main, flèche braquée droit sur eux. Le sourire de Robi se figea. Certes, il ne redoutait rien pour lui-même… Mais Helge, et surtout Karel, n’étaient pas invulnérables. Or, les flèches provoquent des blessures beaucoup plus dangereuses que les balles car, d’après ce qu’il avait pu en juger depuis son arrivée sur la planète, la science médicale devait en être revenue à ses premiers balbutiements.
— Doucement, fit Robi. Nous n’avons aucune arme.
— Vous prétendez toujours cela, voleurs de femmes ? gronda l’autre, farouche.
Robi eut alors une inspiration qui, probablement, sauva Helge et Karel. S’approchant de cette dernière, il la décoiffa, orienta son visage vers les rayons obliques du soleil jaune.
— Regardez ! Si nous étions des voleurs de femmes, en aurions-nous emmené une avec nous, et surtout belle comme celle-ci ?
Il y eut un silence. Puis, tout à coup, le porte – parole de la vallée noire, avec sa voix de bronze :
— Cette femme est en effet très belle. Mais cela ne prouve rien.
— Comment cela ?
— Vous nous avez tendu tant de pièges, vous de la cité-dôme ! Qui prouve que vous ne l’avez pas emmenée pour nous donner confiance ?
Robi hésita un peu puis se remit à rire.
— Voyons, ami, quel est ton nom ?
— Mauri.
— Eh bien, Mauri, as-tu assisté à ce qui vient de se passer ? La bulle bloquée en haut de votre fossé, mon intervention…
— Certes, nous avons vu tout cela. Nous surveillons l’entrée de la vallée.
— Dans ce cas, vous avez certainement remarqué que, après que la bulle a été prise au piège, j’ai hissé ses deux occupants non pas du côté d’où nous venions, mais bien du côté de la vallée noire ? Si nous avions de mauvaises intentions, aurais-je agi ainsi ?
Il y eut un silence. L’autre pesait l’argument. Il dit enfin, toujours soupçonneux :
— Vous ne pouviez plus revenir en arrière.
— Ah bah ? Pourquoi donc ?
— Parce qu’il y a là-bas un Etre-lumière. Il n’ose s’approcher de notre vallée, mais si vous revenez vers lui, vous êtes perdus. Vous avez préféré nous jeter de la poudre aux yeux.
Ce n’était pas mal raisonné, et Robi se demandait comment convaincre Mauri quand celui-ci hurla :
— L’Être s’approche ! Vous deux, reculez !
Il s’adressait à ses compagnons qui, sans qu’il eut besoin de répéter, allèrent se dissimuler dans la pénombre, une cinquantaine de pas plus loin.
— Et toi, fit Robi intrigué, tu ne recules pas ?
— Je suis Mauri, répondit l’autre avec fierté, le responsable de cette entrée de la vallée.
Robi nota mentalement qu’il y avait donc une ou plusieurs autres issues. C’était bon à savoir.
L’Être n’était plus qu’à une vingtaine de mètres du fossé. Là, il s’immobilisa et interpella Robi :
— Ces créatures puantes te menacent, ami… Veux-tu que j’intervienne ?
— Je croyais que tu n’osais pas t’approcher de la vallée noire ? répondit Robi.
L’Être hésitait quand il répliqua :
— Je… Eh bien ! c’est-à-dire que… Je suis obligé de vaincre ma répugnance instinctive mais s’il le faut, je pourrai avancer jusqu’à toi.
— Inutile, ami. Si je le voulais, je me débarrasserais facilement de ces trois humains.
— Malgré leurs armes ?
Robi se reprit à rire :
— Tu veux parler de leurs arcs et de leurs flèches ? Est-ce que ces armes ont de l’effet sur toi ?
— Non, bien entendu.
— Sur moi, pas davantage, affirma Robi.
Il se dit tout à coup qu’il avait là un excellent moyen d’accroître encore l’estime que lui vouait l’Être, et, sourire aux lèvres, il se tourna vers Mauri :
— Tire sur moi, fit-il. Je te le demande.
Il répéta avec impatience :
— Tire sur moi ! Je veux te prouver que tes flèches ne sauraient m’atteindre.
Helge dit très vite :
— Ne jouez pas avec le feu ! Vous ne seriez pas le premier que leurs flèches auraient abattu.
Mais Karel fit tranquillement :
— Souviens-toi des balles de pistolet, Helge.
En effet, dans la carrière, les balles avaient ricoché sur Robi. Helge secoua la tête et ne répondit rien.
— Allons, répéta Robi… Tire, te dis-je !
Mauri, farouche, avait glissé son arc sur son épaule.
— Je ne tire jamais sur un ennemi sans armes, fit-il. A plus fortes raisons quand je ne suis pas sûr que ce soit un ennemi. Tu as réussi à glisser le doute dans mon esprit.
Ce n’était pas l’avis de ses deux compagnons qui, renonçant à l’abri des rochers, surgirent et crièrent avec fureur :
Il a parlé à l’Être !… Tu l’as entendu comme nous, Mauri !… Il parle le langage des Êtres, et donc il est une de leurs créatures. Le laisser pénétrer dans la vallée serait plus qu’une imprudence : un crime.
— Tiens, dit Robi… Puisque Mauri ne veut pas tirer, faites-le. J’attends vos flèches.
Mauri ouvrit la bouche, hésita, mais se tut. Les autres l’avaient dit, il y avait quelque apparence que le nouveau venu, qui les défiait, fut un allié des Êtres. Sourcils froncés, il regarda sans intervenir, les deux autres qui bandaient leur arc…
Les deux flèches sifflèrent, frappèrent Robi au niveau du cœur…, et se brisèrent. Robi éclata de rire. Il avait croisé les bras.
— Vous êtes des gamins, affirma-t-il. Oui, j’ai parlé à l’Être. Et je puis vous dire que cette tuerie qui dure depuis des siècles sur votre planète provient d’un malentendu. Désormais, les Êtres ne vous attaqueront plus, parce que je leur ai expliqué que vous êtes des créatures pensantes. Vous pourrez quitter cette vallée, repeupler votre planète…
Il parla rapidement à l’Être, qui répondit quelques mots.
— Cela m’a tout l’air d’un piège, dit Mauri lentement.
— Tu ne crois pas à ce que je viens de dire, n’est-ce pas ?
— J’y croirai si tu me fournis une preuve.
De nouveau, Robi interrogea l’Être qui répondit brièvement.
— Eh bien ! déclara alors Robi, c’est facile. Peux-tu franchir ce fossé ?
— Oui. Nous avons là-bas une très longue échelle prévue dans ce but.
— Franchis-le et approche-toi de l’Être. Il te laissera en paix. Quelle meilleure preuve pourrais-je te fournir ?
Mauri se mit à rire :
— Le piège est grossier, fit-il. Je refuse.
— Je m’en doutais. Alors, va vers mes compagnons. Assure-toi de ce qu’ils sont humains. Va ! Que risques-tu ?
Lentement, Mauri s’approcha d’Helge, lui palpa les mains, le visage. Puis il alla vers Karel, recommença. Mais cette fois, il avait murmuré d’une voix troublée :
— Pardonne-moi, femme…
Il se tourna vers Robi :
— Ils sont humains, je n’en ai pas le moindre doute.
Robi réprima un rire, car il se disait que, si Mauri avait procédé sur lui-même une telle vérification, il en eût conclu que Robi était humain…, ce qui était faux. Puis il pensa au « pardonne-moi, femme…» et se dit que, pour convaincre l’homme de la vallée, il devait réaliser l’expérience avec Karel.
— Viens, Karel, demanda-t-il.
Elle commençait à aller vers lui, mais Helge la retint et gronda :
— Que vas-tu faire ?
— Eh bien, mais…, m’approcher de l’Être en compagnie de Karel. Il vient de me donner l’assurance que, puisqu’il ne tient pas à nous faire du mal, nous pouvons non seulement nous tenir à proximité, mais encore le toucher sans aucun dommage.
— Quelle folie ! cria Helge. Il avait attiré Karel contre lui, la serrait dans ses bras, farouche.
— Je ne permettrai jamais cela !
— Et moi pas davantage, fit Mauri de sa voix aux résonances d’airain.
Il ajouta avec une pointe de raillerie :
— Que n’essaies-tu avec l’homme plutôt qu’avec la femme ? Je serais tout aussi bien convaincu.
— Et quand je serai pétrifié par l’Être, cria Helge furieux, tu garderas la femme ! Jamais !
Le reproche parut toucher au cœur Mauri qui cessa de railler et répondit avec dignité :
— Ce n’était qu’une plaisanterie. Je m’oppose absolument à un tel suicide. D’ailleurs, votre compagnon n’aura jamais l’échelle nécessaire pour franchir le fossé.
— Tu me rends la tâche bien difficile, murmura Robi.
L’air accablé, il alla vers Helge et Karel, qui dénouaient leur étreinte. Brusquement, il happa Helge, le glissa sous son bras gauche. Son prisonnier gesticulait et le frappait avec violence, mais Robi ne prenait même pas garde aux plus violents coups de poing.
Mauri ne bronchait pas.
— Tu n’auras pas l’échelle, dit-il simplement. Et aucun humain n’a jamais pu sauter notre faussé de protection.
Robi éclata de rire, prit quelques pas d’élan, s’élança et, sans lâcher Helge qui, probablement épouvanté, avait cessé de se débattre, parut s’envoler. On eut l’impression qu’il flottait en l’air pendant une fraction de seconde, jambes en ciseaux. Puis il se reçut sur les deux pieds sans rouler à terre, se retourna, salua du bras droit Mauri stupéfait, et marcha vers l’Être.
Il n’en était qu’à dix pas lorsque celui-ci lui demanda à voix basse :
— Devrais-je rester longtemps près de cette créature puante ?
— Quelques secondes à peine, répondit Robi. Après quoi, tu pourras t’éloigner et revenir demain matin, au lever du soleil jaune.
Il y avait du soulagement dans la voix de l’Être quand il affirma :
— C’est bien. Je pourrai supporter l’odeur infecte pendant quelques secondes… Mais c’est bien parce que tu es mon ami !
… « Et plus probablement parce que je vais réparer votre astronef », pensa Robi. Il se trompait d’ailleurs, et devait en avoir la preuve par la suite.
Robi tint Helge debout et le poussa devant lui. Le jeune homme n’essayait pas d’échapper à l’étreinte de la main du robot. Il avait renoncé à toute lutte. Il allait à la mort avec une résignation que Robi eût admiré si…, si Helge n’avait tremblé des pieds à la tête.
Ils furent à deux pas, un pas…
— Aucun danger, n’est-ce pas ? demanda Robi.
— Aucun, fit l’Être. La moindre parcelle d’énergie est rigoureusement neutralisée, et comme vous n’êtes que matière, vous pouvez même vous amuser à passer au travers de mon corps.
C’est ce que fit Robi ! Jetant un regard par dessus son épaule, il avait vu que les trois hommes de la vallée noire s’étaient groupés, et que Karel s’était approchée d’eux. Elle se tenait, remarqua-t-il, près de Mauri… Très près. Ils ne bougeaient pas, et Robi avait l’impression qu’ils retenaient leur respiration, dans l’attente de la catastrophe.
— Allons, Helge, fit-il très fort… Ce que tu as devant toi n’est qu’une colonne lumineuse qui ne peut te faire aucun mal dès l’instant où elle a décidé de ne pas t’en faire. Avance, et passe au travers.
C’était trop pour le jeune Helge, qui se mit à hurler et tenta de s’arracher aux doigts de Robi. Sans succès, bien entendu.
Mais Robi s’impatientait. Il souleva son prisonnier, avança…, et ils passèrent tous deux dans l’Être. Karel lui affirma par la suite que, pendant qu’ils traversaient la colonne lumineuse, on voyait encore celle-ci au milieu de leur propre corps !
— Eh bien ! Helge ? Comment te sens-tu ?
Helge soupira, stupéfait d’être encore vivant.
— On recommence, décida Robi.
Ils passèrent de nouveau, sans dommage. Helge, c’était une justice à lui rendre, avait recouvré tout son sang-froid. Il dit entre ses dents :
— Je ne te pardonnerai jamais de m’avoir ainsi ridiculisé… Devant Karel…, et devant ceux de la vallée noire !
— Erreur, rétorqua Robi. Désormais, tu seras pour eux un héros : le premier homme à avoir affronté un Être sans périr.
Une lueur d’intérêt s’alluma dans les yeux du jeune homme. Mais l’Être demandait doucement :
— Est-ce fini, ami ? La sensation que j’éprouve est atroce.
— C’est fini. Merci, ami. N’oublie pas : demain, au lever du soleil jaune, ici même.
— Oh ! je n’oublierai pas ! A demain…
L’Être disparut brusquement. Robi revint vers le fossé. Cette fois, il avait lâché Helge qui marchait à son côté, visage de bois. Au sommet du fossé, Robi se tourna vers lui :
— Tu ne sauteras assurément pas seul… Il y a bien dix mètres. Laisse-moi te porter de nouveau.
Helge, farouche, secoua la tête.
— Non ! Mauri et les siens n’ont qu’à apporter l’échelle et…
Il gronda de fureur. Robi l’avait pris de nouveau sous le bras et, sans plus se soucier de lui que d’un insecte, sautait afin de retrouver les autres.
Près de Mauri, il lâcha de nouveau Helge et damera :
— Êtes-vous convaincus ?
— Il y a certainement quelque chose, admit l’homme de la vallée. Mais est-ce bénéfique pour nous, voilà ce que je ne peux définir seul. Vous allez nous suivre, nous rassemblerons le Conseil.
Il tourna le dos, se mit en marche vers la vallée. Karel le suivait, puis Robi et Helge.
— N’oublie pas, murmura de nouveau ce dernier. Je ne te le pardonnerai jamais.
Robi ne répondit rien. Il n’avait rien à craindre d’Helge…, du moins le supposait-il !…