6
Quatre jours plus tard, la police sonna chez moi à six heures du matin. Bianca était déjà sortie pour aller comme d’habitude au marché aux poissons. Uras me mit sous le pif le mandat de perquisition, pendant que ses collègues se faufilaient en silence dans les pièces.
— Peut-être bien, monsieur Vianello, qu’on est de retour, dit-il.
Je lus la feuille attentivement, en faisant semblant d’être étonné. Rudy avait passé les bonnes infos au commissariat.
— Le restaurant, la maison des parents de Bianca et même la villa à la mer ! m’exclamai-je. Mais vous nous prenez pour des mafieux ?
Le lieutenant ignora mon commentaire.
— Si vous voulez, vous pouvez appeler un avocat.
— Je n’en ai pas besoin, déclarai-je avec la dignité de l’innocent.
Son associée munie de gants en latex sortit de ma nouvelle chambre à coucher.
— Je vois que vous ne dormez plus ensemble.
Fielleuse.
— Grâce à vos mensonges, répliquai-je sèchement.
Pour lui faire comprendre que je n’étais pas du tout impressionné par leur irruption, je lui envoyai dans les dents :
— Vous avez une drôle de mine ce matin, agent Torrini.
— Ça doit être parce que vous êtes là, répondit-elle d’un air teigneux.
Mais il lui fallut quand même se justifier.
— Ça fait plusieurs jours que j’ai des nausées, que je suis épuisée, que j’ai mal à la tête, au ventre…
— Intoxication… lui dis-je en souriant d’un air maléfique.
— Non, non, un de mes collègues m’a dit que son coéquipier qui a les mêmes symptômes a consulté un médecin qui lui a dit que la moitié de la ville est dans le même état. Il dit que c’est un virus. Cette année la grippe commence comme ça…
— Bien sûr, bien sûr, agent Torrini, mais si j’étais vous, je ferais attention à la popote de la cantine du commissariat… lui dis-je, et je les laissai retourner l’appart.
Puis avec une grande satisfaction, je téléphonai à Bianca.
— Qu’est-ce qu’il y a ? répondit-elle, hargneuse.
— Ils perquisitionnent la maison, l’informai-je sous le regard des deux flics.
— Peut-être que cette fois ils vont enfin te foutre en taule.
— Ils perquisitionnent également la maison de tes parents et la villa de Santa Margherita.
— Salopard, siffla-t-elle avant de raccrocher.
— Je crois que Bianca est en train d’aller chez ses parents, dis-je aux policiers.
Uras haussa les épaules et se mit à fouiller dans les tiroirs du bahut du salon. Bien, tout se passait selon mes plans, je n’avais qu’à attendre le déroulement naturel des événements.
À 8 h pétantes, les policiers s’en allèrent. Les mains vides.
À 8 h 30 arriva Amelia, la domestique philippine. Dès qu’elle vit l’état de l’appart, elle se mit à pleurer.
— Faites-vous aider par quelqu’un, lui dis-je, lui donnant de petites tapes d’encouragement dans le dos.
Bianca ne se montra pas au restaurant et il fallut que je me débrouille. Ce n’était pas difficile, à présent je savais faire tourner Chez Momò sans elle.
À 19 h et des poussières, la porte s’ouvrit et Rudy Saporito entra.
— Il est encore tôt pour dîner, dis-je en ricanant de satisfaction.
— Je suis venu boire l’apéro.
Je lui indiquai ma table et pris une bouteille de Prosecco d’une armoire à vins.
— Du nouveau ? demandai-je en versant le vin dans les verres.
— Plein. Dans la maison du bord de mer de la famille Soro, on a trouvé un téléphone portable.
— Ça me paraît pas être une grande nouvelle.
— Il semblerait qu’il appartenait à Mariuccia Sinis.
Il ne trinqua pas quand je lui tendis mon verre. Je le dévisageai.
— Il semblerait ?
— C’est en tout cas le bruit qui courait en fin de matinée au commissariat, mais ça s’est révélé faux.
— Et pourquoi ? demandai-je, abasourdi.
— Parce qu’il n’y avait pas de carte Sim dans ce portable, expliqua-t-il. Ou mieux, au début il paraît qu’elle y était. Peut-être qu’elle a été perdue, tu sais comment c’est…
Je sentis comme un coup à l’estomac. Un coup de sabre dans les intestins. Ma tête se mit à bourdonner comme le jour où Ilario Sambin m’avait cassé la gueule. Ma bouche se dessécha en un instant. Je sentis un grand fourmillement dans les mains et ma jambe droite se mit à trembler. Je ne contrôlais plus mon corps et, pensai-je en un éclair, peut-être même plus mon destin. J’étais foutu. Mon plan avait foiré.
— Mais comment c’est possible ? Qui l’a fait disparaître ?
La terreur de la débâcle me déformait la face. Je sentais la peau de mon visage se rider, mes joues crépiter, mes yeux me brûlaient comme s’ils étaient en train de sortir de leurs orbites, prêts à exploser comme un bouchon de mousseux.
— Écoute, Gigi, j’ai fait ce que j’ai pu, et c’était pas rien. Mais je crois qu’on ne peut pas aller plus loin. Il y a d’autres intérêts, d’autres réseaux. T’as pas encore compris comment ça marche dans cette ville, répondit-il d’un ton neutre. Pendant un instant le commissaire principal a joué le jeu. Tout laissait à penser que ça se passerait bien. Pour lui, une histoire comme ça, c’était tout bénef, ça aurait fait oublier toutes les fois où il est passé pour un con ces derniers temps. Le proc s’est énervé comme une bête à cause de cette histoire de perquisitions. Il a eu des pressions de toutes parts. Même de Rome, tu vois ce que je veux dire ?
— Non, répondis-je sincèrement.
Il souffla.
— Mariuccia Sinis s’est suicidée. Un point c’est tout. Aucun magistrat et aucun policier n’enquêtera plus sur sa disparition. Uras et Torrini ne te casseront plus les couilles.
— Enfin une bonne nouvelle.
— La mauvaise, c’est que t’es devenu la propriété personnelle de Carlo Alberto Pedevillas. Il n’y aura que lui, et seulement lui, pour te traquer.
— J’aimerais bien voir ça.
Saporito souffla de l’air chaud par les narines et je perçus une étrange odeur de soufre, peut-être son parfum aux vieilles flagrances de terres lointaines, ou peut-être pas.
— T’es sympa mais un peu con, Gigi. T’as intérêt à faire tes valoches et à te barrer dans un endroit où Pedevillas et ses amis ne pourront pas te dénicher.
Il vida son verre d’un trait et se leva.
— Souviens-toi de moi, Gigi Vianello. T’es dans mon répertoire. Le jour où tu voudras me raconter quelques trucs qui vaillent vraiment la peine d’être écrits, qui vaillent le risque que je me prenne des coups, appelle-moi. Sinon, c’est moi qui t’appellerai quand j’aurai besoin de quelqu’un comme toi. Et sois prudent, fais pas l’andouille. Ça me ferait chier de devoir te consacrer un titre dans le journal. Même si, avec les yeux que t’as, ça m’amuserait d’écrire un bel article. Je me l’imagine déjà : “L’homme aux deux regards, son œil droit a même trahi le gauche.” Oui, je crois que j’écrirais un truc comme ça.
Je ne me formalisai pas d’avoir été traité de con et d’andouille. Peut-être qu’au fond je l’étais. J’avais osé mettre la main sur la femme d’un type puissant, avec des amitiés puissantes et destiné à une carrière politique au service d’intérêts particuliers. Si je l’avais su, je m’en serais bien gardé, mais comme l’avait dit Rudy Saporito, je n’avais pas compris comment ça marchait dans le coin. La disparition de la carte Sim de Mariuccia et la clôture de l’enquête étaient la preuve de mon échec et de magouilles en bien plus haut lieu. Contre ce milieu, je ne pourrais jamais gagner. Il fallait que je tienne le temps nécessaire pour vendre ou plus exactement brader mes propriétés et puis que je monte dans le premier avion pour le continent, comme les Sardes appellent le reste de l’Italie.
Peu après arriva Bianca et ce fut la plus grande surprise de la journée. Je pensais qu’elle allait me sauter dessus et m’arracher les yeux, mais elle me salua d’un sourire forcé, évitant de me regarder.
Je l’observai tout le reste de la soirée. Bianca était bizarre, elle se comportait de façon professionnelle mais on voyait bien qu’elle pensait à autre chose. L’épreuve des perquisitions devait l’avoir choquée. Mais ce que je ne pigeais pas, c’était pourquoi elle était aussi complaisante avec moi. Une fois chez nous, je voulus comprendre.
— J’ai essayé de te baiser et ça n’a pas marché, la provo-quai-je.
— Je sais.
— Et tu dis rien ?
— Non. Je t’ai aimé, Gigi. Je croyais que t’étais l’homme avec qui j’allais construire mon avenir. Il va falloir que je reconstruise ma vie maintenant. Dans tous les sens.
— C’est tout ?
— Ça te paraît peu ?
Je haussai les épaules.
— J’ai du mal à te reconnaître.
— T’as pas idée du mal que tu m’as fait, Gigi. Maintenant excuse-moi mais je suis fatiguée et je vais me coucher.
J’étais sonné.
— Et demain tu retournes au resto comme si de rien n’était ?
— Chez Momò est à moi, dit-elle avant de fermer à clé la porte de sa chambre.
J’étais perturbé. Et je n’avais plus sommeil. Je téléphonai à Peppino Floris et lui donnai rencard pour le lendemain matin dans son bureau. Puis je sortis et allai dans une boîte. J’achetai le temps et les sourires d’une Moldave mignonne mais je ne pensais qu’à Bianca. Quelque chose m’échappait.
— Non, dit clairement Peppino Floris.
Je restai de marbre. Je venais juste de lui demander, plutôt de lui ordonner, de tout vendre en vitesse.
— Le pourcentage ne te va pas ?
Il secoua la tête et se mit à tourmenter le poignet de sa chemise.
— Des ordres. J’ai reçu des ordres.
— Carlo Alberto Pedevillas ?
— En personne, confirma-t-il en baissant le regard. Tu peux même pas vendre une épingle.
— On s’est cassé le cul pour inventer des centaines de combines pour masquer les investissements, si je vends, Pedevillas ne le saura jamais.
Peppino ne dit rien et je compris.
— Gros tas de merde, tu lui as donné la liste de toutes mes propriétés.
— J’avais pas le choix, Gigi. C’est Gaetano qui t’a trahi.
— Gaetano ?
— Oui. Quand il a pigé que Pedevillas s’approchait un peu trop de nos affaires, il est allé le voir et a passé un accord.
— Et maintenant le bijoutier sait tout.
— Exact. Et Gaetano bosse pour lui. Il va lui organiser sa campagne électorale.
— Et il t’a donné quoi d’autre comme ordre ? demandai-je sur un ton méprisant.
— D’organiser le transfert des propriétés, répondit-il. Pedevillas te prend tout.
J’étais anéanti. Tout ça pour rien. La seule consolation, c’était que j’avais buté sa gonzesse et que personne ne me poursuivrait. “Repose en paix, Mariuccia Sinis, repose en paix bouffée par les vers de la forêt. Toi et le bâtard de fils que t’avais dans le bide”, pensai-je dans une colère inouïe. Inhumaine.
— Il me reste le resto et l’appart, raisonnai-je à voix haute. Ils sont à mon nom et il peut pas les toucher.
— Personne ne t’achètera rien, ce sont les ordres. Et puis ils ont aussi des projets pour Chez Momò. C’est Gaetano qui me l’a dit.
Je m’affalai sur le canapé.
— Je suis ruiné, murmurai-je.
— Casse-toi pendant qu’il est encore temps.
— C’est ce que tout le monde me dit et je crois que j’ai pas trop le choix, dis-je d’une voix étranglée en me dirigeant vers la porte.
— Tu pars quand ?
Je me retournai d’un coup.
— Pardon d’être méfiant, mais je n’ai aucune intention de te le dire.
J’arrivai au resto peu avant l’heure du repas de midi. Bianca était en cuisine en train de parler avec les cuistots. Quand j’entrai, je remarquai que l’huile avait été remplacée encore une fois par une huile vraiment très médiocre, produite avec des olives d’Afrique du Nord sans aucun contrôle sanitaire ni de qualité. Je ne fis aucun commentaire ; ce jour-là, le déjeuner était vraiment le cadet de mes soucis.
— Faut que je te parle, dis-je à Bianca.
Je l’attendis à notre table habituelle. Lorsqu’elle s’assit en face de moi, je remarquai qu’elle était bien maquillée et qu’elle sortait tout juste de chez le coiffeur. Et aussi d’une boutique : la chemisette qu’elle portait, je ne l’avais jamais vue.
— Quelle élégance !
Elle me regarda d’un œil éteint.
— Faut que je me fasse belle…
— Et pourquoi ?
— Pour qui, plutôt.
Elle voulait me faire exploser et elle était sur la bonne voie.
— Et pour qui ?
— Tu lui as pris sa femme et maintenant il prend celle avec qui tu couchais, répondit-elle à voix basse.
— Putain, non ! Carlo Alberto Pedevillas !
J’aurais voulu ne pas éclater de cette manière. Maintenir calme et froideur. Ne pas lui donner cette satisfaction. Mais ce fut impossible. Ce coup-là non plus je ne l’avais pas vu venir. Et dire que j’étais persuadé d’être licencié ès saloperies. Mais eux, dans cette putain de ville, ils avaient un doctorat.
— Il me baisera pendant un moment, juste le temps d’assouvir sa vengeance.
J’étais sidéré. J’allais même dire qu’il ne pouvait en aucun cas l’y obliger mais après je compris.
— Et le resto sera à toi, c’est ça ?
— Oui.
— Une belle affaire.
— Oui, répéta-t-elle d’un air de défi.
— Tu sais, ce que je comprends pas c’est comment va se faire le transfert de propriété, vu qu’il est à mon nom.
— J’en sais rien. Mais Carlo Alberto Pedevillas a dit que j’avais aucun souci à me faire.
— Sans moi, cet endroit deviendra un chiotte.
— C’est toi le chiotte, répliqua-t-elle en se levant.
Je préparai un sac et attendis la nuit dans le silence de l’appartement vide. Je restai immobile, dans le noir, assis dans un fauteuil. J’avais pas envie de revoir quoi que ce soit de cet appartement. Aucune nostalgie, aucun regret. Si ça n’avait tenu qu’à moi, j’y aurais mis le feu, avec Bianca dedans. Mais je pouvais pas me le permettre. J’allais faire comme en Vénétie : tout laisser derrière moi sans broncher. Et sans souffrir plus que ça. Reconstruire allait être plus exaltant, pensai-je. Mais je n’avais pas de plan précis en tête. Pas encore.
Profitant de la nuit, j’irais récupérer la petite valise que je gardais toujours prête pour les situations d’urgence. S’y trouvaient mon passeport, un faux en réserve, deux cent mille euros, quelques dollars, des livres et des francs suisses. Puis je prendrais la direction de Porto Torres, où j’embarquerais sur le ferry pour Gênes. J’étais trop désorienté et trop affligé pour penser à l’avenir. En réalité, je n’avais pas la moindre idée de l’endroit où aller quand je débarquerais.
En sortant, je cassai la clé dans la serrure. Une petite vengeance contre Bianca histoire de me défouler. Je montai en voiture et traversai la ville.
Je coupai par les rues de Castello, l’ancien centre médiéval. Je descendis les rues étroites et pavées qui aboutissaient au grand bastion Saint-Remy. Une barrière qui avait su résister à toutes les invasions.
Ma bagnole se traînait au milieu de la foule en liesse qui, comme tous les soirs d’été, envahissait le bastion, les rues voisines, les endroits où la rue s’élargit. Et c’est seulement à ce moment-là que je me souvins que, la nuit, la zone était à circulation restreinte. “Et merde aussi à la Zone à circulation restreinte”, pensai-je, de plus en plus furax. Les terrasses des cafés, les divans des bars lounge étaient pleins à craquer et la clientèle débordait en vagues sur la rue. Je mis la main sur le klaxon pour que ces cons qui trottaient, heureux, d’un endroit à l’autre, me laissent passer. Gamines aux épaules découvertes et culs à l’air, gamins avec chemises moulantes et chaînes d’argent autour du cou. Dos bronzés, jambes noires, poitrines frottées d’huiles et de crèmes, petites tenues à la mode, chaussures dernier cri, parfums et déodorants. Parlottes et glapissements. Un magma compact qui se répandait dans tout le quartier. Dans le passé, ç’avait été mon paradis, mais maintenant que j’en étais chassé, je le haïssais de toutes mes forces.
“Allez tous vous faire foutre”, pensai-je, plein d’envie. Et c’est seulement au dernier moment que je m’aperçus qu’au bout de la rue était postée la police municipale. Je me dis rapidement qu’un PV pour circulation dans une zone réglementée en ce moment, c’était pas trop ce qu’il me fallait. Je braquai vite fait avant qu’ils me voient et me jetai dans une des rues perpendiculaires. Un boyau étroit et très long, où même le matin le soleil avait du mal à passer. À présent les petits lampadaires de cuivre à l’ampoule tremblotante éclairaient à peine cette ruelle de service sur laquelle donnaient les portes où autrefois entraient et sortaient les domestiques des immeubles nobiliaires. Les entreprises du bâtiment restructuraient la zone pour faire revenir les vieux maîtres sur le rocher qui domine la ville et pour offrir aux nouveaux tout le confort possible. Beaucoup d’immeubles avaient été éventrés. D’autres, couverts d’échafaudages, rendaient cette voie de fuite encore plus étroite. Le rétro droit de ma Cayenne racla tout de suite contre le mur en faisant un bruit insupportable, comme des ongles sur un tableau noir. Je tournai légèrement le volant vers la gauche et il s’en fallut de peu que l’aile ne reste sur les tubes des échafaudages. Je relâchai la pression du pied sur l’accélérateur et continuai plus lentement. Un sentiment de claustrophobie m’envahit mais j’essayais de rester calme, je savais que ces ruelles débouchaient sur de petites places d’où rayonnaient des rues plus larges.
La lumière devint plus intense, c’était le signal que j’allais sortir du tunnel. Une des petites places du quartier était proche. J’y étais désormais, je gardai l’accélérateur au minimum et c’est seulement quand le nez de la bagnole atteignit la place que je me préparai à mettre les gaz.
Et je faillis écraser un type que je retrouvai tout à coup devant moi. Presque sur le capot.
— Qu’est-ce que tu fous, connard ? lança-t-il à voix basse mais d’un ton décidé. Qu’est-ce que tu fous ? La place est bloquée, connard. Tu l’as pas vu, le panneau ? ajouta-t-il en élevant la voix.
Je fis signe que non de la tête.
— Tête de con, t’allais entrer en scène.
— En scène ? Quelle scène ? demandai-je, déconcerté.
De son index, il me montra la place et d’un geste vif de la paume me fit signe d’avancer légèrement. Sur le côté droit, que le mur m’avait empêché de voir en arrivant, il y avait un parterre de chaises en plastique. Le public, debout, hurlait : “Une autre, une autre, une autre.” Sur la gauche, une scène vide. Les feux de la rampe éclairaient comme en plein jour. Les gens criaient, tapaient des mains, et personne heureusement n’avait fait attention à moi. Personne sauf un vieux avec une barbe blanche et une drôle de petite casquette sur la tête, qui me fixait tout en montant doucement le petit escalier qui allait le conduire sur la scène.
Quand il y fut, le vacarme des spectateurs le secoua comme un coup de vent puissant. Les projecteurs se baissèrent lentement. Le vieux prit son souffle et dit d’une voix rauque, stridente mais pénétrante, sans me quitter des yeux :
— Celle-ci, je l’ai écrite quand j’étais ici, à Cagliari, et que j’étais avec la sœur de Nanni Loy. Un grand réalisateur, qui n’avait pas besoin de grosses voitures pour faire comprendre quel genre d’homme il était.
Puis il pointa son doigt sur moi et commença à gronder dans le micro.
— Je quitte Cagliari, Casteddu, Casteddesusu, Santavendrace, la via Roma, le Port, le Poetto, le Bastione, les Stagni, les Malloredus, le Porceddu…
Le public se tut subitement.
— Je quitte la Région Sarde, l’Unione Sarda, l’indépendantisme Sarde et cette mansarde dans laquelle j’ai été avec une Sarde.
Le parterre s’enflamma et toute son énergie prit corps en un seul chœur :
— Remotti ! Remotti !
La voix du vieux poète devint plus forte et rugueuse comme du papier de verre. Ses yeux ne regardaient que moi.
— Je quitte les Padre-Padrone, les Bandits d’Orgosolo…
On aurait dit que toutes ses forces s’étaient concentrées dans ses cordes vocales qui émettaient un son hypnotique, magique, presque un mantra. Et de fait le public était fasciné, captivé par ce moulin à paroles.
— Je quitte les Grazia Deledda, les Gramsci, les Berlinguer, les Lussu, les Cossiga, les Gianni Agus, les Nanni Loy, les Amedeo Nazzari…
La foule ondulait et hurlait :
— Remo ! Remo !
Le vieux poussa encore sa voix qui trouvait son extension naturelle dans son index pointé comme une flèche sur moi. Et, à force, le public fut obligé de se retourner et de regarder dans ma direction. J’eus l’impression que leurs visages s’étaient transformés en masques de bois à l’expression hostile, menaçantes, démons de la montagne descendus dans la vallée et prêts à me dévorer au signal de leur chef qui continua sa litanie tandis que, moi, je perdais mon sang-froid.
— Je quitte la Sardaigne, les Grenadiers de Sardaigne, la Costa smeralda, le Club Costa smeralda, l’Aga Khan, le Clan de l’Aga Khan, les Gengiskhan, les Pescican, les Fiol d’un Can et du Tourisme sarde de Cancan…
Suivit l’apothéose, un vacarme qui ne l’ébranla pas.
— Je vous quitte, braves gens : je retourne sur le continent.(3)
Et alors seulement il baissa le doigt qu’il avait pointé sur moi.
Quand je pris l’avenue pour le Poetto, je me rendis compte que j’avais tellement les mains serrées sur le volant que je m’étais enfoncé les ongles dans les paumes. Je me rendis compte aussi que j’avais de la bave sèche collée aux coins de la bouche et les cheveux droits sur la tête. Il ne manquait plus que les visions de l’autre vieux dont j’avais la sensation qu’il n’avait parlé que pour moi et que de moi, comme un sorcier halluciné. J’étais sur le point de devenir fou. De péter les plombs. Mais pas maintenant, parce que maintenant je pouvais pas.
Si ç’avait été un film, si ç’avait été une scène de film, c’est là que serait partie la bande-son pour atténuer les images. Un entrelacement de guitares. Un cycle hypnotique d’accords. Peut-être This is not America par la voix blanche de David Bowie.
C’est vrai, ce n’était plus mon Amérique.
Mais ce n’était pas un film et il n’y eut aucune musique.
J’arrivai à un hangar à bateaux sur le littoral de Quartu Sant’Elena. À l’insu de tous, j’avais acheté un vieux bateau à voiles. Sa seule fonction était d’abriter ma valise qui était bien planquée dans un coin. J’étais sûr que personne ne la trouverait.
De temps en temps, sous prétexte de divers travaux d’entretien, j’en vérifiais le contenu et y ajoutais quelques biffetons.
Je me garai le long de la route et restai accroché à la sonnerie pour réveiller le gardien. Je lui mis cent euros dans la main pour m’excuser de l’heure tardive et récupérai ma valise.
Dès que je franchis le portail, je me retrouvai flanqué de deux types sortis de nulle part. Je m’arrêtai net et serrai la valise contre moi. Les deux gus me regardaient d’un air détaché. Ils étaient jeunes, environ trente-cinq ans. Blonds, minces mais avec les muscles bien dessinés, les yeux comme deux icebergs où iris et pupille semblaient identiques. Ils n’avaient pas l’air d’italiens et encore moins de Sardes. Celui qui était à ma droite me toucha le bras et indiqua ma Cayenne. C’est seulement à cet instant-là que je remarquai qu’un type était appuyé contre ma bagnole. Sa bouille était dans l’ombre mais j’imaginai bien qu’il s’agissait de Pedevillas.
Je sentis une douleur à l’estomac. Je pensai que le moment des comptes était arrivé, l’homme de Mariuccia s’était décidé à me faire massacrer par ses sous-fifres. Alors que je m’approchais serré entre les deux types, l’ombre parla :
— T’as toujours eu une passion pour ces gros engins dit-il. Moi, par contre, j’ai toujours aimé les berlines. Les Jaguar, les Mercedes, mais les BMW sont pas mal non plus, même si ce sont des tractions arrière.
Je sentis mes genoux flageoler et me retrouvai à terre. J’avais reconnu la voix.
— Parenti ! m’exclamai-je, terrorisé.
L’homme sortit de la nuit et se plaça sous le cône de lumière d’un lampadaire pour que je le voie bien.
— Moi-même, Gigi.
Les deux types me levèrent et me traînèrent à lui. Parenti me saisit le menton comme l’avait fait Ilario Sambin quelques années auparavant.
— T’as peur, Gigi ?
— Oui.
Je pleurnichai. J’étais persuadé que j’allais mourir et que Parenti allait bien s’amuser. C’était les seules pensées lucides qui me traversaient l’esprit. Le reste, c’était une confiture de fragments de mots et d’idées noyées par la peur.
Je me retrouvai sur le siège arrière, coincé entre les deux brutes. Le plus jeune avait deux kalachnikovs croisées tatouées sur l’avant-bras.
— Ils sont russes, expliqua Parenti pendant qu’il démarrait la Cayenne. D’anciens militaires. Des années de guerre en Tchétchénie. De vrais pros… tu vois ce que je veux dire ?
— Oui.
— Bon, alors je vais te poser une question et je vais te la poser une seule fois. Où est passée Mariuccia Sinis ?
Mariuccia Sinis ? Qu’est-ce que Parenti avait à voir avec cette histoire ? Je commis l’erreur de le lui demander et me retrouvai avec un sac plastique sur la tronche. C’était de ces sacs transparents dont on se sert pour la congélation. Je me mis aussitôt à suffoquer. Les deux Russes me bloquaient bras et jambes et je ne pouvais que secouer la tête comme un pantin affolé.
Sans se retourner, Parenti souleva son index et ils me lâchèrent. Je m’arrachai le sac et avalai le plus d’air possible.
— Je l’ai tuée. C’était un accident, avouai-je en haletant.
— Et le cadavre ?
— Enterré.
Parenti secoua la tête avec amusement.
— Amateur, commenta-t-il.
Puis il se retourna pour me regarder.
— Tu te sens de conduire ?
Il se déplaça sur le siège d’à côté tandis qu’un des Russes regagnait leur voiture, un monospace japonais, et nous suivait.
— T’as un double problème, Gigi, dit Parenti d’un ton plat. Le présent et le passé. Mariuccia et ce que t’as fait à la famille Sambin. Et à moi. Mais, hélas, tu ne peux mourir qu’une seule fois.
Je restai silencieux. Conduire me permettait de relâcher l’étau de la peur et d’essayer de réfléchir. Chaque minute où je restais en vie était une minute de gagnée.
Parenti ouvrit la petite valise que j’avais récupérée dans le hangar.
— Y’a pas mal de blé, commenta-t-il avec satisfaction.
Il jeta aussi un œil aux passeports.
— T’avais pensé à tout.
Puis il me donna une petite tape sur la joue.
— Mais tu t’attendais pas à ce que le vieux Parenti vienne te faire une petite visite.
— Non, marmonnai-je.
C’était vraiment la dernière chose au monde qui aurait pu me venir à l’esprit.
À un certain moment, j’eus peur de m’être paumé et, face à mon hésitation sur quelle route prendre, le Russe me frotta le sac plastique sur le cou. Comme ça, pour me faire retrouver la mémoire. Je passai tout de suite une vitesse en me fiant à mon instinct et à la chance. Au bout d’un moment, j’éclairai avec les phares l’endroit où j’avais enterré Mariuccia et ce qu’elle portait dans le ventre.
— C’est là-bas, susurrai-je.
Du coffre de leur voiture, le Russe tatoué sortit une pelle et une pioche, et à la vue des outils que j’imaginais être là pour creuser ma tombe, je me sentis mal et appuyai la tête sur le volant.
— Descends, ordonna Parenti.
Les deux gorilles creusèrent rapidement et, au bout d’une vingtaine de minutes, le corps émergea, enveloppé dans des sacs-poubelles noirs. Le tatoué sortit un couteau et lacéra le plastique pour en vérifier le contenu. La puanteur de la décomposition était insupportable mais il n’y eut que moi qui vomis.
Les Russes ouvrirent la bouche pour la première fois et racontèrent un truc marrant à Parenti qui rit de bon cœur.
— Une fois, ils en ont enterré un… vivant… attaché à un cadavre, résuma-t-il, le sourire aux lèvres. Et ça me semble pas être une mauvaise idée. Qu’est-ce que t’en dis, toi, Gigi ?
Je me mis à courir à toute allure mais la terreur alourdissait mes pas. Ils me rattrapèrent en moins de trente secondes. Ils ne prirent même pas la peine de me frapper. Parenti allongea la main.
— Donne-moi ton portefeuille.
Il en tira une de mes trois cartes de crédit et la balança sur le cadavre de Mariuccia. Tout de suite après, un des Russes prit la pelle et reboucha le trou.
— Comme ça, je te tiens par les couilles, murmura Parenti.
Mon cerveau travaillait à toute vitesse mais je n’arrivais pas à rassembler les éléments du puzzle.
— Alors tu veux pas me tuer ? lui demandai-je prudemment.
Mon ex-rival en amour ricana.
— Pour l’instant, tu m’es plus utile vivant.
Pendant le voyage du retour, Parenti échangea quelques phrases en russe avec le troufion qui était assis derrière moi. Avec moi, pas un mot. Cet homme me détestait et j’étais sûr qu’après avoir obtenu ce qu’il voulait, il me ferait buter. Ou bien il me tuerait de ses propres mains. Fallait que je me barre. C’est ce que je me répétais sans arrêt, mais les deux Russes, comme l’avait dit Parenti, étaient des pros. Pour les feinter, il fallait autre chose que du blabla. À notre arrivée à Cagliari, Parenti me dit de prendre la direction de l’aéroport d’Elmas. À un certain moment, il m’ordonna de tourner pour entrer dans la ville. Peu après, on s’arrêta en face d’un petit immeuble qu’on venait tout juste de construire.
Leur base se trouvait au dernier étage et ils en étaient les seuls occupants. L’appartement était grand et, de la façon dont il était organisé, je compris qu’ils devaient être là depuis une quinzaine de jours. Les Russes allèrent dans la cuisine se préparer un casse-croûte. Parenti m’accompagna dans une pièce.
— Tu dormiras ici, m’annonça-t-il avec son petit sourire de charognard.
Il n’y avait qu’un lit de camp mais je me gardai bien de me plaindre du mobilier. Je laissai tomber par terre le sac qui aurait dû me servir dans ma cavale et m’assis sur le matelas.
Au bout de quelques minutes, j’entendis la voix de Parenti qui m’appelait. J’allai dans le salon et le trouvai vautré dans un fauteuil. D’un signe de la main, il m’indiqua celui d’en face.
— Assieds-toi, Gigi. Faut qu’on cause un peu.
J’obéis et attendis en silence. Sur la table en verre qui nous séparait, il prit une bouteille de vodka glacée et en versa une dose généreuse dans un seul verre. Puis, calmement, il alluma une cigarette. J’en profitai pour le scruter. Il avait beaucoup changé ces dernières années. Il n’avait plus son air de vautour qu’il avait remplacé par celui de petit chef, de quelqu’un qui avait fait du chemin et qui voulait que ça se remarque. Mais il avait toujours son regard mauvais. Parenti était toujours le même salaud.
— D’une certaine façon, je dois te remercier, dit-il tout à coup.
Je lui jetai un regard interrogatif.
— D’avoir été obligé de rester à Saint-Pétersbourg, ça m’a permis d’entrer en contact avec certains types et de faire carrière dans un certain milieu. Tu vois ce que je veux dire, hein ?
Mafia russe. Pas besoin d’être un génie pour piger que si quelqu’un comme lui se traînait avec deux sales gueules comme ça en Italie, c’est qu’il devait faire partie d’une grosse organisation.
Je continuai à ne rien dire. Ce connard crevait d’envie de me faire comprendre la chance qu’il avait et ce n’était pas le moment de le distraire.
— Hélas, je suis pas russe et je pourrai jamais devenir un boss, expliqua-t-il. Eux aussi, ils sont comme les Siciliens ou les Calabrais, si t’es pas de leur race, t’arrives jamais à certains niveaux, mais j’ai pas à me plaindre. C’est toujours mieux que ce que j’aurais pu avoir avec la famille Sambin.
Il s’interrompit pour me fixer du regard.
— J’imagine que tu dois être curieux de savoir comment je t’ai retrouvé.
Je me bornai à un signe de tête.
— Pedevillas a fait savoir qu’il voulait des infos sur ton compte. Et nous, on est présents depuis pas mal de temps ici, en Sardaigne. Surtout dans le Nord. On investit et on recycle. Villas, bars, restos, n’importe quoi fait l’affaire. Un jour, je reçois un coup de fil à Saint-Pétersbourg et un des gars me demande si je te connaissais. Je lui avais parlé de toi et il se rappelait que j’avais des comptes à régler avec une balance. Au prénom, j’avais déjà compris que c’était toi, y’a qu’un connard de ton espèce pour se foutre dans une merde pareille, et j’en ai eu la confirmation avec la photo dans le journal. J’avais l’impression, mais sans plus, que c’était toi, t’étais un timbre-poste sur cette page en noir et blanc. Et puis je t’ai vu à la télé, en couleur. C’était la même photo, sauf que projeté sur mon écran géant plasma ça m’a fait un autre effet, tes yeux bicolores sont une marque de fabrique. Et ça faisait plus aucun doute. Aucun.
Il se versa encore de la vodka.
— Et alors tu sais ce que j’ai fait ? J’en ai parlé à mes chefs et ils m’ont envoyé ici. Mais pas pour toi. Pour Carlo Alberto Pedevillas.
Il remarqua mon expression étonnée et se dépêcha d’expliquer.
— On avait besoin d’appuis politiques à Cagliari pour augmenter notre chiffre d’affaires et lui, il peut être un bon candidat. Et ça pouvait être aussi l’occasion de régler mes comptes avec toi.
À ce moment, j’explosai ; j’avais commencé à comprendre mais je ne voulais pas y croire.
— Tu veux dire que Pedevillas est des vôtres ?
Parenti sourit.
— Bien sûr. Mais il s’est pas jeté dans nos bras uniquement pour venger sa femme. Il a senti l’odeur du fric. Avec le pognon, on monte haut. Il fait semblant de ne pas savoir qui on est et se contente des sociétés de façade. Mais tous les politiques sont comme ça. Ils n’attendent qu’une chose : que quelqu’un de chez nous vienne frapper à leur porte.
Maintenant tout était clair. Sauf un truc.
— Et alors pourquoi tu m’as pas descendu ?
Il mima un applaudissement.
— Voilà le bon vieux Gigi Vianello que je connaissais. La trouille de mourir t’avait rempli le cerveau de merde. Mais tu recommences à réfléchir…
Parenti avait un plan. Je priai pour que ça me donne une lueur d’espoir par rapport à ma condamnation à mort.
— T’es pas encore sous terre dans les bras de ta belle Mariuccia pour deux raisons. La première est technique : si je te tue, le transfert de propriétés devient plus difficile. D’ailleurs, demain tu rencontreras Peppino Floris et tu arrangeras tout ça avec lui.
— Et l’autre ? demandai-je avec une voix qui trahissait l’anxiété.
— Tu sens l’odeur des négociations, hein ? se moqua Parenti. La carte à jouer pour sauver ton cul.
— Je veux pas mourir.
Il sourit avec satisfaction.
— T’as un beau chiffre d’affaires qui, bien géré et bien développé, peut nous rapporter pas mal de fric.
— Des conneries tout ça, soufflai-je. Vous n’avez pas besoin de mes contacts pour remettre la boutique sur pied.
Cette technique s’appelle : sonder le terrain.
Parenti secoua la tête.
— Pour notre organisation, c’est un secteur nouveau et, de Russie, on ne peut exporter que du caviar et de la vodka. Ce qu’on fait déjà, mais les gens n’achètent rien d’autre.
Je restai silencieux. J’avais besoin de cogiter. Lui passer mes contacts, ça impliquerait pas mal de voyages dont je pourrais profiter pour me barrer. Parce que, s’il y avait une chose dont je continuais à être sûr, c’est que Parenti était fermement décidé à me descendre.
Ce connard éclata de rire et allongea la main pour me donner une tape amicale sur le genou.
— Je sais ce que tu as en tête, dit-il. T’es en train de chercher comment me baiser une deuxième fois, mais maintenant t’as plus aucune chance.
Il but une autre gorgée de vodka et indiqua la porte.
— Elle est ouverte. Si tu veux te casser, t’as qu’à lever ton cul du fauteuil.
— Et les flics recevront un tuyau anonyme sur le lieu où est enterrée Mariuccia et ils trouveront, en plus du cadavre, ma carte de crédit.
L’index droit de Parenti balaya l’air.
— T’as pas encore bien pigé. J’aurais même pas besoin de refiler un tuyau anonyme pour te foutre les poulets aux miches, et puis quelqu’un comme toi, sans pognon et sans passeport, il va où ?
Il s’alluma une clope.
— D’un autre côté, c’est vrai qu’un trou du cul de ton espèce pourrait chercher à trouver un accord avec les flics, mais dans ce cas, c’est les Russes qui te chercheront et eux, ils finissent toujours par trouver tout le monde.
J’étais fatigué de ce petit jeu. J’attrapai la bouteille et bus au goulot.
— Va te faire foutre ! explosai-je. Toute façon je sais que tu finiras par me descendre.
— Fais-moi entrer dans le circuit et tu sauves ta peau. Si je monte cette affaire, c’est moi qui la suivrai et je pourrai rester ici, en Sardaigne. J’en ai ras le cul de Saint-Pétersbourg. Il y fait un froid de canard.
— Et Pedevillas ?
— Je lui dis que tu es mort en pleurant ta mère.
— Et il lui faudra combien de temps pour découvrir que c’est faux ?
— Il le découvrira jamais. Gigi Vianello va disparaître pour toujours parce que je vais t’envoyer en Russie travailler pour moi.
Je le fixai du regard.
— En Russie ? Et pour faire quoi ?
Il me sourit d’un air mauvais.
— Tu verras.
— C’est toujours mieux que d’être buté ou de crever en taule, c’est ça ?
— Ça fait aucun doute.
— Alors, je dois te faire confiance.
— T’as pas le choix.
— OK. Je te fais confiance.